Mini-critiques : A la recherche du Père Noël, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde et Ces jours qui disparaissent

Un album, un roman illustré et un roman graphique pour un trio de mini-chroniques « spéciales cadeaux de Noël » !

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À la recherche du Père Noël, de Loïc Clément et Anne Montel (2021)

A la recherche du Père Noël (couverture)Le professeur Goupil, actuellement au chômage, répond à une annonce des plus surprenantes : assurer le remplacement de Santa Claus qui a disparu. Sigismonde, directrice des ressources lutines, se charge de lui faire visiter la fabrique de Noël, mais un vieux bonhomme bien connu semble jouer au chat et à la souris avec lui…

Tout vient à point à qui sait attendre, voilà deux ans que j’espérais trouver cet immense livre sous mon sapin !
Je n’ai pas été déçue par ce cherche-et-trouve géant que j’ai lu et admiré en prenant mon temps.

À travers les aquarelles magnifiques et minutieuses d’Anne Montel, ce sont mille scénettes qui prennent vie à chaque page. Quel plaisir, tout en cherchant le Père Noël ou les cinq comparses animaliers du Professeur Goupil, de découvrir cette foule lutine, cette multitude de petits personnages qui vivent, travaillent, paressent, s’amusent, se font mal, se font disputer, expérimentent… et préparent Noël sous tous ses aspects. Mon neveu de neuf ans et ma nièce de cinq se sont tout autant amusés à regarder les lutins travailleurs ou flemmards, sérieux ou joyeux, colériques ou amoureux…
Les textes de Loïc Clément sont, comme toujours, d’une grande qualité pour nous faire visiter les coulisses de Noël. Narration, vocabulaire, humour, c’est un régal littéraire à plusieurs niveaux et le résultat est jubilatoire. Les textes, à l’instar des illustrations, sont bourrés de détails et de références que l’on s’éclate à repérer.

Je ne suis guère consommatrice des productions de Noël, qu’elles soient littéraires, cinématographiques ou télévisuelles, mais quand c’est aussi bien mené, il serait dommage de bouder son plaisir. Un album aussi loufoque que grandiose !

À la recherche du Père Noël, Loïc Clément et Anne Montel. Little Urban, 2021. 28 pages.

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L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde,
de Robert Louis Stevenson, illustré par Vincent Mallié (2023)

L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (couverture)La sortie de cette belle édition illustrée avec le texte intégral était l’occasion rêvée pour découvrir ce classique de la littérature fantastique.

La découverte a été très plaisante. Évidemment, le texte perd grandement de son suspense quand on connait le fin mot de l’histoire sur Jekyll et Hyde, de même que la narration quelque peu désuète n’offre pas forcément l’angoisse que l’on attend d’une telle histoire. Cependant, j’ai malgré tout pu apprécier la manière dont l’intrigue se déroule, oscillant entre rencontres inquiétantes, apaisements, meurtres atroces et remontée de la tension avant les explications finales sur les différentes facettes de chacun et notre capacité, notre volonté à les exprimer ou à les inhiber. Cette réflexion sur la dualité – l’obsession de Jekyll, l’incompatibilité déchirante entre sa moralité et sa bonne réputation et ses envies plus bestiales – est vraiment bien écrite et j’ai savouré ce dernier chapitre, pas tant pour la révélation du mystère (qui n’existait pas) que pour l’exposition des idées de Jekyll.

Hyde est un personnage ambivalent que l’on haït pour ses exactions – qui sont, pour la plupart, simplement évoquées – et que l’on plaint parfois car il est victime autant que coupable, lui qui ne peut agir autrement, qui est prisonnier de ce qu’il incarne, de ce qu’il est et ne peut ainsi ressentir compassion ou empathie.

Les aquarelles de Vincent Mallié montrent un trait tout en finesse. Elles aèrent le texte et invitent à des pauses pour admirer les illustrations. Des pleines pages lumineuses alternent avec des croquis en noir et blanc ; des ambiances chaleureuses côtoient un Hyde dissimulé dans les ombres, celles-ci se faisant de plus en plus inquiétantes. Même si une atmosphère plus poisseuse ne m’aurait pas déplu, j’ai été séduite par la patte graphique de l’illustrateur.
Le choix d’alterner des pages blanches avec quelques pages noires est plutôt pertinent dans leur écho aux différents visages des personnages éponymes (et de chaque être humain).

Une édition magnifique qui donne envie de plonger dans ces classiques que l’on connaît parfois superficiellement. À présent mes yeux se tournent vers sa version illustrée d’Une étude en rouge et la perspective de rencontrer un célèbre détective.

« (…) Et quel est son aspect physique ?
– Il n’est pas facile à décrire. Il y a dans son extérieur quelque chose de faux ; quelque chose de désagréable, d’absolument odieux. Je n’ai jamais vu personne qui me fût aussi antipathique ; et cependant je sais à peine pourquoi. Il doit être contrefait de quelque part ; il donne tout à fait l’impression d’avoir une difformité ; mais je n’en saurais préciser le siège. Cet homme a un air extraordinaire ; et malgré cela je ne peux réellement indiquer en lui quelque chose qui sorte de la normale. Non, monsieur, j’y renonce ; je suis incapable de le décrire. Et ce n’est pas faute de mémoire ; car, en vérité, je me le représente comme s’il était là. »

« « Ce pauvre Harry Jekyll, songeait-il, j’ai bien peur qu’il ne se soit mis dans de mauvais draps ! Il a eu une jeunesse un peu orageuse ; cela ne date pas d’hier, il est vrai ; mais la justice de Dieu ne connaît ni règle ni limites. Hé oui, ce doit être cela : le revenant d’un vieux péché, le cancer d’une honte secrète, le châtiment qui vient, pede claudo, des années après que la faute est sortie de la mémoire et que l’amour-propre s’en est absous. »
Et le notaire, troublé par cette considération, médita un instant sur son propre passé, fouillant tous les recoins de sa mémoire, dans la crainte d’en voir surgir à la lumière, comme d’une boîte à surprises, une vieille iniquité. Son passé était certes bien innocent ; peu de gens pouvaient lire avec moins d’appréhension les feuillets de leur vie ; et pourtant il fut d’abord accablé de honte par toutes les mauvaises actions qu’il avait commises, puis soulevé d’une douce et timide reconnaissance par toutes celles qu’il avait évitées après avoir failli de bien près les commettre. Et ramené ainsi à son sujet primitif, il conçut une lueur d’espérance. »

L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Robert Louis Stevenson, illustré par Vincent Mallié. Éditions Margot, 2023 (1886 pour le texte original). Traduit de l’anglais par Théo Varlet. 77 pages.

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Ces jours qui disparaissent, de Timothé Le Boucher (2017)

Ces jours qui disparaissent (couverture)Un roman graphique qui n’est pas sans rappeler le court roman évoqué ci-dessus dans lequel nous suivons Lubin, un jeune acrobate qui, brusquement, se réveille chaque matin alors qu’un jour s’est écoulé sans qu’il n’en ait conscience, laissant son corps et sa vie entre les mains d’une autre personnalité.

Il y a quelques années, j’avais lu Le Patient du même auteur sans être totalement enthousiaste et avait offert dans la foulée ce titre à mon compagnon, sans jamais prendre le temps de le lire moi-même.

Je me suis régalée avec ce récit captivant. La BD s’organise en deux temps : le début du phénomène, l’incompréhension et la rencontre avec la seconde personnalité tout d’abord, puis après un bond de deux ans, une temporalité qui s’accélère sans répit, une évolution terrible pour « notre » Lubin. Le tout est parfaitement construit car nous avons eu le temps de nous attacher au « premier » Lubin et, suite à ce basculement, le récit passe d’une atmosphère intrigante, parfois plus amusante qu’angoissante, à un thriller beaucoup plus tendu, un contre-la-montre tragique.

J’ai beaucoup apprécié les dessins de Timothé Le Boucher : la variété des visages et des corps, les nuances liées au temps qui passe que l’on se surprend à détecter (quand elles ne sautent pas aux yeux), les couleurs, la douceur du trait qui contrarie le caractère sombre car apparemment inéluctable de l’intrigue.

Un récit addictif et très intelligemment mené, entre fantastique et trouble dissociatif. Un roman graphique intense que l’on referme avec autant de tristesse que d’envie de profiter du temps présent.

Ces jours qui disparaissent, Timothé Le Boucher. Glénat, coll. 1000 feuilles, 2017. 192 pages.

15 réflexions au sujet de « Mini-critiques : A la recherche du Père Noël, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde et Ces jours qui disparaissent »

  1. « À la Recherche du Père Noël » a l’air absolument sublime 😍 Et « Ces Jours qui Disparaissent » me donne très envie !

  2. Cette version du Dr Jekyll et de Mr Hyde a l’air vraiment chouette, je connais vaguement l’histoire mais je n’ai jamais lu l’oeuvre originale. Mais il fait partie de ces classiques que j’aimerai découvrir (avec Frankenstein). Alors cette version illustrée pourrait bien convenir 🙂
    Et je vais écouter ton précédent conseil, je vais emprunter Ces jours qui disparaissent à la bibliothèque, l’intrigue me botte bien aussi !

  3. AAAAAaaaaaaaaah mais je savais pas qu’on suivait le professeur Goupil dans A la recherche du père Noël. Je l’ai wishé par réflexe parce que j’adore les livres du duo Clément-Montel mais du coup c’est encore mieux que le plan !!! Bon du coup obligé je l’emprunte Noël prochain U.U

    J’étais persuadée que la version de Jekyll et Hyde c’était une BD du coup ca me faisait pas spécialement envie ! Mais étant donné que c’est une de mes premières découvertes de littérature fantastique (eh oui j’avais de bon prof au collège, i know !!!), ca me fait bien envie de me le procurer dans cette édition illustrée… Un jour !

    Tu résume bien le gout amer que laisse Ces jours qui disparaissent ! Quelle BD quand même !

    • Figure-toi que je n’ai même pas lu les albums du Professeur Goupil, même si j’en ai très envie ! Tu as l’air de les recommander, non ?

      Je ne suis pas trop fan non plus des adaptations en BD, mais non, là, tu as bien tout le texte original ! Pour ma part, je suis assez intéressée par les deux autres versions illustrées qu’il a publiées (Une étude en rouge avec Sherlock Holmes et une histoire d’Arsène Lupin).

      • J’avais bien aimé celles que j’avais lu ! Le ton et le dessin match bien. La j’ai vu que c’est sortie en version integrale, je devrais saisir cette chance pour découvir les histoires du professeur Goupil que je ne connais pas encore !
        En tout cas, j’apprécie l’univers qu’ils ont développé à travers plusieurs récits. Le fait de retrouver des personnages d’une saga à l’autre je trouve ca vraiment chouette ! 🙂

        Ca a l’air bien cool… J’espère avoir l’occasion de le feuilleter un jour avant d’acheter. Je sais que le texte me plait mais pour ce qui est du dessin, c’est quand meme mieux de feuilleter avant de craquer mon PEL (tu noteras que je reste dans ma lancée « voix de la raison » de début d’année :P)

        • J’ignorais que les « Professeur Goupil » étaient sortis en intégrale, ça m’intéresse, tiens ! L’occasion parfaite pour les découvrir !
          Oui, et c’est sympa d’avoir varié les genres et les formats pour explorer cet univers !

          Félicitations !

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