12 years a slave, de Solomon Northup (1853)

« Je suis né libre et j’ai vécu avec ma famille jusqu’au jour où deux hommes m’ont drogué, séquestré et vendu comme esclave. Pendant douze ans, j’ai connu la servitude et l’humiliation. Dormant à même le sol, affamé, fouetté, j’ai failli sombrer dans la folie… mais je n’ai jamais laissé la cruauté me briser. »
12 years a slave (couverture)

Des livres sur l’esclavage, j’en ai lu évidemment. Que ce soit l’esclavage aux États-Unis, l’esclavage à La Réunion ou les navires négriers, cela a été souvent raconté. Mais ce que 12 years a slave a d’exceptionnel, c’est qu’il fait plus que raconter la vie d’un esclave ayant réellement existé : il a été écrit par ce même esclave.
Comment se fait-il que l’on n’en ait jamais parlé ? A l’école, au collège, on aborde l’esclave, me semble-t-il, pourquoi les professeurs n’en suggèrent-ils pas la lecture ? Il se lit pourtant comme un roman tout en possédant la valeur d’un documentaire. Nous parlons du Journal d’Anne Franck, pourquoi l’autobiographie de Solomon Northup nous est-elle inconnue ?

Incroyable à mon goût, la manière dont Solomon Northup raconte ses années de souffrance et de captivité sans tomber dans la haine aveugle. Il décrit sa vie terrible des plantations sans concession sans incriminer tous les Blancs, mais plutôt l’éducation reçue par les enfants qui implante dès leur plus jeune âge l’idée de supériorité.

Quel que soit le maître, la violence est omniprésente. Des maîtres corrompus, de contremaîtres haineux, le mépris de l’autre, les humiliations, les tortures. Solomon Northup ne nous épargne rien et des scènes sont très dures. Elles en deviennent insoutenables lorsque l’on réalise qu’il ne s’agit pas d’un roman, que l’auteur a réellement survécu à ces épreuves. Elles se retrouvent dans le film oscarisé de Steve McQueen d’ailleurs (la séparation d’Eliza et ses enfants, l’obligation pour Solomon Northup – rebaptisé Platt – de fouetter la jeune Patsey…)
Un homme libre, respecté, aimé et entouré par une famille et des amis a vu sa vie détruite par le racisme et le mépris des hommes pour la vie d’autrui.

Un témoignage intéressant sur un pan des horreurs de l’Histoire.

 « L’esclave craint d’être surpris à la traîne, d’approcher l’égreneuse avec son panier de coton le soir venu, de ne pas se réveiller à temps le matin suivant quand il se couche. Cela est le tableau fidèle, véridique et sans exagération de la vie quotidienne de l’esclave à la saison de la récolte du coton, sur les rives du Bayou Bœuf. »

 « Qu’on les laisse entrer dans le cœur du pauvre esclave, qu’ils apprennent ses pensées secrètes, des pensées qu’il n’ose pas prononcer devant l’homme blanc, qu’ils s’assoient à ses côtés dans la nuit silencieuse, qu’ils parlent en toute confiance avec lui de « la vie, la liberté et la recherche du bonheur », ils découvriront alors que quatre-vingt-dix-neuf sur cent sont assez intelligents pour comprendre leur condition et pour chérir l’amour de la liberté dans leur cœur, aussi passionnément qu’eux. »

 « J’aspirais à la liberté, mais la chaîne de l’oppresseur m’étouffait. Et on ne pouvait pas la desserrer. »

12 years a slave, Solomon Northup. Michel Lafon, 2014 (1853 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Anna Souillac. 380 pages.

Le Majordome, de Lee Daniels, avec Forest Whitaker, Oprah Winfrey… (Etats-Unis, 2013)

Le MajordomeLe majordome en question, c’est Cecil Gaines. Après avoir grandi dans une plantation de coton dans les années1920 où une vieille dame lui apprend à être un domestique, il quitte la Géorgie pour Washington. Il est remarqué pour son travail dans un hôtel de luxe et est embauché à la Maison Blanche. En restant près de trente-cinq ans à ce poste (1952-1986), il travaillera sous sept présidents différents.

Evidemment, pour parcourir 90 ans d’histoire, des années 20 à 2009, on ne peut pas évoquer l’histoire des États-Unis en détail. J’ai trouvé que c’était un bon résumé et qu’il montrait bien l’évolution des droits des Noirs dans la société américaine. Je suppose qu’un historien, qu’un spécialiste en politique américaine trouverait cela un peu léger, mais, pour moi qui ne connaît que les grandes lignes, ça allait. Par contre, c’est vrai que je connaissais toutes les grandes lignes justement évoquées, mais ça a permis de me remettre en tête (et dans le bon ordre) les présidents américains.

D’ailleurs, ces derniers – qui n’apparaissent jamais bien longtemps – ne sont pas interprétés par d’illustres inconnus : pour n’en citer que deux, on trouvera Robin Williams en Dwight Eisenhower et Alan Rickman en Ronald Reagan. (Alan Rickman, une grande et joyeuse surprise puisque je ne savais pas du tout qu’il était dans le film, mais qui m’a fait regretter encore plus de l’avoir vu en VF et non en VO. D’autant plus qu’il n’était pas doublé comme d’habitude, cette voix ne lui convenait pas du tout.) Par contre, c’est moi ou on ne voit ni Ford, ni Carter ? Pourquoi ? Il ne s’est rien passé d’important au cours de leur mandat ?

Le reste du casting est encore truffé de célébrités (uniquement pour la promo ?). Jane Fonda en Nancy Reagan, Lenny Kravitz, Vanessa Redgrave, etc. J’ai vu au générique de fin qu’il y avait Mariah Carey (mais comme je ne sais pas vraiment à quoi elle ressemble…) et effectivement, elle apparaît au moins trente secondes dans un rôle hors du commun qu’elle interprète avec une grande justesse, il faut bien le dire. (C’est de l’ironie pour ceux qui ne comprenne rien. Ce n’est pas qu’elle joue bien ou mal, on ne la voit qu’à peine. Ça devait faire bien pour la promo.)

Un petit mot quand même sur les deux acteurs principaux. Forest Whitaker est parfait dans son interprétation de l’homme discret, loyal et fier de sa condition, fier d’être parvenu là où il se trouve. Et il est tout aussi crédible dans le rôle de l’homme perdu entre son travail et son fils, qui ne sait plus où se trouve sa place. Quant à Oprah Winfrey, elle n’est pas toujours montrée à son avantage et joue très bien la femme fière de son mari, inquiète pour ses enfants, mais tout de même frustrée de sa solitude, de son abandon par son mari. (Eh oui, maman reste à la maison pendant tout le film…)

J’ai été un peu dérangée par la manière dont on peut être manipulé par le réalisateur, par le point de vue. Comme on évolue au côté de Cecil Gaines, on le comprend davantage que les autres personnages. Il s’oppose à son fils, Louis, qui veut s’engager pour les droits des Noirs et donc qui se fait tabasser et emprisonner ; certes, c’est principalement – du moins, je l’ai ressenti ainsi – parce qu’il s’inquiète pour son fils (et pour sa place ?) et non parce qu’il ne souhaite pas une évolution. Pendant ce temps, nous sommes de son côté et nous avons tendance à lui donner raison. Mais non ! Si personne ne s’était battu, rien n’aurait changé (que ce soit pour les noirs, les gays ou n’importe quelle minorité). Les Noirs américains sont encore loin de tous connaître l’american dream, mais il y a quand même eu une progression. Je ne crois pas être très claire, mais j’ai eu l’impression d’être amenée à soutenir le personnage passif.

Malgré quelques longueurs et peu de choses à apprendre, Le Majordome reste un divertissement sympathique