Quatre petites chroniques pour des lectures graphiques sympathiques ou intéressantes, mais toujours avec de petites réserves.
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Dans la forêt, de Lomig, d’après le roman de Jean Hegland (2019)
Le roman Dans la forêt fait partie de mes lectures les plus marquantes de ces dernières années, de là mon refus de lire l’adaptation graphique. La découverte récente d’Au cœur des solitudes par Lomig m’a incité à franchir le cap et à oublier ma méfiance initiale.
Tout d’abord, j’ai été frappée par les dessins que j’ai beaucoup moins appréciés que dans son dernier ouvrage. La magie des paysages peinait à opérer et j’ai eu beaucoup de mal avec les visages de Nell et Eva (alors que ça ne m’avait pas du tout choqué avec John Muir). J’aurais pu oublier cela et me laisser absorber, sauf que…
L’adaptation s’est révélée tout à fait correcte, mais, comme je le suspectais, elle est bien loin d’avoir la force du roman. L’immersion étant, logiquement, plus brève, cela nuit à la profondeur des personnages, au partage de leurs émotions, de leurs états d’esprit. Et surtout, il m’a manqué les mots de Jean Hegland, ceux qui parlaient de la nature ou de la maison, ceux qui convoquaient tous mes sens. Les dessins de forêt n’ont pas suffi à la rendre vivante, à la rétablir personnage.
J’ai retrouvé les étapes du roman, les moments importants, les transitions, le cheminement des deux sœurs, mais ni la proximité avec Nell, ni la puissance sensorielle du récit.
Dans la forêt, Lomig, d’après le roman de Jean Hegland. Sarbacane, 2019. 156 pages.
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Journal d’un enfant de la lune, de Joris Chamblain (scénario) et Anne-Lise Nalin (dessins)
Cette BD permet de faire découvrir le Xeroderma pigmentosum (le nom scientifique de la maladie des enfants de la lune) à travers une histoire à la fois prenante – en suivant Morgane dans son enquête et son engagement pour retrouver le propriétaire du journal – et touchante – par les mots de Maxime qui l’accompagnent. Elle donne à voir le handicap, les contraintes matérielles et financières et l’impact psychologique possible pour les malades comme pour leurs proches.
L’histoire est brève avec tous les défauts que cela peut impliquer : personnages rapidement caractérisés, manque de nuances dans les émotions de Morgane, temporalité étrange (je n’ai pas réussi à croire le fait qu’elle termine le journal après tant de jours pile pour un dernier moment crucial)…
Le dessin est joli, coloré, rond et doux, ce qui colle avec l’atmosphère globalement optimiste de la BD.
Sans doute aurais-je aujourd’hui apprécié un récit plus développé et nuancé, mais cette BD conserve tout de même des bonnes qualités et a le mérite d’exister.
Journal d’un enfant de la lune, Joris Chamblain (scénario) et Anne-Lise Nalin (dessins). Éditions Kennes, coll. Ensemble, 2017. 55 pages.
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Les filles de Salem : comment nous avons condamné nos enfants,
de Thomas Gilbert (2018)
L’histoire des sorcières de Salem, ou du moins une libre revisite car, si bon nombre des personnages ont réellement existés, ce n’est pas une retranscription fidèle et certains événements sont romancés (ou quel que soit le mot approprié dans le cas d’une bande-dessinée…) pour plus d’émotions. Néanmoins, la BD est prenante. J’ai trouvé la première partie très réussie avec une ambiance lourde et pesante qui s’installe peu à peu autour de l’héroïne. L’atmosphère change au village, entre de mauvaises récoltes, la proximité des peuples autochtones, un pasteur vindicatif, la jalousie… Les personnages ne le savent pas, mais en tant que lecteurices, on sait comment les choses vont tourner. Et ce temps où le récit s’assombrit est de plus en plus oppressant.
En revanche, j’ai trouvé la suite un peu précipitée. Le passage des procès aurait pu être plus approfondi, même si l’on ressent parfaitement l’injustice et l’hypocrisie, les faux témoignages poussés par la peur, la colère, le besoin de trouver des coupables.
Les dessins viennent souvent souligner l’horreur d’une situation, le poids étouffant des regards, la violence d’une émotion. Des dessins qui, à défaut d’être beaux, sont marquants et sombres, accroissant les sentiments de dégoût, de révolte, de peur…
En dépit de ses inexactitudes, ce roman graphique sonne comme un rappel impitoyable du calvaire des victimes de Salem Village, et de toutes celles et ceux qui, parce que d’ailleurs, parce que différents, parce que en position de faiblesse, ont été sacrifiés au fil de l’histoire.
Les filles de Salem : comment nous avons condamné nos enfants, Thomas Gilbert. Dargaud, 2018. 197 pages.
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Je suis leur silence : un polar à Barcelone, de Jordi Lafebre (2023)
Après l’excellente découverte qu’a été Malgré tout du même bédéiste, je n’ai pas hésité à emprunter son dernier titre qui met en scène Eva, psychiatre dont la santé mentale et la capacité à exercer sont remises en question, qui raconte sa dernière semaine – quelque peu épique – au docteur Llull.
Je suis leur silence est une BD très plaisante à lire, mais qui n’est pas sans défauts.
Oui, Eva est une pile électrique très sympathique et ses interactions avec autrui (y compris avec Llull) sont amusantes. Oui, l’enquête dans laquelle elle est plus ou moins involontairement plongée se lit bien. Pour le divertissement, l’histoire fait le job. Evidemment que le dessin est encore une fois bien beau, avec une grande expressivité des personnages et une colorisation chaleureuse très réussie.
Seulement, là où j’avais trouvé Malgré tout très touchant, équilibré et juste, je ne peux pas dire que ce soit le cas de Je suis leur silence.
Tout d’abord, les personnages croisés par Eva ne sont pas très nuancés : la plupart sont des archétypes de mâles prédateurs, de mépris de classe, de riches sans scrupules… Ce n’est pas forcément irréaliste, mais, étant peu subtil, cela réserve finalement peu de surprises.
Ensuite, même si je ne suis pas contre la tonalité globale un peu loufoque, l’intrigue prend peu à peu des proportions quelque peu absurdes qui m’ont sortie de l’histoire dans sa dernière partie.
Enfin, je suis un peu déçue de la représentation des troubles mentaux. Je m’attendais à quelque chose de plus profond, de moins unilatéral, peut-être de moins joyeux et positif. Certes, l’approche positive et bienveillante est tout à fait appréciable, mais l’auteur échoue à faire ressentir la complexité de la situation (mais ce n’était peut-être absolument pas son objectif).
Un whodunit décalé, sympathique mais finalement pas inoubliable…
Je suis leur silence : un polar à Barcelone, Jordi Lafebre. Dargaud, 2023. Traduit de l’espagnol par Geneviève Maubille. 109 pages.
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