Mini-chroniques pour trois lectures graphiques : Ma révérence, Le Veilleur des Brumes et Yellow Cab

Trois lectures graphiques qui m’ont plus ou moins touchée, du coup de cœur au bof. Des histoires de vie, de rencontres… en France, aux États-Unis ou dans un monde imaginaire.

***

Ma révérence, de Wilfrid Lupano (scénario) et Rodguen (dessin) (2013)

Ma révérence (couverture)Malgré le nom de Lupano, je reconnais que je me suis lancée dans cette BD légèrement dubitative, notamment face à une couverture qui ne m’emballait guère. Finalement, ce fut ma lecture la plus captivante.

Les auteurs partent d’une histoire exceptionnelle – deux anti-héros, plus losers déconfits que bandits magnifiques, planifient un kidnapping et le braquage d’un fourgon pour tirer leur révérence et enfin vivre une vie plus douce – pour finalement raconter la vie de plusieurs protagonistes avec ses drames, ses espoirs, ses joies envolées, ses secrets, ses ratés, ses remords et ses hontes. De là, des histoires qui s’entrecroisent, des personnages qui se rencontrent, des existences qui s’entrechoquent. Des confidences difficiles ou sombres qui n’empêchent pas d’avoir pas mal d’humour (noir), volontaire ou non de la part des personnages.
Ces derniers ont quelque chose de brut, de cru, de méchant parfois, mais ils parviennent néanmoins à être touchants quand la façade – qu’elle soit m’as-tu-vu, vulgaire, sérieuse – s’effrite.

La narration n’est pas linéaire, il faut rassembler les pièces du puzzle pour former ces différents portraits d’une belle finesse, c’est un procédé que j’apprécie beaucoup et je n’ai pas été déçue par l’écriture de Lupano.

Une BD intelligente et véritablement prenante que j’ai adorée !

Source des planches : BDfugue

Ma révérence, Wilfrid Lupano (scénario) et Rodguen (dessin). Delcourt, 2013. 128 pages.

***

Le Veilleur des Brumes (3 tomes), de Robert Kondo (scénario) et Dice Tsutsumi (dessin)

C’est à la bibliothèque que j’ai été attirée par le graphisme de ces trois volumes et ses airs de film d’animation. À juste titre, puisque Le Veilleur des Brumes The Dam Keeper – est tiré d’un court-métrage d’animation. Et visuellement, c’est très beau, très doux et mignon. Les couleurs, les traits, c’est assez superbe.
L’atmosphère est une merveille, recelant énormément de poésie et de mélancolie, tout en vibrant de lumière et d’espoir. De même, les lieux et décors sont une réussite : j’ai immédiatement accroché au contraste entre ces îlots de vie préservés des brumes, colorés, et l’extérieur mystérieux et menaçant – une mise en place somme tout assez classique -, avec pour seul pont, le Veilleur solitaire et incompris.

C’est une histoire de transmission, de mystère familial, d’aventures et de rencontres. S’ouvrir aux autres, apprendre à les connaître, grandir et évoluer en sortant de ses routines. Et les familles, celles dans lesquelles on naît comme celles que l’on se trouve. Néanmoins, il m’a manqué quelque chose pour être véritablement passionnée par l’intrigue qui, en dépit d’une mise en place plus que convaincante, est devenue un peu brouillonne et rapide.

Une histoire initiatique sympathique et touchante, même si ça n’a pas été le coup de cœur auquel je m’attendais.

Source des planches : BDfugue

Le Veilleur des Brumes (3 tomes), Robert Kondo (scénario) et Daisuke « Dice » Tsutsumi (dessin). Éditions Milan, coll. Grafiteen, 2018-2020 (2017-2019 pour l’édition originale). Traduit par Aude Sécheret.
– Tome 1, Le Veilleur des Brumes, 159 pages ;
– Tome 2, Un monde sans ténèbres, 160 pages ;
– Tome 3, Retour à la lumière, 195 pages.

***

Yellow Cab, de Chabouté, d’après le roman de Benoît Cohen (2021)

Yellow Cab (couverture)Cette BD est tirée d’un roman du réalisateur Benoît Cohen, lui-même relatant une expérience réellement vécue : devenir chauffeur de taxi à New-York pour trouver l’inspiration d’un film.

Ainsi, ce roman graphique en noir et blanc compile des rencontres, des faciès, mettant en scène une ville-personnage somme de toutes les âmes qui la peuplent. Le personnage principal, invisible aux yeux des autres de par son statut de chauffeur de taxi (« Personne ne pense jamais au taxi, en fait. On est comme invisible. On est juste une nuque. » Sherlock, saison 1, épisode 1), s’efface pour laisser la place à ceux qu’il conduit.
Cependant, je dois avouer que j’ai trouvé le tout un peu fade – hormis le dessin de Chabouté tout en ombres et lumières. Il n’y a pas réellement d’histoire – ce qui n’est pas forcément un défaut quand d’autres éléments sont bien menés –, le personnage principal est assez inexpressif finalement et ses réflexions m’ont parfois semblé artificielles, et j’ai peiné à ressentir l’inattendu, le surprenant, le touchant de ces clients qui défilent.

Une lecture malgré tout sympathique mais que j’oublierai vite.

Source des planches : BDfugue

Yellow Cab, Chabouté, d’après le roman du même nom de Benoît Cohen. Vents d’ouest, 2021. 168 pages.

Tiens, goûte !, de Chloé Charles et Tiphaine de Cointet (2022)

Tiens, goûte 1Chloé Charles est cheffe, Thiphaine de Cointet dessinatrice et Raphaelle Orliange seconde Chloé, prend les photos et apporte des petites infos complémentaires ; la première explique et dévoile quelques secrets culinaires à la seconde qui n’y connaît pas grand-chose et qui les partage à son tour par le biais du dessin.

J’avais repéré ce livre de cuisine atypique chez Owi Owi – dont le livre Le gâteau dont tu es le héros est en train de devenir ma bible des gâteaux tant tout me fait envie –, ce qui fait que j’ai sauté sur l’opportunité de la découvrir grâce à une Masse critique Babelio.

Graphiquement, je n’ai pas accroché, ce n’est pas un style de dessin que j’apprécie. Néanmoins, si je ne me suis donc pas attardée longuement à détailler les illustrations, cela n’a pas nui à ma lecture.
C’est une bande dessinée instructive qui, au fil des recettes de Chloé et des questions de Tiphaine, apporte des explications sur la raison d’ajouter tel type d’ingrédients, de cuire de telle manière… pour savoir un peu mieux jouer avec la cuisine et en comprendre les réactions chimiques, les harmonies gustatives, etc. L’idée est donc de comprendre ce que l’on fait pour pouvoir s’affranchir des recettes et se laisser aller à plus d’imagination et de spontanéité. De plus, Chloé Charles est dans une démarche gourmande et anti-gaspi qui me plaît bien.
L’enthousiasme et la complémentarité des caractères des participantes rend la BD rythmée et sympathique à lire : il semblait régner une bonne ambiance dans cette cuisine ! Le sens du partage et l’humour viennent agrémenter les connaissances de manière très équilibrée et agréable.

Ce n’est donc pas un livre de recettes, même si celles concoctées au fil de l’initiation de Tiphaine sont reprises à la fin de l’ouvrage avec une photo. Je doute de réellement y revenir pour les tester à l’avenir car l’une d’entre elle m’a laissée perplexe au niveau des proportions et beaucoup sont à base de viande ou produits de la mer, ce que je ne cuisine plus du tout. Cependant, je prendrai peut-être le temps de me pencher sur les recettes végé, de sauces ou de desserts.

Un ouvrage pédagogique et accessible qui explique plusieurs notions de cuisine dans une ambiance joyeuse en mode « viens avec moi, je vais te montrer tout ça ! ».

« N’empêche… Si on réfléchissait comme on cuisine, le monde aurait une bien meilleure saveur. »

Tiens, goûte ! : une bande cuisinée, Chloé Charles et Tiphaine de Cointet. First éditions, coll. La vie en bulles, 2022. 175 pages.

Mini-critiques : un recueil de nouvelles, un album et une BD

Je vous propose trois petites chroniques sur mes dernières lectures un peu miton-mitaine de 2022 : certaines m’ont davantage plu que d’autres, mais aucune n’est exempt de points négatifs alors qu’il y a une autrice et un scénariste que j’affectionne tout particulièrement (personne n’est infaillible !). C’est parti pour le tour des qualités et des défauts de 600 jours d’Apocalypse, Tout un monde d’animaux et Mauvais sang.

***

600 jours d’Apocalypse,
de Rozenn Illiano
(Oniro Prods, auto-édition, 2019)

600 jours d'Apocalypse (couverture)Une nouvelle lecture du Grand Projet dans ma besace avec ce recueil de nouvelles qui complètent la série Town et le roman Onirophrénie également lus en 2022. Un livre compagnon qui nous fait retrouver Élias, Oxyde, Francesca, Saraï (personnage d’Elisabeta), Ana, Chester et Lili et Lucifer.

C’est un livre sympathique car il est toujours agréable de côtoyer un peu plus longtemps des personnages que l’on affectionne ; ce petit tour des différents protagonistes permet de mieux ressentir leur vécu de cette catastrophe, de les fréquenter le temps d’un instant, un épisode de vie pendant ces six cents jours dévastés. Cependant, je pourrais le qualifier de dispensable malgré tout, Town se suffisant à elle-même. Ce n’est à mon avis pas un livre pour découvrir l’univers de Rozenn Illiano à mon goût et plaira plutôt aux lecteurs et lectrices de Town (au minimum).
Je ne suis pas friande de nouvelles : pour réellement me plaire, elles doivent être particulièrement impactantes et rares sont les auteurs et autrices à parvenir à me convaincre inconditionnellement (même si j’aime leurs œuvres à côté de ça). Ici, les premières ne me marqueront guère, et j’ai noté une certaine redondance dans les descriptions des paysages apocalyptiques qui a légèrement gâché mon plaisir.

Je retiendrai néanmoins deux textes que j’ai vraiment appréciés.
Tout d’abord, la nouvelle « Au bout de la route » avec Lili et Chester. Un moment d’apaisement et de relâchement, de plaisanterie et de confiance, sans nier la terreur alors que la fin du monde approche à grands pas. Une connivence inattendue, un lien qui se tisse même s’il semble dérisoire face au néant qui se profile à l’horizon.
Ensuite, la novella « Mille chutes » qui donne la parole à un personnage aussi mystérieux que fascinant, Lucifer. Un personnage qui reste lointain dans Town, avec des motivations aussi insaisissables que sa personne, un discours dont on ne sait le vrai du faux. Alors, certes, cette novella brise un peu ce mystère, le rendant plus accessible, plus faillible, plus humain, mais elle permet également de mieux le connaître, de mieux comprendre l’histoire millénaire qui a conduit à cette fin du monde, les intrications des personnages, les plans célestes et les luttes terrestres pour les contrer, ainsi que l’histoire de Chester.

Un ouvrage plaisant, bien que facultatif : un bonus pour prolonger un peu la route.

« Maintenant, je pense que l’amitié est une chimère. L’amour aussi, sans doute. Étrangement, ce sont les amitiés perdues qui m’ont été plus douloureuses. J’aurais voulu avoir un ami d’enfance, comme dans les histoires ou dans les films. L’ami que tu connais depuis toujours, celui avec qui tu grandis et que tu considères comme ton frère… puis au fil des années, tu ne sais plus ce que tu éprouves pour lui, tu mélanges tout, l’amitié, l’amour, le désir, mais ce n’est pas grave parce que tu sais que quoi qu’il arrive, il sera là pour t’aider à déplacer un cadavre en pleine nuit, pour te faire passer un barrage de police à la frontière ou pour t’empêcher de sauter par la fenêtre. Je regrette de ne pas avoir eu cette chance. »
(Au bout de la route)

« J’avais là une unique occasion de retrouver l’un des miens. Car j’étais seul, te souviens-tu ? Durant des siècles, j’étais seul. Je ne pouvais partager avec personne les sentiments ambivalents qui étaient les miens, la joie d’arpenter ce monde et la peine de ne pas en faire partie, l’émerveillement devant tout ce que l’humanité avait à offrir face à la douleur perpétuelle de me savoir loin du Ciel. La Matière était à la fois une bénédiction et une malédiction propres à faire perdre la tête à n’importe qui ; comment s’habituer à ces émotions qui ne cessaient jamais, alors que l’on est né sans ? Comment supporter le battement constant du cœur dans notre poitrine, et le souffle qui va et vient sans fin ? »
(Mille chutes)

***

Tout un monde d’animaux : un livre-jeu Deyrolle
(Gründ, coll. Green Gründ, 2022)

Tout un monde d'animaux (couverture)Deyrolle est un cabinet de curiosité parisien (dont j’ignorais l’existence en dépit du fait que je suis passée moult fois dans la rue du Bac qui l’abrite…) et les illustrations de ce livre sont tirées de ses collections pédagogiques. Cet album présente ainsi douze planches colorées célébrant la beauté et la diversité animalières à travers différents milieux : la ferme, l’océan, le jardin, l’Afrique, etc.

Les compositions jouent sur la répétition et la symétrie et ces pages foisonnantes proposent ainsi des jeux de cherche et trouve, d’éléments à compter, d’intrus à repérer, etc., sans compter le temps simplement passé à tout regarder pour ne pas en oublier.
Certaines pages sont extrêmement harmonieuses et agréables à détailler – on les exposerait bien ! – tandis que d’autres sont, à mon goût, un peu moins heureuses en terme de présentation (celles sur les poils, plumes et écailles par exemple, alors que le principe de reconnaissance « à qui cela appartient-il ? » est particulièrement ludique et plaisant.
Sur la page de gauche, un texte rapide introduit la planche tandis que quelques approfondissements – diverses informations sur les animaux représentés – sont offerts en fin d’ouvrages avec les solutions.

Une jolie découverte, ne serait-ce que pour quelques pages particulièrement esthétiques.

***

Mauvais sang,
de Loïc Clément (scénario) et Lionel Richerand (dessin)
(Delcourt jeunesse, 2022)

Mauvais sang (couverture)

Issue de la collection des Contes des cœurs perdus, cette bande-dessinée raconte l’histoire de Tristan Tenebrae, vampire coincé depuis mille ans dans un corps d’enfant en proie à d’incommensurables angoisses. Du moins jusqu’à sa rencontre avec la famille Lux… Seconde histoire de vampire de la collection après Chaque jour Dracula, je dois avouer que ni l’histoire ni les illustrations n’ont su me convaincre.

L’intrigue et la narration tout d’abord. Certes, les doutes, inquiétudes et autres terreurs de Tristan sont touchantes et bien rendues dans ce qu’elles ont d’oppressantes et d’abrutissantes. Certes, l’histoire est intelligente, racontant le stress, le confort des habitudes, la solitude, prônant la différence, les familles de cœur quand celles de sang sont défaillantes et la confiance en soi. Néanmoins, le déroulé de l’histoire est beaucoup trop facile, rapide et sans surprise, me faisant nettement ressentir que je ne suis pas forcément le premier public de cet ouvrage (j’avais eu le même sentiment avec Chaque jour Dracula d’ailleurs). De même, la morale finale m’a parue lourde, assénée d’un bon coup de marteau au cas-où elle nous aurait échappé. (De plus, j’étais lassée presque avant de la rencontre de cette énième famille fantasque.)
Quant aux illustrations, je leur reconnais des qualités également : elles sont riches en détails et en clins d’œil, incitant à prendre son temps pour les détailler. Cependant, le trait de Lionel Richerand que je découvre ici n’est tout simplement pas à mon goût, notamment au niveau des couleurs trop ternes et des visages, ce qui m’a plus d’une fois interpellée et sortie de ma lecture (la couverture ne mentait pas à ce niveau-là…).

Ce n’est donc pas le meilleur opus de la série : si je lui reconnais diverses qualités, les défauts ont davantage imprégné mon ressenti vis-à-vis de cette lecture.

Mini-chroniques : René·e aux bois dormants, Le mari de mon frère et L’autre moitié du soleil

Je vous propose trois petites chroniques d’ouvrages ayant accompagné mon automne bien occupé par le déménagement et le nouveau travail. Je n’ai pas eu le temps ou le courage de détailler davantage, mais je souhaitais quand même vous toucher un mot de ces excellentes lectures.

***

René·e aux bois dormants, d’Elene Usdin (Sarbacane, 2021)

René·e aux bois dormants (couverture)Un roman graphique étonnant. Tout d’abord, un peu dubitative quand j’ai entamé ses presque 370 pages face à cette débauche de couleurs, cette diversité de techniques de dessin, ces personnages étranges, ses transitions hallucinées… bref, face à ce rendu un peu psychédélique. Puis, je me suis prise au jeu, j’ai accepté le voyage, j’ai accepté de ne pas tout suivre.
Je me suis laissée portée par cet univers fluctuant, où rien – ni l’époque, ni le lieu, ni le genre – n’est acquis ; j’ai apprécié les rencontres surprenantes, les histoires un peu macabres et cruelles, les mythologies inconnues. Enfin, j’ai été touchée par cette histoire identitaire, par ce pan de l’Histoire canadienne, par le parcours tragique de ce petit garçon et de tant d’autres.
Une histoire non linéaire, onirique, colorée et bouleversante. Un roman graphique déroutant certes, mais véritablement atypique, tant dans ses illustrations que dans la construction narrative. Je n’étais pas sûre d’aimer, j’ai été hypnotisée.

Merci Alberte pour cette découverte !

(Quelques planches sur le site des éditions Sarbacane.)

***

Le mari de mon frère, de Gengoroh Tagame (4 tomes) (Akata, 2016-2017)

Un manga en quatre tomes qui m’a vraiment attendrie.
Yaichi, père célibataire, voit sa vie bousculée par l’arrivée de Mike, le mari, le veuf de son frère jumeau expatrié depuis des années au Canada. Dans une société japonaise qui ne parle pas de l’homosexualité, Yaichi se voit confronté à ses préjugés, mais Kana, sa fille, est quant à elle plus qu’enchantée de cet « oncle du Canada ».
Je ne peux pas parler de la situation des LGBTQI+ au Japon, je ne suis pas du tout calée sur le sujet, je ne traiterai donc pas de la justesse du manga à ce niveau-là. Cependant, comme je le disais, j’ai été vraiment émue par les interactions entre ces trois personnages : elles constituent la grande force de ce manga. Kana est une fillette spontanée et totalement attachante ; vierge de tout préjugé, elle va sans le savoir aider son père à passer outre son éducation et à voir ce qui est vraiment important. Mike est ouvert et parfait dans son rôle de tonton tandis que Yaichi – personnage masculin sortant des clous également ! – tient le rôle le plus étoffé, celui qui connaît une véritable évolution (même si je précise qu’il n’était pas franchement homophobe, plutôt… ignorant et pudique). La compréhension de l’autre et la connaissance de la personne qu’est Mike au-delà d’une étiquette vont lui permettre de faire son deuil et tout ce cheminement intérieur est magnifiquement mené tout au long de ces quatre tomes.
Malgré cette dernière phrase qui pourrait laisser suggérer une lecture un peu pesante, ce n’est pas le cas du tout : la tonalité est plutôt légère et bienveillante. On ne tombe pas dans des schémas un peu classiques et le regard innocent de Kana est vraiment un angle d’attaque très doux et plaisant sans pour autant rendre le tout niais.
Je l’ai lu à une période où j’avais peu de temps à consacrer à la lecture, mais ça a été un plaisir de passer un peu de temps avec eux le temps de quelques soirées. C’est très intelligent, globalement attendrissant, parfois amusant, et la fin était totalement bouleversante, je dois bien l’avouer.

***

L’autre moitié du soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie (Folio, 2016. 2006 pour l’édition originale)

L'autre moitié du soleil (couverture)

Après mon excellente lecture d’Americanah il y a presque trois ans, il était temps que je lise cet autre roman de la célèbre autrice nigériane qui raconte la guerre du Biafra et les années qui l’ont précédée, à travers le quotidien d’Olanna et Kainene, deux sœurs fraîchement rentrées d’Angleterre où elles avaient suivi leur cursus universitaire, d’Odenigbo, universitaire engagé, d’Ugwu, jeune boy de treize ans, de Richard, Anglais tombé fou amoureux de ce pays, de son histoire et de ses arts.

Encore une fois, une excellente lecture pour laquelle je pourrais reprendre les mots de ma chronique d’Americanah bien que ces romans soient bien différents (ce qui serait plus simple car, le livre quelque part dans un carton et mes notes égarées dans le déménagement, j’avoue avoir du mal à poser des mots sur cette lecture vieille de plus de deux mois …).
Chimamanda Ngozi Adichie nous immerge dans le Nigeria des années 1960 et 1970 et m’a permis d’en savoir plus sur cette guerre dont je ne savais pas grand-chose, je l’avoue (à part la famine liée à ce conflit). En l’abordant par le prisme de l’intime – des histoires individuelles bouleversées par la guerre civile –, elle facilite l’entrée dans ce pan de l’Histoire nigériane (en tout cas, elle m’a immédiatement captivée) et le résultat est bouleversant grâce à ces personnages vivants et touchants, contradictoires, faillibles, humains, vrais. L’immersion dans la sauvagerie de la guerre – la brutalité, la famine, la peur et l’espoir qui se mêlent sans cesse, la perte, les inévitables exactions… – est intense et terrible.
La diversité d’âge, de situation, de nationalité, permet de tracer un riche portrait des interactions sociales : privilèges de classe, colonialisme, discrimination, préjugés et tensions entre ethnies, la lutte entre éducation et superstitions…  Avec les deux couples – non conventionnels – qui constituent le noyau des personnages, c’est également un récit sur le couple, ce qui le porte, ce qui le construit, ce qui le renforce ou le détruit. C’est enfin un roman sensoriel, porté par les bonnes odeurs des plats d’Ugwu, chauffé par la lumière brûlante du soleil dans laquelle flotte la poussière des chemins…
L’écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est une nouvelle fois d’une grande efficacité : fluide, vibrante, précise, marquante. Grâce à elle et à ces personnages, plus qu’instructif, ce roman s’est révélé puissant, éloquent et déchirant.

« La famine était une arme de guerre nigériane. La famine a brisé le Biafra, a rendu le Biafra célèbre, a permis au Biafra de tenir si longtemps. La famine a attiré l’attention des gens dans le monde et suscité des protestations et des manifestations à Londres, à Moscou et en Tchécoslovaquie. La famine a poussé la Zambie, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire et le Gabon à reconnaître le Biafra, la famine a introduit l’Afrique dans la campagne américaine de Nixon et fait dire à tous les parents du monde qu’il fallait finir son assiette. »

« C’était comme s’il saupoudrait du piment sur sa plaie : des milliers de Biafrais étaient morts et cet homme voulait savoir s’il y avait du nouveau sur la mort d’un Blanc. Richard écrirait là-dessus, sur cette règle du journalisme occidental : cent Noirs morts égalent un Blanc mort. »

Prochaine lecture (dans deux-trois ans probablement…) : L’hibiscus pourpre !

C’est le 1er, je balance tout ! # 66 – Juin 2022

c-est-le-1er-je-balance-tout-banniere-bicolore-sapin

Rimant avec « C’est lundi, que lisez-vous ? », ce sympathique rendez-vous a été initié par Lupiot du blog Allez vous faire lire. Il permet de revenir sur le mois écoulé à travers quatre points :

  • Le Top et le Flop de ce que l’on a lu le mois dernier ;
  • Une chronique d’ailleurs lue le mois dernier ;
  • Un lien adoré le mois dernier (hors chronique littéraire) ;
  • Ce que l’on a fait de mieux le mois dernier.

***

  1. Le Top et le Flop de ce que j’ai lu le mois dernier.

Romans

Non fiction

Lectures graphiques

Côté Top… Peut-être parce que c’est ma dernière lecture en date, je ne me remets pas de ma lecture de L’odyssée des fourmis d’Audrey Dussutour et Antoine Wystrach, ce documentaire m’a passionnée de la première à la dernière page. Mais j’ai également adoré le dernier tome de Town, Clairvoyants, de Rozenn Illiano, ainsi que ma lecture – tardive – de Sorcières de Mona Chollet.
Côté bulles, mon amour pour Heartstopper d’Alice Oseman est inébranlable !

Côté Flop… Disons que je ne vous recommande pas La sonate à Kreutzer pour découvrir Tolstoï (même si vous avez déjà lu Tolstoï, je ne le recommande pas davantage pour être honnête).
Côté bulles, ce ne sont pas vraiment des flops, mais j’ai moins accroché à la fin de L’Enfant et le Maudit de Nagabe et je n’ai pas été aussi enchantée que je le souhaitais par Raven & L’ours de Bianca Pinheiro.

Ces livres que je ne critiquerai pas davantage

Parlons en deux mots de mes lectures graphiques du mois qui ont été tellement nombreuses que j’abandonne illico l’idée de les chroniquer davantage.

Blacksad, T1 (couverture)Blacksad, tome 1, Quelque part entre les ombres, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido (2000)

Enfin, je prends le temps de découvrir cette œuvre culte de la BD et je ne suis pas déçue du résultat. L’histoire nous entraîne dans un polar en bonne et due forme (moi qui côtoie peu le genre, c’était dépaysant malgré les codes bien respectés), l’ambiance est bien sombre comme on aime, mais ce sont avant tout les dessins, absolument sublimes, qui m’ont enchantée. Certains découpages, certains cadrages sont fantastiques, et les animaux anthropomorphes de Juanjo Guarnido (qui m’avait déjà convaincue avec Les Indes fourbes) sont superbes à commencer par son héros charismatique.

Blacksad, T2 (couverture)Blacksad, tome 2, Artic-Nation, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido (2003)

Toujours aussi fan des dessins, je me suis parfois attardée longuement sur une case, admirant tel trait, telle couleur, telle expression vivante. L’histoire – ici marquée par le racisme et la ségrégation – est toujours prenante, les personnages sont peut-être davantage approfondis, mais j’ai néanmoins un peu moins accroché. Peut-être à cause d’une impression de déjà-vu… Quoi qu’il en soit, j’ai adoré malgré tout et je suis impatiente de lire la suite…

Ne m'oublie pas (couverture)Ne m’oublie pas, d’Alix Garin (2021)

Une histoire bouleversante autour de la maladie d’Alzheimer. Un road-trip avec une grand-mère et sa petite-fille qui permettra aux deux femmes de s’aider mutuellement, de se découvrir un peu plus, de partager des derniers souvenirs malgré la mémoire qui fout le camp. De se dire adieu également, pour un avenir peut-être un peu moins douloureux. Beaucoup de douceur tant dans la narration – en dépit de bons gros coups durs – que dans le dessin. Une lecture riche en émotions.

L'enfant et le maudit T11 (couverture)L’Enfant et le Maudit (tomes 7 à 11, série terminée), de Nagabe (2019-2021)

J’avais été conquise par cet univers sombre et cette narration quelque peu contemplative lors que ma critique des sept premiers tomes en 2020. Cependant, la reprise a été un peu plus compliquée. J’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire, ayant oublié des choses au fil des mois, et j’avais le sentiment de tourner en rond. Sans trop savoir où j’allais, j’ai laissé les pages se tourner, errant aux côtés de Sheeva et du Professeur, parfois aussi déconcertée qu’eux, aussi perdue qu’eux. Cette fin me laisse un peu mitigée, en dépit de sa douceur. Je garderai sans doute un souvenir plus marqué des sentiments engendrés par les premiers tomes que par les derniers, mais la faute incombe peut-être au temps écoulé entre mes lectures… Un manga original, poétique et quelque peu mystérieux que je relirai peut-être un jour d’une traite, afin de mieux le savourer jusqu’à la dernière miette.

Imbattable, T3 (couverture)Imbattable, tome 3, Le cauchemar des malfrats, de Pascal Jousselin (2021)

Toujours incroyable d’inventivité, j’aime toujours autant ces BD qui jouent avec les codes de la bande-dessinée de manière magistrale (j’avais déjà parlé des deux premiers tomes). Pascal Jousselin parvient à se réinventer, à introduire de nouveaux personnages aux pouvoirs réjouissants, de nouveaux effets, de nouveaux univers, ce qui fait envoler la moindre idée de lassitude ou de déjà-vu. J’avoue m’être parfois fait des nœuds au cerveau en essayant d’imaginer par quel bout l’auteur commençait ces histoires vu l’entremêlement des causes et des conséquences et le chamboulement de la linéarité. Bref, immense plaisir que de lire Imbattable !

Raven & L'ours, T1 (couverture)Raven & L’ours (tomes 1 à 3), de Bianca Pinheiro (2017-2021)

C’est chez Alberte que j’ai découvert ces bandes-dessinées qui promettaient « une bulle de douceur visuelle et un duo plus attachant tu meurs ». Ce avec quoi je suis tout à fait d’accord. Cependant, je n’ai pas été aussi conquise qu’elle : c’est très sympathique, très mignon, mais il m’a manqué quelque chose. Quoi, je ne saurais le dire exactement. Est-ce dû à la forme originelle en épisodes sur internet ? Peut-être. En tout cas, je les ai lus trop rapidement, sans réellement m’attacher aux autres personnages que le duo principal, en étant toujours un peu frustrée de leur rapidité, du manque de développement. L’humour, parfois absurde, ne m’a pas touchée à chaque fois, mais j’ai apprécié le jeu des innombrables références à la pop culture – Zelda, Popeye, Mario, Sherlock Holmes – et aux contes (qui sont surtout destinées aux adultes ou aux grands enfants, l’un n’excluant pas l’autre…) ainsi qu’une mise en abyme originale dans le premier tome.

Mais aussi…

  • Au grand air (tomes 5 et 6), d’Afro: un manga cocooning et contemplatif à base de beaux paysages, d’amitié et de bons petits plats partagés (et de conseils camping) ;
  • L’atelier des sorciers (tomes 8 et 9), de Kamome Shirahama: un plaisir de repartir un petit coup dans cet univers (mais deux tomes, ça passe vraiment trop vite) et de retrouver tous ces personnages. J’ai trouvé que le personnage de Coco gagnait en épaisseur, notamment dans les questions qu’elle se pose dans la confrontation aux autres enfants émerveillés par la magie comme elle l’était autrefois, interrogeant les règles et leurs raisons d’être. J’ai hâte de voir la suite de l’histoire !
  • Heartstopper (tomes 3 et 4), d’Alice Oseman: suite et fin d’une relecture toujours aussi géniale. N’étant pas très originale, je suis, comme beaucoup, totalement sous le charme de ces romans graphiques, totalement sous le charme de Nick et Charlie (mais aussi de Tara, Darcy, Elle…), totalement sous le charme de la série (même si ma préférence reste pour leur avatar de papier). Bref, à chaque fois, me voilà prise aux tripes !

Côté challenges…

  • Les Irréguliers de Baker Street : + 0, soit 53/60 ;
  • Les 4 éléments : + 0, soit 19/20 ;
  • Coupe des 4 maisons : 1705 + 205 points = 1910 points pour Serdaigle ;
  • Les classiques, c’est fantastique : La Sonate à Kreutzer, de Léon Tolstoï;
  • Un genre par mois : de la non-fiction avec Sorcières : la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet et L’odyssée des fourmis, d’Audrey Dussutour et Antoine Wystrach ;
  • En sortir 22 en 2022 : 7/22 (+1)
  • PAL : 40 + 2 – 1, soit 39.

***

  1. Une chronique d’ailleurs lue le mois dernier.

Le rendez-vous littéraire « Les classiques, c’est fantastique ! » est toujours l’occasion de faire de belles découvertes chez les autres participantes, même si notre propre lecture n’est pas si formidable. Par exemple, lors du « Tour d’Europe » du mois de mai, Natiora a attiré mon attention sur Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis, un roman qui l’a clairement émerveillée ! A la lecture de sa chronique, on ne peut qu’avoir envie de partager son émotion.

J’ai découvert la chronique de La Choupaille Lit sur le roman Entre troll et ogre de Marie Catherine chez Alberte Bly, mais son article est si intéressant, si complet et surtout si alléchant que je ne résiste pas à l’envie de le partager à mon tour. Merci La Choupaille et merci Alberte !

Parmi les titres qui me font de l’œil en ce moment se trouve l’anthologie de fantasy animalière Féro(ce)cités parue aux éditions Sillex. Et la chronique du Syndrome Quickson comme toujours parfaitement argumentée n’a fait qu’amplifier mon envie de la découvrir !

L’émotion et l’émerveillement de Steven, du blog Maven Litterae, vous donneront à coup sûr l’envie de découvrir (ou de relire) le sublime Chant d’Achille de la talentueuse Madeline Miller.

***

  1. Un lien que j’ai adoré le mois dernier (hors critique littéraire).

J’ai beaucoup aimé découvrir la chronique de Lily lit (super chroniqueuse cinéma en dépit du nom de son blog) sur Mother ! de Darren Aronofsky. Malgré son avis pas totalement convaincu, c’est un film que j’ai, suite à sa critique, encore plus envie de découvrir par moi-même tant il semble partager ses spectateurs.

***

  1. Mes petits bonheurs.

Je suis absolument sidérée d’avoir lu non pas un mais deux ouvrages de non-fiction en un seul mois ! Je ne sais même pas à quand remonte ma dernière lecture de non-fiction : vu comme le temps file (oui, j’ai quatre-vingt-dix ans en fait), je ne serais même pas étonnée si on me disait que ça fait plus d’un an. Voire deux.

Un escape game suivi d’un goûter et de quelques jeux de société. Les orages interminables. Une plante qui fleurit pour la première fois depuis plusieurs années. La saison 1 d’Heartstopper (regardée deux fois…). Un vide-grenier pour le moins venté. Un amigurumi doucement repris.

Et des projets qui se concrétisent doucement…

Et vous ? Comment s’est déroulé votre mois de juin ?
Avez-vous fait de belles découvertes ?