Andromaque, vue par Racine et par Euripide

Pour le RDV de mai des fantastiques classiques, il nous fallait un titre composé d’un seul mot, sans le moindre petit déterminant indésirable : je voulais en profiter pour relire Candide  avant de me rappeler que, en dépit de ce qui est marqué sur la couverture, le titre complet est Candide, ou l’Optimisme. Heureusement, les pièces de théâtre répondant à ce critère sont légion, j’aurais pu lire Hamlet, Macbeth ou Othello chez Shakespeare, Médée, Polyeucte ou Andromède chez Corneille, Hernani ou Cromwell chez Hugo, mais j’avais envie de retrouver l’auteur de Phèdre et, parmi Britannicus, Bérénice, Iphigénie et bien d’autres, mon choix s’est arrêté sur Andromaque. (En vrai, je comptais lire plus de pièces, mais point trop n’en faut : ce n’est pas mon genre de prédilection et je les savoure mieux en espaçant mes lectures.) Que j’ai complété avec la version bien antérieure du Grec Euripide.

Mon avis en un seul mot ?
Pour Racine : Délicieux !
Pour Euripide : Complexe.

(Mais détaillons tout de même un peu…)

Classiques fantastique - un seul mot

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Andromaque, de Racine (1667)

Jusqu’alors, je n’avais donc lu qu’un seul texte de Racine : Phèdre, une pièce que j’adore depuis bien des années. Le challenge m’a donc donné l’idée de découvrir son appropriation d’un autre personnage de la mythologie grecque : Andromaque, veuve d’Hector, mère d’Astyanax et, depuis la chute de Troie, esclave de Pyrrhus, fils du meurtrier d’Hector, Achille. Cette pièce est souvent résumée ainsi : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort.

J’ai aimé l’opposition qui se joue entre les femmes et les hommes dans cette pièce où aucun amour n’est réciproque, car les femmes n’y sont montrées ni faibles ni niaises. C’est une pièce dans laquelle les femmes disent « non » pendant que les hommes implorent leur « oui ». Andromaque refuse d’accepter l’amour de Pyrrhus tandis qu’Hermione joue avec les sentiments d’Oreste. Andromaque s’oppose à Pyrrhus et à ses chantages odieux : l’épouser ou voir son fils condamné. En réalité, Andromaque, en dépit de son statut de captive, dispose de cartes pour manipuler Pyrrhus : elle refuse de l’épouser et, s’il tuait son fils, il détruirait le seul lien l’attachant encore à la vie et lui permettrait de mettre fin à ses jours. Son fils est sa faiblesse mais sa mort la libérerait. Andromaque et Hermione apparaissent presque comme des tacticiennes, tendant d’améliorer leur situation en bougeant leurs pions et en jouant avec les sentiments de leur prétendant.
Pendant ce temps, Pyrrhus et Oreste sont en proie à leurs émotions : ils supplient, ils louent, ils enragent, ils exposent leur amour et pleurent le rejet, et ils semblent souvent baladés par les mots de celles qu’ils aiment. Leur représentation est quelque peu éloignée de leur « biographie » habituelle : Pyrrhus n’apparaît guère comme le héros viril de la guerre de Troie, assassin du roi Priam, et il n’est fait nulle allusion au passé matricide d’Oreste.

Une vraie tragédie encore avec des personnages fort intéressants et un récit d’amours cruels – frôlant la haine lorsqu’ils ne sont pas payés de retour –, mais qui n’a cependant pas su me passionner autant que Phèdre. Parmi des éléments passionnants et des monologues magnifiques, j’y ai trouvé des longueurs et une impression parfois de tourner en rond au milieu des désirs contrariés des personnages.
Néanmoins, c’était tout de même très agréable à lire, ne serait-ce que pour cette superbe plume que j’apprécie lire à haute voix pour savourer la sonorité de ses vers. Rien que pour ça, ça vaut le coup !

« Pylade (ami d’Oreste)
(…)
Ainsi n’attendez pas que l’on puisse aujourd’hui
Vous répondre d’un cœur si peu maître de lui :
Il peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu’il hait, et perdre ce qu’il aime.
 »

« Pyrrhus
Eh quoi ! votre courroux n’a-t-il pas eu son cours ?
Peut-on haïr sans cesse ? et punit-on toujours ?
J’ai fait des malheureux, sans doute, et la Phrygie
Cent fois de votre sang a vu ma main rougie ;
Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés !
Qu’ils m’ont vendu bien cher les pleurs qu’ils ont versés !
De combien de remords m’ont-ils rendu la proie !
Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie.
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
Brûlé de plus de feux que je n’en allumai,
Tant de soins, tant de pleurs, tant d’ardeurs inquiètes !
Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l’êtes ?
Mais enfin, tour à tour, c’est assez nous punir ;
Nos ennemis communs devraient nous réunir :
Madame, dites-moi seulement que j’espère,
Je vous rends votre fils, et je lui sers de père ;
Je l’instruirai moi-même à venger les Troyens ;
J’irai punir les Grecs de vos maux et des miens.
Animé d’un regard, je puis tout entreprendre :
Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre ;
Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l’ont pris,
Dans ses murs relevés couronner votre fils.
 »

« Pyrrhus
(…)
Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
Le fils me répondra des mépris de la mère ;
La Grèce le demande ; et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.
Andromaque
Hélas ! il mourra donc ! Il n’a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère, et que son innocence…
Et peut-être après tout, en l’état où je suis,
Sa mort avancera la fin de mes ennuis.
Je prolongeais pour lui ma vie et ma misère ;
Mais enfin sur ses pas j’irai revoir son père.
 »

« Oreste
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »

Andromaque, Jean Racine (1667 pour la première représentation). Dans : Œuvres complètes de Racine, aux éditions Famot, 1975, pp 131-156.

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Andromaque, d’Euripide (426 avant J.-C.)

Euripide (buste)

Plus ou moins les mêmes personnages que chez Racine, mais pas tout à fait la même histoire : Andromaque est déjà la concubine de Pyrrhus (qui est plus souvent appelé Néoptolème) avec qui elle a un fils, Molosse car Astyanax, son fils né de son union avec Hector, a été assassiné lors de la prise de Troie. Hermione est l’épouse légitime de Néoptolème et, infertile et jalouse, menace la vie d’Andromaque et de Molosse.

C’est donc une pièce qui s’inscrit davantage dans les histoires traditionnelles de la mythologie grecque : Pâris et la dispute des trois déesses (Héra, Athéna et Aphrodite) à l’origine de la guerre de Troie, la mort d’Astyanax précipité du haut des remparts de la cité troyenne, le matricide d’Oreste, l’outrage de Néoptolème à Apollon, la présence de Pélée et de Thétis, les jeux cruels des dieux et les malédictions qui pèsent sur la tête des personnages… bref, une pièce qui s’apprécie mieux avec une certaine connaissance des personnages, de leurs liens et de leur histoire. Amoureuse de la mythologie depuis toujours ou presque, j’ai apprécié cet aspect du texte.

Ici, pas ou peu de déclarations d’amour enflammées, pas de grands sentiments à exprimer (si ce n’est la haine) ou de consentement à obtenir de l’élu·e de son cœur (le consentement était alors une notion éloignée de leur préoccupation). C’est le danger qui prédomine, qui pèse sur Andromaque et son fils tout au long de la pièce, menace renforcée par l’absence de Néoptolème et par la présence guerrière de Ménélas, père d’Hermione.
L’empreinte de la guerre est forte et la Grèce n’a pas retrouvé sa paix, d’autant que bien des vices ont été révélés, bien des reproches se sont cristallisés à cause ou pendant le long conflit. L’amitié entre les cités ne dure plus et Sparte est violemment critiquée, à l’instar de son roi Ménélas (il faut dire que les guerres du Péloponnèse faisait rage à l’époque). Les dialogues sont donc énergiquement venimeux, ce qui se révèle parfois réjouissant.

Je ne me sens pas de faire une analyse pointue sur la pièce, premièrement, parce que je n’ai clairement pas les compétences et, deuxièmement, parce que je l’ai lu en numérique et que décidément j’imprime encore moins bien que quand j’ai du papier entre les mains. Cependant, je me dois de noter l’aspect très misogyne de la pièce d’Euripide, Andromaque n’étant pas la dernière pour dire que les femmes sont mauvaises et détestables. J’avoue que ces passages me restaient un peu en travers de la gorge, effaçant toute idée d’empathie avec le personnage éponyme.

Une pièce qui est loin d’être inintéressante, mais qui ne m’a pas totalement emportée, ce qui s’explique sans doute aussi par le fait que je ne suis pas armée pour la savourer pleinement. Néanmoins, je suis tout de même contente de cette découverte de cet auteur très classique.

« Andromaque
Ô opinion, opinion, à une foule de mortels, qui réellement ne sont rien, tu donnes une brillante apparence. Ceux dont la bonne renommée repose sur la vérité, je les estime heureux ; mais ceux dont la renommée repose sur le mensonge, je ne leur reconnais d’autre mérite que de devoir au hasard la réputation de sages. »

Andromaque, Euripide. Traduction de Nicolas Louis Marie Artaud, 1842 (jouée en 426 avant J.-C.). En ligne.

Les Rougon-Macquart, tome 6, Son Excellence Eugène Rougon, d’Emile Zola (1876)

Son Excellence Eugène RougonSon Excellence Eugène Rougon vous invite à découvrir les dessous, peu reluisants évidemment, de la politique et les arcanes du pouvoir sous le Second Empire…

Le roman s’ouvre sur la chambre des députés en 1856 et la première page donne l’impression que certaines choses n’ont pas changé en 170 ans : « Il n’y avait pas cent députés présents. Les uns se renversaient à demi sur les banquettes de velours rouge, les yeux vagues, sommeillant déjà. D’autres, pliés au bord de leurs pupitres comme sous l’ennui de cette corvée d’une séance publique, battaient doucement l’acajou du bout de leurs doigts. » Et la question pourra se poser à nouveau au fil du roman, sur les influences derrière le pouvoir, la ténacité des politiques qui reviennent toujours dans le jeu, l’opportunisme au fil des gouvernements…

Je reconnais que j’ai eu quelques difficultés à rentrer dans ce sixième volume des Rougon-Macquart : sans doute à cause du cadre très politique, institutionnalisé (et je ne suis pas familière des institutions sous le Second Empire) qui m’a freiné, ainsi que des interrogations sur la direction qu’allait prendre l’intrigue. Car il y a beaucoup de passivité dans la première moitié du roman : Rougon attend sa réhabilitation, mais son retour en grâce auprès de l’Empereur se fait désirer, d’où quelques longueurs.

J’avoue avoir été déstabilisée par Eugène Rougon : les allusions à ce personnage dans les tomes précédents me l’avaient fait imaginer comme une intelligence aigüe, l’éminence grise de l’Empereur, mais j’ai été un peu déçue. Souvent comparé à un taureau, avec une force brute et une lourdeur dans les mouvements, j’ai généralement eu du mal à percevoir la finesse de son esprit que son physique dissimule. Rougon ne cherche qu’à se gorger de sa supériorité sur les autres, à acquérir du pouvoir pour le pouvoir, mais, bonapartiste convaincu, apparaît davantage comme un exécutant discipliné. Il semble jouer, acceptant les revers pour mieux rebondir, subissant les mises à l’écart pour revenir plus écrasant, se laissant porter par les courants capricieux de la bonne volonté impériale mais sachant que son heure reviendra toujours. Il reste impassible en toutes circonstances (ou presque), rien ne semble l’atteindre, ce qui lui donne finalement un côté apathique qui m’a lassée.
Planant au-dessus de ses soutiens et  du commun des mortels, Eugène Rougon ne semble trouver qu’un seul adversaire à sa mesure, Clorinde. Après le désir d’un homme de foi (l’abbé Mouret), voici celui d’un homme de loi ; après la fille du jardin, simple et sauvage, voilà une fille de la ville (en dépit de l’étymologie de son prénom, « verdure »), voyageuse, habile en société, semblant endosser mille rôles. Au fil du récit, leurs intelligences se soutiennent ou s’affrontent, selon que leurs objectifs respectifs se complètent ou s’opposent. Clorinde lutte avec les armes laissées aux femmes à cette époque : jouant la fille un peu idiote, elle séduit, trouble, s’impose, se démarque par un comportement imprévisible et, ce faisant, acquiert du pouvoir sur les hommes et en profite pour bouger ses pions.

Ce que je garderai le plus en mémoire est ce récit d’un pouvoir faible et d’un système corrompu.
Un attentat contre l’Empereur qui ramène Rougon à la tête de l’Intérieur et signe le début d’une violente répression, une chasse aux républicains et à tout ce qui pourrait menacer le pouvoir en place, régime qui ne tient finalement qu’à la personne de Napoléon III. Des chiffres sont fixés selon la tendance politique des départements, établissant le nombre d’arrestations et de déportations à réaliser pour montrer l’exemple.
Et puis, il y a le clientélisme, ce jeu des intrigues, faveurs, promesses de pouvoir, de positions, d’argent, de décorations : récompenses des hommes politiques envers celles et ceux qui les ont placés au pouvoir… avant tout parce que cela servait leurs intérêts personnels. Mais l’ingratitude de ces avides semble sans limite, esprits oublieux des privilèges accordés, mauvaise fois révoltante, égoïsme total. La bande qui gravite autour de Rougon (hommes et femmes de classes sociales diverses, passés plus ou moins glorieux et ambitions variées) se révèle insupportable : tous et toutes se jalousent, se dénigrent les uns les autres pour tenter de prendre la plus grosse part. Individuellement, ils ne me marqueront pas, mais je me souviendrai de cette meute affamée, de cette cour de charognards, cupides, insatiables, rancuniers, aussi prompts à critiquer qu’à réclamer.

La lecture n’a pas été pénible, loin de là, mais je n’ai pas été franchement enthousiasmée par ce tome-là. Le cadre n’était déjà pas de ceux qui me passionnent le plus, l’intrigue n’est pas toujours intéressante, et les protagonistes ne m’ont inspiré que de la détestation par leur avidité et leurs manipulations sans fin (tandis que le personnage éponyme m’a finalement laissé de marbre). Cependant, j’ai apprécié la dénonciation de l’opportunisme dans le milieu politique, les tristes échos que l’on retrouve dans nos pouvoirs actuels, et le fascinant bras de fer entre Rougon et Clorinde.

« – Je n’étais rien, je serai maintenant ce qu’il me plaira, continua-t-il, s’oubliant, causant pour lui. Je suis une force. Et ils me font hausser les épaules, les autres, quand ils protestent de leur dévoûment à l’Empire ! Est-ce qu’ils l’aiment ? est-ce qu’ils le sentent ? est-ce qu’ils ne s’accommoderaient pas de tous les gouvernements ? Moi, j’ai poussé avec l’Empire ; je l’ai fait et il m’a fait… »

« Mort ! Rougon sentit un petit frisson lui courir à fleur de peau. Il ne trouva pas une parole. Pour la première fois, il eut conscience d’un trou devant lui, d’un trou plein d’ombre, dans lequel, peu à peu, on le poussait. »

« Rougon s’inclina. Il ne songea même pas à sourire des pieux mensonges de la vieille dame. Il retrouvait le marquis et la marquise tels qu’il les avait connus, à l’époque où il crevait la faim sur le pavé de Plassans, hautains, pleins de morgue et d’insolence. Si d’autres lui avaient tenu un si singulier langage, il les aurait certainement jetés à la porte. Mais il resta troublé, blessé, rapetissé ; c’était sa jeunesse de pauvreté lâche qui revenait ; un instant, il crut encore avoir aux pieds ses anciennes savates éculées. »

« – Voyez-vous, mon cher, je vous l’ai dit souvent, vous avez tort de mépriser les femmes. Non, les femmes ne sont pas les bêtes que vous pensez. Ça me mettait en colère, de vous entendre nous traiter de folles, de meubles embarrassants, que sais-je encore ? de boulet au pied… Regardez donc mon mari ! Est-ce que j’ai été un boulet à son pied ?… Moi, je voulais vous faire voir ça. Je m’étais promis ce régal, vous vous souvenez, le jour où nous avons eu cette conversation. Vous avez vu, n’est-ce pas ? Eh bien, sans rancune… Vous êtes très fort, mon cher. Mais dites-vous bien une chose : une femme vous roulera toujours, quand elle voudra en prendre la peine. »

« Sa seule supériorité d’orateur était son haleine, une haleine immense, infatigable, berçant les périodes, coulant magnifiquement pendant des heures, sans se soucier de ce qu’elle charriait. »

Les Rougon-Macquart, tome 6, Son Excellence Eugène Rougon, Emile Zola. Typographie François Bernouard, 1927 (1876 pour la première édition). 432 pages.

Les Rougon-Macquart déjà lus et chroniqués :
– Tome 1, La Fortune des Rougon ;
– Tome 2, La Curée ;
– Tome 3, Le Ventre de Paris ;
– Tome 4, La Conquête de Plassans ;
– Tome 5, La faute de l’abbé Mouret.

L’eau des collines (2 tomes) : Jean de Florette et Manon des sources, de Marcel Pagnol (1962-1963), et deux mots sur les adaptations cinématographiques par Claude Berri (1986)

Ugolin Soubeyran a un projet : laisser tomber les pois chiches et faire pousser des œillets. Sauf que, pour cela, il faut de l’eau, beaucoup d’eau. Ça tombe bien, le vieux Pique-Bouffigue vient de casser sa pipe et une source – un peu oubliée – coule sur ses terres. Mais l’arrivée d’un héritier, Jean de Florette, et de sa famille vient compromettre toute idée de rachat du terrain. Heureusement pour Ugolin et son Papet, le nouvel arrivant est de Crespin et, au village, on hait ceux de Crespin, ce qui facilite les machinations à venir…

Ma première rencontre avec Pagnol, par le biais de La Gloire de mon père, avait été des plus décevantes. Cependant, une discussion passionnée avec une collègue a fait naître l’envie d’accorder une deuxième chance, le prêt de son exemplaire a évité que ce projet ne tombe en dormance pour moult années, et l’expérience s’est révélée bien plus plaisante.
Là où le premier tome des Souvenirs d’enfance n’avait pour lui qu’une atmosphère, les deux tomes de L’eau des collines combinent une ambiance renforcée par le cadre de ce petit village, mais aussi des personnages bien campés et une intrigue prenante et absolument dramatique.

L’ambiance de cette duologie, c’est bien évidemment le Sud, avec le vent cruel, la sècheresse assassine, les cigales, les plantes sauvages et quelques mots de patois et autres expressions qui, sans alourdir, immergent dans ce parler si typique.

Mais c’est aussi ce village des Bastides Blanches, cette bourgade isolée dans la montagne où l’on ne s’occupe pas des affaires des autres, où l’on se tait, où l’on regarde et commente de loin, dans l’ombre dans sa demeure. C’est cet entre-soi des petits villages où même ceux du bourg voisin sont vus comme des étrangers, ce repli sur la communauté où prolifèrent l’envie, la méfiance, la crainte du jugement des « siens », de sortir du rang, de se retrouver seul contre tous, de s’opposer à la plus riche lignée du village (et au profit d’un étranger de Crespin, est-ce que ça vaut bien le coup ?).

De là, une histoire qui attrape et qui passionne. Dans Jean de Florette, même quand tout semble se dérouler pour le mieux pour le personnage éponyme, le poids de ce secret qui dort annonce la tragédie à venir : l’issue est inéluctable, même si Pagnol s’amuse à nous faire croire un temps qu’il pourrait en être autrement. La Gloire de mon père était bien gentillet (sauf envers les oiseaux massacrés) alors que ce premier tome est bien plus cruel, une cruauté qui trouve son apothéose dans sa terrible fin.
Dans Manon des sources, l’injustice se dévoile, la machination des Soubeyran commence à être connue, mais la difficulté à briser le mur du silence persiste : tout le monde sait mais personne ne dit rien. L’atmosphère s’alourdit de ce mutisme persistant – mutisme tantôt honteux, hypocrite ou accusateur – et la tension se fait pesante comme un orage qui n’éclate pas en dépit d’un ciel menaçant. L’on se demande, captivée, qui brisera ce tabou, qui parlera en premier.
Car il y a, en fil conducteur, ce Destin impitoyable, joueur et cynique qui, dans les révélations ultimes, fait sentir le goût amer de ce qui aurait pu être mais ne sera jamais, parce que personne n’a fait de pas vers l’autre, parce que les secrets le sont restés, parce que personne n’a parlé. Poids criminel de tout un village, crime en se taisant, condamnant aussi sûrement que les actions de certains : comme disait Einstein, « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »

Une légère préférence pour Jean de Florette qui fait se confronter – pour nous lecteurs et lectrices omniscientes – l’enthousiasme inébranlable de Jean et les manœuvres calculées des Soubeyran. J’ai eu une grande affection pour les rêves de Jean de Florette et ses « vastes projets » : même si, sans connaître l’histoire (comme c’était mon cas), on sait que ça va mal finir, ses espoirs et ses convictions sont si intenses qu’ils en sont communicatifs. J’ai été passionnée par l’ombre du Papet ainsi que par les incertitudes d’Ugolin piégé entre sa malhonnête, son plan, ses désirs de fortune et son amitié naissante pour Jean et sa famille, des bribes de compassion…
Quelques râleries dans Manon des sources face aux commentaires de vieux satyres en rut et ceux sur la « mentalité primitive » de Manon, comme si elle valait moins que ceux du village : je trouve la formulation peu heureuse, car elle lit, elle est sensible, elle n’est pas une brute, mais elle est libre, simple et plus à l’aise dans la solitude des collines qu’en société. Une fille dévouée à ceux qu’elle chérit – humains et animaux, fière, débrouillarde, ce qui lui vaut également – heureusement – le respect de certains.

Ainsi, deux romans absolument prenants de bout en bout : par deux fois, sitôt commencés, sitôt achevés, tant il était impossible de les lâcher. La plume est simple, mais efficace et immersive, et ces récits m’ont prise aux tripes. Des personnages passionnants formant une fresque vivante et variée (par leurs classes sociales, leurs intentions, leurs caractères…), un portrait cruel d’une mentalité étriquée, les conséquences terribles de la rancœur et d’une tromperie cupide, une tragédie familiale, l’amertume d’une histoire alternative rendue impossible par le silence des protagonistes, une réflexion sur la culpabilité de chacun et le triomphe d’un destin inéluctable. Je ne m’attendais pas à un tel coup de cœur.

« Mais tout en parlant de tout et de rien, ils respectaient rigoureusement la première règle bastidienne. «  On ne s’occupe pas des affaires des autres. » »

« Jean Cadoret, dont les conceptions étaient chimériques, apportait à leur réalisation une indomptable énergie, et une application minutieuse. La force et l’endurance des rêveurs sont parfois comparables à celles des aliénés. »

« Le vent des collines, l’amitié des arbres, le silence des solitudes en avaient fait une petite bête sauvage, légère et vive comme un renard. »

(Jean de Florette)

« La vérité, c’est que plus on en a, plus on en veut, et finalement, au cimetière. Alors, à quoi ça sert ? »

« Ce n’était pas contre les forces aveugles de la nature, ou la cruauté du Destin qu’il s’était si longuement battu ; mais contre la ruse et l’hypocrisie de paysans stupides, soutenus par le silence d’une coalition de misérables, dont l’âme était aussi crasseuse que les pieds. Ce n’était plus un héros vaincu, mais la pitoyable victime d’une monstrueuse farce, un infirme qui avait usé ses forces pour l’amusement de tout un village… »

(Manon des sources)

L’eau des collines, T1, Jean de Florette, Marcel Pagnol. Le Livre de Poche, 1973 (1962 pour la première édition). 318 pages.
L’eau des collines, T2, Manon des sources, Marcel Pagnol. Éditions de Fallois, coll. Fortunio, 2009 (1963 pour la première édition). 285 pages.

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Jean de Florette - Manon des sources (afficheJ’ai ensuite regardé les films – dont la même collègue m’avait également dit le plus grand bien – et, pour une fois, je n’ai pas été déçue par l’adaptation (même si je préfère les livres, évidemment). Le film Jean de Florette est excellent et très fidèle à l’esprit et à l’intrigue du roman, mais j’ai de petites réserves sur Manon des sources : on ressent moins la gravité du manque d’eau (suite à une source bouchée par Manon) qui, combinée à la sécheresse, menace le village et toutes ses cultures, la tension due au mutisme général se fait moins pesant car ce silence est plus rapidement brisé, la culpabilité mutuelle est moins prégnante notamment avec le prêche du curé qui a été abrégé (et je regrette que les talents de frondeuse de Manon aient été effacés). La nuance se joue peut-être dans le fait que Manon des sources est finalement plus psychologique, avec moins d’événements concrets successifs.
Acteurs et actrices sont parfaits dans leur rôle, avec une mention particulière pour Daniel Auteuil qui joue un Ugolin aussi méprisable que touchant et pour Yves Montand qui incarne un Papet absolument sublime : j’attendais chacune de ses apparitions avec impatience car il offre à ce personnage un regard perçant et une aura incroyable, donnant à voir cet homme que l’on déteste mais qui finit par émouvoir à son tour.
Et puis, la musique de Verdi, La force du destin, est particulièrement bien choisie pour ce diptyque.

Jean de Florette et Manon des sources, films de Claude Berri, sortis en 1986, avec Daniel Auteuil, Yves Montant, Gérard Depardieu, Emmanuelle Béart…

La Maison des Épines, de Rozenn Illiano (2023)

La maison des épines (couverture)La Maison des Épines, le dernier-né de Rozenn Illiano, nous propulse dans l’univers mystérieux des marcheurs de rêves, nous faisant retrouver un personnage fugitivement croisé dans Érèbe : le mime Sonho.

La Maison des Épines propose une tragédie sublime, une histoire captivante de mystères, de malédiction et de responsabilités familiales, une intrigue entre présent et passé parfaitement construite, pendant – in-dé-pen-dant ! – d’Érèbe.

Rien à redire sur la construction, la narration est menée d’une main de maître. Rozenn Illiano, au fil de son œuvre, virevolte entre les genres et les ambiances et nous propose ici un roman gothique, entre, comme il se doit, l’Angleterre de l’époque victorienne et un vieux manoir rempli de secrets pour le décor ; elle s’approprie les codes, les mixe avec ceux de son univers et lie le tout avec une écriture fluide et travaillée qui rappellera la poésie ciselée d’Érèbe ou de Midnight City.

C’est aussi un ballet de nombreux personnages et, même si leurs interactions et leurs liens sont parfaitement retranscrits, je reconnais que, à ce niveau-là, certains, certaines, ne me laisseront pas un souvenir aussi fort que d’autres (indice : je peine déjà à me rappeler certains prénoms), que ce soit la faute à leur caractérisation, à leur rôle dans l’histoire ou à une occultation par le charisme d’autres personnages. À l’inverse, d’autres ont été des rencontres foudroyantes, de ses personnages qui s’impriment sur la rétine à travers les mots, à l’instar de Sonho, Augusta ou Ariane, mais aussi de Reine, personnage mutique mais absolument magnétique.
D’ailleurs, la force visuelle du récit ne concerne pas uniquement les personnages : Rozenn Illiano pose des scènes, des lieux, des objets avec une plume qui stimule l’imagination. Quelques mots évocateurs et précis suffisent parfois à donner vie au récit et à faire naître la fascination, face à certains numéros du  cirque Beaumont, le manoir avec sa cave, son cimetière et ses prunelliers – motif récurrent dans son œuvre car manifestations physiques du rêve –, certains épisodes finaux…

Ainsi, plus que son intrigue et ses rebondissements, c’est un roman qui me marquera avant tout pour son atmosphère onirique, emplie de beauté et de tristesse entremêlées. Il y a l’émerveillement face aux superbes numéros des circassiens qui semblent aller au-delà de ce qu’il est possible d’accomplir en vrai, et il y a le deuil, la douleur de la perte, la nostalgie, les regrets qui imprègnent les mots et le cœur d’une marée insidieuse, puis s’y joignent la peur, la menace d’un danger impalpable…
Sans parler du mythe du Minotaure, avec son labyrinthe, Ariane et ses fils, ses jeunes gens sacrifiés, qui apparaît en filigrane tout au long du récit, j’y ai trouvé des échos à d’autres œuvres (dont certaines chères à l’autrice). Le Cirque des rêves, évidemment, avec ce cirque entre rêve et réalité, ses représentations exceptionnelles, cette plongée dans une ambiance unique au cirque sitôt le portail franchi… La série Dark dont j’ai retrouvé l’ambiance sombre, les boyaux souterrains et l’idée des voyages dans le temps avec les conséquences possibles sur le présent. Mais aussi Shining : la maison (ou ce qu’elle cache) influençant ses habitants, amplifiant leurs émotions, exacerbant leurs traits de caractère, les scènes du passé et l’inconnu derrière chaque porte, un homme braillant et arpentant les couloirs d’un pas furieux comme Torrance à travers l’Overlook…

Une excellente lecture portée par un univers puissant, aussi doux et poétique qu’empreint de désespoir ; une histoire envoûtante que ce soit quand elle prend le temps de poser son cadre, ses protagonistes, de laisser grandir ses mystères, ou quand elle se déploie dans une seconde partie beaucoup plus effrénée.

« Il neige, alors. Quelques rares flocons descendent du ciel, doux et légers, tombant sans bruit, et d’où il se trouve, à l’écart avec les spectateurs, il voit les paupières d’Ariane frémir, comme éveillée par ces monceaux de nuage qui virevoltent devant elle.
Elle redresse la tête – lentement, si lentement… –, ses mains quittent les plis de la jupe, ses doigts se détachent peu à peu du tissu, ses bras s’élèvent dans un long mouvement rouillé, le retour à la vie du marbre endormi, le rêve de pierre prenant forme dans la réalité.
Ariane lève les bras, les mains en coupe ; la neige tombe plus fort. La jeune femme recueille les flocons dans ses paumes, languissante, puis elle les porte à son cœur comme s’il s’agissait du plus beau trésor que ce monde ait à offrir, bougeant imperceptiblement, sans se hâter, le temps ralenti. Ensuite, elle incline la tête de nouveau et ferme les paupières, et se rendort, pour une heure ou pour un siècle. »

« Dehors, les ténèbres s’abattent sur le domaine, comme une lame de fond. La forêt disparaît, le ciel avec lui, et l’éclat de la lune, mangés par des créatures dont ils ne distinguent rien au début, jusqu’à ce qu’elles s’approchent de la maison, l’assaillent, l’entourent.
Des branches par milliers, gigantesques, au bois d’un noir profond. Des épines de la taille d’une lame, qui s’enfoncent dans les murs et menacent de briser les fenêtres, de s’engouffrer dans la bâtisse. Le toit gémit ; le sol gronde encore, puis le silence se fait. À l’extérieur, une armée de rêves les empêche de sortir.
Les prunelliers se sont réveillés. »

« Voilà le pouvoir du rêve, en réalité. Plus que montrer la douleur, il montre le remords, la brûlure que l’on chérit à se demander ce que le monde serait si.
Si tu avais emprunté cet autre chemin, Sonho, que serais-tu devenu ? »

La Maison des Épines, Rozenn Illiano. OniroProds (auto-édition), 2023. 428 pages.

L’oiseau bleu d’Erzeroum, d’Ian Manook (2021)

L'oiseau bleu d'Erzeroum (couverture)De 1915 à 1939, l’histoire d’Araxie et Haïganouch, deux sœurs, deux fillettes arméniennes, deux témoins et deux victimes des horreurs de l’Histoire.

Mes connaissances sur le génocide arménien étaient assez limitées, je dois bien l’avouer, aussi ai-je été captivée par ce cadre historique nouveau (même si je ne peux évidemment pas considérer que la lecture d’un roman m’aura appris tout ce qu’il y a à savoir sur je sujet). Aussi captivée qu’horrifiée d’ailleurs, car la cruauté et le sadisme des êtres humains ne cessera décidément de me sidérer. Des logiques perverses pour abuser, déstabiliser, exploiter, écraser les populations arméniennes aux massacres de masse, c’est une rapide montée dans l’horreur. Cependant, et je lui en sais gré, Ian Manook ne se complaît pas dans des descriptions minutieuses et dans une surenchère de détails scabreux, à l’image des viols évidemment et tristement légions dans une situation qui met autant de femmes sous la coupe des hommes. Captivée, horrifiée… mais également découragée et attristée évidemment face à cette Histoire qui se répète encore et encore, avec ces haines d’un peuple envers un autre, ces défaillances rejetées sur autrui, ces violences et exterminations.

Certes, la narration est assez classique et n’est guère marquante en elle-même, mais l’histoire accroche. Difficile de ne pas avoir envie de suivre le chemin de ces personnages et d’en connaître l’issue. Araxie est un personnage féminin pour lequel j’ai eu énormément d’affection. À ses côtés, on traverse le début de ce XXe siècle si sanglant jusqu’à l’aube de la Seconde guerre mondiale.
Cependant, j’ai moins accroché à la fin du récit pour plusieurs raisons. Premièrement, les histoires d’amour y prennent un peu trop de place sur l’Histoire (même si je peux le comprendre dans le sens où il s’agit aussi du récit de vie individuel… et qu’on peut souhaiter un peu de tendresse à ces protagonistes qui en ont vu de dures). Deuxièmement, certains rebondissements semblent quelque peu factices et la manière dont les personnages se croisent et se recroisent, prétendument par hasard, apparaît comme quelque peu artificielle. Et cela est souligné par un troisième point qui m’a souvent déconcentrée, effaçant l’émotion en me faisant faire moult retours en arrière et prendre pas mal de notes…

Il s’agit de la chronologie qui s’est mise à m’interroger, spécialement les chapitres qui suivent Hovannes. Il faut dire que le temps progresse de manière globalement linéaire jusqu’en 1932 avant de faire brusquement un bond en arrière vers 1927 pendant quatre chapitres pour ensuite repartir en 1934. Delà quelques bizarreries.
Par exemple, en 1932, à Munich, il approche le baron Von Blitsch spécialement du fait de ses accointances avec Hitler, mais ensuite, dans un chapitre situé en 1927, il devient informateur pour Moscou parce qu’il a « à Munich, des contacts dans l’environnement immédiat d’Hitler » : pourquoi se rapprocherait-il des années plus tard d’un autre proche d’Hitler s’il avait déjà des contacts ? De même, on lui demande ce qu’il fait en République socialiste soviétique d’Arménie en 1927 « après être passé par Paris, Lausanne, Berlin et Munich » alors qu’il est allé à Paris et en Suisse en 1929 et à Munich en 1932… et qu’un chapitre précédent plaçait son voyage en Arménie en 1932 : alors, certes, il a pu y aller dans d’autres circonstances que celles racontées, des voyages non évoqués, mais ça ne semble tout de même pas très logique. De même, d’autres détails m’ont questionnée, des éléments que j’ai trouvés incohérents, au sujet de l’homme au gilet jaune ou d’Haïgaz.
Et à mes yeux, cela a souligné les rencontres improbables et les faiblesses de construction du récit.

Un récit de vie trouvant sa source dans les atrocités du génocide arménien qui m’aura fait passer par de multiples émotions pendant une première partie aussi prenante et passionnante qu’horrible, mais dont la seconde moitié ne m’a pas semblé aussi convaincante.

« – Une morale ? Mais quelle morale ? La morale n’existe pas en politique, mon pauvre Saad. La morale, c’est pour les faibles. La politique, c’est justement la victoire de l’efficacité sur la morale. Comment croyez-vous que votre père a agrandi ses entrepôts, et à qui croyez-vous qu’il a racheté ses trois nouveaux navires ? À qui croyez-vous que le mien a racheté les commerces en gros de laine et de soie ? Comment croyez-vous que je vais assurer à votre fille, quand elle sera ma femme, le luxe et l’opulence qu’elle n’aura jamais connus dans sa propre maison ? Par cette industrie que les Arméniens avaient accaparée et que nous leur reprenons aujourd’hui. La mort de ces enfants arméniens, Saad effendi, c’est la survie des enfants turcs. C’est la survie de votre fille. »

« C’est ainsi que les cultures survivent. Par les gestes quotidiens. Par le partage des saveurs et des savoir-faire. Hovannes en a presque les larmes aux yeux. La force indestructible de la diaspora qui se construit, il la voit à travers cette survivante, heureuse dans un autre pays que le sien et qui répète les gestes ancestraux de ses traditions. »

L’oiseau bleu d’Erzeroum, Ian Manook. Albin Michel, 2021. 542 pages.