Pascaline Nolot m’avait totalement subjuguée avec Rouge – un roman à la fois prenant, intelligent, poignant et magnifiquement écrit –, aussi n’ai-je pas hésité quand Babelio m’a proposé de recevoir son petit dernier (merci à eux et à ScriNeo !).
Petit, c’est le mot, car l’ouvrage fait à peine cent pages. Si je m’attendais à en être frustrée, ce ne fut pas le cas.
L’autrice parvient parfaitement à dérouler son histoire en dépit de la brièveté de celle-ci. Au fil des chapitres aux titres chromatiques, elle raconte une violence malheureusement ordinaire, celle subie par les femmes, infligée par leurs maris, leurs compagnons, leurs ex. Par la voix de Lyra – adolescente-témoin déjà fissurée par la vie, grande sœur bouclier contre celui qui devrait être protecteur, fille en colère –, elle exprime la souffrance, la peur, l’esprit fragilisé, l’emprise, la crainte des autres et de leur possible visage caché (« Si l’un est perverti, pourri, pourquoi les autres ne seraient-ils pas tout aussi moisis ? »), mais aussi le silence des voisins, l’inaction des gendarmes, la culpabilisation des victimes ou – heureusement – quelques mains tendues. Elle se fait voix de toutes ces anonymes assassinées, de leurs orphelins oubliés, de ces vies brisées tristement noyées dans la masse.
La narration n’est pas linéaire. Il s’agit de la lutte d’un esprit fracassé par l’inconcevable pour se protéger plutôt qu’affronter l’insoutenable réalité. Le puzzle se dévoile au fil des souvenirs – heureux de temps en temps ou dramatiques souvent – qui s’imposent en dépit de la fiction rassurante, du rêve éveillé.
Et si ça paraît presque inutile de le dire au vu du sujet, c’est un livre aussi horrible et cruel que révoltant et poignant.
Comme dans Rouge, la plume est très belle. Pleine de douceur, elle rime et roule comme de la poésie en prose, tout en racontant la cruauté, la violence, la douleur et la peine. Cependant, si je devais exprimer une réserve, ce serait à ce niveau-là. En tant que lectrice, je me suis délectée de la qualité littéraire de ce texte, mais, étrangement parfois, elle a parfois induit une certaine distance avec la narratrice quand sa langue imagée et soignée m’éloignait de son enfance et adolescence dévastées.
Un récit douloureux et bouleversant traité avec justesse et un texte qui met en rogne autant qu’il est déchirant.
« Grâce à ça, les jumeaux et moi, nous savons que les monstres existent. Ils vivent à nos côtés, avec nous. Parfois, ils se font même appeler « Papa ». Les contes de fées n’ont rien inventé. »
« Car mon père, ce Géant, ce Malfaisant, est tout à la fois prince monstrueux et monstre charmant. Le jour doré m’a prouvé que la société se laissait berner, bercer par sa troublante gémellité et qu’elle était même capable de le médailler, lui offrant alibi de bonne conscience et entière impunité sur un plateau rutilant. »
« Mon esprit déraille. Mon corps dérape. Je glisse sur une flaque écarlate. Après les ors, le sang… Ma mémoire impitoyable m’arrache au faste pour attirer vers un nouveau souvenir glaçant.
Ma volonté se cabre, résiste, s’accroche à la réalité du présent… se brise. Malgré moi, je me retrouve projetée sur le carrelage souillé et froid. »
Gris comme le cœur des indifférents, Pascaline Nolot. ScriNeo, 2023. 99 pages.