Quatre BD « SFFF » : Furieuse, Saison de sang, Year Zero et Chasseurs de sève

Faisant suite à mon article sur les quatre BD « western », voici le second article consacré aux BD « SFFF » cette fois du petit prix organisé par ma bibliothèque. Une nouvelle fois classées de ma préférée à ma moins appréciée…

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Furieuse,
de Geoffroy Monde (scénario) et Mathieu Burniat (dessin) (2022)

Furieuse (couverture)Le roi Arthur a perdu sa gloire d’antan et n’est plus qu’un ivrogne pathétique, ce qui frustre grandement sa fille Ysabelle – qui refuse de se marier au vieux baron à qui son père l’a promise  – et son épée – qui aimerait renouer avec la gloire et la puissance. Toutes deux se font donc la malle dans l’espoir de trouver mieux ailleurs dans le royaume.

D’abord perplexe face à ce roman graphique, puis dégoûtée par ses personnages masculins tous plus répugnants (physiquement ou moralement) ou pitoyables les uns que les autres, j’ai fini par adhéré à cette revisite survoltée et désenchantée du mythe arthurien.
Les péripéties sont nombreuses et la BD paraît sans temps mort tout en parvenant à laisser les personnages échanger et se construire. J’ai été tantôt révoltée de certains personnages, tantôt amusée par certaines situations cocasses, qui amènent régulièrement à faire couler le sang des manières les plus absurdes qui soient. Quant au duo constitué d’Ysa et l’épée, il est assez détonant et nous offre des échanges savoureux,

Mais j’ai d’abord été séduite par le ton impertinent et résolument féministe, amenant les sujets du mariage forcé, de la prostitution, de la condition des femmes (et des pauvres). Certes, on pourra lui reprocher un manque de nuances dans les portraits masculins, ou en tout cas, de nuances positives, car ces derniers ne sont pas glorieux : violence, lubricité ou misère sexuelle, pauvreté matérielle et intellectuelle, ivresse, sournoiserie et une misogynie constante. Mais pour toutes les femmes peu caractérisées dans mille romans ou BD, ça change. La BD parle aussi du pouvoir, la quête effrénée de celui-ci, les manipulations nécessaires, la manière dont il dévore une âme (petit côté Anneau Unique).
Finalement, le dessin expressif, avec son trait simple et ses aplats de couleur, paraît aussi enfantin que le propos ne l’est pas.

Un roman graphique drôle, dynamique et décalé qui fait saigner le patriarcat !

Furieuse, Geoffroy Monde (scénario) et Mathieu Burniat (dessin). Dargaud, 2022. 229 pages.

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Saison de sang,
de Si Spurrier (scénario) et Mat
ías Bergara (dessin) (2022)

Saison de sang (couverture)Une enfant s’éveille. Elle ne se souvient de rien. Elle n’a pas de nom, elle ne parle pas, elle n’a rien… à part un géant. Elle ne sait rien, sinon qu’elle doit avancer – toujours en ligne droite – à travers un monde dangereux, superbe, fantastique.

(Ceci est une partie du résumé de la quatrième de couverture, mais pour une fois, je recommande de le lire en entier car il peut donner des clés pour comprendre certains détails de l’histoire.)

Un roman graphique un peu conceptuel qui avait des atouts pour me plaire. Pas de mots en dehors des textes mystérieux qui ouvrent les chapitres ; un univers poétique et un peu cryptique ; un but inconnu dans lequel on espère une métaphore de quelque chose ; des dessins agréables, avec des paysages entre fantasy et science-fiction.
Seulement voilà. Le silence de la BD apparaît comme parfois artificiel tant les personnages semblent avoir de choses à dire et les enjeux de chacun semblent finalement plus basiques qu’énigmatiques (elle avance, le géant protège, les monstres attaquent aveuglément, le méchant tente de l’arrêter). L’intrigue oscille entre le simple et le flou, l’attachement aux protagonistes ne s’est pas concrétisé pour moi (alors que le récit aurait pu être à la fois cruel et poignant) et le tout finit par lasser, d’où quelques pages survolées.
Cependant, le graphisme ne déçoit pas, surtout dans les décors, la végétation et le passage des saisons sur cette planète, le côté contemplatif est plaisant, et la fin n’est pas sans charme.

Une conclusion mitigée donc : ce n’est pas désagréable, c’est parfois surprenant, c’est beau, mais je n’en garderai pas le même souvenir que d’autres lecteurs et lectrices bien plus conquis.
(Vous pouvez par exemple lire la chronique de Fourbis & Têtologie et peut-être découvrir au passage ce très chouette blog.)

Saison de sang, Si Spurrier (scénario) et Matías Bergara (dessin). Delcourt, 2022 (2022 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Philippe Touboul. 192 pages.

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Year Zero, tome 1,
de Benjamin Percy (scénario) et Ramon Rosanas (dessin) (2021)

Year Zero T1 (couverture)« Il ne voulait pas que j’écrive une histoire de zombies comme les autres. Il voulait que j’écrive l’histoire de zombies absolue. » : c’est ce qu’écrit Benjamin Percy à la fin de l’ouvrage à propos de l’éditeur Axel Alonso. Au-delà du manque d’humilité d’une telle affirmation surtout au vu de la masse d’histoires – tous médias confondus – de zombies et autres morts-vivants, je ne sais pas ce que serait « l’histoire de zombies absolue », j’ignore ce que serait « l’histoire de zombies absolue », mais je ne parierais pas sur Year Zero.

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai pas détesté cette lecture qui s’est révélée fluide et divertissante. J’ai apprécié ce principe de dessiner ce monde dévasté au travers de bribes du quotidien de quelques survivants (à différents stades de la propagation de la pandémie), mais le procédé n’est pas pour autant révolutionnaire.
Pas davantage que les protagonistes qui sont très stéréotypés – le tueur yakusa, l’orphelin mexicain, le geek américain survivaliste, la scientifique à l’origine de la catastrophe (dans une ambiance très inspiré de The Thing), une interprète de guerre afghane –, sans parler du fait qu’on les côtoie finalement trop peu pour dépasser le simple intérêt pour leur arc narratif. Un dommage collatéral de cette construction éclatée qui passe rapidement d’un personnage à l’autre sans leur consacrer plus de deux-trois pages consécutives.
Les thématiques, enfin, abordent des histoires de vengeance, d’espoirs, questionnent la place de l’être humain, privilégient l’intime au global, le micro au macro. Encore une fois, ce n’est pas déplaisant, c’est plutôt bien raconté, mais ce n’est pas original.

Si ce comics n’est pas à la hauteur de ses prétentions car il peine à apporter quoi que ce soit d’inattendu ou d’innovant, il fait le job en terme de divertissement sans prise de tête.

Year Zero, tome 1, Benjamin Percy (scénario), Ramon Rosanas (dessin) et Lee Loughridge (couleurs). Panini Comics, 2021. Traduit par Laurence Belingard. 128 pages.

[Pour être précise, le classement entre Year Zero et Saison de sang n’est pas net, les deux se positionnant en miroir sur leurs qualités et leurs défauts.]

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Chasseurs de sève,
d’Alexandre Ristorcelli, d’après le roman de Laurent Genefort (2023)

Chasseurs de sève (couverture)Un arbre-univers malade, un mot mystérieux, qui apparaît sur les racines, un « famil » réduit à néant et un sourcier prisonnier lancé sur la source du mal qui ronge leur monde avec les bourreaux des siens.

Je ne vais pas faire dans la dentelle : je n’ai pas aimé cette lecture et peinant à la chroniquer car ayant finalement peu de choses à en dire, faisons bref :

  • L’univers: potentiellement riche, mais la BD est trop courte pour le développer, d’où un aspect beaucoup trop survolé (l’impression de voyager, mais sans rien voir) ;
  • L’intrigue: basée essentiellement sur l’aventure et les péripéties connues par les personnages au cours de leur périple, les enjeux paraissent flous et incohérents (leur monde meurt et les tribus ne pensent qu’à s’entre-tuer ? ah, finalement, ce n’est peut-être pas incohérent, ça me rappelle un truc…) ;
  • Les personnages: une psychologie très ordinaire et rudimentaire (action avant tout), donc aucun intérêt pour eux ;
  • Le dessin: détaillé, trop parfois, et par là même étouffant, j’ai regretté de ne pas m’émerveiller davantage devant les paysages parcourus alors que le foisonnement d’atmosphères y aurait été propice, une représentation hyper sexualisée de Reva aussi vieillotte que lassante.

Ainsi, si j’aurais pu faire abstraction du style graphique avec une histoire prenante et des personnages bien incarnés, rien n’était ici pour me convaincre. Oui, ça se lit, ce n’est qu’une centaine de pages, mais ça s’oublie aussi vite.

Chasseurs de sève, Alexandre Ristorcelli, d’après le roman de Laurent Genefort. Les Humanoïdes Associés, 2023. 106 pages.

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Je vous donne rendez-vous dans un nombre indéterminé de semaines pour le dernier épisode de cette série graphique avec quatre BD « faits de société » !

22 réflexions au sujet de « Quatre BD « SFFF » : Furieuse, Saison de sang, Year Zero et Chasseurs de sève »

  1. Furieuse fait partie de ces titres empruntés mais non lus par manque de temps. Mais ton avis me donne envie de m’y replonger appréciant la promesse d’une revisite survoltée et désenchantée du mythe arthurien 🙂

  2. Je ne m’attendais pas à des sujets aussi prononcés avec Furieuse, ça accentue encore plus mon envie de la découvrir cette BD. 🙂 Par contre, je trouve ça dommage que tous les hommes soient démontrés comme mauvais, après faut voir comment c’est amené dans le récit mais je te rejoins, un peu de nuance c’est pas mal aussi. 😉

  3. Furieuse a l’air d’être hyper intéressant. Je ne lis pas beaucoup de BD parce que je ne sais jamais vers quoi me diriger. Mais celle-ci, je compte bien me plonger dedans. Merci pour ta chronique !

    • Merci à toi du coup ! J’espère que tu ne seras pas déçue !
      J’ai des périodes BD, généralement liées à ma fréquentation des bibliothèques : si j’y vais souvent, beaucoup de BD, mais si je suis prise dans d’autres choses, que j’y vais moins, plus de BD ! ^^

      • C’est drôle, c’est aussi ma fréquentation de la bibliothèque qui me rend curieuse côté BD. Mais elles sont classées par auteurs, et pas par genre. Du coup j’ai énormément de mal à m’y retrouver vu que je n’y connais pas grand chose. Je suis une débutante et même si je suis curieuse, je ne sais jamais quoi choisir.

  4. Ping : Quatre BD « western » : Hoka Hey !, Stern #1, L’odeur des garçons affamés et Ghost Kid | L'ourse bibliophile

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  6. J’ai un peu lu en diagonal ton propos sur Furieuse tant cette BD me fait envie ! Je préfère y aller à l’aveugle. Mais je vois que ça t’a plu et ça me conforte dans l’idée que, ca devrait me plaire aussi hihi

    Je ne connaissais pas non plus Saison de Sang et je dois dire que la colorisation me plait bien… Après les BD sans texte, ça passe ou ça casse pour moi. Soit c’est très bien fait et la BD parvient à transmettre des émotions rien qu’avec un dessin expressif, soit ca ne suffit pas et j’ai un sentiment de pas assez et je m’ennuie… Je me laisserais peut etre tentée si un jour je tombe dessus par hasard en bibli, par curiosité, mais disons que ce n’est pas ma priorité du coup ^^

    Year zero je pense que c’est clairement pas pour moi du coup… Déjà que les histoires de zombies ça a désormais tendance à me lasser justement du fait qu’il y en a tellement eut que les histoires qui changent sont rares.

    Et pour Chasseurs de sèves eh bien… Je dois dire que tu en dis tout ce à quoi je m’attendais en ayant feuilleté la BD. C’est ce que j’appelle « une BD de daron ». Ca sent clairement le manque de modernité et tu confirmes mon envie de ne pas accorder du temps à cette BD ahahahaha

    C’est trop chouette de parcourir toutes tes découvertes BD. Des lectures très diversifiées et pleins de titres que je ne connais pas !! 🙂

    • J’espère que ça te plaira !

      L’avantage, c’est que, même si tu n’accroches pas, ce n’est pas une lecture qui te fera perdre beaucoup de temps, et elle a aussi des critiques beaucoup plus enthousiasme que moi. A voir selon la sensibilité de chacun.

      Je comprends totalement et l’idée de départ me semblait par conséquent très présomptueuse !

      « Une BD de daron », haha ! Oui, on peut dire ça comme ça ! ^^

      Je n’aurais probablement jamais lues la plupart sans cette occasion, c’était intéressant, même si j’aurais aimé plus d’excellentes lectures (mais une par thématique, c’est déjà bien !)

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