Les Lames du Cardinal (3 tomes), de Pierre Pevel (2007-2010)

Les Lames du cardinal (couverture)Paris, 1633. La France de Louis XIII est menacée par des dragons. Pour lutter contre la menace grandissante, le Cardinal de Richelieu fait appel à une poignée d’hommes et une femme aux talents hors du commun, les Lames du Cardinal.

J’admets être embêtée d’avance car j’ai pas mal de reproches à faire à cette lecture, des récriminations qui seront bien plus longues à exposer que les points positifs. Pourtant, que l’on soit bien d’accord, j’ai apprécié ma lecture – je n’aurais pas avalé ainsi l’intégrale si ce n’était pas le cas – et mon sentiment reste majoritairement positif en dépit de quelques défauts.

Intrigues, complots, trahisons, manœuvres politiques, enquêtes, passes d’armes… pas de doute, nous sommes bien dans un roman de cape et d’épée. Si le début de ma lecture fut un peu difficile du fait des changements de points de vue très rapides, laissant à peine le temps de se familiariser avec les protagonistes, je m’y suis accoutumée et le roman a alors gagné en efficacité. Le rythme se fait dynamique, la curiosité est attisée. On mène alors l’enquête avec les Lames, on cherche les traîtres et on se plaît à faire les liens avant eux grâce aux points de vue multiples portés à notre connaissance. J’aimerais dire que j’ai été souvent surprise par les rebondissements, mais il faut avouer que l’on voit venir les sauvetages de dernière minute ou les traîtres qui n’en sont pas vraiment. J’admets que j’aurais apprécié une intrigue plus approfondie, avec davantage d’inattendu et un développement plus présent des antagonistes.

La fantasy se fait plutôt légère : certes, la race draconique se décline en dragonnets, vyvernes, dracs et autres sangs-mêlés plus ou moins visibles dans ce Paris alternatif, mais elle s’entremêle avec subtilité dans la réalité, d’une manière que j’ai trouvée très réussie.
Pierre Pevel nous immerge dans le Paris du XVIIe d’une plume élégante et fort jolie. Il nous emmène tourner dans les rues, visiter les lieux incontournables, se faire bousculer dans la foule grouillante et diverse et humer le doux fumet de la boue parisienne.

Les personnages sont sympathiques, mais, pour une fois, j’aurais du mal à les qualifier d’attachants du fait qu’il y a une certaine distance qui ne s’abolit jamais vraiment, une superficialité qui persiste en dépit des détails. J’ai aimé découvrir leurs histoires, leur passé, leurs liens avec d’autres personnes, c’est ce qui les a rendus intéressants à mes yeux. Même intérêt pour toutes les fois où leurs liens, leurs interactions au sein du groupe étaient mises en avant, les dialogues de Pierre Pevel étant vraiment plaisants à lire. L’aspect humain, relationnel me séduit davantage que leurs exploits.
A côté de cela, puisqu’ils sont exceptionnellement doués au combat (et dans l’espionnage et le sauvetage et toutes ces choses) – c’est le principe de l’unité d’élite – il n’y a guère de suspense lorsqu’ils et elle croisent le fer. Même si l’auteur ne cesse de les confronter à des adversaires « à leur mesure », où ils sentent qu’ils sont à égalité, que leur habilité se vaut, ils sont toujours un peu plus forts, ou un peu plus doués, ou un peu plus malins. Du coup, tout semble un peu trop facile pour eux et il est difficile de réellement s’inquiéter pour eux : c’est l’inconvénient de convoquer les meilleur·es. Même si l’on se doute que certaines Lames périront – l’un a sa mort quasi annoncée dès le début du premier tome – ça ne m’a pas bouleversée ou même émue plus que ça. Peut-être parce que l’on sait que cela sera inéluctable (histoire de pimenter un peu le récit).

Détaillons tout de même deux points négatifs m’ayant fortement lassée.

Premièrement, les femmes sont toutes plus belles les unes que les autres. A l’exception des plus âgées – bizarre ! –, pas une n’échappe à la mise en avant de son physique et à l’inventaire de ses atouts de la tête aux pieds. Et en prime, l’auteur nous le rappelle presque à chaque apparition de ladite demoiselle. Arrivée à une énième description de chevelure soyeuse, de lèvres pleines, de « charmant minois », de lourdes boucles et de corps souples, j’étais écœurée de tant de magnificence féminine. Sont-elles obligées d’être toutes parfaites ? Ne pourraient-elles pas présenter quelques défauts – qui n’entameraient pas nécessairement leur charme ? Au moins une ? On est au XVIIe siècle, mais elles semblent toutes sortir d’un institut de beauté. Physiquement, c’est bien simple, j’ai l’impression qu’elles se ressemblaient toutes, si ce n’est pour leur couleur de cheveux. A vouloir trop de beauté, on tombe dans une uniformisation totalement dénuée de charme et de personnalité…
(En parcourant ma chronique du Paris des Merveilles, je m’aperçois que ces descriptions physiques rabâchées m’avaient déjà agacées, serait-ce une manie de l’auteur ?)
Concernant les hommes, l’effet n’est pas le même. Certes, ils n’échappent pas aux redites, mais c’est davantage leur allure qui est mise en avant – La Fargue et son côté « vieux chêne inébranlable », Marciac et sa nonchalance, Saint-Lucq et sa mortelle efficacité, etc. L’on peut se dire que Marciac, irréductible séducteur, ne doit pas être trop vilain, pourtant l’auteur se contente de dire qu’il était « bel homme » et semble oublier de nous détailler ses muscles saillants, ses fières pommettes, ses boucles lumineuses ou ses fesses bien fermes… étrange, non ?

Deuxièmement, faisant un peu écho au premier point, j’ai trouvé qu’il y avait énormément de répétitions de manière générale. Les choses sont répétées des dizaines de fois. Par exemple, combien de fois a-t-il été répété que le chevalier d’Ombreuse, Garde noir, avait disparu pendant une expédition en Alsace  depuis les faits racontés dans le prologue du second tome ? Et ne pensez pas que les répétitions se retrouvent seulement d’un tome à l’autre, histoire de rafraîchir la mémoire de qui n’enchaînerait pas les trois tomes. Elles sont aussi multiples au sein d’un même volume. Athos (quelques célèbres mousquetaires viennent faire un clin d’œil, oui) vient expliquer quelque chose à l’une des Lames : quelques pages plus loin, un récapitulatif sera fait de ce qui a été dit. Ça m’a vraiment exaspérée ; combien de fois ai-je eu envie d’hurler – aux personnages, à l’auteur, à quelqu’un – que je savais déjà telle ou telle chose parce que, surprise, j’avais lu les pages précédentes ?!
(Peut-être n’aurais-je pas dû enchaîner ainsi les trois tomes…)

La nouvelle inédite, La Louve de Cendre, est sympathique dans le sens où elle permet de retrouver Agnès (la seule femme faisant partie des Lames du Cardinal) un petit coup, mais elle semble plutôt constituer un début d’aventure plutôt qu’un récit complet. L’antagoniste – l’adversaire « le plus terrible qu’il [leur] sera sans doute donné d’affronter depuis longtemps » (alors que trois moins plus tôt, Agnès affrontait un dragon qui menaçait d’incendier la capitale… du coup, n’aurait-il pas fallu écrire un roman autour de la Louve de Cendre ?) – s’enfuit et laisse présager d’autres péripéties et dangers pour le royaume de France. Pour être honnête, je suis restée un peu perplexe face au pourquoi de cette intrigue ébauchée, si ce n’est qu’elle permet de voir de l’intérieur la vie menée par Agnès après les événements de la trilogie.

Je ne peux pas nier que ce ne fut pas du tout le coup de cœur espéré après cette énumération de défauts (oups, j’allais oublier les portes ouvertes sans être fermées et les questions non résolues). Néanmoins, ce fut une bonne lecture, un bel hommage aux romans de cape et d’épée, avec un côté quelque peu flamboyant, des personnages que j’ai eu plaisir à rencontrer et une plume fine et précise. Ça ne vaut pas Le Paris des Merveilles, ce n’est pas un indispensable à mon goût, mais cela reste un bon divertissement, globalement prenant qui m’a fait passer un bon moment.

« Il savait que le monde était un théâtre trompeur où la mort, affublée des oripeaux du quotidien, pouvait frapper à tout instant. Et il le savait d’autant mieux que, parfois, c’était lui qui la donnait. »

« – Sais-tu ce qui ne lasse jamais de m’étonner ?… C’est de voir à quel point nous avons la vie chevillée au corps.
Inerte mais conscient, le supplicié resta muet. (…)

– Toi, par exemple, reprit Savelda… En ce moment, tu ne désires que la mort. Tu la désires de tous tes vœux, de toute ton âme. Si tu le pouvais, tu consacrerais tes dernières forces à mourir. Et pourtant, cela n’arrive pas. La vie est là, en toi, comme un clou profondément fiché dans le plus solide des bois. Elle se moque bien de ce que tu veux, la vie. Elle se moque bien de ce que tu subis et du service qu’elle te rendrait en t’abandonnant. Elle s’entête, elle s’acharne, elle trouve en toi des refuges secrets. Elle s’épuise, certes. Mais il faudra du temps avant de la déloger de tes entrailles.
Savelda tira sur ses gants pour les ajuster au plus près et fit crisser le cuir en serrant et desserrant les poings.
– Et vois-tu, c’est sur elle que je compte. Ta vie, cette vie insufflée en toi par le Créateur, elle est mon alliée. Contre elle, ta loyauté et ton courage ne sont rien. Pour ton malheur, tu es jeune et vigoureux. Ta volonté cédera bien avant que la vie ne te quitte, bien avant que la mort ne t’emporte. C’est ainsi. »

Les Lames du Cardinal, intégrale, Pierre Pevel. Bragelonne, 2017 (2007-2010 pour les premières éditions). 836 pages.

Contes des Royaumes, tome 3 : Beauté, de Sarah Pinborough (2014)

Beauté (couverture)Fille du roi et d’une ondine (la Petite Sirène ?), Belle – comme dans la Belle au Bois Dormant, mais aussi comme dans la Belle et la Bête – est la reine du royaume situé près de la Montagne lointaine. Mais un jour, un maléfice s’abat sur la contrée et Belle, comme tous ses sujets, tombe dans le sommeil pour cent ans tandis qu’une forêt (presque) impénétrable encercle le pays. Un prince en mal d’aventure, un chasseur contraint d’assurer sa protection et une jeune fille vêtue d’une cape rouge partent explorer ce royaume inconnu. Evidemment, quand il la voit le prince fait son devoir de prince – « C’est une princesse et je suis un prince. Je suis censé l’embrasser. » –, mais tout ne se passe pas comme prévu… Le mariage et les enfants font devoir attendre.

Ce tome est peut-être le plus difficile à critiquer. Où s’arrêter ? Que dévoiler ? Il y a beaucoup de réponses aux questions que l’on pouvait se poser suite à la lecture de Poison et de Charme, donc il serait dommage de les dévoiler.
On comprend peu à peu que les événements décrits dans Beauté se déroulent avant ceux des deux autres tomes. Evidemment, on retrouve notre chasseur, malheureusement embringué dans toutes ces histoires de princesses, et notre prince, blondinet charmeur. On découvre donc comment ils se sont rencontrés, comment le chasseur est entré en possession des pantoufles de diamant ; quant à la réaction du prince face au comportement de Blanche-Neige une fois celle-ci réveillée, elle trouve son origine dans ce tome.

Deux autres personnages de contes font leur apparition : le Petit Chaperon rouge, renommé Petra, et Rumplestiltskin.
Petra quitte sa mère-grand et part avec le chasseur et le prince en direction du royaume ensorcelé. Sa motivation : traverser le mur végétal pour retrouver celui dont le hurlement l’attire plus que tout. Je ne l’ai toutefois pas trouvée d’une utilité folle (sauf à la fin). Elle rencontrera d’ailleurs son « grand méchant loup » en la personne de Toby, l’homme-loup. Mais finalement, je ne me suis pas attachée à elle car je n’ai pas eu l’impression de bien la connaître. A part son obsession pour le hurlement, on ne sait pas énormément de choses sur elle.
Le second n’est pas le personnage de conte que je connais le mieux. J’ai déjà entendu parler de lui, que ce soit sous ce nom ou sous celui de Nain Tracassin, mais tout ce dont je me rappelais était une histoire de prendre le premier-né d’une reine. En le rencontrant dans Beauté, on comprend qui était cet homme portant une quenouille dans Charme et quel terrible pacte le prince avait passé avec lui.
Est également évoquée Raiponce, la belle à la longue chevelure blonde, sauvée par l’arrière-grand-père du prince.

Il y une atmosphère souvent oppressante dans ce livre. Par deux fois, le chasseur tente de prévenir ses compagnons de ce qu’il a découvert dans les cachots, mais par deux fois, il est interrompu. Viennent ensuite des rumeurs de sœur jumelle aussi folle et cruelle que Belle est douce. Le Premier Ministre semble louche avec ses yeux étincelants, sa manie d’arriver en douce et ses menaces.
La scène érotique, celle du bal, est une débauche de sexe, de sang et de cruauté, ce qui (pour cette fois) tombe vraiment bien dans cette histoire emplie d’horreur.
Cette réécriture est vraiment plus sombre que les versions que l’on connaît habituellement de la Belle au Bois Dormant. Les personnages sont poussés à leurs extrémités et subissent des tortures psychologiques bien plus fortes que n’importe quelle souffrance physique. On voyage aux confins de la folie.

En relisant mes notes, je me rends compte que j’ai toujours des questions qui restent sans réponses. Par exemple, la mère du prince  laisse entendre qu’elle a un amour passé, secret : « Et puis, quand le roi avait eu des aventures – comme en ont toujours les souverains, hommes gâtés entre tous –, elle avait haussé les épaules, convaincue qu’il finirait pas revenir dans son lit. Après tout, leur mariage était une union royale. Avant cela, elle-même avait connu des aventures romantiques. Des idylles et puis… » Et puis quoi ?
Ensuite, le chasseur découvre les pantoufles dans une chaumière pleine de fioles, d’herbes et de potions, l’antre d’une sorcière qui aimait séduire les hommes. On comprend ensuite qu’il s’agit de la sorcière qui a jeté le sort à Toby, mais qui était-elle ? Et qui l’a assassinée ? Est-ce simplement, comme le suggère Toby, la vengeance d’une femme trompée et jalouse ? L’auteure se serait-elle mélangée avec toutes ses sorcières ?
Nous apprenons qu’il y a neuf royaumes en guerre perpétuelle, plus un dixième royaume soumis à une malédiction. Nous connaissons celui de Blanche-Neige, celui de Cendrillon ; celui de Belle est le dixième ; cela laisse des possibilités sur les princesses des sept royaumes restants et sur leur vie dans ces lieux parfois loin d’être idylliques.

J’ai beaucoup aimé ce troisième tome qui est vraiment sombre. J’ai passé de bons moments de lecture avec cette trilogie, même si les histoires étaient peut-être un peu trop courtes. Les personnages de Disney ne brillent pas toujours par leur profondeur de caractère, il est donc plaisant de creuser un peu leur psychologie et donc de les rendre plus humains. Au diable, les princes sauveurs et parfaits ! Aux oubliettes, les princesses sans cervelle !
En outre, les trois livres sont vraiment très beaux avec leurs couvertures rigides et brillantes et leurs fines illustrations intérieures.

« Ce son effrayait petits et grands, mais il recelait quelque chose qui parlait à Petra et la laissait le cœur lourd. Longtemps, elle n’avait fait qu’écouter, mais une nuit, elle avait rejeté sa capuche en arrière et hurlé à son tour en réponse. La forêt toute entière s’était mise à vibrer et trembler lorsque leurs deux voix n’en avaient plus fait qu’une. C’était devenu comme un chant, un secret mystérieux et suave qui la faisait frissonner d’une façon qu’elle ne comprenait pas vraiment. Elle brûlait de franchir le mur de ronciers pour aller retrouver l’autre moitié du duo. Quelle pouvait être la bête ainsi retenue prisonnière ? Pourquoi semblait-elle si désespérément condamnée à la solitude ? »

« Tu sais, il n’y a pas que les hommes qui ont besoin d’aventure. Tout le monde doit trouver sa destinée. Et s’il y a quelque chose qui t’appelle de l’autre côté de ce mur, c’est que tu dois t’y rendre. Ainsi vont les choses. »

« Lorsque les ennuis s’abattaient sur les gens ordinaires, c’était généralement aux classes dirigeantes et à leurs souverains qu’ils le devaient. Ce qui avait réduit la ville au silence avait forcément pour point d’origine le château. »

« A la lueur de la chandelle, Rumplestiltskin eut la sensation de voir briller dans les prunelles de la sorcière les centaines d’années qu’elle avait vécues – et la sécheresse du cœur mort qui battait dans sa poitrine. La magie ne produit jamais rien de bon, lui hurlait sa conscience. Il s’était mis à trembler légèrement. Sous ses dehors si ordinaires, ce n’était en fait qu’une horrible vieille chouette. Il ne faut rien attendre de bon d’une vieille chouette. »

Contes des Royaumes, tome 3 : Beauté, Sarah Pinborough. Bragelonne, coll. Milady, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Le Berre. 216 pages.

La trilogie des Contes des Royaumes par Sarah Pinborough :

Contes des Royaumes (3 tomes, couvertures)

Contes des Royaumes, tome 2 : Charme, de Sarah Pinborough (2014)

Contes des Royaumes 2 - Charme (couverture)Dans ce second tome, c’est le conte de Cendrillon qui est revisité. On retrouve les deux belles-sœurs, Ivy et Rose, la belle-mère, Esmée, ainsi qu’Henry, le père (qui n’est pas mort, pas plus que ne l’était celui de Blanche-Neige). Par contre, pas de souris et d’oiseaux qui confectionnent des robes ou de citrouille qui se transforme en carrosse.

J’ai beaucoup aimé les relations familiales qui sont très approfondies dans ce roman. On part avec l’idée qu’Esmée et ses filles sont cruelles envers la pauvre Cendrillon qui doit trimer du matin au soir, mais mes sentiments envers tous ces personnages ont énormément évolué au fil du récit. Cendrillon est au cœur du récit plus que ne l’était Blanche-Neige, on connait davantage ses pensées et son caractère. D’ailleurs, elle m’a assez rapidement agacée (même si ça a encore changé plus tard) par sa jalousie envers ses sœurs (« Je pourrais tuer pour une robe pareille. Ou même pour un simple tour dans ce bel équipage, songea Cendrillon. Oui, sans doute pourrait-elle tuer pour cela. En revanche, elle n’était pas certaine qu’elle aurait été jusqu’à donner un seul baiser au vicomte pour l’un ou l’autre de ces trophées. ») et par la manière dont elle traite son ami Bouton qui prend mille risques pour elle (« Certes, Bouton était plein de qualités, mais elle attendait plus de la vie. Elle voulait ce qu’Ivy avait, avec un homme grand et beau pour époux en plus. Elle le souhaitait si fort que cela en devenait douloureux. »). Malgré tout, elle change, éprouve de la compassion et de la compréhension pour sa belle-famille et ouvre les yeux sur la vie de palais qu’elle idéalisait tant.
De la même manière, belle-mère et belles-sœurs perdent leur image de méchantes personnes. Rose se révèle notamment très fine et intelligente (loin des bécasses de Walt Disney) tandis que l’on comprend de mieux en mieux le caractère changeant d’Esmée.
Bref, je m’arrête là avant de vraiment trop en dire.
Certains des personnages principaux de Poison jouent à nouveau un rôle très important : Lilith, qui était la belle-mère de Blanche-Neige, le prince et le chasseur. C’est très plaisant de les retrouver car cela permet de leur donner encore un peu plus d’épaisseur.

Pour ce qui est des croisements avec d’autres contes, Hansel et Gretel est à nouveau présent à travers des disparitions d’enfants dans la forêt et l’étrange récit d’une fillette à propos d’une maison en pain d’épices (j’espère d’ailleurs qu’on en saura plus dans le troisième tome, Beauté, puisque la sorcière était déjà présente dans Poison). On rencontre également Robin des Bois. Il s’agit ici d’un ami très proche de Cendrillon, surnommé Bouton, qui travaille au palais mais au service des pauvres : « Je vole les riches pour donner aux pauvres, lui avait-il dit un jour. C’est la seule façon d’être un voleur heureux. »

Le côté érotique de ce conte revisité ne m’a pas laissée aussi perplexe que lors de ma lecture de Poison. Peut-être parce que j’ai dû m’y habituer, peut-être aussi parce qu’elles sont mieux amenées (je repense à l’étreinte entre Blanche-Neige et le chasseur, pourquoi ? quelle nécessité ? quel intérêt ?). Et ça change des princesses naïves et éloignées de tout ce qui se rapporte au sexe, elles sont plus humaines avec leurs fantasmes et leurs désirs.

Pour ce qui est de la fin, elle est, dans ce second tome, beaucoup plus heureuse que dans le premier. Heureusement, elle diffère tout de même grandement de la fin connue de Cendrillon, mais je n’ai pas ressenti la même surprise que pour Poison.

Ce second volume ne m’a pas déçue, bien qu’il soit moins sombre que Poison. Il y a des belles descriptions pleines de féérie, les personnages sont toujours aussi profonds et humains et des questions restent en suspens, questions dont j’espère trouver la réponse dans Beauté. Ma curiosité est ouverte en ce qui concerne la fin du troisième et dernier volume.

« Son esprit n’était plus qu’un nœud de noires pensées auxquelles elle ne parvenait même plus à donner la moindre forme cohérente. La jalousie était à l’œuvre, elle le savait. L’envie mêlée d’une touche d’auto-apitoiement. Elle n’y pouvait rien, c’était plus fort qu’elle. »

« La vie n’est pas un conte de fées, Cendrillon. J’aimerais qu’elle le soit, mais ce n’est pas le cas. »

Contes des Royaumes, tome 2 : Charme, Sarah Pinborough. Bragelonne, coll. Milady, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Le Berre. 254 pages.

La trilogie des Contes des Royaumes par Sarah Pinborough :

Contes des Royaumes, tome 1 : Poison, de Sarah Pinborough (2014)

Contes des Royaumes 1 - Poison (couverture)« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. »

Ce n’est certainement pas par cette formule traditionnelle que se termine cette version revisitée du conte de Blanche-Neige.
On connaît tous le conte, donc un résumé ne sera pas nécessaire. Quant à la fin, elle est bien différente de celle de Disney, mais je ne la spoilerai pas.

J’ai beaucoup aimé la manière dont sont approfondis les caractères de ces personnages célèbres : la reine, les nains, le prince, Blanche-Neige… Leur importance se vaut et Blanche-Neige n’est plus la seule héroïne et les méchants occupent bon nombre des pages de ce roman. Ils apparaissent plus modernes, plus humains, torturés par leurs désirs.
La reine – prénommée Lilith (elle était prédestinée au mal avec ce prénom) – n’est pas présentée comme étant LA méchante sorcière, un-point-c’est-tout, on découvre pourquoi elle est comme ça, son passé, sa bisaïeule qui lui a enseigné l’art de la magie, son mariage forcé, sa jalousie qui lui ronge le cœur et qui lutte (et vainc) les remords qu’elle ressent parfois. Son inhumanité n’est pas sans causes et est aggravée par des événements inattendus. J’ai beaucoup aimé ce personnage. Décidée et autoritaire, belle et captivante, intelligente et manipulatrice, mais pourtant tourmentée. Son fameux miroir n’est pas vraiment un objet régulièrement sollicité, mais une voix
Les nains souffrent de leur travail de mineurs, peuple d’exploités. L’un d’eux, Manchot, a même connu un épisode particulièrement traumatisant dans les profondeurs de la terre. Les chants, les livres pour Rêveur et Blanche-Neige leur apportent un peu de joie et de lumière dans cette obscurité.
Le prince… Je n’en dirai rien car il est plein de surprise, ce prince. Il nous rappelle que la cruauté peut prendre bien des visages, même celui de l’amour et de la beauté.
Quant à Blanche-Neige, elle est certes quelque peu ingénue car elle vit dans le bonheur, l’action et le plaisir de vivre et ne connaît pas de difficultés au quotidien, mais elle n’est pas sans caractère. Elle est forte et décidée. Elle tente de changer sa belle-mère, dompte les plus fougueux étalons, se lie d’amitié avec les miséreux et les domestiques, etc. N’étant pas une demoiselle niaise en détresse, elle n’agit pas comme une princesse de son rang le devrait, ce qui ne plaît pas à tout le monde.
On peut noter que le roi, le père de Blanche-Neige, nous est un peu plus présenté que dans d’autres versions du conte. Outre un portrait physique, l’auteure définit sa relation à sa défunte femme et à Lilith, ses motivations pour son royaume ou son amour pour sa fille.

J’ai beaucoup aimé que d’autres contes interviennent dans celui-ci : Aladdin, Hansel et Gretel, les pantoufles de verre de Cendrillon, etc. Ainsi que l’intervention de l’arrière-grand-mère de Lilith qui jouera un rôle important dans l’empoisonnement de la belle princesse.

Le ton est plus adulte. Autant il y a des tensions entre les personnages qui rajoutent à l’épaisseur de leur caractère (je pense à Lilith, Blanche-Neige ou le chasseur), autant la nuit de noces de Blanche-Neige y est relatée de manière particulièrement érotique. Etait-ce nécessaire ? Je ne sais pas. Ça ne m’a pas dérangée, mais je ne trouve pas que cela apporte énormément de choses.

Autre point sur lequel j’apporterai une nuance : la fin. Je trouve l’idée audacieuse, originale et sombre à souhait, mais j’aurais aimé qu’elle soit un peu plus étoffée. Les derniers chapitres se sont déroulés à une vitesse folle, une ultime vision de chaque protagoniste, mais elle m’a laissée un petit goût de manque.

Le livre en lui-même est très beau également. Sa couverture cartonnée et écarlate à l’extérieur et les illustrations de Noëmie Chevalier à l’intérieur (une pour chaque chapitre) en font un magnifique objet.

N’ayant jamais été fan de Blanche-Neige, j’ai passé un bon moment avec cette version pleine de noirceur et ces personnages profonds, qu’ils soient bons, méchants ou un peu des deux.

Je suis curieuse de découvrir les deux tomes suivants – Charme (sur Cendrillon) et Beauté (sur la Belle et la Bête) – et j’espère qu’il ne s’agira pas trop d’un copier-coller (du genre « on reprend la même recette en changeant les noms »).

« Tout le monde l’aime, n’est-ce pas ? Et comment pourrait-il en être autrement ? Elle est si belle et si gentille, et en même temps, libre et indocile. Elle pourra choisir parmi les princes celui dont elle tombera amoureuse. Oui, elle est vraiment la plus belle du royaume. N’est-ce pas magnifique ? »

Contes des Royaumes, tome 1 : Poison, Sarah Pinborough. Bragelonne, coll. Milady, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Le Berre. 221 pages.

La trilogie des Contes des Royaumes par Sarah Pinborough :