Dites aux loups que je suis chez moi, de Carol Rifka Brunt (2012)

Dites aux loups que je suis chez moi (couverture)1984, banlieue new-yorkaise. June perd son oncle Finn, l’artiste, le peintre reconnu, celui qui lui faisait écouter Mozart, l’emmenait aux Cloisters, avait les plus belles idées. La faute au sida. La faute à son ami particulier comme dit sa mère, à Toby. Mais lorsqu’elle le rencontre, tous deux se lient d’amitié et l’adolescente découvre la cruelle vérité du monde des adultes.

Si j’ai été aussi facilement et rapidement happée par ce roman, c’est indubitablement grâce à ses personnages. Des personnages si réalistes, si vivants, si prégnants que j’aurais voulu passer plus de temps avec eux. Des protagonistes aux émotions, aux désirs, aux secrets pas toujours avouables, mais tellement humains. L’envie, la jalousie, la honte, l’hypocrisie, le mensonge… et surnageant au-dessus de tout cela, l’amour. Un amour souvent bouleversant tant il est puissant. L’amour de June pour Finn, de Finn et Toby, de June et de sa sœur Greta, de sa mère pour son petit frère indomptable… Mais un amour si fort qu’il en devient destructeur, qui est parfois si absolu qu’il réduit en cendres toute autre relation. 

June, au fil des jours, alors que grandira son amitié secrète envers Toby, découvrira les secrets de la vie de son oncle, les amours qu’il suscitait, les jalousies qu’il engendrait. Auxquelles elle-même était loin d’être insensible. Dès le début, j’ai été tout aussi désireuse d’en savoir plus sur Finn : sa mort annoncée m’était frustrante tant j’avais envie de passer un peu de temps avec cet homme que nous ne côtoierons finalement qu’à travers les mots fascinés de June qui nous communiquent le charme tranquille de cet oncle fantastique, qu’à ses souvenirs idéalisés, fantasmés et ressassés.

Chaque personnage se révèle attendrissant à sa manière. Même celles et ceux que l’on n’apprécie pas toujours – je pense particulièrement à la mère et à la sœur de June – deviennent touchantes car leurs errances sont provoquées par des sentiments parfaitement imaginables. Leurs erreurs deviennent humainement compréhensibles sans les excuser pour autant.
Je les ai tous aimés, ces héros et héroïnes d’une histoire. Avec leurs qualités, leurs défauts, leurs contradictions. June, sincère, brute, intelligente, encore enfantine parfois, marginale, exigeante. Toby, doux, tranquille, décalé, maladroit, si triste. Greta, emplie d’un mal-être tu, caché sous une assurance jouée.

Je me suis parfois tellement reconnue dans certaines émotions, peurs ou désirs qu’il m’était impossible de ne pas me sentir émotionnellement impliquée dans ce roman. Certains passages, parfois tous simples, m’ont bouleversée – comme Greta laissant enfin sortir ses angoisses. L’autrice met en mots des pensées, des émotions que l’on aura tous et toutes plus ou moins expérimentées. En dépit d’un cadre temporel bien précis, c’est un roman qui est en cela universel.

Quant à l’intrigue, si elle est essentiellement basée sur les relations mouvantes entre les protagonistes et les sentiments qui tournoient dans le cœur de chacun d’entre eux, est aussi une plongée émouvante et révoltante dans ces « années sida » où la maladie était à la fois méconnue et crainte, source de peurs, de rejet et de honte.

L’histoire en elle-même est simple, mais les mots de Carol Rifka Brunt prennent aux tripes. C’est un tourbillon de sentiments humains, de réalisme sensible, d’émotions qui ne tombent jamais dans le pathos, dans le niais ou dans le too much. Un roman qui, tristement, se dévore alors qu’il se révèle se difficile de quitter tant il est poignant et subjugue par ses personnages.

« Quand on a une montre, le temps est comme une piscine. Avec des bords et des lignes. Sans montre, le temps est comme l’océan. Vaste et désordonné. Je n’avais pas de montre. »

« Je me demandais vraiment pourquoi les gens faisaient toujours des choses qui ne leur plaisaient pas. J’avais l’impression que la vie était comme un tunnel de plus en plus étroit. A la naissance, le tunnel était immense. Toutes les possibilités vous étaient offertes. Puis, la seconde d’après, la taille du tunnel était réduite de moitié. On voyait que vous étiez un garçon et il était alors certain que vous ne seriez pas mère, et probable que vous ne deviendrez pas manucure ni institutrice de maternelle. Puis vous commenciez à grandir et chacune de vos actions rétrécissait le tunnel. Vous vous cassiez le bras en grimpant aux arbres et vous pouviez renoncer à être joueur de base-ball. Vous ratiez tous vos contrôles de mathématiques et vous abandonniez tout espoir d’être un jour un scientifique de renom. Ainsi de suite année après année jusqu’à ce que vous soyez coincé. Vous deviendriez boulanger, bibliothécaire ou barman. Ou comptable. Et voilà. Je me disais que le jour de votre mort, le tunnel était si étroit, après avoir été rétréci par tant de choix, que vous finissiez écrasé. »

« Parfois les mots de Greta étaient si tranchants que je les sentais me couper les entrailles, réduisant mes organes, mon cœur, en petits morceaux. Je savais qu’elle me regardait, essayant de lire mon visage, alors j’ai tenté de le fermer aussi vite que possible. Mais c’était trop tard, elle avait eu le temps de voir ma réaction. »

Dites aux loups que je suis chez moi, Carol Rifka Brunt. Éditions 10/18, 20 (2012 pour l’édition originale. Buchet-Chastel, 2015, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Axelle de La Rochefoucauld. 499 pages.

Dans la forêt, de Jean Hegland (1996)

Dans la forêt (couverture)Ce fut un achat coup de tête. J’en avais entendu parler bien que je n’ai pas le souvenir d’avoir lu de critiques en parlant – aucune des presque trois cents chroniques de Babelio –, mais j’avais un bon a priori sur ce livre. Je voulais me faire un petit cadeau, il m’a sauté aux yeux, exemplaire esseulé, dans les rayons, et voilà, c’était lui que j’avais envie de lire. Je n’ai pas lu le résumé, ou alors je l’ai à peine survolé à mon habitude, et c’est mon copain qui m’a fait remarquer que nous avions déjà vu un film qui y ressemblait fort… et effectivement, le Into the Forest vu sur Netflix, avec Ellen Page et Evan Rachel Wood, en était une adaptation. J’avais oublié ce film. Oups.
Du coup, contre toute attente, je l’ai bel et bien commencé en sachant à quoi m’attendre. Tout ça pour ça, oui. La genèse d’un coup de cœur.

Nous lisons le journal de Nell qui vit seule avec sa sœur Eva. Toutes deux ont vu leur vie basculer lorsque la civilisation telle que nous la connaissons s’est effondrée (propagation de virus, coupures d’électricité de plus en plus longues puis permanentes, magasins dévalisés…). Dans leur maison solitaire dans sa grande clairière, elles vont devoir trouver les moyens de survivre et peu à peu découvrir l’inépuisable forêt qui les entoure.

J’ai trouvé ce livre d’une beauté folle.
C’est un arc-en-ciel, une pluie de sensations.
Nell nous parle de la lumière dans la clairière, des multiples couleurs des fruits, légumes et herbes qui s’entassent dans le garde-manger (appétissantes descriptions !), de la sensation de l’eau ou des feuilles mortes sur sa peau.
Elle ressuscite mille odeurs, feu de bois, nourriture, pourriture, terre retournée, essence.
Les bruits résonnent, s’échappant des pages, lorsqu’elle nous donne à entendre le martèlement de la pluie, les pas d’une Eva dansante, ballerine portée uniquement par la monotonie du métronome, les craquements des branches dans la forêt, les bruissements des feuilles, le ruissellement cristallin du ruisseau, un rire aussi inattendu que surprenant dans ce quotidien de lutte.
Elle parle du corps, le corps musclé, léger et néanmoins contraint par un travail sans relâche de la danseuse, le corps usé par le jardinage, le dos courbé comme à jamais, les doigts râpés, les genoux écorchés, le corps qui se tend et se détend sous les caresses de doigts étrangers, elle parle aussi de bien d’autres corps, dans la peine ou le bonheur, dont je ne dirai mot.

La science-fiction n’est que prétexte. Prétexte à cette relation hors du commun entre deux sœurs pour qui les mots « société » ou « civilisation » ne veulent plus rien dire. Ce n’est pas une relation idéalisée. Au contraire, leur situation exacerbe les émotions, positives comme négatives. Leur amour réciproque et l’attention qu’elles portent à l’autre s’accroissent par le fait qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Mais parallèlement, les rancœurs, les jalousies, les colères et les disputes sont multipliées à force de devoir tout partager, de vivre si proches, trop proches parfois. Ces émotions si humaines – de l’abattement à l’exaltation, du désespoir au salvateur regain d’énergie – sont racontées avec tellement de subtilité et de justesse que je n’ai pu que m’identifier à Nell.

Bien qu’au second plan finalement, la description de la dégradation de la situation est tout aussi réussie. En cela, j’ai songé au roman d’Emily St. John Mandel, Station Eleven. Les ressources disparaissent progressivement, tout le monde tente d’emmagasiner un maximum de vivres et d’objets utiles, les gens sont partagés entre méfiance envers celles et ceux qui les entourent (cependant, les deux sœurs si isolées sont longtemps épargnées par cette défiance) et espoir d’un retour à la normale. Eva continue de danser pour intégrer un ballet prestigieux et Nellie poursuit ses études pour entrer à Harvard, aussi vain cela soit-il. S’adapter à un nouvel univers demande du temps tandis que survivre exige de la réactivité et ingéniosité. Pas évident lorsque l’on a grandi dans le confort de la société moderne avec électricité, téléphone, transports en tous genres, internet et compagnie.
On s’interroge, forcément. Que ferions-nous (que ferons-nous ?) dans cette situation ? Car l’effondrement de leur monde n’est imputable qu’aux êtres humains. Surconsommation, pollution, conflits armés… des problèmes familiers, non ?

Dans la forêt. Un coup de cœur. Un roman magnifique et sensuel. Un récit à fleur de peau. Plus que des pages, plus que des mots, des images, des odeurs, des émotions. Une écriture réaliste, poétique et poignante.

J’aurais souhaité ne pas quitter ce livre. Ne pas dire au revoir à Nellie et continuer à chercher des herbes dans la forêt en sa compagnie. Ne pas partir de cette clairière, ce cocon protégé par les arbres séculaires, ce lieu hors du monde qui constitue pour moi l’endroit parfait où s’installer. Ne pas sortir de cette forêt, vierge, vivante, troisième protagoniste omniprésente, parfois terrifiante, mais en réalité bienveillante.

 En voilà des mots. Pourtant, ils me semblent vides, creux, stériles. Impuissants à retranscrire la façon dont ce livre m’a touchée, transportée. Incapables de décrire la forêt, les sens, la proximité avec Nell. Inaptes à parler de la puissance tranquille de l’écriture de Jean Hegland.

« Ces jours-ci, nos corps portent nos chagrins comme s’ils étaient des bols remplis d’eau à ras bord. Nous devons être vigilantes tout le temps ; au moindre sursaut ou mouvement inattendu, l’eau se renverse et se renverse et se renverse. »

« Depuis qu’elle me l’a annoncé, à plusieurs reprises au cours des journées qui ont suivi, j’ai été saisie par une angoisse si forte et si froide qu’il me semblait être emportée par une vague, retournée dans une houle d’eau glacée et de sable rêche, incapable de respirer, me débattant pour trouver comment remonter.
Puis la vague se retire, me laisse sèche et debout, arrosant les courges, désherbant les tomates, posant des tuteurs aux haricots, préparant l’avenir, quel qu’il soit, qu’il nous reste. »

« Il y a une lucidité qui nous vient parfois dans ces moments-là, quand on se surprend à regarder le monde à travers ses larmes, comme si elles servaient de lentilles pour rendre plus net ce que l’on regarde. »

Dans la forêt, Jean Hegland. Gallmeister, coll. Totem, 2018 (1996 pour l’édition originale. Gallmeister, 2017, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josette Chicheportiche. 308 pages.

Challenge Voix d’autrices : un roman de science-fiction

Challenge Tournoi des trois sorciers – 4e année
Champifleur (Botanique) : un livre avec une forêt sur la couverture

Inséparables, de Sarah Crossan (2015)

Inséparables (couverture)Grace et Tippi sont inséparables. Pour cause, elles sont aussi siamoises. Elles ont seize ans et, pour la première fois, elles vont entrer au lycée.

Je n’en dis pas plus car il n’y a pas besoin d’en savoir davantage. Il faut entrer dans le roman sans trop en savoir, pour se laisser emporter, pour se laisser bouleverser.
Puisque je savais que je ne pouvais pas passer à côté de ce livre tant m’attiraient  son sujet et son écriture en vers libres, j’ai évité les critiques qui ont fleuri partout sur la blogo. J’avais fait cette erreur avant de découvrir Songe à la douceur et le souvenir des dizaines de chroniques dithyrambiques avait perturbé ma lecture – au demeurant merveilleuse.

« Une histoire qui raconte ce que c’est d’être Deux.
Une histoire qui raconte ce que c’est d’être Une. »

Quelques pages pour s’habituer au rythme si rare des vers libres… et la magie opère. Cette forme donne une douceur, une poésie et une musique vraiment particulières qui se marient incroyablement bien avec cette belle histoire. Une fois happée par les mots de l’autrice, je n’ai pu lâcher le roman avant la dernière page.

L’amitié, la découverte d’un nouvel univers, l’amour pour et de sa jumelle, un autre amour naissant et interdit, le tout étant narré par Grace. Inséparables m’a fait ressentir des émotions brutes. J’ai souri, j’ai espéré, j’ai voulu changer le passé, j’ai pleuré, j’ai aimé la vie.
La fin a vraiment été rude et je suis restée un moment assommée face à ce tourbillon littéraire qui m’avait transportée et fait disparaître les heures. Le refermer a été un déchirement tant j’ai aimé Tippi et à Grace. Dur de trouver sa prochaine lecture après cet ouragan de délicatesse.

Ce livre n’est pas uniquement émouvant, il est aussi passionnant. Des sœurs siamoises ne sont pas des personnages principaux courants dans la littérature, c’est bien la première fois que j’entends leur voix. Grâce à une riche documentation, Sarah Crossan a su raconter avec justesse les difficultés de leur vie, mais aussi et surtout le bonheur que cela leur procure et l’extraordinaire amour qui les lie. Etre ainsi unies n’est nullement une malédiction pour elles, contrairement à ce que pensent les gens qu’elles rencontrent. Au contraire, elles ne peuvent imaginer de vivre sans l’autre.

Il faut dire que Sarah Crossan réussit ici un véritable exploit en abordant une foultitude de sujets sensibles sans jamais tomber dans le pathos. Jugez plutôt (je ne vous dirai pas qui est concerné par quoi). On parle d’exclusion, de chômage, de maladies, d’alcoolisme, du regard des autres, des médias, de la différence. Il y aurait de quoi faire pleurer dans les chaumières, non ? Et pourtant, ce n’est rien de tout ça qui fait pleurer car c’est avant tout leur amour infini qui m’a chamboulée.

 

 

Avec sa douce couverture velouté et son papier épais, Inséparables est un livre que l’on voudrait feuilleter, caresser, lire pendant des heures car Rageot a offert un bien bel écrin à ce chef-d’œuvre. Oui, un chef-d’œuvre et un coup de cœur absolu, renversant et poignant. Lisez Inséparables, vous ne regretterez pas cette rencontre avec ces jumelles inoubliables par leur courage, leur humour, leur maturité et leur sensibilité.

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Inséparables, Sarah Crossan. Rageot, 2017 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Clémentine Beauvais. 405 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – L’Homme à la Lèvre Tordue : 
lire un livre dans lequel le personnage principal a une déformation physique

Quatre sœurs, de Malika Ferdjoukh (2010)

Quatre soeurs (couverture)Quatre sœurs est une intégrale qui regroupe quatre romans écrits en 2003 par Malika Ferdjoukh :

  • Enid : l’automne;
  • Hortense : l’hiver;
  • Bettina : le printemps;
  • Geneviève : l’été.

Quatre sœurs, c’est l’histoire de cinq orphelines : les sœurs Verdelaine. Il y a :

  • Enid, 9 ans, intrépide, amie des animaux (de Roberto et Ingrid, les deux chats de la maison, mais aussi de Swift la chauve-souris et de Blitz l’écureuil) ;
  • Hortense, 11 ans, toujours plongée dans un livre ou dans un de ses mystérieux carnets ;
  • Bettina, 14 ans, une furie à la tignasse rousse qui peut se montrer vache et prétentieuse – notamment quand elle est avec ses amis Denise et Béhotéguy (la Division Bête et Bouchée selon Enid), mais qui finit toujours par regretter ses actes ;
  • Geneviève, 16 ans, la seule blonde de la famille semble très douce à première vue, mais il faut dire que ses cours secrets de boxe thaïe l’aide à relâcher la pression ;
  • et enfin, Charlie, l’aînée qui, du haut de ses 23 ans, a pris en main tout ce petit monde tout en essayant de réparer tout ce qu’il y a à réparer, d’aimer, de survivre…

Chaque tome en trois lignes…

 T1, Enid : l’automne
Colombe, la fille d’une collègue à Charlie, séjourne à la Vill’Hervé pendant les vacances. Elle est sage, douce et jolie, ce qui lui attire l’amitié de tout le monde, sauf de Bettina. Pendant ce temps, Enid explore le parc à la recherche d’un mystérieux fantôme qui chante toutes les nuits de tempête.

T2, Hortense : l’hiver
Hortense se lance sur les planches pour vaincre sa timidité ! Elle peut compter sur l’inconditionnel soutien de sa nouvelle amie, Muguette. Quant à Bettina, elle fait encore des siennes auprès de Merlin, un très gentil livreur de surgelé qui lui fait la cour, mais il n’est pas assez beau pour qu’elle assume cet amour naissant…

T3, Bettina : le printemps
Hugo et Désirée, les petits cousins de Paris débarquent pendant les vacances tandis qu’un locataire un peu trop beau et un peu trop parfait vient s’installer à la Vill’Hervé et faire balancer le cœur de Charlie.

T4, Geneviève : l’été
Pendant qu’Enid et Hortense découvre Paris avec Hugo et Désirée et que la DBB part à la campagne chez une cousine de Béhotéguy, Geneviève vend des glaces sur la plage où elle fait la connaissance d’un certain Vigo.

Premier point : ces cinq sœurs. On apprend à les connaître au fil des histoires (car les romans, même s’ils portent le nom d’une des filles Verdelaine, ne se focalise pas uniquement sur le personnage éponyme), leur caractère, leurs goûts, leurs petits secrets, etc. Et on se découvre des points communs avec toutes.
Pleine d’innocence, Enid est toute mignonne avec ses animaux et son ami, le Gnome de la chasse d’eau, avec qui elle a parfois de longues conversations. Je me suis sentie très proche d’Hortense avec sa timidité, ses livres, ses carnets. Charlie est vraiment cool, elle gère tout, elle assure vraiment avec ses sœurs. Charlie se sacrifie complètement pour elles.
Bettina… Elle est tellement pimbêche qu’elle m’insupportait au début. Et finalement… je l’aime bien. Parce que c’est un personnage qui a beaucoup de défauts, mais aussi des qualités qui la rendent vraiment attachante : elle dit, elle fait des choses pour correspondre à l’image qu’elle veut que les autres aient d’elle, pour assurer auprès des amies et des copains. Elle ne réfléchit pas et le regrette plus tard. D’ailleurs, elle change beaucoup à la fin du second tome, elle est plus mature par la suite.
Finalement, celle à laquelle je me suis le moins attachée, c’est Geneviève que j’ai trouvé plus effacée que les quatre autres, même si elle gagne en importance dans le dernier tome.

Second point : si les sœurs sont géniales, tous les personnages secondaires sont tout aussi irrésistibles. Toujours bien travaillés, la plupart sont très attachants, d’autres franchement hilarants comme l’inénarrable tante Lucrèce, avec son swamp-terrier Delmer, son crooner Engelbert Humperdinck et ses malheurs insurmontables.
Basile est tellement gentil, tellement amoureux de Charlie, mais aussi de la maison et des quatre autres filles qu’on ne peut pas ne pas l’aimer.
J’ai également adoré la description du monstre de la maison : Mycroft le rat, décrit comme un bandit qui ne ressent aucune peur.
Et puis, il y a Lucie et Fred Verdelaine, les parents. Ils ont beau être morts, ils sont toujours là, apparaissant sporadiquement aux yeux de leurs filles, toujours dans des tenues extravagantes. Leurs apparitions apportent à la fois un peu de joie aux filles, mais aussi un peu d’amertume.

Troisième point : la maison me fait rêver ! Cette vieille bâtisse biscornue, ce manoir immense et grinçant de partout, juchée en haut d’une falaise au bord de l’océan Atlantique. Je l’entendais craquer lorsque le vent soufflait, je me blottissais le lit clos de Geneviève, j’encourageais Charlie lorsqu’elle se battait contre la chaudière, une vieille dame susceptible qui n’en fait qu’à sa tête, je me promenais dans son grand parc. Non, il n’y a pas à dire, c’est un endroit parfait pour les aventures d’une petite tribu.

Quatrième point : l’histoire. J’adore ces romans qui mettent en avant les relations entre sœurs (comme un autre roman lu récemment : Zelda la rouge de Martine Pouchain). Entre elles, il y a énormément de tendresse, de rires et de soutien. Des colères et des disputes aussi, ce qui est normal entre sœurs.
J’ai été totalement embarquée par ces quatre romans qui mêlent le quotidien où tout n’est pas toujours facile (entre la tenue parfois anarchique de la maison, le manque d’argent, les sœurs et les animaux à surveiller, etc.) et une fantaisie complètement folle.
Malika Ferdjoukh aborde plein de sujets : le rire et la tristesse, l’amour et l’amitié, la maladie, la perte et l’espoir… C’est toujours très fin, très juste et jamais plombant.

Cinquième et dernier point : la langue de Malika Ferdjoukh. Quelle poésie ! Quel humour ! Les expressions rigolotes fleurissent à la Vill’Hervé, les dialogues sont vifs et les noms de famille complètement loufoques. Le texte est énergique et la lecture n’en est que plus prenante.

Quand arrive la dernière page, on en redemande, on a envie de retrouver ces cinq sœurs, on rêve d’un cinquième tome intitulé Charlie.

Quatre soeurs en BD, Enid (couverture)Découvrir les Verdelaine en romans graphiques…

La tétralogie est en train d’être adaptée en romans graphiques par Cati Baur (les trois premiers tomes sont déjà sortis) et c’est très réussi !
J’aime beaucoup son trait fin et les couleurs choisies : ces BD sont vraiment très belles et toujours dans cette sensibilité présente dans les romans. L’ambiance de la Vill’Hervé est très bien retranscrite sur le papier tandis que l’histoire reste très fidèle aux livres (Malika Ferdjoukh est coscénariste).

« – … je viens de poster votre chèque, conclut tante Lucrèce. Je précise que ça m’a coûté un aller-retour à pied dans le froid alors que le docteur m’a donné l’ordre formel de ne pas mettre le nez…
– Le chèque, répéta Bettina. Elle l’a posté !
Geneviève lui fit signe de baisser la voix. Tante Lucrèce était leur cotutrice légale. Décision prise à la mort de leurs parents pour le juge qui avait trouvé la responsabilité trop lourde pour leur seule aînée. Dans la pratique, ça se résumait à un chèque de tante Lucrèce le 2 du mois, et à sa visite le 36. Situation qui convenait à toutes.
Quand Geneviève raccrocha après moult remerciements, elles s’écroulèrent avec des rires comme des hennissements.
Mais c’était un rire trop fort. Trop véhément pour être joyeux, trop puissant pour ne pas dissimuler une douleur plus puissante encore. »

« – C’est peut-être elle que tu as entendue chanter tout à l’heure dans le parc ?
Enid ne répondit rien à personne. Elle n’avait pas rêvé, elle le savait. Elle avait entendu un fantôme. Mais convaincre les grands, c’était comme vouloir qu’un chewing-gum mâchouillé une heure conserve son goût du début. »

« Pendant une seconde, Bettina se sentit exactement pareille aux autres matins, en résumé une fille plutôt pas moche, sans histoires, rien d’autre à se reprocher qu’un 4/20 en sciences ou que se trouver moins ravageuse que Renee Zellweger, bref, aussi heureuse qu’on peut l’être à treize ans et demi.
La seconde suivante la saisit d’une puissante envie de vomir. Sa tête était pleine de douleurs ; et toujours ces clous au cœur. Non, ce n’étaient plus les mêmes. Ce n’étaient plus ces clous de rage ou de colère. Plutôt de dégoût, et de honte. De culpabilité. Une question horrible se posa à elle.
Comment affronter le regard du monde aujourd’hui ? »

 « Non, Bettina a un visage vif, un œil piquant, elle fait songer à du pointu, à de l’étincellant, une aiguille. Un poignard. Ciselée, séduisante, très gaffe-à-vous.
Elle sait être gentille… lorsqu’elle ne veut pas avoir l’air d’être méchante. »

« Mycroft était un rat. De la taille d’un chat. Si retors, si filou, si suprêmement intelligent qu’Hortense l’avait baptisé Mycroft Holmes, le frère de Sherlock.
Mycroft était un intermittent du spectacle : il entrait en représentation quand ça lui chantait. La dernière avait eu lieu trois mois plus tôt. Qu’avait-il fait depuis ? Mystère. Mais Charlie fut horrifiée à l’idée de partager à nouveau leur quotidien avec lui. Nul doute qu’il avait de nombreux potes dans les trous de la maison, mais eux, ils restaient discrets : ils s’esquivaient à la moindre humanité.
Mycroft était un fier-à-bras, un peur-de-rien, un m’avez-vous-vu-en-poudre-d’escampette, un ne-vous-gênez-pas-pour-moi-je-me-sers-tout-seul. Pour résumer : un Apache. »

« – Moi c’est Vigo… Je t’ai demandé si tu étais libre ce soir.
Elle répondit ce que l’on répond absurdement dans ces moments-là. Où l’on est si surpris, si heureux qu’on vous pose une question comme celle-là. Où l’on ne sait pas quoi dire, mais où il faut absolument parler, être éblouissant. Où, quelle que soit la proposition, on sait déjà qu’il y a un nombre déraisonnable de chances qu’on réponde oui.
Geneviève, donc, répondit :
– Ça dépend. »

Quatre sœurs, Malika Ferdjoukh. L’école des loisirs, 2010 (première publication en quatre volumes en 2003). 610 pages.

Sorcières Sorcières, de Joris Chamblain (scénario) et Lucile Thibaudier (illustrations) (2014)

Sorcières Sorcières (couverture)Harmonie (dite Nini) et Miette sont deux sœurs qui vivent dans le village de Pamprelune. Mais Pamprelune n’est pas un village ordinaire : il n’est peuplé que de sorciers et de sorcières. Ne soyez donc pas surpris(e) si vous y croisez un dragon apprivoisé ou si un balai semble vouloir discuter de ses problèmes de cœur…

Mais ne pas (encore) avoir de pouvoirs attire à Miette moqueries et tourments de la part de trois jeunes sorcières. Or celles-ci sont soudainement prises pour cible par un mystérieux jeteur de sorts. Harmonie, que tous accusent de venger sa petite sœur, décide de mener l’enquête pour se disculper de ces accusations…

Sorcières Sorcières est une gentille bande dessinée vive et rigolote. L’histoire de Joris Chamblain, scénariste des Carnets de Cerise, est parfaitement mise en valeur par les douces aquarelles de Lucile Thibaudier. Elle donne corps à des personnages attachants et notamment l’intrépide Nini et la mignonne petite Miette. (Je regrette simplement un papier un peu trop fin qui laisse parfois transparaître les illustrations de l’autre côté…) L’amour des deux sœurs pourrait donner de bonnes idées pour des fratries plus désunies.

En revanche, Rowena, Mirabelle et Cassandre sont trois véritables pestes comme les enfants (et les adultes) en rencontrent tous les jours. Une situation que les enfants pourront appliquer à leur vie quotidienne ! À voir ensuite de quel côté ils se placent… Cependant, l’éducation n’y est pas pour rien car leurs parents, aveugles devant les agissements de leurs filles et prompts à accuser celles des autres, ne donnent pas vraiment l’exemple.

Certes, Sorcières Sorcières ne renouvelle pas l’imagerie de la sorcellerie et n’apporte pas de grandes innovations. Elles se déplacent en balais volants, elles vivent dans des maisons biscornues, les objets parlent, et leurs incantations sont plus qu’explicites (les citrouilles messagères m’ont évoquée un mélange de Patronus et de communication par poudre de Cheminette). Mais l’on s’y plonge tout de même avec plaisir.

L’histoire étant bouclée et le coupable démasqué au bout de trente pages, le lecteur a droit à deux bonus. Tout d’abord, une histoire d’amour qui se vit en parallèle de l’enquête par des balais enchantés (destinés aux tâches ménagères et non au vol !) et qui dévoile également un peu plus comment Nini  a résolu son enquête. Ensuite, un album photo légendé par Harmonie qui dévoile un peu plus la vie au village sorcier.

Une bande dessinée très mignonne. Enquête policière et magie forme un mélange pétillant, mais c’est surtout pour ces deux sœurs solidaires que l’on appréciera Sorcières Sorcières. A découvrir également en roman (que je n’ai pas lu) !

Sorcières Sorcières, tome 1 : Le mystère du jeteur de sorts, Joris Chamblain (scénario) et Lucile Thibaudier (illustrations). Kennes, 2014. 47 pages.

Autre livre de Joris Chamblain :