Mini-critiques : A la recherche du Père Noël, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde et Ces jours qui disparaissent

Un album, un roman illustré et un roman graphique pour un trio de mini-chroniques « spéciales cadeaux de Noël » !

***

À la recherche du Père Noël, de Loïc Clément et Anne Montel (2021)

A la recherche du Père Noël (couverture)Le professeur Goupil, actuellement au chômage, répond à une annonce des plus surprenantes : assurer le remplacement de Santa Claus qui a disparu. Sigismonde, directrice des ressources lutines, se charge de lui faire visiter la fabrique de Noël, mais un vieux bonhomme bien connu semble jouer au chat et à la souris avec lui…

Tout vient à point à qui sait attendre, voilà deux ans que j’espérais trouver cet immense livre sous mon sapin !
Je n’ai pas été déçue par ce cherche-et-trouve géant que j’ai lu et admiré en prenant mon temps.

À travers les aquarelles magnifiques et minutieuses d’Anne Montel, ce sont mille scénettes qui prennent vie à chaque page. Quel plaisir, tout en cherchant le Père Noël ou les cinq comparses animaliers du Professeur Goupil, de découvrir cette foule lutine, cette multitude de petits personnages qui vivent, travaillent, paressent, s’amusent, se font mal, se font disputer, expérimentent… et préparent Noël sous tous ses aspects. Mon neveu de neuf ans et ma nièce de cinq se sont tout autant amusés à regarder les lutins travailleurs ou flemmards, sérieux ou joyeux, colériques ou amoureux…
Les textes de Loïc Clément sont, comme toujours, d’une grande qualité pour nous faire visiter les coulisses de Noël. Narration, vocabulaire, humour, c’est un régal littéraire à plusieurs niveaux et le résultat est jubilatoire. Les textes, à l’instar des illustrations, sont bourrés de détails et de références que l’on s’éclate à repérer.

Je ne suis guère consommatrice des productions de Noël, qu’elles soient littéraires, cinématographiques ou télévisuelles, mais quand c’est aussi bien mené, il serait dommage de bouder son plaisir. Un album aussi loufoque que grandiose !

À la recherche du Père Noël, Loïc Clément et Anne Montel. Little Urban, 2021. 28 pages.

***

L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde,
de Robert Louis Stevenson, illustré par Vincent Mallié (2023)

L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (couverture)La sortie de cette belle édition illustrée avec le texte intégral était l’occasion rêvée pour découvrir ce classique de la littérature fantastique.

La découverte a été très plaisante. Évidemment, le texte perd grandement de son suspense quand on connait le fin mot de l’histoire sur Jekyll et Hyde, de même que la narration quelque peu désuète n’offre pas forcément l’angoisse que l’on attend d’une telle histoire. Cependant, j’ai malgré tout pu apprécier la manière dont l’intrigue se déroule, oscillant entre rencontres inquiétantes, apaisements, meurtres atroces et remontée de la tension avant les explications finales sur les différentes facettes de chacun et notre capacité, notre volonté à les exprimer ou à les inhiber. Cette réflexion sur la dualité – l’obsession de Jekyll, l’incompatibilité déchirante entre sa moralité et sa bonne réputation et ses envies plus bestiales – est vraiment bien écrite et j’ai savouré ce dernier chapitre, pas tant pour la révélation du mystère (qui n’existait pas) que pour l’exposition des idées de Jekyll.

Hyde est un personnage ambivalent que l’on haït pour ses exactions – qui sont, pour la plupart, simplement évoquées – et que l’on plaint parfois car il est victime autant que coupable, lui qui ne peut agir autrement, qui est prisonnier de ce qu’il incarne, de ce qu’il est et ne peut ainsi ressentir compassion ou empathie.

Les aquarelles de Vincent Mallié montrent un trait tout en finesse. Elles aèrent le texte et invitent à des pauses pour admirer les illustrations. Des pleines pages lumineuses alternent avec des croquis en noir et blanc ; des ambiances chaleureuses côtoient un Hyde dissimulé dans les ombres, celles-ci se faisant de plus en plus inquiétantes. Même si une atmosphère plus poisseuse ne m’aurait pas déplu, j’ai été séduite par la patte graphique de l’illustrateur.
Le choix d’alterner des pages blanches avec quelques pages noires est plutôt pertinent dans leur écho aux différents visages des personnages éponymes (et de chaque être humain).

Une édition magnifique qui donne envie de plonger dans ces classiques que l’on connaît parfois superficiellement. À présent mes yeux se tournent vers sa version illustrée d’Une étude en rouge et la perspective de rencontrer un célèbre détective.

« (…) Et quel est son aspect physique ?
– Il n’est pas facile à décrire. Il y a dans son extérieur quelque chose de faux ; quelque chose de désagréable, d’absolument odieux. Je n’ai jamais vu personne qui me fût aussi antipathique ; et cependant je sais à peine pourquoi. Il doit être contrefait de quelque part ; il donne tout à fait l’impression d’avoir une difformité ; mais je n’en saurais préciser le siège. Cet homme a un air extraordinaire ; et malgré cela je ne peux réellement indiquer en lui quelque chose qui sorte de la normale. Non, monsieur, j’y renonce ; je suis incapable de le décrire. Et ce n’est pas faute de mémoire ; car, en vérité, je me le représente comme s’il était là. »

« « Ce pauvre Harry Jekyll, songeait-il, j’ai bien peur qu’il ne se soit mis dans de mauvais draps ! Il a eu une jeunesse un peu orageuse ; cela ne date pas d’hier, il est vrai ; mais la justice de Dieu ne connaît ni règle ni limites. Hé oui, ce doit être cela : le revenant d’un vieux péché, le cancer d’une honte secrète, le châtiment qui vient, pede claudo, des années après que la faute est sortie de la mémoire et que l’amour-propre s’en est absous. »
Et le notaire, troublé par cette considération, médita un instant sur son propre passé, fouillant tous les recoins de sa mémoire, dans la crainte d’en voir surgir à la lumière, comme d’une boîte à surprises, une vieille iniquité. Son passé était certes bien innocent ; peu de gens pouvaient lire avec moins d’appréhension les feuillets de leur vie ; et pourtant il fut d’abord accablé de honte par toutes les mauvaises actions qu’il avait commises, puis soulevé d’une douce et timide reconnaissance par toutes celles qu’il avait évitées après avoir failli de bien près les commettre. Et ramené ainsi à son sujet primitif, il conçut une lueur d’espérance. »

L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Robert Louis Stevenson, illustré par Vincent Mallié. Éditions Margot, 2023 (1886 pour le texte original). Traduit de l’anglais par Théo Varlet. 77 pages.

***

Ces jours qui disparaissent, de Timothé Le Boucher (2017)

Ces jours qui disparaissent (couverture)Un roman graphique qui n’est pas sans rappeler le court roman évoqué ci-dessus dans lequel nous suivons Lubin, un jeune acrobate qui, brusquement, se réveille chaque matin alors qu’un jour s’est écoulé sans qu’il n’en ait conscience, laissant son corps et sa vie entre les mains d’une autre personnalité.

Il y a quelques années, j’avais lu Le Patient du même auteur sans être totalement enthousiaste et avait offert dans la foulée ce titre à mon compagnon, sans jamais prendre le temps de le lire moi-même.

Je me suis régalée avec ce récit captivant. La BD s’organise en deux temps : le début du phénomène, l’incompréhension et la rencontre avec la seconde personnalité tout d’abord, puis après un bond de deux ans, une temporalité qui s’accélère sans répit, une évolution terrible pour « notre » Lubin. Le tout est parfaitement construit car nous avons eu le temps de nous attacher au « premier » Lubin et, suite à ce basculement, le récit passe d’une atmosphère intrigante, parfois plus amusante qu’angoissante, à un thriller beaucoup plus tendu, un contre-la-montre tragique.

J’ai beaucoup apprécié les dessins de Timothé Le Boucher : la variété des visages et des corps, les nuances liées au temps qui passe que l’on se surprend à détecter (quand elles ne sautent pas aux yeux), les couleurs, la douceur du trait qui contrarie le caractère sombre car apparemment inéluctable de l’intrigue.

Un récit addictif et très intelligemment mené, entre fantastique et trouble dissociatif. Un roman graphique intense que l’on referme avec autant de tristesse que d’envie de profiter du temps présent.

Ces jours qui disparaissent, Timothé Le Boucher. Glénat, coll. 1000 feuilles, 2017. 192 pages.

Quatre BD « SFFF » : Furieuse, Saison de sang, Year Zero et Chasseurs de sève

Faisant suite à mon article sur les quatre BD « western », voici le second article consacré aux BD « SFFF » cette fois du petit prix organisé par ma bibliothèque. Une nouvelle fois classées de ma préférée à ma moins appréciée…

***

Furieuse,
de Geoffroy Monde (scénario) et Mathieu Burniat (dessin) (2022)

Furieuse (couverture)Le roi Arthur a perdu sa gloire d’antan et n’est plus qu’un ivrogne pathétique, ce qui frustre grandement sa fille Ysabelle – qui refuse de se marier au vieux baron à qui son père l’a promise  – et son épée – qui aimerait renouer avec la gloire et la puissance. Toutes deux se font donc la malle dans l’espoir de trouver mieux ailleurs dans le royaume.

D’abord perplexe face à ce roman graphique, puis dégoûtée par ses personnages masculins tous plus répugnants (physiquement ou moralement) ou pitoyables les uns que les autres, j’ai fini par adhéré à cette revisite survoltée et désenchantée du mythe arthurien.
Les péripéties sont nombreuses et la BD paraît sans temps mort tout en parvenant à laisser les personnages échanger et se construire. J’ai été tantôt révoltée de certains personnages, tantôt amusée par certaines situations cocasses, qui amènent régulièrement à faire couler le sang des manières les plus absurdes qui soient. Quant au duo constitué d’Ysa et l’épée, il est assez détonant et nous offre des échanges savoureux,

Mais j’ai d’abord été séduite par le ton impertinent et résolument féministe, amenant les sujets du mariage forcé, de la prostitution, de la condition des femmes (et des pauvres). Certes, on pourra lui reprocher un manque de nuances dans les portraits masculins, ou en tout cas, de nuances positives, car ces derniers ne sont pas glorieux : violence, lubricité ou misère sexuelle, pauvreté matérielle et intellectuelle, ivresse, sournoiserie et une misogynie constante. Mais pour toutes les femmes peu caractérisées dans mille romans ou BD, ça change. La BD parle aussi du pouvoir, la quête effrénée de celui-ci, les manipulations nécessaires, la manière dont il dévore une âme (petit côté Anneau Unique).
Finalement, le dessin expressif, avec son trait simple et ses aplats de couleur, paraît aussi enfantin que le propos ne l’est pas.

Un roman graphique drôle, dynamique et décalé qui fait saigner le patriarcat !

Furieuse, Geoffroy Monde (scénario) et Mathieu Burniat (dessin). Dargaud, 2022. 229 pages.

***

Saison de sang,
de Si Spurrier (scénario) et Mat
ías Bergara (dessin) (2022)

Saison de sang (couverture)Une enfant s’éveille. Elle ne se souvient de rien. Elle n’a pas de nom, elle ne parle pas, elle n’a rien… à part un géant. Elle ne sait rien, sinon qu’elle doit avancer – toujours en ligne droite – à travers un monde dangereux, superbe, fantastique.

(Ceci est une partie du résumé de la quatrième de couverture, mais pour une fois, je recommande de le lire en entier car il peut donner des clés pour comprendre certains détails de l’histoire.)

Un roman graphique un peu conceptuel qui avait des atouts pour me plaire. Pas de mots en dehors des textes mystérieux qui ouvrent les chapitres ; un univers poétique et un peu cryptique ; un but inconnu dans lequel on espère une métaphore de quelque chose ; des dessins agréables, avec des paysages entre fantasy et science-fiction.
Seulement voilà. Le silence de la BD apparaît comme parfois artificiel tant les personnages semblent avoir de choses à dire et les enjeux de chacun semblent finalement plus basiques qu’énigmatiques (elle avance, le géant protège, les monstres attaquent aveuglément, le méchant tente de l’arrêter). L’intrigue oscille entre le simple et le flou, l’attachement aux protagonistes ne s’est pas concrétisé pour moi (alors que le récit aurait pu être à la fois cruel et poignant) et le tout finit par lasser, d’où quelques pages survolées.
Cependant, le graphisme ne déçoit pas, surtout dans les décors, la végétation et le passage des saisons sur cette planète, le côté contemplatif est plaisant, et la fin n’est pas sans charme.

Une conclusion mitigée donc : ce n’est pas désagréable, c’est parfois surprenant, c’est beau, mais je n’en garderai pas le même souvenir que d’autres lecteurs et lectrices bien plus conquis.
(Vous pouvez par exemple lire la chronique de Fourbis & Têtologie et peut-être découvrir au passage ce très chouette blog.)

Saison de sang, Si Spurrier (scénario) et Matías Bergara (dessin). Delcourt, 2022 (2022 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Philippe Touboul. 192 pages.

***

Year Zero, tome 1,
de Benjamin Percy (scénario) et Ramon Rosanas (dessin) (2021)

Year Zero T1 (couverture)« Il ne voulait pas que j’écrive une histoire de zombies comme les autres. Il voulait que j’écrive l’histoire de zombies absolue. » : c’est ce qu’écrit Benjamin Percy à la fin de l’ouvrage à propos de l’éditeur Axel Alonso. Au-delà du manque d’humilité d’une telle affirmation surtout au vu de la masse d’histoires – tous médias confondus – de zombies et autres morts-vivants, je ne sais pas ce que serait « l’histoire de zombies absolue », j’ignore ce que serait « l’histoire de zombies absolue », mais je ne parierais pas sur Year Zero.

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai pas détesté cette lecture qui s’est révélée fluide et divertissante. J’ai apprécié ce principe de dessiner ce monde dévasté au travers de bribes du quotidien de quelques survivants (à différents stades de la propagation de la pandémie), mais le procédé n’est pas pour autant révolutionnaire.
Pas davantage que les protagonistes qui sont très stéréotypés – le tueur yakusa, l’orphelin mexicain, le geek américain survivaliste, la scientifique à l’origine de la catastrophe (dans une ambiance très inspiré de The Thing), une interprète de guerre afghane –, sans parler du fait qu’on les côtoie finalement trop peu pour dépasser le simple intérêt pour leur arc narratif. Un dommage collatéral de cette construction éclatée qui passe rapidement d’un personnage à l’autre sans leur consacrer plus de deux-trois pages consécutives.
Les thématiques, enfin, abordent des histoires de vengeance, d’espoirs, questionnent la place de l’être humain, privilégient l’intime au global, le micro au macro. Encore une fois, ce n’est pas déplaisant, c’est plutôt bien raconté, mais ce n’est pas original.

Si ce comics n’est pas à la hauteur de ses prétentions car il peine à apporter quoi que ce soit d’inattendu ou d’innovant, il fait le job en terme de divertissement sans prise de tête.

Year Zero, tome 1, Benjamin Percy (scénario), Ramon Rosanas (dessin) et Lee Loughridge (couleurs). Panini Comics, 2021. Traduit par Laurence Belingard. 128 pages.

[Pour être précise, le classement entre Year Zero et Saison de sang n’est pas net, les deux se positionnant en miroir sur leurs qualités et leurs défauts.]

***

Chasseurs de sève,
d’Alexandre Ristorcelli, d’après le roman de Laurent Genefort (2023)

Chasseurs de sève (couverture)Un arbre-univers malade, un mot mystérieux, qui apparaît sur les racines, un « famil » réduit à néant et un sourcier prisonnier lancé sur la source du mal qui ronge leur monde avec les bourreaux des siens.

Je ne vais pas faire dans la dentelle : je n’ai pas aimé cette lecture et peinant à la chroniquer car ayant finalement peu de choses à en dire, faisons bref :

  • L’univers: potentiellement riche, mais la BD est trop courte pour le développer, d’où un aspect beaucoup trop survolé (l’impression de voyager, mais sans rien voir) ;
  • L’intrigue: basée essentiellement sur l’aventure et les péripéties connues par les personnages au cours de leur périple, les enjeux paraissent flous et incohérents (leur monde meurt et les tribus ne pensent qu’à s’entre-tuer ? ah, finalement, ce n’est peut-être pas incohérent, ça me rappelle un truc…) ;
  • Les personnages: une psychologie très ordinaire et rudimentaire (action avant tout), donc aucun intérêt pour eux ;
  • Le dessin: détaillé, trop parfois, et par là même étouffant, j’ai regretté de ne pas m’émerveiller davantage devant les paysages parcourus alors que le foisonnement d’atmosphères y aurait été propice, une représentation hyper sexualisée de Reva aussi vieillotte que lassante.

Ainsi, si j’aurais pu faire abstraction du style graphique avec une histoire prenante et des personnages bien incarnés, rien n’était ici pour me convaincre. Oui, ça se lit, ce n’est qu’une centaine de pages, mais ça s’oublie aussi vite.

Chasseurs de sève, Alexandre Ristorcelli, d’après le roman de Laurent Genefort. Les Humanoïdes Associés, 2023. 106 pages.

***

Je vous donne rendez-vous dans un nombre indéterminé de semaines pour le dernier épisode de cette série graphique avec quatre BD « faits de société » !

Les aventures d’Oliver Twist, de Charles Dickens (1837)

Seconde lecture inspirée par la thématique aoûtienne du rendez-vous autour des classiques (que l’on espère) fantastiques « Dumas VS Dickens » après Le comte de Monte-Cristo : l’histoire d’Oliver Twist, orphelin qui, tombant de Charybde en Scylla, échappe aux sévices d’une institution paroissiale pour tomber entre les mains de voleurs et autres criminels londoniens.

Les classiques c'est fantastiques - Dickens VS Dumas

Dickens faisait partie de ces auteurs longtemps attendus, de ceux que j’étais certaine d’adorer ; je pensais que, dès la première lecture, il se classerait entre Hugo et Austen et que je dégusterai toute son œuvre au fil des ans. Pour la première lecture, ce fut raté, mais je blâmais cette version affreusement abrégée des Aventures de Mr Pickwick. Or, Oliver Twist  fut la douche froide car il ne suscita en moi qu’un profond ennui. Du moins, pour ce que j’en ai lu car j’ai abandonné la partie à 356 pages sur 730. Toutes mes lectures décevantes de ce début d’année – classiques compris – auront au moins permis de m’autoriser cela : j’ai trop d’autres envies de lectures pour traîner un ouvrage qui ne me passionne pas pendant un mois, fut-il un classique.

Oliver Twist« Au nombre des édifices publics d’une certaine ville, qu’il sera pour mainte raison plus prudent de s’abstenir de nommer, et à laquelle je me refuse à donner un nom imaginaire, s’en trouve un que possèdent en commun, depuis fort longtemps, la plupart des villes, petites ou grandes, à savoir : un asile ; et dans cet asile naquit, un jour d’une année que je ne prendrai pas la peine de citer, étant donné que cela ne saurait avoir la moindre importance pour le lecteur, du moins au cours de cette première phase des événements, le fragment d’espèce humaine dont le nom es placé en tête du présent chapitre. »
Ainsi s’ouvre Oliver Twist. Nonobstant la stupéfaction à la lecture d’une phrase si longue pour dire si peu, je me suis lancée confiante dans ce roman que j’espérais sombre, sublime, tragique. Mes attentes ont été aussi bien confortées – magistrats absurdement impitoyables, docteurs incompétents et fats… – que déroutées par un humour sarcastique que je ne soupçonnais pas.

 Pourtant, mon attention et mon plaisir de lecture ont rapidement déclinées…

Commençons avec ce personnage éponyme : Oliver Twist, enfant falot et inconsistant, totalement passif, qui agit peu et parle encore moins, et qui n’a su éveillé en moi aucun intérêt. Au-delà de son sort évidemment injuste et révoltant, au-delà du fait que son destin ne devrait être celui de personne, je n’ai pas éprouvé plus de compassion pour lui que pour tous ses camarades dont on ne sait rien. Sa mort même ne m’aurait pas touchée car c’est un personnage à mes yeux totalement désincarné.
Oliver subit donc. Il subit cette suite sans fin de malheurs, de maltraitances et d’injustices qui se succèdent et se répètent, ce qui a simplement fini par me lasser.
De même, Dickens nous plonge de manière très visuelle et même sensorielle dans ces bas-fonds où évoluent Fagin ou Sikes, mais les descriptions se répètent et se ressemblent. Et finalement, c’est tout simplement sa plume qui n’a pas su m’emporter avec ses circonvolutions pour dire les choses les plus simples.

Procédé inédit pour moi : j’ai tout simplement lu le résumé de la deuxième moitié sur Wikipédia et, loin de me donner des regrets, cela m’a confortée dans mon abandon. Car, sans me surprendre par les révélations, j’ai ressenti comment tout cela devait été narré et j’en étais ennuyée d’avance.

Si cette seconde rencontre ratée avec Dickens s’avère quelque peu amère, je n’ai aucun regret vis-à-vis de mon abandon tant cette moitié de lecture m’aura fait soupirer de désintérêt.

Les aventures d’Oliver Twist, Charles Dickens. Le Livre de Poche, coll. Classiques, 2017 (1837 pour la publication originale). Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Sylvère Monod. 735 pages.

Mini-critiques des lectures de juin : Arthur, l’autre légende, Le Roi se meurt et Pisse-Mémé

Un nouveau melting-pot éclectique avec un roman jeunesse revisitant la légende arthurienne, du théâtre de l’absurde et une bande-dessinée cocooning !

***

Arthur, l’autre légende, de Philip Reeve (2007)

Arthur l'autre légende (couverture)Un livre de mon adolescence dont je n’avais aucun souvenir et que je voulais relire avant de décider de son sort. Pour être franche, je n’en attendais absolument rien, mais ça a été néanmoins été une lecture sympathique.

Philip Reeve s’approprie la légende arthurienne et en ôte toute la magie. Ou plutôt place la magie dans les histoires tissées par le barde Myrddin. Point de dragons, point d’épée magique, point de Dame du Lac, cette dernière n’étant autre que Wynna, notre héroïne et narratrice, une fillette courageuse mais bien réelle. Point de preu chevalier non plus : l’auteur écorne ici la noblesse du roi Arthur en dépeignant un chef de guerre comme les autres, brutal et cupide. Sa grandeur n’existe que dans les mythes de Myrddin, des contes merveilleux qui survivront à la triviale réalité. Un parti pris un peu frustrant certes, mais qui se détache totalement des représentations habituelles.
Pour ne pas être reconnue comme étant la « Dame du Lac », Wynna – et un autre personnage dont je ne dirai rien – se voit contrainte de se travestir et se mêler aux garçons, un habit qu’elle adopte pleinement et sans contrainte. Tout au long du livre, ces deux personnages joueront avec leur expression de genre sans que cela ne pose de réel problème à celles et ceux qui les démasqueront (à une exception près), ce que j’ai évidemment trouvé appréciable, et trouveront la voie qui leur correspondra le mieux.
Ce sont là les deux qualités majeures de ce roman à mes yeux. À côté de ça, nous avons un récit rythmé, avec quelques personnages attachants, même s’ils sont nombreux à rester superficiels.  J’ignore si, cette fois, je garderai souvenir de cette lecture plus longtemps, mais elle ne fut nullement désagréable.

« Myrddin avait raison : les gens ne voient que ce qu’ils s’attendent à voir, et ne croient que ce qu’on leur dit de croire. »

« – Les dieux n’existent pas, Wynn. Pas plus que les esprits ni les fantômes. Il n’y a que nos propres pensées, agitées par nos peurs et nos espoirs. Les dieux sont des contes pour endormir les enfants. Ce sont des mensonges que nous nous racontons à nous-mêmes pour nous persuader que nos vies ont un sens. »

Arthur, l’autre légende, Philip Reeve. Gallimard, coll. Scripto, 2008 (2007 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Stéphane Carn. 366 pages.

***

Le Roi se meurt, d’Eugène Ionesco (1962)

Le roi se meurt (couverture)Rien ne va plus : entouré de ses deux Reines Marguerite et Marie, le Roi Bérenger Ier se meurt, c’est annoncé, c’est prévu, et tout va à vau-l’eau. En s’affaiblissant, le Roi perd son autorité et plus personne, plus rien ne peut lui obéir.

La cantatrice chauve m’avait laissée perplexe, beaucoup trop absurde pour moi, mais cette pièce a été plus intéressante à lire. Le saugrenu n’en est pas absent, mais c’est aussi une pièce qui parle de la mort et surtout de la peur de mourir. Cette mort qui remet tout le monde au même niveau, qui ramène un roi à sa seule condition de mortel. Cette mort qui suscite tour à tour le déni, l’indignation, la discussion pour tenter de gagner du temps, l’angoisse, la résignation ; cette mort qui est acceptée ou refusée par la personne concernée comme par ses proches qui raisonnent, désespèrent ou maudissent leur impuissance. Mais elle est inéluctable : « Tu vas mourir à la fin du spectacle. » prédit Marguerite.
L’occasion également de se pencher sur le temps qui passe, sur la trace infime que laisse un être sur le monde.

Évidemment, malgré son thème tragique, la pièce de Ionesco est avant tout comique. Comique de répétition, comique dû à l’opposition des caractères, aux signes décalés de l’effondrement de ce royaume, du déclin impossiblement rapide de Bérenger Ier.

Sans ressentir un enthousiasme délirant, j’ai apprécié cette pièce tragi-comique qui aborde le sujet de la mort de façon tout à fait unique et inédite !

« Marie
J’espérais toujours…
Marguerite
C’est du temps perdu. Espérer, espérer ! (Elle hausse les épaules.) Ils n’ont que ça à la bouche et la larme à l’œil. Quelles mœurs ! »

« Le Roi, quittant la fenêtre
Ce n’est pas possible. (Revenant à la fenêtre.) J’ai peur. Ce n’est pas possible.
Marguerite
Il s’imagine qu’il est le premier à mourir.
Marie
Tout le monde est le premier à mourir. »

« Le Roi
J’ai du mal aussi à bouger mes bras. Est-ce que cela commence ? Non. Pourquoi suis-je né si ce n’était pas pour toujours ? Maudits parents. Quelle drôle d’idée, quelle bonne blague ! Je suis venu au monde il y a cinq minutes, je me suis marié il y a trois minutes. »

« Juliette
Il n’est plus au-dessus des lois, pauvre vieux. Il est comme nous. On dirait mon grand-père. »

Le Roi se meurt, Eugène Ionesco. Folio, 2010 (pièce créée en 1962). 136 pages.

***

Pisse-Mémé, de Cati Baur (2023)

Pisse-Mémé (couverture)Quatre copines et un projet un peu fou : monter un bar à tisanes et à bières (bio et locale) avec coin librairie et yoga. Et autour, la vie, avec ses joies et ses épreuves, son train-train et ses bouleversements.

Je serais bien restée plus longtemps avec Marthe, Camille, Nora et Marie : c’est facile de se sentir bien au milieu de ces quatre copines aux caractères divers mais toujours unies, c’est confortable de se glisser parmi elles avec un thé à la main. La BD cocooning par excellence.
Une histoire du quotidien, quoique un quotidien un peu chamboulé par un grand projet radicalement différent de leurs vies d’avant. La vie, la mort, le travail, la famille, les amours, une naissance, des chats, les années qui passent, les rires qui soudent, les regards qui soutiennent… des ingrédients nécessaires pour persévérer face aux petits obstacles de la reconversion. Une belle histoire d’amitié, de celles qui font un peu rêver. Une sororité qui fait du bien.
(Oui, la vie apparaît parfois comme un peu facile pour ces quatre femmes car l’autrice ne s’attarde pas sur les embêtements, mais ça ne m’a pas dérangée, j’avais juste envie de passer un bon moment et d’y croire.)

Le tout porté par le dessin simple et doux de Cati Baur, avec parfois plein de détails à observer dans les décors, bref, un très bon moment.

Pisse-Mémé, Cati Baur. Dargaud, 2023. 118 pages.

Les aventures de Mr Pickwick, de Charles Dickens (1836-1837)

(Roman aussi traduit sous le titre Les Papiers posthumes du Pickwick Club.)

C’était confiante, enthousiaste et impatiente que j’attendais le rendez-vous d’avril autour de nos fantastiques classique qui met à l’honneur la littérature victorienne, car j’avais prévu de lire Charles Dickens, ce qui allait être une première (en excluant la version abrégée de La Petite Dorrit que j’avais quand j’étais enfant). Or, même si je n’avais jamais entendu parler de ce titre qui dormait dans ma PAL depuis des années – une vieille édition récupérée je ne sais où – et même si j’en ignorais totalement le sujet, je n’imaginais pas que la découverte put mal se passer.

Classiques fantastiques - Epoque victorienne

Mon avis au fil de ma lecture, le voici…

Les aventures de Mr PickwickCette lecture fut incroyablement laborieuse et, si j’ai persévéré jusqu’au bout, c’est uniquement parce que c’était court. On y suit un Mr Pickwick qui, après un obscur papier sur les étangs de Hampstead et la théorie des têtards (ne demandez rien…), se lance avec l’aval du Pickwick-Club dans des expéditions pour y faire des observations de tout et n’importe quoi. Etudes qui seront à peine évoquées ici ou là et qui ne seront en réalité qu’un vague prétexte à des mésaventures qui toucheront Pickwick et ses compagnons de voyage.

Le récit – le premier roman de Dickens – est composé d’un ensemble de chapitres plus ou moins décousus, peut-être lié à son statut de roman-feuilleton à la base (quoique je n’ai jamais eu cette sensation avec Dumas ou Eugène Sue par exemple), d’une succession de péripéties qui mettront à mal la dignité et la naïveté de Pickwick ou souligneront l’imposture d’un Mr Winkle pas si sportif qu’il aimait à le prétendre, la pédanterie de l’un, l’opportunisme d’un autre, ou – classique – l’intelligence et les remarques éclairées d’un domestique à l’esprit et l’œil plus affûtés que les gentlemen.
Quelques remarques sont vaguement amusantes ou bien formulées, mais le tout n’a eu, à mes yeux, absolument aucun intérêt. Certaines intrigues sont réglées en trois mots, d’autres ne sont pas conclues, à l’image de l’escroc que Pickwick voulait absolument révéler au monde et qui ne sera jamais démasqué. C’est léger, ce qui pourrait être agréable si bien tourné, mais au final, c’est juste absolument creux.

CEPENDANT…

Après quelques recherches extrêmement poussées – à savoir la lecture de la page Wikipédia consacrée à ce roman –, je crois que je dois principalement incriminer mon édition de 1934. Car, en parcourant le résumé détaillé, je me suis aperçue qu’il me manquait bon nombre d’épisodes, de développements ainsi que des histoires intercalées avec le récit principal, ce qui nuit sans doute à la cohérence globale du récit. Rien n’est indiqué (ce que je trouve inadmissible !), ni qu’il s’agit d’une version abrégée ou d’une traduction libre, ni même le nom du traducteur, mais, de toute évidence, il me manque des choses et ces amputations expliquent sûrement que ce texte m’ait semblé si mauvais, disons-le.

Je suis donc bien désappointée et même assez furax de ce rendez-vous manqué, de cette perte de temps qui confirme mon aversion pour les versions incomplètes. Voilà un livre que je ne vais pas garder et, même si je ne me sens pas de retrouver Pickwick dans l’immédiat, il ne fait aucun doute que je relirai Dickens avec des textes connus, des traductions plus récentes et des éditions intégrales ! Et peut-être que je repasserai un jour au Pickwick Club et que j’écrirai alors une chronique très différente…

Les aventures de Mr Pickwick, Charles Dickens, illustré par René Giffey. Librairie Delagrave, 1937 (1836-1837 pour la publication originale en feuilleton). Traduit de l’anglais. 127 pages.