Aujourd’hui, je vous présente deux lectures graphiques, avec des femmes plongées dans des histoires sombres, agrémentées d’un soupçon de fantastique.
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L’homme gribouillé, de Serge Lehman (scénario) et Frederik Peeters (dessin) (2018)
Quand j’ai feuilleté ce roman graphique dont j’avais entendu le plus grand bien, j’ai été quelque peu dubitative notamment face à ce dessin très léché et ces grandes pages grisées. Mais une fois ma lecture entamée, quel plaisir, quelle cavalcade, quelle lecture captivante !
Entre meurtres et touche fantastique, nous plongeons surtout dans des secrets de famille. De Maud, la grand-mère excentrique, écrivaine à succès, à Clara, l’adolescente au talent de conteuse déjà affirmé en passant par sa mère, Betty et ses crises d’aphasie, quels non-dits entre ces trois générations ? Quels mystères ? Tout bascule le jour où Betty et Clara découvrent qu’un corbeau fait chanter Maud. Pourquoi ? Et qui est-il, cet affreux emplumé à l’aura surnaturelle ?
Mère et fille se lancent en quête de leur identité et de l’histoire de leurs ancêtres en allant de rencontres en rencontres, de la pluie parisienne aux brumes doubistes. Leur parcours sera jalonné par des personnages certainement atypiques et parfois un peu louches. Max Corbeau est d’abord simplement inquiétant (un peu comme le Sans-Visage du Voyage de Chihiro) sous son masque et son chapeau, mais devient peu à peu franchement terrifiant et chacune de ses apparitions suscite un petit frisson de plaisir et d’appréhension mêlés.
J’ai également adoré le duo formé par Betty et Clara. Les relations mère-fille (sur toutes les générations) sont très bien racontées et les personnages sont bien campés. J’ai tout de suite adhéré à la maussaderie muette de Betty, à son caractère bien trempé, à ses failles et à ses paniques, puis Clara m’a séduite par son enthousiasme, sa façon de soutenir sa mère et de la combattre à d’autres moments. Des caractères nuancés et parfaitement racontés tant par l’expressivité des illustrations que par les dialogues.
Détail qui ne pouvait que me séduire, les histoires et les contes sont omniprésents dans ce roman graphique : les histoires effrayantes de Maud, celles de Clara, des rituels, des sectes étranges… et ces créatures surprenantes mais épouvantablement réelles. Difficile de ne rien révéler des légendes soulevées, des histoires réveillées, donc cette chronique sera assez courte. La fin surprend et il est assez agréable d’avancer sur un chemin insoupçonné – je m’attendais vraiment à emprunter d’autres voies.
Une BD-thriller fantastique et palpitante, à l’atmosphère pluvieuse, poisseuse, bref, définitivement sombre, et au dessin en noir et blanc merveilleusement approprié.
L’homme gribouillé, Serge Lehman (scénario) et Frederik Peeters (dessin). Delcourt, 2018. 327 pages.
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La louve boréale, de Núria Tamarit (2022)
J’avais beaucoup aimé Géante illustré par Núria Tamarit, je n’ai donc pas hésité à saisir l’occasion de découvrir sa nouvelle création (qu’elle a écrite et dessinée) grâce à Babelio.
La louve boréale raconte l’histoire de Joana qui, fuyant son pays ravagé par la guerre, débarque dans ce Nouveau Monde qui promet or et succès. Seulement, c’est avant tout une terre cruelle que trouve Joana, une terre disputée par les hommes et les loups sur laquelle les femmes semblent ne pas avoir leur place.
Ce roman graphique est donc l’occasion de faire passer un double message. D’un côté, un message féministe, avec des femmes qui souffrent par la main des hommes mais qui se relèvent, qui se battent pour avoir leur part. De l’autre, un message écologique qui alerte sur la terre exploitée et épuisée, sur les animaux méprisés et maltraités. La louve boréale raconte donc la cupidité des humains, la méchanceté envers celles et ceux jugés plus faibles, la misogynie. En saupoudrant le tout d’une touche de fantastique avec les apparitions d’une louve gigantesque, bras vengeur de la nature armé de crocs redoutables.
Même si je suis évidemment en accord avec le propos, j’ai trouvé cette BD trop didactique. L’intrigue est très linéaire et un peu trop rapide. Je pourrais lui reprocher un manque de profondeur, avec une histoire qui enfonce un peu des portes ouvertes. Ce pourrait être un roman graphique très riche (en plus de ce que j’ai déjà évoqué, on trouve des questions liées à l’immigration, la guerre, les souvenirs du passé, les éléments déchaînés, la confiance parfois trahie, parfois justement placée…), mais le tout est un petit peu trop superficiel à mon goût malheureusement.
J’ai en revanche aimé le dessin (les décors plus que les personnages). Si les scènes d’un passé idyllique mais disparu – tel un paradis perdu – sont colorisées par des couleurs franches, les teintes se font bien plus sombres et profondes dans le Nouveau Monde, royaume de la nuit, de la neige et de la violence. Les cieux de Núria Tamarit sont particulièrement sublimes, morceaux de rêves qui donnent envie de s’isoler loin de la civilisation pour se planter sous les étoiles.
Dommage qu’un léger manque d’originalité vienne gâcher cette histoire d’aventures qui parle de liberté, de la beauté de la nature et de la sauvagerie de l’être humain.
La louve boréale, Núria Tamarit. Sarbacane, 2022. Traduit de l’espagnol par Ingrid Hein Leo. 212 pages.