L’amitié et l’enfance : Le Petit Nicolas et les copains et La gloire de mon père

La thématique du mois de septembre des classiques fantastiques était « Friendship Never Dies ». Quoique malheureusement pas tout à fait d’accord avec cette affirmation, j’étais enthousiaste à l’idée de participer à nouveau après mon absence du mois passé. Je vous propose donc deux livres pour le prix d’un (que l’on aurait aussi bien pu mettre dans une thématique autour de l’enfance).

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Le Petit Nicolas et les copains, de René Goscinny, illustré par Jean-Jacques Sempé (1963)

Le petit Nicolas et les copains (couverture)J’ai bien dû lire Le Petit Nicolas quand j’étais enfant, mais je dois bien avouer que je n’en ai pas de souvenir (pas surprenant, mes lectures de l’année dernière sont déjà floues), j’ai donc eu cette idée de piocher pour une fois parmi les classiques de la littérature jeunesse (non pas que j’ai eu beaucoup de mérite, étant donné l’actualité, si je puis dire, autour de Sempé).

Et je dois dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce recueil de nouvelles, ensemble de seize courtes histoires mettant en scène la célèbre bande de copains. Les rigolades, les bêtises, mais aussi les bagarres et les jalousies… vite effacées, vite oubliées, elles ne brisent pas les liens qui unissent Nicolas, Eudes, Alceste, Clotaire et compagnie (des prénoms toujours dans ma mémoire étonnamment).
Certes, les portraits sont simples : Alceste mange absolument tout le temps, Eudes est fort, Geoffroy est riche, Agnan est le chouchou, etc. Ce n’est pas pour la profondeur psychologique qu’on lit ces histoires, néanmoins très sympathiques. Des histoires d’insouciantes, des tranches de vie capturées en quelques mots bien choisis et le trait fin de Sempé et une chute humoristique qui conclut à merveille chaque historiette.

Comme dans tout recueil, certaines nouvelles sont plus marquantes que d’autres, plus réussies, plus efficaces. Plus riches en niveau de lecture aussi. Pour ma part, je retiendrai surtout « Le chouette bol d’air » et sa critique acide en filigrane avec ce père de famille qui conclut l’histoire en disant au père du Petit Nicolas : « – Pourquoi n’achètes-tu pas une maison de campagne, comme moi ? a dit M. Bongrain. Bien sûr, personnellement, j’aurais pu m’en passer ; mais il ne faut pas être égoïste, mon vieux ! Pour la femme et le gosse, tu ne peux pas savoir le bien que ça leur fait, cette détente et ce bol d’air, tous les dimanches ! ». Sachant que le gosse a passé son temps à être puni pour oser grimper dans l’arbre et marcher sur la pelouse et que la femme a passé sa journée à faire la cuisine (en se battant avec la cuisinière) et le ménage… La belle vie de famille en somme !

Certes, le côté répétitif de la structure narrative pourrait induire une certaine lassitude, mais c’est si vite lu que cela n’a pas eu le temps de se produire avec moi. (Sinon, il suffit de poser le livre et de faire une petite pause.)

J’ai pris un très grand plaisir à découvrir ce livre : c’est drôle, intelligent, bien écrit en dépit du ton enfantin… je crois que je comprends pourquoi c’est un incontournable ! Au détour d’un rayonnage à la bibliothèque, il est possible que je me laisse tenter par d’autres opus de la série.

« Alors on a tous fait semblant de manger, sauf Alceste qui mangeait vraiment, parce qu’il avait apporté des tartines à la confiture de chez lui.
– Très bon, ce poulet ! a dit Joachim, en faisant « miam, miam ».
– Tu me passes un peu de tes tartines ? a demandé Maixent à Alceste.
– T’es pas un peu fou ? a répondu Alceste. Est-ce que je te demande du poulet, moi ?
Mais comme Alceste c’est un bon copain, il a fait semblant de donner une de ses tartines à Maixent. »

Le Petit Nicolas et les copains, René Goscinny, illustré par Jean-Jacques Sempé. Gallimard, coll. Folio Junior, 2017 (1963 pour l’édition originale). 149 pages.

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Souvenirs d’enfance, tome 1, La gloire de mon père, de Marcel Pagnol (1957)

La gloire de mon père (couverture)J’avais vu ce livre dans plusieurs listes thématiques sur l’amitié, mais il ne colle pas si bien au thème en réalité. Certes, elle n’en est pas totalement absente avec cette amitié entre deux hommes – le père de Marcel et l’oncle Jules – en dépit de leurs différences autour de la question religieuse en premier lieu, l’un étant anticlérical, l’autre catholique pratiquant. Mais je l’aurais plutôt classé avec les récits sur la famille.

C’était une lecture à première vue agréable qui nous transporte dans la France du début du XIXe siècle et l’enfance de l’auteur. Ça sent le thym, le romarin et la lavande. Ça sent l’insouciance de l’enfance avec, en même temps, ses vrais grands drames. Un temps quelque peu idyllique quand papa était un héros et que les vacances n’étaient qu’une suite de jeux et de bons repas, d’aventures, d’explorations et de bêtises.
J’ai aimé la rencontre avec certains personnages (même si la mère et la tante Rose sont évidemment là pour faire la cuisine, la couture et pouponner) et le tendre joyeux portrait des relations fraternelles et filiales racontées par Marcel Pagnol.

Je ne vais pas mentir que j’ai tout de même tiqué sur la cruauté envers les animaux. Entre Marcel et son frère Paul, ces adorables chérubins, qui torturent les insectes avec une impressionnante imagination et la chasse, j’avoue que j’ai grimacé. Il faut préciser que l’histoire autour de la chasse constitue la moitié du roman : c’est long, c’est beaucoup trop long surtout quand on n’aime pas ça. Les interminables préparations pour la chasse (fabriquer les munitions, tester les fusils, s’habiller…), les récits de chasse, la chasse elle-même, la fierté du massacre bien réussi… très peu pour moi. Je ne m’attendais pas à ce que la « gloire de son père » faisait écho à cela. Une surprise un peu amère.

Une lecture quelque peu mitigée donc. Certes, de ce livre se dégage une atmosphère insouciante plutôt sympathique, mais je trouve le tout assez oubliable. L’écriture est agréable mais simple et ordinaire (au-delà de quelques touches d’humour et de spontanéité), et je regrette la longue apologie de la chasse.

« Le petit Paul battit des mains, et moi j’éclatai de rire. Oui, il était tout fier de son exploit ; oui, il enverrait une épreuve à son père, et il montrerait l’autre à toute l’école, comme avait fait M. Arnaud.
J’avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d’humanité : je sentis que je l’en aimais davantage.
Alors, je chantai la farandole, et je me mis à danser au soleil… »

Souvenirs d’enfance, tome 1, La gloire de mon père, Marcel Pagnol. Editions de Fallois, coll. Fortunio, 2004 (1957 pour l’édition originale). 227 pages.

The Jungle Book, de Rudyard Kipling, illustré par MinaLima (1894)

The Jungle Book (couverture)Pour commencer, je reconnais ma surprise en découvrant que The Jungle Book est en réalité un recueil de nouvelles et plus encore que trois seulement mettaient en scène Mowgli, Bagheera, Baloo et compagnie ! Parmi les sept autres, trois se déroulent également en Inde, mais au milieu, une nouvelle dénote particulièrement en racontant les aventures d’un phoque blanc à travers les océans.

J’appréhendais cette lecture en anglais (qui dormait dans la PAL depuis 2018) par crainte d’une langue désuète et trop compliquée à comprendre (car je suis évidemment plus familière de l’anglais actuel que de celui de la fin du XIXe siècle).
Cette appréhension s’est finalement révélée inutile car ma lecture a été très fluide. J’ai simplement découvert l’utilisation d’un tutoiement archaïque avec la panoplie « thou – thee – thy – thine » et de leur étrange conjugaison (« art – dost – wilt – didst – mayest – etc. »), mais on s’y habitue très vite. La nouvelle m’ayant posé le plus de difficulté était « The White Seal » du fait du vocabulaire marin (notamment avec toutes les espèces de poissons et d’oiseaux) assez spécifique. Cependant, ça restait globalement très compréhensible au-delà de quelques recherches de vocabulaire par curiosité.

J’ai pris plaisir à découvrir les personnages originaux du Livre de la jungle – tout en regrettant de ne pas les côtoyer plus longtemps –, d’autant que ceux-ci m’ont réservée quelques surprises par rapport à l’adaptation de Disney, à commencer par un Baloo plus sage et sérieux et le manque de prestige de Shere Khan – moqué, conspué, obligé de se livrer à des manigances pour retourner certains loups contre Mowgli (eh non, ce n’est pas une jolie fille qui détourne Mowgli des siens !). J’ai particulièrement aimé la nouvelle mettant en scène Kaa et le Bandar-log (le peuple des singes) : Kaa – bien plus amical que dans le dessin animé – apparaît avec une vraie prestance, une influence réellement hypnotisante, l’un des personnages majeurs de cette jungle sans côté rigolo, alors que les singes font presque de la peine dans leur désir d’être remarqués par les autres habitants de la jungle qui les méprisent et les rejettent. Mais, loin de l’image des singes éclairés, ceux de Kipling sont les trublions inquiétants et imprévisibles de la jungle, sans mémoire, sans but, sans parole.

Dans toutes les histoires d’animaux anthropomorphes, la violence est bien présente, les lois de la jungle ou les règles de la plage sont parfois impitoyables, et la vie et la mort et le sang s’entremêlent. Entre Shere Khan et Mowgli, « aucun d’eux ne peut vivre tant que l’autre survit » ; pour se faire entendre de ses pairs, Kotick, le phoque blanc, doit faire couler le sang pour prouver sa valeur ; entre Rikki-Tikki la mangouste et Nag et Nagaina les cobras, il ne peut y avoir de trêve. Et puis, il y a l’asservissement et les massacres perpétrés par les hommes…

Les deux dernières histoires mettent en scène des animaux domestiqués par les humains qui parfois trouvent une échappatoire pour une nuit : des éléphants qui vont danser sous la lune et des animaux utilisés dans les guerres des hommes (cheval, mule, buffles, éléphant, chameau) qui discutent de leur manière de combattre et de leurs peurs. Seule une jeune mule, pas encore habituée aux ordres à accomplir sans réfléchir (valables pour les animaux comme pour les hommes…), posera la seule question sensée : « “What I want to now”, said the young mule, who had been quiet for a long time– “what I want to know is, why we have to fight at all.” »

Le travail de MinaLima offre une superbe édition, avec des illustrations colorées et des éléments interactifs. Le tout embellit l’ouvrage et sert le texte sans prendre le dessus avec des éléments ludiques. (Désolée, pas de photo car mon exemplaire dort dans un carton !)
S’ils voulaient illustrer Le Second Livre de la Jungle – dont certaines nouvelles mettent à nouveau en scène Mowgli et compagnie –, je compléterai avec plaisir la collection ! En attendant, ma PAL a d’ores et déjà accueilli The Wonderful Wizard of Oz, également illustré par le duo aux doigts d’or.

Si j’ai eu une préférence pour les nouvelles autour de Mowgli (peut-être parce que c’est ce que j’attendais de ce livre et que les autres ont été une découverte inattendue), ces histoires d’apprentissage, bien plus cruelles que la version de Disney (sans surprise), se sont révélées très sympathiques et prenantes, entremêlant aventures et petites réflexions. J’ai apprécié leur conclusion sur la chanson d’un ou plusieurs personnages qui apporte une touche poétique à chaque nouvelle.
L’édition illustrée par MinaLima est un très bel objet-livre et un écrin de choix pour les découvrir !

Un dernier mot pour remercier Mathilde du blog Critiques d’une lectrice assidue qui m’a donné, sans le vouloir, l’impulsion qui me manquait à travers un échange sur la lecture en VO !

« The tiger’s roar filled the cave with thunder. Mother Wolf shook herself clear of the cubs and sprang forward, her eyes, like two green moons in the darkness, facing the blazing eyes of Shere Khan.
“And it is I, Raksha [the Demon], who answer. The man’s cub is mine, Lungri – mine to me! He shall not be killed. He shall live to run with the Pack and to hunt with the Pack; and in the end, look you, hunter of little naked cubs – frog-eater – fish-killer, he shall hunt thee! Now get hence, or by the Sambhur that I killed (I eat no starved cattle), back thou goest to thy mother, burned beast of the jungle, lamer than ever thou camest into the world! Go!” »

« One of the beauties of Jungle Law is that punishment settles all scores. There is no nagging afterward. »

« Waters of the Waingunga, the Man Pack have cast me out. I did them no harm, but they were afraid of me. Why?
Wolf Pack, ye have cast me out tout. The jungle is shut to me and the village gates are shut. Why?
As Mang [the Bat] flies between the beasts and the birds so fly I between the village and the jungle. Why? »

(Mowgli’s Song)

The Jungle Book, Rudyard Kipling, illustré par MinaLima. Harper Design, 2016 (1894 pour l’édition originale). En anglais. 251 pages.

Challenge Les 4 éléments – L’air : 
un animal disparu ou menacé de disparition (dodo, tigre, baleine, ours polaire…)

La bergère aux mains bleues, de Pierre-Luc Granjon, Samuel Ribeyron et Amélie-les-Crayons (2020)

La bergère aux mains bleues 1Il n’y a pas longtemps, je vous parlais de mon coup de cœur pour le livre-CD Maestro de Thibault Prugne. Je ne pensais pas le voir égalé (voire surpassé pour ce qui est de la version audio) si vite, mais depuis des vacances, des enfants, de la voiture, beaucoup de voiture et la nécessité de les distraire, vite, un tour en librairie (lieu magique), des contes classiques et surtout, attirant mon regard, La bergère aux mains bleues, une autre parution des éditions Margot que j’avais déjà repérée.
On lance le CD, la voix de Luc Chambon s’élève, le silence se fait (la petite s’endort…) et, à la fin de la première chanson, tout le monde est déjà conquis. Nous l’avons écouté deux fois avec les enfants et une fois sans eux, à la demande de mon compagnon aussi charmé que moi. C’est pour dire s’il séduit petits et grands !

La bergère aux mains bleues, c’est l’histoire de Kelen qui part en mer, de Madalen qui reste sur l’île, de Gael qui pêche un poisson d’argent, d’Erel qui n’entend plus rire son frère ; c’est une histoire de voyage, d’absence et de froid, de famille et de solidarité, de douceur et de tristesse. C’est aussi une histoire de moutons.

L’histoire est magnifique et fascinante. C’est un conte avec tout ce qu’ils savent receler de tendresse et des épreuves de la vie, avec ses histoires universelles sublimées par un poisson magique aussi beau que dangereux. Pendant presque une heure d’écoute, c’est la garantie d’un voyage extraordinaire et captivant.
Les voix sont harmonieuses, reconnaissables, belles. Elles font évoluer les protagonistes autour de nous, leur donne corps, leur donne vie. Les voix claires, chaudes, chantantes, douces, énergiques… Touche comique bien dosée, les moutons qui prennent plaisir à se mêler de tout et à s’insérer dans l’histoire… souvent pour se plaindre, il est vrai !
Et puis, il y a les musiques et les chansons. Quelle beauté de bout en bout ! Mélancolique avec « Madalen et Kelen », féérique avec « Le poisson d’argent », tressautante et entraînante avec « La Chanson de la laine », tendre avec « Tiens bon », plein d’espoir avec « Ça ira ! »… les tonalités sont diverses et émouvantes ; les paroles touchent juste à chaque fois ; c’est un pur enchantement.
Servies par le très grand format de cet album, les illustrations – que, pour une fois, j’ai pris le temps de regarder après écoute – nous transportent auprès de la mer et nous permettent de plonger dans ces grands tableaux. Elles se révèlent parfois aussi douces qu’une laine bien douillette, parfois aussi inquiétantes qu’un éclat glacé se fichant dans un cœur.

Je suis donc pleinement émerveillée par ce récit hypnotisant de beauté et de justesse. Faire l’impasse de la version audio serait là une erreur tant la narration est de qualité et tant les chansons enrichissent et embellissent cet album (déjà merveilleux, il faut l’avouer). Un conseil : lancez le CD et laissez-vous porter par cette bulle hors du temps !

La bergère aux mains bleues, Pierre-Luc Granjon (texte), Samuel Ribeyron (illustrations) et Amélie-les-Crayons (mise en musique et chansons). Éditions Margot et Neomme, 2020. 48 pages.

Quelques mots sur quelques albums… de (très) grand format

Il serait temps que je publie ces chroniques qui, pour les deux premières, stagnent dans mon PC depuis plusieurs mois. Je vous propose aujourd’hui trois magnifiques lectures d’albums avec Les fabuleux navires du capitaine Squid, Le jouet des vents et – coup de cœur complet – Maestro.

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Les fabuleux navires du capitaine Squid, d’Éric Puybaret (Margot, 2016)

Les fabuleux navires du capitaine Squid (couverture)

Un grand et bel album aux éditions Margot ! J’admire leur travail, mais n’en avais pas lu depuis un moment, j’ai donc été enchantée de renouer avec cet ouvrage. Éric Puybaret nous invite à parcourir les océans à la rencontre de navires plus épatants et de capitaines plus surprenants les uns que les autres.
Sur les hautes pages se déploient des couleurs absolument sublimes et lumineuses, des lignes épurées et des atmosphères intenses aux inspirations nordiques, américaines, asiatiques… Les univers proposés sont d’une richesse et d’une diversité réjouissantes : chaleureux ou glacials, élégants ou loufoques, ambitieux ou modestes, les bâtiments comme les personnalités de leur commandants se révèlent hors-normes. Les textes offrent quelques détails sur ces bateaux atypiques et approfondissent un peu la personnalité des capitaines.

Tous partagent un rêve : celui d’un vaisseau mille fois plus beau. Ce rêve est-il un mythe ou cache-t-il un désir bien plus simple ? Ignorant le réel objet de leur quête, dissimulé derrière une légende, la réalité est peut-être bien plus humble…

Un album superbe d’une grande poésie pour un catalogue original et onirique à la chute fort touchante.

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Le jouet des vents, d’Éric Puybaret (La Martinière jeunesse, 2017)

Le jouet des vents (couverture)Une autre quête, sur les traces d’un mystérieux enfant, poids plume, balloté d’un coin à l’autre de la planète par les vents, qu’ils soient mistral, chinook, ghibli, zéphyr ou vent d’autan. Sa présence fugace apportant une félicité inattendue à celles et ceux qui croisent son chemin, tous et toutes se lancent à sa poursuite. Quelles que soient l’origine, la couleur de peau ou les coutumes, la recherche du bonheur est une envie partagée par tous les humains. Faisant écho à l’album précédent, Éric Puybaret évoque une nouvelle fois le quotidien, l’ordinaire, l’universel derrière le fantastique et le surprenant. Nous rappelant ainsi qu’il n’est pas forcément nécessaire de chercher loin ce qui peut se trouver autour de nous.

Marquée par une ambiance tranquille et onirique plutôt que par une abondance de péripéties, cette histoire est portée par de grandes peintures hypnotiques et des textes poétiques et versifiés. La plume est belle et travaillée, ne déniant pas aux enfants le plaisir d’un riche vocabulaire pour se laisser porter au gré du vent.

Un conte sublime tant par son texte que ses illustrations.

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Maestro, de Thibault Prugne,
raconté par François Morel, mis en musique par Jean-Pierre Jolicard
(Margot, 2018)

Maestro (couverture)

Je termine par le meilleur en revenant aux merveilleuses éditions Margot et au talent de Thibault Prugne dont, il faut bien l’avouer, on ne se lasse pas. L’histoire de Téo, petit garçon dont l’oreille transforme tout son en musique et dont les doigts ne peuvent s’empêcher de jouer en rythme sur son charango. Or, dans son village de pêcheur, son amour et son talent pour la musique sont bien incompris jusqu’à la rencontre salvatrice avec une famille de gitans.

Comme Ici reposent tous les oiseaux ou Mireille également parus aux éditions Margot, Maestro est un très grand format, de ceux qui ne rentrent pas sur toutes les étagères. La promesse d’en prendre plein les yeux. Couleurs lumineuses, contraste avec le bleu profond de la mer, visages aux traits plein de douceur… les superbes illustrations de Thibault Prugne nous en mettent plein la vue.

Portée par la voix chaleureuse de François Morel, j’ai découvert une histoire tendre sur la musique, la passion, les rencontres magiques, les familles de cœur. Ce n’est certes pas bien long, mais cela suffit à créer une bulle hors du temps pendant quelques instants.
Il faut dire que, si j’avais lu l’album après l’avoir acheté à l’occasion d’une rencontre avec l’auteur-illustrateur, j’ai mis du temps avant de le prendre, le temps, d’écouter la version audio. Pourtant, quelle découverte ! Obligée de m’accorder au temps de la narration, je me suis longuement immergée dans les illustrations. Et puis, surtout, il y avait la musique et les deux chansons. Ces airs aux sonorités gitanes, tantôt joyeux tantôt mélancoliques, sont entraînants et immersifs. Ils impulsent un rythme et des émotions à l’histoire, faisant tressauter une cheville ou quelques doigts, serrant le cœur, et, au moment où les chants en espagnol s’élèvent, je crois que j’étais un peu partie, face à cette famille de musiciens illuminant la nuit de leur art.

Vous l’aurez compris, cet ouvrage est juste sublime et sa version audio est un ajout précieux. Elle transcende la beauté indiscutable des illustrations de Thibault Prugne et transforme l’objet en véritable bijou.

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Connaissiez-vous ces albums ? Si vous en lisez, quelles sont vos dernières belles découvertes ? 

Mémoires de la forêt, tome 1, Les souvenirs de Ferdinand Taupe, de Mickaël Brun-Arnaud, illustré par Sanoe (2022)

Mémoires de la forêt T1 (couverture)Lors de la dernière Masse critique de Babelio, spéciale jeunesse et young adult, je n’ai sélectionné qu’un seul titre. Un titre dont je ne savais rien, mais dont la couverture me plaisait particulièrement. J’ai eu la chance de le recevoir et je ne regrette pas mon choix car ce livre a été une merveilleuse surprise.

« Dans ces Mémoires de la forêt, vous trouverez consignées les destinées grandioses de minuscules animaux qui ont foulé ces bois, animés par l’esprit d’aventure, le sentiment amoureux et la puissance de l’amitié. »

Cette introduction n’est pas mensongère et ce premier tome raconte la quête un peu particulière de Ferdinand Taupe et Archibald Renard, libraire de son état. Car Ferdinand est touché par la maladie de l’Oublie-tout, « celle qui vient et qui prend tout, des souvenirs les plus fous aux baisers les plus doux », ainsi commence une chasse aux souvenirs : qui est Maude et où est-elle ?

Les souvenirs de Ferdinand Taupe est un roman prenant et bouleversant, tout en douceur et en mélancolie. Il ranime le goût d’une tarte ou la mélodie d’une comptine, réveille les souvenirs enfouis et ouvre des portes dans une mémoire brisée. L’auteur a accompagné des personnes atteintes notamment de la maladie d’Alzheimer et il raconte parfaitement les affaires oubliées, les petites étourderies, puis les souvenirs envolés, l’oubli des noms, des visages, des identités, la régression et le retour en enfance… La fragilité grandissante tandis que s’aggravent la maladie, la détresse, la solitude, l’incompréhension… le tout est traité avec pudeur, délicatesse et respect.

L’auteur ayant ensuite fondé la librairie Le Renard Doré à Paris, c’est également un hommage aux livres et à la lecture. Au fil des pages, de nombreux lieux remplis d’ouvrages sont visités et de nombreuses lectrices (et quelques lecteurs) sont rencontrées. Ainsi, en dépit du sérieux et de la tristesse des thématiques abordées, prend forme une bulle de douceur, faite de papier et de gourmandise. Or, un tel univers ne peut être qu’instantanément réconfortant !

J’ajouterai également que c’est un roman jeunesse (mais pourquoi se priver de cette lecture sur ce seul critère) magnifiquement écrit. Il offre à son jeune public des prénoms inusités, des mots insolites, des mots mélodieux, des mots réjouissants. Il y a de la poésie dans ces lignes, de la sérénité et de la beauté. L’immersion est immédiate tant ce monde d’animaux anthropomorphes prend aisément vie sous nos yeux.

Enfin, un mot tout de même sur les très belles illustrations de Sanoe dont j’avais découvert le trait avec Le silence est d’ombre scénarisé par Loïc Clément. Leur petit côté désuet, écho des vieux livres de contes animaliers, se marie parfaitement avec la douceur de ce roman. Elle offre un visage aux personnages, mais j’ai surtout aimé les lieux et les ambiances qu’elle a pu peindre au fil du roman. L’histoire est déjà fantastique et l’écrin lui rend bien justice.

Un cocon de tendresse, qui donne foi en l’amitié et la solidarité, qui sublime les souvenirs et les instants présents Une atmosphère parfois triste mais surtout chaleureuse. Un roman tendre et beau, qui donne envie de se blottir sous un plaid, avec un bon roman et de bons petits gâteaux à portée de main. Une superbe rencontre avec des personnages émouvants et un plaisir de lecture immense. 

« La fourchette reposée dans son pot, Ferdinand se mit à déambuler entre les étagères en confiance et sans aucune appréhension, comme s’il connaissait les lieux. Ses pattes savaient parfaitement où mettre leurs griffes pour ne pas renverser les rayonnages, et ses hanches pourtant généreuses ne se cognaient pas aux meubles qui débordaient de bidules et de trucs. Lentement, dans la poussière du hangar décrépi où s’infiltraient les rayons du soleil, se dessinait la forme tendre et familière d’un souvenir. »

« Quand Ferdinand se leva pour aller voir de quoi il s’agissait, ses genoux craquèrent comme des biscuits à la cannelle. Ah ! si seulement nos vieux os pouvaient cesser de s’émietter ! Sans canne ni patte pour le guide, la taupe marchait à petits pas, comme un soldat de plomb et, au fond de sa poitrine, son cœur s’emballait au rythme d’un tambour un jour de fanfare. Il y avait de la poésie dans le déplacement des ancêtres – de vieilles âmes en équilibres entre la marche et le repos, sans cesse ralenties par le poids des années et la douleur des jours… »

« Malade de l’Oublie-tout, Ferdinand était devenu une sorte de voyageur temporel, voguant entre les époques comme on passe d’un chapitre à l’autre du grand livre de la vie. »

Mémoires de la forêt, tome 1, Les souvenirs de Ferdinand Taupe, Mickaël Brun-Arnaud, illustré par Sanoe. L’École des Loisirs, coll. Neuf, 2022. 299 pages.