Quatre BD « western » : Hoka Hey !, Stern #1, L’odeur des garçons affamés et Ghost Kid

La bibliothèque que je fréquente organise un petit prix BD pour ses usagers auquel je participe dans l’idée de découvrir des titres et des genres vers lesquels je ne me tournerais peut-être pas spontanément. Ça donnera lieu à trois articles avec quatre ouvrages à chaque fois – si j’arrive à mettre la main sur tous les titres – puisque la sélection propose douze BD autour de trois thèmes : western, SFFF et faits de société.

Voici donc le premier pour une virée dans le Far West du XIXe siècle en commençant par mon coup de cœur.

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Hoka Hey !, de Neyef (2022)

Hoka Hey ! (couverture)Georges est Lakota, mais ce jeune orphelin est surtout le domestique (et un peu l’élève) du pasteur de la réserve, ce qui fait que la culture de son peuple lui est totalement inconnue : « Pour l’instant, t’es plus proche d’une pomme… rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur. » comme dira Little Knife, l’Indien qui, accompagné de No Moon et de l’Irlandais Sully, vient de bouleverser sa vie.

Excellente surprise que ce roman graphique !

L’histoire m’a captivée : j’ai été emportée avec la bande de Little Knife, j’ai aimé voir Georges découvrir un univers qui lui était inconnu avec ses émerveillements mais aussi ses peurs et ses doutes. J’ai été touchée par ces personnages pour lesquels j’ai ressenti autant d’affection que d’admiration. On est bien dans un western avec ses chevauchées, ses tirs et ses meurtres, ses Indiens et ses chasseurs de prime, sa ligne de fer qui déchire la nature, mais la psychologie et les relations inter-personnages sont véritablement au cœur du récit.
Même si le cheminement des protagonistes reste celui d’une histoire initiatique assez classique, l’intrigue est très bien rythmée. Il y a de l’action, des rebondissements (et quelques moments sur la fin qui feraient trépigner de frustration et de tristesse), mais l’auteur aménage aussi des temps calmes, plus sereins, qui sont les bienvenus puisqu’ils permettent de mieux connaître les personnages.

Mais, au-delà de ça, j’ai été émue par les thématiques qui sous-tendent la BD.
L’affrontement de deux cultures, le mépris de l’un pour l’autre, l’annihilation des traditions, l’acculturation, la révolte ou la soumission des opprimés. L’échelle sociale du Nouveau Monde qui écrase sans pitié. La violence d’une identité arrachée.
L’appartenance à la nature plutôt que la domination de celle-ci, le respect pour ce qui vit, des plantes aux animaux… Une cohabitation harmonieuse et équilibrée, ou une vision du monde dont l’être humain ferait bien de se souvenir un peu plus souvent. J’ai compris le sentiment d’impuissance de Little Knife, sa frustration, sa colère, sa détresse, parce que ce sont les émotions que m’inspirent nos sociétés, l’état du monde actuel, les agissements de certain·es, le système auquel je contribue aussi parfois.
Et puis, la difficulté d’être une femme dans un monde où les hommes ont tous les droits.

Pour ne rien gâcher, les dessins sont de toute beauté, j’ai admiré chaque case. Si les paysages sont sublimes, ce sont les visages qui m’auront véritablement marquée. J’ai été fascinée par les expressions si subtilement rendues (un froncement de sourcil chez No Moon, un sourire à peine esquissé chez Little Knife…). Les couleurs sont également magnifiques, avec une lumière qui transparaît dans chaque planche. Je découvre là un coup de crayon qui me plaît énormément.

Une belle harmonie entre le trait, l’intrigue et les valeurs véhiculées. Un sans-faute. On ne tombe ni dans la BD qui surfe sur l’actualité avec un scénario un peu faible, ni dans celle qui place deux-trois trucs écolos histoire de. Décidément un magnifique équilibre pour un road-trip cruel, poignant et finalement actuel dont je ressors enchantée.

 « Mieux vaut brûler que s’éteindre à petit feu, non ? »

Hoka Hey !, Neyef. Rue de Sèvres, label 619 (2022). 224 pages.

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Stern, T1, Le croque-mort, le clochard et l’assassin,
de Frédéric (scénario) et Julien (dessin) Maffre (2015)

Stern T1 (couverture)Kansas, 1882. Elijah Stern est croque-mort et, quand une riche veuve lui demande de disséquer son alcoolique de mari, il ne se doute pas qu’il vient de mettre le doigt dans un engrenage de meurtres et de secrets.

L’histoire est prenante et se lit avec intérêt, bien qu’elle soit un peu trop brève et rapide pour susciter davantage qu’un plaisir passager. L’enquête se déroule avec fluidité avec quelques rebondissements intrigants, il y a un bon équilibre entre les différentes ambiances et, s’il s’agit finalement d’une histoire assez ordinaire de vengeance, elle joue parfois avec les classiques du genre : il y a bel et bien une grosse bagarre au saloon, mais elle se déroule en arrière-plan tandis que les protagonistes principaux dissertent sur Shakespeare. La BD est rythmée tout en laissant une belle place aux personnages.
Parlant de ça, ce sont les personnages qui m’ont le plus séduite. Outre « le clochard » qui est plus que l’ivrogne que tout le monde voit en lui, j’ai particulièrement apprécié Stern : derrière sa silhouette dégingandée, c’est un homme solitaire, intelligent, lecteur, discret, perspicace… Un personnage attachant qui ne s’inscrit pas dans les clichés virils des westerns.

Une lecture très plaisante que cette enquête au Far-West, portée par des dessins fins et expressifs (même si j’en retiendrai davantage les couleurs que le trait lui-même). Je vais emprunter la suite à la médiathèque pour côtoyer Stern un peu plus longtemps.

Stern, T1, Le croque-mort, le clochard et l’assassin, Frédéric Maffre (scénario) et Julien Maffre (dessin). Dargaud, 2015. 64 pages.

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L’odeur des garçons affamés,
de Loo Hui Phang (scénario) et Frederik Peeters (dessin) (2016)

L'odeur des garçons affamés (couverture)Texas, 1872. Oscar Forrest photographie les territoires de l’Ouest et ses tribus indiennes pour le géographe Stingley. Milton, jeune homme discret, « garçon à tout faire », les accompagne tandis que rôdent autour d’eux un personnage inquiétant et un Comanche silencieux.

Je me trouve dans un entre-deux dubitatif après cette lecture et, si la BD ne m’a pas totalement déplu, je pressens qu’elle va rapidement glisser sur ma mémoire.
Le duo porte pourtant un regard original sur le western. Si l’on y retrouve des thématiques classiques – la cupidité des Blancs, les conquêtes, les jugements racistes sur les peuples autochtones… –, c’est aussi une revisite en y injectant sensualité et magie. Le désir est sujet central, qu’il soit désir d’autrui, de réaliser un rêve, de conquête. L’étrangeté survient peu à peu et le concret se mâtine peu à peu de surnaturel, sans que l’on ne sache réellement où se situer entre rêve et magie « réelle ». De même, l’introduction de personnages queer n’est évidemment pas pour me déplaire.

Cependant, en dépit de leurs secrets et de leur passé, de l’invitation à se déjouer des apparences et de la crédulité, les personnages n’ont pas su réellement me toucher et je n’ai pas été emportée par les enjeux de leurs histoires. Là où l’on devrait être saisie par la tension face aux dangers qui les menacent, je n’ai ressentie qu’une vague curiosité vis-à-vis de leur sort. Même le délire misogyne de l’un d’entre eux n’a pas su me faire réagir – ne serait-ce que par l’impossibilité de son projet comme le souligne un autre personnage.
De plus, il faut accepter que des questions restent sans réponses, que des choix scénaristiques et artistiques restent mystérieux, que l’inexplicable gagne sur le rationnel. Jusqu’à cette fin totalement étrange, onirique, voire mystique… que chacun·e interprètera à sa guise.

Le dessin est à l’avenant : agréable, mais sans m’émouvoir particulièrement. En revanche, j’ai beaucoup aimé les paysages aux couleurs chaudes de Frederik Peeters qui laisse bien deviner l’immensité et la magnificence de ces panoramas désertiques.

Une bande-dessinée surprenante, entre western et fantastique. Des idées intéressantes, mais qui partent parfois trop loin dans le chimérique à mon goût.

L’odeur des garçons affamés, Loo Hui Phang (scénario) et Frederik Peeters (dessin). Casterman, 2016. 108 pages.

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Ghost Kid, de Tiburce Oger (2020)

Ghost Kid (couverture)Ambrosius Morgan, cow-boy de son état, établi dans le Dakota du Nord, reçoit une lettre d’une femme aimée bien des années plus tôt, une lettre qui lui apprend qu’il a une fille et que celle-ci a disparue en Arizona. Le début d’un long voyage à travers le pays pour la retrouver.

Voilà une BD qui m’aura bien laissée de marbre ! Autant L’odeur des garçons affamés m’aura parfois questionnée, autant celle-ci n’a tout simplement pas su m’intéresser. J’ai eu l’impression d’une suite sans fin de péripéties et d’échanges de coups de feu pour une intrigue aussi classique que redondante. Le tout m’a paru décousu – quand ce n’était pas cousu de fil blanc – avec ce catalogue de personnages-types : les cow-boys, la veuve, le riche propriétaire qui veut tout racheter à bas prix, des prostituées et leurs proxénètes, des Indiens, des Mexicains, des rebelles…
Je n’ai pas pu m’attacher au personnage en dépit des soliloques incessants et un peu lassants d’Ambrosius sans parler du jeune Indien, quasi muet, qui l’accompagne une partie du chemin.

Même les dessins me laissent perplexe. Si certains paysages et autres plans larges sont vraiment réussis, si j’ai apprécié certaines planches au cadrage original, je me suis noyée dans l’excès de détails, de traits, et je n’ai pas du tout accroché aux faciès (qui semblaient vieillir et rajeunir erratiquement au fil du voyage d’ailleurs).

Une quête de paternité à travers les États-Unis qui n’a pas su m’emporter.

Ghost Kid, Tiburce Oger. Bamboo, coll. Grand Angle, 2020. 80 pages.

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N’hésitez pas à me dire si vous en avez lu certaines !

18 réflexions au sujet de « Quatre BD « western » : Hoka Hey !, Stern #1, L’odeur des garçons affamés et Ghost Kid »

  1. Je connais peu l’univers Western, que ce soit en film ou en littérature. Mais ton retour sur Hoka Hey me plait beaucoup. Les sujets semblent touchant, et le style graphique est superbe. Merci pour ces belles propositions de lecture et pour les illustrations que tu partages avec nous. 🙂

  2. Je m’étais déjà noté Hoka Hey ! et ton avis ne fait que confirmer cette envie de le découvrir !
    Je note donc que cette BD est d’ailleurs ta préféré de la sélection.

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