La Cité diaphane, d’Anouck Faure (2023)

Je voulais lire ce roman depuis sa sortie et c’est le prix des Aventuriales qui m’a donné l’occasion de le lire. Après deux flops, qu’en a-t-il été de celui-ci ?

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Les cinq titres en lice :
La cité diaphane, d’Anouck Faure ;
La trilogie du singe, de Pierre Léauté ;
La cité sous les cimes, de Marge Nantel ;
Dolls, de Népenth S. et MoonE ;
Crimes surnaturels, T1, Chaudron de bruyère, de Pauline Sidre.
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La cité diaphane 1Depuis sept ans, Roche-Étoile est une cité abandonnée, ravagée par un mal étrange qui a empoisonné toutes les sources d’eau, ville muette peuplée des statues de la déesse sans visage. Une nécropole que vient réveiller un archiviste missionné par un royaume voisin pour en percer les mystères.

J’ai été happée par l’approche de la cité, par ce travelling avant qui prend son temps, par l’ambiance qui s’installe par des rencontres troublantes ou des bruits inexpliqués. Seulement, un cheveu est tombé dans la soupe…
Dès la première page, le narrateur nous explique qu’il va nous raconter les événements des jours précédents tels qu’il les a vécus « c’est-à-dire dans l’ignorance la plus totale des ressorts qui se jouaient ». Soit. Sauf que, dès lors, il multiplie les effets d’annonce, à coup de « Qu’il m’est étrange à présent de repenser à cette première rencontre… » ou de « Cela m’amuse en y repensant, mais sur l’instant, je regrettai aussitôt mes paroles. ». Une fois, deux fois, passe encore, mais cela se reproduit tant et tant que le mystère a perdu de son attrait au profit d’une immense lassitude. Tout ce que j’avais en tête était : « Mais crache ta pastille, bon sang ! ».
Par la suite, il continue de trouver des stratégies pour repousser les explications (« Pourquoi, vous demandez-vous sans doute. Comment ? Tout cela doit vous paraître très obscur, mais rassurez-vous, vous saurez bientôt. Pas tout de suite, cependant. Nous sommes déjà au beau milieu d’un récit qu’il serait dommage d’interrompre. »). Je n’ai pas besoin de tout savoir tout de suite, mais ces louvoiements me semblaient faux et creux, générateurs de longueurs inutiles.
À ce stade, je l’avoue, j’étais exaspérée et à deux doigts de laisser tomber.
Merci les Aventuriales, j’ai persévéré.

Par la suite, mon intérêt est revenu jusqu’à être bien prise par le récit. L’écriture est soignée, c’était globalement un plaisir de plonger dans les mots de l’autrice. Au-delà des décors gothiques, il y a un côté médiéval à travers les personnages désignés (pour une bonne raison) par leur condition (la chevaleresse, le mendiant, l’archiviste…). J’ai alors apprécié la manière d’aller de mystère en mystère, de rebondissements en retournements de situation. Les révélations sont progressives (sans pour autant tourner en rond) tandis que se dévoilent les motivations des différents personnages. Oscillant entre perfidie et protection, haine et amour, calcul et instinct, le récit s’amuse à nous balader gentiment à travers une histoire qui se révèle comme à rebours. Cependant, je vais être honnête, je doute que les détails de l’intrigue me marquent longtemps : bon nombre de confrontations n’étaient tout simplement pas à la hauteur des décors.

Car j’ai surtout savouré l’atmosphère quelque peu dichotomique du roman. Il a quelque chose d’éthéré – à travers l’architecture blanche et élancée de la cité, l’allure arachnéenne des enfants royaux, la condition ectoplasmique d’un protagoniste… – qui vient se heurter à une matérialité crue, à une chair démesurée, à des monstruosités magnifiées, à un macabre aussi poisseux que sublimé. Et en même temps, il y a ce jeu permanent de faux-semblants, de visages multiples, d’incertitudes, qui évite tout manichéisme.

Finalement, davantage que le fond qui parfois tourne en rond et manque de profondeur et de puissance, je saluerai surtout la forme originale du roman – complété par les gravures sombres de l’autrice – ainsi que l’atmosphère fascinante tout à la fois troublante, malsaine et onirique.

Source des gravures : le site d’Anouck Faure

« Peut-être éprouvèrent-ils du vertige à imaginer les ténèbres d’un esprit sans image. »

« La créature lui inspirait sans doute un mélange de fascination et de répugnance, comme un reflet déformé et pourtant beaucoup trop juste. La corne sur ce front de porcelaine, les membres chevalins lui rappelaient ce qu’il avait été, ce qu’il était désormais. Une licorne noire, un monstre, un être plus tout à fait humain qui se tenait sur les rivages de la mort. »

La Cité diaphane, Anouck Faure. Éditions Argyll, 2023. 261 pages.

Sorrowland, de Rivers Solomon (2021)

Sorrowland (couverture)Vern a fui la secte qui l’a vue grandir, le prêcheur devenu son mari, elle a fui dans la forêt pour y élever ses jumeaux sans influence extérieure. Cependant, traquée et torturée par des changements physiques qu’elle n’explique pas, elle va devoir quitter ce refuge. Le début d’un voyage pour comprendre le passé et espérer survivre au futur.

Je ne sais pas exactement quoi penser de ce roman. Non, ce n’est pas tout à fait vrai : en réalité, je suis déçue de ne pas l’avoir aimé comme que je l’espérais. Voilà.

D’un côté, j’ai constamment été absorbée par ma lecture qui s’est révélée parfaitement immersive. Le rapport au corps est prégnant tout au long du roman de toutes les façons possibles, ses besoins primordiaux, la sexualité, le handicap, des transformations surnaturelles, la maternité et la relation avec ses enfants… Le récit venant questionner notre rapport à la monstruosité et à la différence, j’ai apprécié le côté body horror avec lequel je ne suis pas forcément familière en littérature, l’idée de la symbiose fongique étant vraiment passionnante, et, au-delà des transformations du corps de Vern certes fascinantes, j’ai aussi trouvé son évolution très intéressante.  Il y a quelque chose de viscéral dans cette histoire, où la vie, la nature, les désirs et les besoins sont montrés dans toute leur crudité, s’opposant aux considérations religieuses (croyances, existence du divin, notion de purification) du domaine qui a modelé l’enfance de Vern. Le corps se libère de la prison sectaire dans laquelle a été emprisonné son esprit ; Vern apprend peu à peu à s’accepter, à s’écouter et à sortir des préceptes coercitifs inculqués par des personnalités toxiques dans une communauté utopique pervertie.
La facette « nature writing » m’a également séduite et j’ai adoré ces pages dans la forêt qui, si elle se révèle parfois inquiétante lorsqu’on ne sait ce qui y rôde, se révèle surtout nourricière, protectrice et source d’épanouissement et de liberté, notamment dans le développement et l’éducation des jumeaux de Vern. Ce n’est pas un rapport où l’humain vient dominer la nature, la plier à sa volonté, il y a une véritable animalité, un retour à la terre qui rejoint aussi bien la question du corps que celle des métamorphoses de l’héroïne.

De l’autre côté, je ne sais pas si je vais le garder longtemps en mémoire. Je m’attendais à un roman extrêmement dur (et la longue liste de trigger warnings dans la note précédant le roman semblait me le confirmer) et intense, une lecture qui bouscule, mais finalement, ce n’est pas ainsi que j’ai ressenti les choses. Comme s’il m’avait manqué une profondeur qui aurait fait de cette histoire une lecture susceptible de se graver dans ma mémoire et dans mon cœur. Le tout reste divertissant jusqu’au bout, mais s’essouffle tout de même, oubliant la tension et le sentiment d’urgence qui nourrissait le début du roman au profit de raccourcis et de révélations qui, manquant légèrement de cohérence ou de crédibilité, finissent par tomber un peu à plat, nuisant au discours sur la défiance envers les autorités quelles qu’elles soient et les manipulations des minorités…

Un roman qui ne manque pas d’atouts et de bonnes idées, mais qui, dans sa réalisation, manque de puissance. Rivers Solomon a peut-être voulu caser trop de choses dans son récit – même si l’écriture fluide fait que je ne l’ai pas ressenti ainsi au moment de la lecture –, ce qui dilue peut-être l’efficacité émotionnelle et l’intelligence de certaines idées.

« Vern avait toujours envie de leur crier : il n’y a pas d’église, pas de philosophie, pas d’école de pensée, il ne faut avoir confiance en rien. Croire en quelque chose, c’est faire le sacrifice de vos facultés. Pour avancer, il faut accepter de se battre. »

« – Et pourtant, moi, elle ne m’a pas touchée, dit Ollie. Qu’est-ce que tu en dis ?
Vern n’avait rien à en dire, elle s’en fichait. L’amour, l’adoration, la servilité envers ceux qui nous causent du tort faisait partie du bagage génétique de tous les animaux. Vivre, cela voulait dire désirer ardemment établir des liens avec les autres – et être lié avec un ennemi valait mieux que la solitude absolue. Les nourrissons referment la main et la bouche sur tout ce qui les touche, instinctivement. »

Sorrowland, Rivers Solomon. J’ai Lu, 2023 (2021). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Francis Guévremont. 509 pages.

Trilogie du singe, de Pierre Léauté (2022)

Nouvelle lecture en vue du prix des Aventuriales qui récompense un roman SFFF publié par une maison d’édition à compte d’éditeur…

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Les cinq titres en lice :
La cité diaphane, d’Anouck Faure ;
La trilogie du singe, de Pierre Léauté ;
La cité sous les cimes, de Marge Nantel ;
Dolls, de Népenth S. et MoonE ;
Crimes surnaturels, T1, Chaudron de bruyère, de Pauline Sidre.
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… et second flop. Décidément.

Trilogie du Singe (couverture)Ce recueil contient trois nouvelles uchroniques. La première, « La grande brisure », nous emmène au début du XVIIIe siècle dans une aventure maritime dans un monde où la Bretagne a été séparée du royaume de France par un séisme et constitue à présent une nation distincte et adverse. « Kaiser Kong », la seconde, réécrit l’histoire du nazisme et du franquisme avec une dose de fantastique en y insérant King Kong et le petit-fils de Frankenstein. Dans la dernière, « Code noir », se croisent Mesrine, Kennedy et Marilyn Monroe, Johnny Hallyday et Sylvie Vartan dans une France où l’esclavage est toujours en place.
Voilà voilà.

Je ne vais pas mentir, j’avais des doutes dès le résumé. Je n’ai rien contre le genre de l’uchronie, un genre que je connais finalement très mal mais qui me semble réclamer une cohérence parfois compliquée à trouver ; en revanche, je ne suis pas du tout friande des crossovers. Dans le cas présent, j’ai eu l’impression d’un petit délire de la part de l’auteur qui s’est amusé avec différents personnages de fiction ou personnalités.
Oui, il y a des idées potentiellement intéressantes, des messages sur les droits humains, un regard sur l’Histoire, sur des sociétés inégalitaires, un hommage à un monstre de la pop culture… mais ça ne suffit pas, ça reste superficiel. Et pour la cohérence, je n’ai pas été convaincue, j’ai eu du mal à croire à ces chemins alternatifs. Peut-être est-ce une nouvelle fois le choix du format nouvelle qui me refroidit, du fait des limites que cela présente en termes de pose et développement de l’univers.

D’autant que, ce qui m’a le plus laissée de côté, c’est le manque d’émotions, d’implication dans ces récits. J’ai l’impression d’avoir simplement lu des suites de mots bien agencés, sans pouvoir prétendre avoir ressenti le moindre intérêt pour ce qu’ils disaient.
Par exemple, la première nouvelle est un récit d’aventures avec voyage à travers les mers, accrochage et abordage par la flotte française, emprisonnement, pendaisons… Sauf que je n’ai pas eu l’impression de partager une aventure, seulement de lire une suite de faits froids et détachés.

Je n’ai rien de plus à en dire, si ce n’est que je sais dès à présent que cette lecture au goût de trop peu va rapidement purement et simplement s’effacer de ma mémoire.

« « Interdit aux Serviles », proclamait la plaque si neuve que l’émail rutilait encore. C’est le cœur lourd que Denise rebroussa chemin à l’ombre d’une vérité ancienne. Sur le fronton du palais de la Bourse, un cadran solaire marquait la course du matin. « L’heure passe, la justice reste. » Inscrits tout autour du cadran, ces quelques mots donnaient à croire à Denise que si la justice était une vertu, elle était monochrome. »
(Code noir)

Trilogie du singe, Pierre Léauté. Editions 1115, 2022. 128 pages.

Du thé pour les fantômes, de Chris Vuklisevic (2023)

Du thé pour les fantômes (couverture)Félicité et Agonie sont sœurs. L’une est passeuse de fantôme, l’autre sorcière. Depuis trente ans, tout contact est rompu entre elles, jusqu’à ce que la mort de leur mère les réunisse. Ensemble, elles se lancent sur les traces de leur mère, leur incompréhensible mère, pour retrouver son fantôme, pour lui poser les questions toujours muselées, pour lui permettre d’achever son ultime phrase.

Commençons par le positif. J’ai beaucoup aimé l’univers. Cette ambiance de conte, avec une enfant que l’on musèle, les éclairs et les tempêtes d’une mère, les papillons mortifères s’échappant d’une bouche, écho plus élaboré des Fées… On y retrouve toute la cruauté des contes et un de ces parents défaillants, de celles et ceux qui pourraient aussi bien abandonner leur progéniture dans la forêt.
L’autrice nous plonge dans une histoire de famille sombre, remplie de secrets, de ressentiments, d’injustice, une intrigue qui pourrait sembler classique, mais elle se l’approprie totalement et propose un univers si fascinant que le tout semble nouveau. C’est dur parfois, mais il y a également une grande mélancolie ainsi qu’une forme de douceur avec ces théières enchantées et ces thés aux propriétés stupéfiantes. Un contraste des plus intéressants, entre pesanteur et délicatesse.

Je n’oublie pas toute la poésie injectée dans ce roman. En effet, l’écriture est sublime et fait ressortir la musicalité de la langue et la beauté des mots. La plume de Chris Vuklisevic est envoûtante et j’ai particulièrement apprécié un passage en miroir, un dialogue muet entre les deux sœurs, un choix approprié, très réussi et bouleversant.
Mais la belle plume n’a pas tout à fait suffi pour faire vivre les personnages. Si Egonia m’a véritablement touchée, si Marine m’a énormément plu, la plupart ont manqué de consistance à mes yeux. Je n’ai pas été convaincue par les portraits, par les protagonistes, par toutes ces femmes croisées dans le roman, par leurs « raisons » d’être et d’agir telles qu’elles le font.

De plus, dès le commencement, ma lecture a été laborieuse. Sans identifier réellement le problème, je n’arrivais pas à rentrer dans l’histoire. Ou plutôt, je ne cessais d’en ressortir. Certes, la temporalité était quelque peu enchevêtrée, passant du présent à différentes époques passées, mais ça n’avait jamais été un problème jusqu’à présent.
La cause réside probablement dans la narration elle-même. Tout d’abord, elle conserve tout du long quelque chose de décousu. Ensuite, le récit nous est raconté par quelqu’un (dont on ignore tout au début) qui va fréquemment interrompre son histoire pour interpeller son interlocuteur-lecteur et ainsi briser le quatrième mur. Et je crois que ce sont ces interruptions, ces changements de points de vue qui nous éloignant de Félicité et d’Egonia, ces « je » et de ces « tu », ces touches d’humour un peu ratées, ces familiarité entre lui et moi alors que je ne m’intéressais qu’aux sœurs, bref, ces apartés qui m’empêchaient de simplement m’immerger dans l’intrigue.

Si l’autrice injecte sa patte unique dans cette histoire de famille, en revanche, le récit m’a semblé traîné en longueur – je l’avoue, le passage dans le désert m’a laissée dubitative – et la fin est un peu fade (oserais-je admettre que j’ai dû feuilleter les dernières pages pour me les remémorer alors que je l’ai lu à peine un mois avant d’écrire cette chronique ?). Était-ce encore une fois dû à la narration, je l’ignore, mais elle est tombée un peu à plat…

Cette incapacité à vivre l’histoire, à y rester, ces interrogations permanentes sur le pourquoi du comment ont véritablement nui à l’expérience. En dépit des qualités de ce roman, je doute d’en garder un souvenir très percutant tant ma lecture, hachée, a manqué de fluidité.

On m’a recommandé la version audio et le talent de la lectrice Clotilde Seille, peut-être retenterai-je un jour sous cette forme.

« Sa mère est morte. Le village vide. Plus rien pour l’enfermer.
Toute la nuit, Egonia a marché sur ses propres traces comme on remonterait le temps. Retourner vers les lieux du passé, c’est presque rajeunir.
Ça ne lui plaît pas du tout. Elle se sent redevenir cette fillette violente et terrifiée qu’elle croyait disparue. »

«  (…) Tu n’es plus une clé, depuis que ta mère est morte, tu es un pied-de-biche. La porte entre les mondes des morts et des vivants, pour une fois qu’elle te résiste un peu, tu ne le supportes pas, alors tu cherches à la rompre. Pas besoin de talons en métal pour défoncer des portes et briser des serrures. Il suffit d’une âme en acier, d’une âme sans patience ni tendresse, sans compassion pour les plus lents, pour les sœurs qui ne savent pas bien lire, pour celles qui ont mauvaise mémoire, pour celles qui n’ont pas envie de parler ou de boire du thé, pour les fantômes qui ne se laissent pas découvrir assez vite, ni grâce ni indulgence pour personne sauf pour soi-même et sa pauvre petite misère. »

« Un outrenom, ma petite-fille, te fait et te dirige tout entière. Il est à ton âme ce que le sang est à ton corps. Tu ne peux échapper à ton outrenom : c’est l’étiquette collée sur le flacon de ton destin. »

« On pense devoir s’armer de courage pour prononcer certains mots. Ce n’est qu’une fois sortis sans déchirer le monde autour que ces titans-là paraissent soudain minuscules. »

Du thé pour les fantômes, Chris Vuklisevic. Denoël, coll. Lunes d’encre, 2023. 438 pages.

Big Tree, de Brian Selznick (2023)

Big Tree 1J’apprécie toujours la découverte d’un nouvel ouvrage de Brian Selznick et je me remercie Babelio de m’en avoir une nouvelle fois donné l’opportunité.

Merwin et Louise sont deux graines de platane. Alors que la forêt est menacée par le feu, ils doivent prendre leur envol pour espérer trouver le sol riche, la lumière et l’eau fraîche nécessaire à leur survie.

Le point de vue est original. On connaissait les histoires d’animaux, mais suivre deux graines de platane est assez inédit. Il aurait été encore plus extrême de ne pas recourir à un certain anthropomorphisme qui leur donne prénoms bien humains, genres et volonté consciente d’agir, mais, si l’exercice m’aurait plu, je reconnais qu’il aurait sans doute été plus compliqué de passionner lecteurs et lectrices !
C’est un roman qui ouvre d’autres perspectives, ce genre de roman qui ouvre sur des connaissances souvent laissées de côté, mais qui sont pourtant à même – de mon point de vue – de susciter des vocations, des passions, comme ce « wood wide web » constitué par les mycorhizes ou les foraminifères tant cela est fascinant.

Le roman est agréable à lire, fluide et dynamique. Les deux graines sont deux orphelins de plus dans l’œuvre de Selznick et présentent ces caractères opposés et donc complémentaires qui permettent d’avancer dans l’histoire avec humour, innocence et sagesse. Les pages défilent à toute vitesse et les péripéties s’enchaînent tout en accordant du temps à des instants plus poétiques ou contemplatifs.
Il porte un message écologiste actuel bien qu’amené à travers une histoire préhistorique : j’ai beaucoup aimé découvrir grâce à la postface à quel point tout était scientifiquement fondé (au-delà des graines qui s’appelleraient Louise et Merwin). C’est tout à fait sympathique, rien à redire.

C’est comme toujours très beau, très doux, bien que je regrette un manque de contraste dans les impressions du livre (celles sur les cartes postales jointes présentent davantage de profondeur et de nuances…). Le texte et l’image s’articulent à merveille, la seconde venant compléter, enrichir et non simplement illustrer le premier. La technique est rodée, l’auteur-dessinateur maîtrise son art.

Cependant, pour la première fois, j’ai ressenti une petite lassitude alors que Kaléidoscope avait su me surprendre et m’amener vers des chemins plus inattendus. Finalement, l’originalité, la nouveauté, s’arrêtent un peu au choix des protagonistes et de ce qui en découle. C’est gentil et intelligent, mais ça manque un peu de saveur. Le tout est très rapide et un peu superficiel. Et écrire un livre sur « il faut protéger la nature », même si c’est vrai, ne suffit pas à faire un roman marquant (la BD La louve boréale m’avait déjà fait le même effet).
De plus, je regrette énormément le côté stéréotypé du frère prudent qui protège son écervelée de petite sœur (même si c’est en réalité le naturel à la fois rêveur et audacieux de celle-ci qui dénoue bien des situations).
Je ne dis pas que c’est un mauvais roman, mais je le trouve moins bon que les précédents. En tout cas, il n’a pas pleinement satisfait mes appétits littéraires d’adulte…

Un récit apaisant et optimiste, un voyage qui prend la forme d’une ode aux écosystèmes (y compris les plus méconnus), mais dont la douceur manque un peu de piquant.

« Les bons parents donnent toujours des racines et des ailes à leurs enfants. Des racines pour se fixer, et des ailes pour voler courageusement jusqu’à destination. »

« Louise remua dans la boule de graines.
– Moi, je veux grandir sur la Lune, déclara-t-elle.
– C’est excitant ! dit sa mère.
– Mais, maman, chuchota Merwin, elle ne peut pas aller sur la Lune.
– Laisse ta sœur rêver, Merwin. Les rêves, c’est important.
– Mais la réalité, alors ?
– Cela aussi, c’est important.
Merwin se disait qu’il pourrait parfaitement se débrouiller sans les rêves de Louise, mais il était certain que sa sœur ne tiendrait pas dix minutes sans son aide. »

« – Les étoiles ne parlent pas.
– Dans les rêves, si. »

Big Tree, Brian Selznick. Bayard jeunesse, 2024 (2023 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Delcourt. 524 pages.