Mini-chroniques pour trois lectures graphiques : Ma révérence, Le Veilleur des Brumes et Yellow Cab

Trois lectures graphiques qui m’ont plus ou moins touchée, du coup de cœur au bof. Des histoires de vie, de rencontres… en France, aux États-Unis ou dans un monde imaginaire.

***

Ma révérence, de Wilfrid Lupano (scénario) et Rodguen (dessin) (2013)

Ma révérence (couverture)Malgré le nom de Lupano, je reconnais que je me suis lancée dans cette BD légèrement dubitative, notamment face à une couverture qui ne m’emballait guère. Finalement, ce fut ma lecture la plus captivante.

Les auteurs partent d’une histoire exceptionnelle – deux anti-héros, plus losers déconfits que bandits magnifiques, planifient un kidnapping et le braquage d’un fourgon pour tirer leur révérence et enfin vivre une vie plus douce – pour finalement raconter la vie de plusieurs protagonistes avec ses drames, ses espoirs, ses joies envolées, ses secrets, ses ratés, ses remords et ses hontes. De là, des histoires qui s’entrecroisent, des personnages qui se rencontrent, des existences qui s’entrechoquent. Des confidences difficiles ou sombres qui n’empêchent pas d’avoir pas mal d’humour (noir), volontaire ou non de la part des personnages.
Ces derniers ont quelque chose de brut, de cru, de méchant parfois, mais ils parviennent néanmoins à être touchants quand la façade – qu’elle soit m’as-tu-vu, vulgaire, sérieuse – s’effrite.

La narration n’est pas linéaire, il faut rassembler les pièces du puzzle pour former ces différents portraits d’une belle finesse, c’est un procédé que j’apprécie beaucoup et je n’ai pas été déçue par l’écriture de Lupano.

Une BD intelligente et véritablement prenante que j’ai adorée !

Source des planches : BDfugue

Ma révérence, Wilfrid Lupano (scénario) et Rodguen (dessin). Delcourt, 2013. 128 pages.

***

Le Veilleur des Brumes (3 tomes), de Robert Kondo (scénario) et Dice Tsutsumi (dessin)

C’est à la bibliothèque que j’ai été attirée par le graphisme de ces trois volumes et ses airs de film d’animation. À juste titre, puisque Le Veilleur des Brumes The Dam Keeper – est tiré d’un court-métrage d’animation. Et visuellement, c’est très beau, très doux et mignon. Les couleurs, les traits, c’est assez superbe.
L’atmosphère est une merveille, recelant énormément de poésie et de mélancolie, tout en vibrant de lumière et d’espoir. De même, les lieux et décors sont une réussite : j’ai immédiatement accroché au contraste entre ces îlots de vie préservés des brumes, colorés, et l’extérieur mystérieux et menaçant – une mise en place somme tout assez classique -, avec pour seul pont, le Veilleur solitaire et incompris.

C’est une histoire de transmission, de mystère familial, d’aventures et de rencontres. S’ouvrir aux autres, apprendre à les connaître, grandir et évoluer en sortant de ses routines. Et les familles, celles dans lesquelles on naît comme celles que l’on se trouve. Néanmoins, il m’a manqué quelque chose pour être véritablement passionnée par l’intrigue qui, en dépit d’une mise en place plus que convaincante, est devenue un peu brouillonne et rapide.

Une histoire initiatique sympathique et touchante, même si ça n’a pas été le coup de cœur auquel je m’attendais.

Source des planches : BDfugue

Le Veilleur des Brumes (3 tomes), Robert Kondo (scénario) et Daisuke « Dice » Tsutsumi (dessin). Éditions Milan, coll. Grafiteen, 2018-2020 (2017-2019 pour l’édition originale). Traduit par Aude Sécheret.
– Tome 1, Le Veilleur des Brumes, 159 pages ;
– Tome 2, Un monde sans ténèbres, 160 pages ;
– Tome 3, Retour à la lumière, 195 pages.

***

Yellow Cab, de Chabouté, d’après le roman de Benoît Cohen (2021)

Yellow Cab (couverture)Cette BD est tirée d’un roman du réalisateur Benoît Cohen, lui-même relatant une expérience réellement vécue : devenir chauffeur de taxi à New-York pour trouver l’inspiration d’un film.

Ainsi, ce roman graphique en noir et blanc compile des rencontres, des faciès, mettant en scène une ville-personnage somme de toutes les âmes qui la peuplent. Le personnage principal, invisible aux yeux des autres de par son statut de chauffeur de taxi (« Personne ne pense jamais au taxi, en fait. On est comme invisible. On est juste une nuque. » Sherlock, saison 1, épisode 1), s’efface pour laisser la place à ceux qu’il conduit.
Cependant, je dois avouer que j’ai trouvé le tout un peu fade – hormis le dessin de Chabouté tout en ombres et lumières. Il n’y a pas réellement d’histoire – ce qui n’est pas forcément un défaut quand d’autres éléments sont bien menés –, le personnage principal est assez inexpressif finalement et ses réflexions m’ont parfois semblé artificielles, et j’ai peiné à ressentir l’inattendu, le surprenant, le touchant de ces clients qui défilent.

Une lecture malgré tout sympathique mais que j’oublierai vite.

Source des planches : BDfugue

Yellow Cab, Chabouté, d’après le roman du même nom de Benoît Cohen. Vents d’ouest, 2021. 168 pages.

Stardust, de Neil Gaiman (1999)

Stardust (couverture)Neil Gaiman, dont j’ai à de multiples reprises salué le talent de conteur,  nous propose ici un véritable conte avec une promesse donnée à l’être aimé, une étoile tombée du ciel à récupérer, des princes héritiers sans scrupules, une sorcière à la jeunesse illusoire et un monde parallèle empli de créatures magiques et de bois menaçants.

Cette quête initiée par amour (par ce qu’un jeune cœur croit être l’amour) est donc marquée par la magie et l’étrangeté et nous transporte dans le monde merveilleux de Féérie. L’occasion de renouer avec la poésie de l’auteur et des ambiances envoûtantes (du marché magique organisé tous les neuf ans au bois malveillant en passant par le bateau volant). Mais comme tout conte qui se respecte (d’autant plus écrit par Neil Gaiman), l’histoire est parfois sombre, à base des meurtres, d’un trio de sorcières terrifiantes et de projets malveillants. Une atmosphère menaçante qui ne pouvait que me plaire, d’autant que celle-ci est judicieusement équilibrée de touches d’humour, ironie et petites piques plutôt réjouissantes. C’était donc un plaisir de découvrir la plume de Gaiman en anglais, un anglais travaillé et soutenu, qui a su faire naître de belles images dans mon esprit.

Si la plume est ce qui m’a le plus séduite, j’ai apprécié cette intrigue rondement menée qui donne envie d’enchaîner les chapitres. Les personnages sont quant à eux assez simples et, à l’image des personnages de contes, souvent marqués par un trait de caractère principal, mais plaisants à suivre. Même s’il ne faut pas s’attendre à une psychologie aux mille nuances, ils ne sont jamais fades pour autant. Et puis, entre des personnalités surprenantes et des métamorphoses, il ne faut pas se fier aux apparences dans cette histoire… Aurais-je aimé une plus grande présence des antagonistes ? Peut-être, mais leurs apparitions mesurées étaient peut-être ce qui leur conféraient le plus d’attrait, de mystère et de potentiel inquiétant.

Certes, ce n’est pas le meilleur roman de Neil Gaiman, pas le plus original, mais c’était néanmoins une lecture très plaisante. En outre, le fait de retrouver des choses déjà vues a sans doute aidé à l’immersion et à ne pas être freinée par ma lecture en anglais (l’une des raisons pour laquelle j’ai mis tant de temps à le lire tenant sans doute dans la crainte de rater des éléments importants et propres à un univers de fantasy nouveau).

Ainsi, j’ai beaucoup aimé ce voyage dans les terres de Féérie. C’est un petit roman qui n’a pas la richesse de Sandman ou American Gods, mais c’est finalement un bien joli conte.

« A question like ‘How big is Faerie ?’ does not admit of a simple answer. »

« How Many Miles to Babylon’, recited Tristran, to himself, as they walked through the grey wood.
‘Three score miles and ten.

Can I get there by candlelight?
There, and back again.
Yes, if your feet are nimble and light,
You can get there by candlelight.’ »

« ‘Still doesn’t explain… there isn’t anythin’ unusual in your family, is there?’
‘My sister, Louisa, can wiggle her ears.’ »

Stardust, Neil Gaiman. Headline Publishing Group, 2013 (1999 pour l’édition originale). En anglais. 196 pages.

Loin, d’Alexis Michalik (2019)

Loin (couverture)Pour la première fois depuis longtemps, cet été, j’ai écouté un livre audio. Je me suis laissée embarquée par une histoire signée Alexis Michalik que je ne savais point auteur de roman avant de tomber dessus à la bibliothèque. Diverses activités et événements en juillet et août se sont prêtés à l’écoute et, en quelques semaines, je suis parvenue au bout des 18 heures nécessaires pour découvrir Loin.

C’est l’histoire d’Antoine Lefèvre, un jeune homme comme il faut, bientôt employé dans une grosse boîte parisienne, bientôt marié, avec appartement, plan d’avenir et probablement bientôt un bébé dans l’équation. Jusqu’à ce qu’il tombe sur une carte postale de son père. Père qui a disparu vingt ans plus tôt et carte postale qui s’était perdue depuis presque aussi longtemps. Les vacances à Londres avec son pote Laurent se transforment en une petite enquête et, rapidement rejoints par sa jeune sœur Anna, tout son opposé, leur voyage va les emmener forcément très loin.

Ayant adoré les pièces Le cercle des illusionnistes, Intra Muros et plus que tout Le Porteur d’histoires, je connaissais déjà le goût d’Alexis Michalik pour les histoires foisonnantes. Et il est perceptible dès le prologue que cela en irait de même pour celle-ci. À travers la quête des origines d’Antoine et Anna, nous allons parcourir l’Histoire des années 1910 à 2008, traverser l’Allemagne, l’Autriche, la Turquie, l’URSS… et d’autres pays dont je ne dirai rien pour ne pas gâcher le plaisir du voyage à d’éventuelles personnes désireuses d’embarquer.
En parcourant leur étonnant arbre généalogique et la Terre à la recherche de ce paternel pour le moins fuyant, nous allons revivre certains des grands – et souvent terribles – épisodes de l’histoire du XXe siècle et nous allons découvrir, en bons touristes, des cultures, des plats traditionnels, des atmosphères bien diverses. Un bon travail de documentation pour nous immerger au mieux dans l’ambiance locale.
Cette quête et ce voyage sont remplis d’interrogations dont les réponses en soulèvent davantage. Les personnes cherchent, se cherchent (parfois sans le savoir), et comme on dit, ce n’est pas l’arrivée qui compte mais le chemin. C’est l’occasion de réflexions sur le voyage, le pourquoi de celui-ci, l’être humain et ses nuances… et le parfait prétexte pour un mélange justement dosé d’histoires de vie poignantes à serrer le cœur, de péripéties étonnantes et parfois invraisemblables et de dialogues saupoudrés d’humour.

Alexis Michalik propose ici un réjouissant puzzle littéraire. Car tout n’est pas linéaire, on ne va pas simplement et tranquillement découvrir les ascendants d’Antoine et Anna les uns après les autres. Non, leur histoire est un chouïa plus compliquée. Les histoires personnelles s’imbriquent dans la grande Histoire, les personnages bougent, fuient (la guerre, les représailles, le passé…), changent d’identité, vieillissent et meurent accessoirement, ce qui complique parfois la tâche de nos enquêteurs en herbe. Enquêteurs que l’on se prend à vouloir imiter en tentant de deviner les liens entre tel ou tel protagoniste avant leur révélation, en essayant de faire coller les dates (ce qui n’est pas facile avec un livre audio car encore faut-il s’en souvenir, des dates). Le roman réserve bien des surprises et il est difficile de finir un chapitre sans vouloir enchaîner tant l’histoire de cette famille est atypique et captivante.

Tout n’est pas parfait cependant. Ce qui m’a le plus ennuyée : plusieurs personnages féminins m’ont fait un peu soupirer, j’aurais parfois voulu les voir dans des rôles et caractères aussi divers que les hommes avec moins de détails (répétitifs) sur leur physique. Ensuite, oui, il y a quelques longueurs ici ou là, notamment une digression autour de Laurent qui ne me semblait pas forcément nécessaire. En outre, comme dans le tour du monde de Phileas Fogg, on se prend à se dire que le compte en banque du jeune Antoine est décidément bien approvisionné et que c’est un peu facile.
Est-ce que la fin m’a frustrée ?… Oui, un tantinet, je l’avoue. Et pourtant, elle convient très bien malgré tout, donc ce n’est pas bien grave. C’est sans doute surtout qu’il est difficile de quitter une histoire que l’on a eu dans les oreilles pendant dix-huit heures.
Pour être honnête, je me serais peut-être davantage ennuyée en le lisant, les longueurs et les défauts m’auraient sans doute davantage sauté aux yeux du fait d’une concentration accrue. Mais pour une écoute (en vaquant à diverses occupations, en étant fatiguée, etc.), ce roman était léger et entraînant et c’était tout ce que je recherchais.

La rencontre avec les personnages est également truculente, ces derniers étant généralement assez hauts en couleurs… même quand le personnage est, à première vue, un peu terne – comme Antoine –, il saura nous surprendre et l’on ne peut empêcher l’attachement. Face au duo formé par Antoine et Laurent, Anna est l’élément perturbateur et énergique. Celle qui ne se plie à aucune règle, qui fait ce qu’elle veut comme et quand elle veut, qui se débrouille toujours. Elle est la moquerie, le cynisme et l’opposition qui vient pimenter les échanges. Mais comme tous, elle n’est pas cantonnée à un seul rôle et elle saura offrir une palette d’émotions.
Damien Ferrette offre à tout ce petit monde une voix et une réelle présence, par de légères variations d’intonations. Sa lecture est vivante, dynamique et sied à merveille à pareil récit de voyage et d’aventures.

Encore une fois, Alexis Michalik offre une œuvre labyrinthique. À travers le temps et l’espace, il nous embarque pour un voyage dépaysant et émouvant. Même si je préfère nettement ses pièces – plus concises (forcément) et absolument magiques – à son roman, c’était une histoire très agréable à écouter au fil de l’été.

« Je voulais l’aventure, moi aussi. Je voulais vivre.
À vingt ans, j’avais posé le pied sur quatre continents. J’avais dit « bonjour » en
dix-sept langues, j’avais photographié trente-six hôtels de ville.
Outre le plaisir de la découverte, j’en avais tiré une leçon essentielle : nulle part,
je n’étais chez moi. J’étais un Français en Afrique, un Africain ailleurs, un Breton
en Normandie, un Martien en Russie. Mais peu m’importait. C’est ainsi que j’ai compris
qui j’étais : un passager, un témoin.
 »

« Tout juste des questions, car les questions sont la vie même. Tant qu’il existera quelqu’un pour questionner, et pour se questionner, l’humanité vivra, avancera, reculera, s’effondrera, renaîtra de ses cendres. »

« L’essentiel, ce sont les questions. Tant que l’on pose des questions, il y a un but. Dès qu’on a la réponse, on peut mourir. »

Loin, Alexis Michalik, lu par Damien Ferrette. Audiolib, 2019 (Albin Michel, 2019, pour l’édition papier). 18h, texte intégral.

Quelques mots sur quelques albums… de (très) grand format

Il serait temps que je publie ces chroniques qui, pour les deux premières, stagnent dans mon PC depuis plusieurs mois. Je vous propose aujourd’hui trois magnifiques lectures d’albums avec Les fabuleux navires du capitaine Squid, Le jouet des vents et – coup de cœur complet – Maestro.

***

Les fabuleux navires du capitaine Squid, d’Éric Puybaret (Margot, 2016)

Les fabuleux navires du capitaine Squid (couverture)

Un grand et bel album aux éditions Margot ! J’admire leur travail, mais n’en avais pas lu depuis un moment, j’ai donc été enchantée de renouer avec cet ouvrage. Éric Puybaret nous invite à parcourir les océans à la rencontre de navires plus épatants et de capitaines plus surprenants les uns que les autres.
Sur les hautes pages se déploient des couleurs absolument sublimes et lumineuses, des lignes épurées et des atmosphères intenses aux inspirations nordiques, américaines, asiatiques… Les univers proposés sont d’une richesse et d’une diversité réjouissantes : chaleureux ou glacials, élégants ou loufoques, ambitieux ou modestes, les bâtiments comme les personnalités de leur commandants se révèlent hors-normes. Les textes offrent quelques détails sur ces bateaux atypiques et approfondissent un peu la personnalité des capitaines.

Tous partagent un rêve : celui d’un vaisseau mille fois plus beau. Ce rêve est-il un mythe ou cache-t-il un désir bien plus simple ? Ignorant le réel objet de leur quête, dissimulé derrière une légende, la réalité est peut-être bien plus humble…

Un album superbe d’une grande poésie pour un catalogue original et onirique à la chute fort touchante.

***

Le jouet des vents, d’Éric Puybaret (La Martinière jeunesse, 2017)

Le jouet des vents (couverture)Une autre quête, sur les traces d’un mystérieux enfant, poids plume, balloté d’un coin à l’autre de la planète par les vents, qu’ils soient mistral, chinook, ghibli, zéphyr ou vent d’autan. Sa présence fugace apportant une félicité inattendue à celles et ceux qui croisent son chemin, tous et toutes se lancent à sa poursuite. Quelles que soient l’origine, la couleur de peau ou les coutumes, la recherche du bonheur est une envie partagée par tous les humains. Faisant écho à l’album précédent, Éric Puybaret évoque une nouvelle fois le quotidien, l’ordinaire, l’universel derrière le fantastique et le surprenant. Nous rappelant ainsi qu’il n’est pas forcément nécessaire de chercher loin ce qui peut se trouver autour de nous.

Marquée par une ambiance tranquille et onirique plutôt que par une abondance de péripéties, cette histoire est portée par de grandes peintures hypnotiques et des textes poétiques et versifiés. La plume est belle et travaillée, ne déniant pas aux enfants le plaisir d’un riche vocabulaire pour se laisser porter au gré du vent.

Un conte sublime tant par son texte que ses illustrations.

***

Maestro, de Thibault Prugne,
raconté par François Morel, mis en musique par Jean-Pierre Jolicard
(Margot, 2018)

Maestro (couverture)

Je termine par le meilleur en revenant aux merveilleuses éditions Margot et au talent de Thibault Prugne dont, il faut bien l’avouer, on ne se lasse pas. L’histoire de Téo, petit garçon dont l’oreille transforme tout son en musique et dont les doigts ne peuvent s’empêcher de jouer en rythme sur son charango. Or, dans son village de pêcheur, son amour et son talent pour la musique sont bien incompris jusqu’à la rencontre salvatrice avec une famille de gitans.

Comme Ici reposent tous les oiseaux ou Mireille également parus aux éditions Margot, Maestro est un très grand format, de ceux qui ne rentrent pas sur toutes les étagères. La promesse d’en prendre plein les yeux. Couleurs lumineuses, contraste avec le bleu profond de la mer, visages aux traits plein de douceur… les superbes illustrations de Thibault Prugne nous en mettent plein la vue.

Portée par la voix chaleureuse de François Morel, j’ai découvert une histoire tendre sur la musique, la passion, les rencontres magiques, les familles de cœur. Ce n’est certes pas bien long, mais cela suffit à créer une bulle hors du temps pendant quelques instants.
Il faut dire que, si j’avais lu l’album après l’avoir acheté à l’occasion d’une rencontre avec l’auteur-illustrateur, j’ai mis du temps avant de le prendre, le temps, d’écouter la version audio. Pourtant, quelle découverte ! Obligée de m’accorder au temps de la narration, je me suis longuement immergée dans les illustrations. Et puis, surtout, il y avait la musique et les deux chansons. Ces airs aux sonorités gitanes, tantôt joyeux tantôt mélancoliques, sont entraînants et immersifs. Ils impulsent un rythme et des émotions à l’histoire, faisant tressauter une cheville ou quelques doigts, serrant le cœur, et, au moment où les chants en espagnol s’élèvent, je crois que j’étais un peu partie, face à cette famille de musiciens illuminant la nuit de leur art.

Vous l’aurez compris, cet ouvrage est juste sublime et sa version audio est un ajout précieux. Elle transcende la beauté indiscutable des illustrations de Thibault Prugne et transforme l’objet en véritable bijou.

***

Connaissiez-vous ces albums ? Si vous en lisez, quelles sont vos dernières belles découvertes ? 

Mémoires de la forêt, tome 1, Les souvenirs de Ferdinand Taupe, de Mickaël Brun-Arnaud, illustré par Sanoe (2022)

Mémoires de la forêt T1 (couverture)Lors de la dernière Masse critique de Babelio, spéciale jeunesse et young adult, je n’ai sélectionné qu’un seul titre. Un titre dont je ne savais rien, mais dont la couverture me plaisait particulièrement. J’ai eu la chance de le recevoir et je ne regrette pas mon choix car ce livre a été une merveilleuse surprise.

« Dans ces Mémoires de la forêt, vous trouverez consignées les destinées grandioses de minuscules animaux qui ont foulé ces bois, animés par l’esprit d’aventure, le sentiment amoureux et la puissance de l’amitié. »

Cette introduction n’est pas mensongère et ce premier tome raconte la quête un peu particulière de Ferdinand Taupe et Archibald Renard, libraire de son état. Car Ferdinand est touché par la maladie de l’Oublie-tout, « celle qui vient et qui prend tout, des souvenirs les plus fous aux baisers les plus doux », ainsi commence une chasse aux souvenirs : qui est Maude et où est-elle ?

Les souvenirs de Ferdinand Taupe est un roman prenant et bouleversant, tout en douceur et en mélancolie. Il ranime le goût d’une tarte ou la mélodie d’une comptine, réveille les souvenirs enfouis et ouvre des portes dans une mémoire brisée. L’auteur a accompagné des personnes atteintes notamment de la maladie d’Alzheimer et il raconte parfaitement les affaires oubliées, les petites étourderies, puis les souvenirs envolés, l’oubli des noms, des visages, des identités, la régression et le retour en enfance… La fragilité grandissante tandis que s’aggravent la maladie, la détresse, la solitude, l’incompréhension… le tout est traité avec pudeur, délicatesse et respect.

L’auteur ayant ensuite fondé la librairie Le Renard Doré à Paris, c’est également un hommage aux livres et à la lecture. Au fil des pages, de nombreux lieux remplis d’ouvrages sont visités et de nombreuses lectrices (et quelques lecteurs) sont rencontrées. Ainsi, en dépit du sérieux et de la tristesse des thématiques abordées, prend forme une bulle de douceur, faite de papier et de gourmandise. Or, un tel univers ne peut être qu’instantanément réconfortant !

J’ajouterai également que c’est un roman jeunesse (mais pourquoi se priver de cette lecture sur ce seul critère) magnifiquement écrit. Il offre à son jeune public des prénoms inusités, des mots insolites, des mots mélodieux, des mots réjouissants. Il y a de la poésie dans ces lignes, de la sérénité et de la beauté. L’immersion est immédiate tant ce monde d’animaux anthropomorphes prend aisément vie sous nos yeux.

Enfin, un mot tout de même sur les très belles illustrations de Sanoe dont j’avais découvert le trait avec Le silence est d’ombre scénarisé par Loïc Clément. Leur petit côté désuet, écho des vieux livres de contes animaliers, se marie parfaitement avec la douceur de ce roman. Elle offre un visage aux personnages, mais j’ai surtout aimé les lieux et les ambiances qu’elle a pu peindre au fil du roman. L’histoire est déjà fantastique et l’écrin lui rend bien justice.

Un cocon de tendresse, qui donne foi en l’amitié et la solidarité, qui sublime les souvenirs et les instants présents Une atmosphère parfois triste mais surtout chaleureuse. Un roman tendre et beau, qui donne envie de se blottir sous un plaid, avec un bon roman et de bons petits gâteaux à portée de main. Une superbe rencontre avec des personnages émouvants et un plaisir de lecture immense. 

« La fourchette reposée dans son pot, Ferdinand se mit à déambuler entre les étagères en confiance et sans aucune appréhension, comme s’il connaissait les lieux. Ses pattes savaient parfaitement où mettre leurs griffes pour ne pas renverser les rayonnages, et ses hanches pourtant généreuses ne se cognaient pas aux meubles qui débordaient de bidules et de trucs. Lentement, dans la poussière du hangar décrépi où s’infiltraient les rayons du soleil, se dessinait la forme tendre et familière d’un souvenir. »

« Quand Ferdinand se leva pour aller voir de quoi il s’agissait, ses genoux craquèrent comme des biscuits à la cannelle. Ah ! si seulement nos vieux os pouvaient cesser de s’émietter ! Sans canne ni patte pour le guide, la taupe marchait à petits pas, comme un soldat de plomb et, au fond de sa poitrine, son cœur s’emballait au rythme d’un tambour un jour de fanfare. Il y avait de la poésie dans le déplacement des ancêtres – de vieilles âmes en équilibres entre la marche et le repos, sans cesse ralenties par le poids des années et la douleur des jours… »

« Malade de l’Oublie-tout, Ferdinand était devenu une sorte de voyageur temporel, voguant entre les époques comme on passe d’un chapitre à l’autre du grand livre de la vie. »

Mémoires de la forêt, tome 1, Les souvenirs de Ferdinand Taupe, Mickaël Brun-Arnaud, illustré par Sanoe. L’École des Loisirs, coll. Neuf, 2022. 299 pages.