Sorcières : la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet (2018)

Sorcières (couverture)L’ayant reçu à Noël l’année même de sa sortie, Sorcières est la preuve que les livres stagnent parfois de longues années dans ma PAL avant d’en être extirpés…

« L’autonomie, contrairement à ce que veut faire croire aujourd’hui le chantage de la « revanche », ne signifie pas l’absence de liens, mais la possibilité de nouer des liens qui respectent notre intégrité, notre libre arbitre, qui favorisent notre épanouissement au lieu de l’entraver, et cela quel que soit notre mode de vie, seule ou en couple, avec ou sans enfants. La sorcière, écrit Pam Grossman, est le « seul archétype féminin qui détient un pouvoir par elle-même. Elle ne se laisse pas définir par quelqu’un d’autre. Épouse, sœur, mère, vierge, putain : ces archétypes sont fondés sur les relations avec les autres. La sorcière, elle, est une femme qui tient debout toute seule ». »
(Une vie à soi – Des femmes toujours « fondues »)

Sans surprise, j’ai beaucoup aimé cette lecture, à la fois passionnante et instructive. Mona Chollet se penche sur la question des femmes célibataires, des femmes sans enfants, des femmes âgées et sur la vision et la construction de nos sociétés. Je ne vais pas développer ces thèses ou le contenu des différentes parties puisque le livre a déjà été chroniqué mille fois ; aussi, je vais plutôt vous donner mon avis tout personnel.

Tout d’abord, je suis restée muette devant des anecdotes ahurissantes sur la chasse aux sorcières, des explications confondantes de balourdises ou de bêtise : la machine était bien rodée, la main patriarcale toujours prête à replonger sous l’eau la tête de celles qui faisaient mine de vouloir respirer. Et encore, trouver des théories, des justifications, des croyances aberrantes dans des écrits du Moyen-Âge ou de la Renaissance, passe encore, mais j’ai été abasourdie par la partialité de certains et (pire) de certaines intellectuel·les (sociologues, psychologues…) du XXIe siècle. Ces questions soulèvent encore bien des débats, notamment le (non-)désir d’enfants qui cristallise bien des crispations.

Ce n’est pas une accumulation de chiffres et de données, mais davantage un développement des mécanismes sexistes nés des chasses aux sorcières, un regard sur la façon dont cela a modelé l’image actuelle des femmes. De même, ne vous attendez pas à trouver un récit complet de l’histoire des chasses aux sorcières, celles-ci étant un point de départ à l’ouvrage.
Cet ouvrage a fait naître quelques réflexions personnelles, m’a fait regarder certaines choses de manière légèrement différente. Parfois, elle prêchait une convaincue, parfois elle m’a parfois heurtée et questionnée. Cependant, contrairement à d’autres lectrices dont j’ai pu lire les critiques, j’ai toutefois apprécié les nuances apportées par l’autrice dans ces différentes sections : malgré un avis fort sur certaines questions, elle ne présente pas ses réflexions comme absolues et précise bien que les situations et les aspirations de chacune d’entre nous sont variées. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas une seule façon de vivre sa vie.

J’ai apprécié ce regard à la fois personnel – Mona Chollet ne se met pas totalement à l’écart de son regard sur les femmes, parle de son regard et du regard des autres sur elle-même, de ses réflexions sur sa situation personnelle –, historique, littéraire, cinématographique, artistique. Tout en se penchant sur des clichés bien connus, l’autrice multiplie les références et je ressors de cette lecture avec des livres à lire, des films à voir, des artistes à découvrir, des recherches à mener.

 Sorcières se lit très facilement, l’écriture est très agréable (les sujets le sont parfois un peu moins certes) et accessible. C’est un ouvrage qui me semble idéal quand, comme moi, on ne lit que peu d’essais. Mona Chollet adopte un ton qui n’est pas dénué d’humour et d’ironie, ce qui m’a beaucoup plu.

Si je devais signaler un point qui m’a surprise, ce sont les références à des auteurs des siècles passés sans citer les textes originaux, mais en puisant dans des ouvrages plus récents d’auteurs et autrices s’étant penchés sur la question. Je trouve dommage de ne pas se tourner vers les écrits originaux plutôt que leur reprise dans un autre livre.

Sorcières est donc un essai passionnant et documenté qui aura accompagné des réflexions personnelles (certaines déjà présentes, d’autres non). La plume de Mona Chollet est à la fois incisive et d’une grande fluidité, j’apprécie énormément d’entendre ainsi la « voix » de l’autrice. Bref, j’aurais mis le temps, mais me voilà comme tant d’autres convaincue par cet ouvrage.

« On continue à croire dur comme fer qu’elles sont programmées pour désirer être mères. Autrefois, on invoquait l’action autonome de leur utérus, « animal redoutable », « possédé du désir de faire des enfants », « vivant, rebelle au raisonnement, qui s’efforce sous l’action de ses désirs furieux de tout dominer ». L’utérus sauteur a cédé la place dans les imaginaires à cet organe mystérieux appelé « horloge biologique », dont aucune radiographie n’a encore pu localiser l’emplacement précis, mais dont on entend distinctement le tic-tac en se penchant sur leur ventre lorsqu’elles ont entre trente-cinq et quarante ans. »
(Le désir de la stérilité – Le dernier bastion de la nature)

« La force des stéréotypes et des préjugés peut avoir quelque chose de profondément démoralisant ; mais elle offre aussi une chance, celle de tracer de nouveaux chemins. Elle donne l’occasion de goûter aux joies de l’insolence, de l’aventure, de l’invention, et d’observer qui se déclare prêt à en être – en évitant de perdre son temps avec les autres. Elle invite à se montrer iconoclaste, au sens premier du terme, c’est-à-dire à briser les anciennes images et la malédiction qu’elles colportent. »
(L’ivresse des cimes – « Inventer l’autre loi »)

« Il m’a fallu du temps pour comprendre que l’intelligence n’est pas une qualité absolue, mais qu’elle peut connaître des variations spectaculaires en fonction des contextes dans lesquels nous nous trouvons et des personnes que nous avons en face de nous. Les circonstances et les interlocuteurs ont le pouvoir de révéler ou d’aimanter des parties très diverses de nous-mêmes, de stimuler ou de paralyser nos capacités intellectuelles. Or la société assigne aux femmes et aux hommes des domaines de compétence très différents, et très diversement valorisés, de sorte que les premières se retrouvent plus souvent en situation d’être bêtes. Ce sont elles qui courent le plus de risques de se révéler déficientes dans les domaines prestigieux, ceux qui sont censés compter vraiment, tandis que ceux où elles auront développé des aptitudes seront négligés, méprisés ou parfois carrément invisibles. Elles auront aussi moins confiance en elles. Notre nullité est une prophétie autoréalisatrice. Parfois je dis des âneries par ignorance, mais parfois aussi j’en dis parce que mon cerveau se fige, parce que mes neurones s’égaillent comme une volée d’étourneaux et que je perds mes moyens. Je suis prisonnière d’un cercle vicieux : je sens la condescendance ou le mépris de mon interlocuteur, alors je dis une énormité, confirmant ainsi ce jugement à la fois aux yeux des autres et aux miens. »
(Mettre ce monde cul par-dessus tête)

Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet. Éditions Zones, 2018. 231 pages.

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse (2019)

Né d'aucune femme (couverture)« « Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile.
– Et alors, qu’y-a-t-il d’extraordinaire à cela ? demandai-je.
– Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.
– De quoi parlez-vous ?
– Les cahiers… Ceux de Rose. »
Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin.
 »

Voilà le résumé de la quatrième de couverture. Débrouillez-vous, je ne vous en dirai pas plus. j’ignorais tout de ce roman. Je savais simplement, depuis sa sortie (ce qui ne fait qu’un peu plus d’un an), que je le lirai un jour. Autant dire que j’ai été ravie de plonger entre ses pages.

Le premier chapitre a failli m’inquiéter : je m’attendais à une « vraie histoire » et voilà une ouverture ultra poétique… et ultra floue. Le deuxième chapitre était à peine mieux. Heureusement, dès le troisième, nous voilà lancée dans l’intrigue et tout sentiment de perplexité est vite oublié.
Remplacé par du malaise, de la tension, de la crainte pour Rose. L’atmosphère devient crispante et angoissante tant on redoute l’inéluctable. On le sent dès les premières pages des carnets de Rose que la vie de cette jeune fille tirera vers le noir, vers le cruel, vers la souffrance et le désespoir. Encore une fois, dans cette histoire entre dominants et dominés, les femmes sont souvent les perdantes. Pas toujours certes, et certains hommes font partie du second groupe, mais elles sont rares, celles qui ont le pouvoir de commander.
La seconde partie est plus calme. L’inquiétude diminue – on se dit que le pire est passé – et la lecture se fait moins effarante. Pas moins prenante cependant, tant on se prend avec plaisir au jeu de la déduction et des hypothèses pour relier tous les indices. Même si j’ai réussi à deviner la plupart des révélations avant que l’auteur ne les expose, je dois dire que le tout est joliment ficelé.

Roman polyphonique, je suis passée d’un personnage à l’autre avec l’avidité de connaître la suite, de retrouver tel ou tel protagoniste. Efficacité redoutable pour un rythme presque haletant par moments. Certains personnages révulsent, d’autres m’ont emplie de compassion, d’autres m’ont laissée indécise, ne sachant pas sur quel pied danser face à eux. Les fous, les lâches, les cruels, les empathiques, les terrifiés. Les maîtres et les esclaves. Les puissants et les faibles. Les mots de Franck Bouysse font naître sympathie et antipathie avec la même facilité, avec la même violence.

L’écriture m’a envoûtée. Rien que pour elle, je lirai d’autres livres de cet auteur. S’il offre la parole à différents personnages, si Edmond, ne serait-ce que par la mise en page, est très reconnaissable, c’est la voix de Rose qui m’a le plus séduite. A la poésie, aux images originales et superbes, s’ajoute une note patoisante irrésistible. Cette oralité donne une présence à la jeune fille, une franchise et une simplicité absolument renversantes.
Né d’aucune femme, c’est ce genre de livre dont je relis certains passages plusieurs fois tant ils sont beaux, tant ils sont forts, tant ils sont magnifiquement écrits, tant ils remuent les entrailles.

Né d’aucune femme est un récit romanesque, violent, humain, terrible, sombre jusqu’au sordide parfois, poignant, porté par une plume puissante et imagée. Sublime dans le genre qui prend aux tripes.

(Par contre. C’est quoi ce bazar dans la chronologie à un moment donné ? J’ai retourné l’affaire dans tous les sens, j’en ai discuté avec ma mère qui venait de le lire aussi, j’ai même fait une petite frise des événements pour être sûre de ne rien oublier, mais il n’y a rien à faire : Onésime a vécu un jour et une nuit de moins que Rose. (Pour les personnes qui auraient lu le livre, ça vous parle ? C’est entre les événements de l’écurie et de la forge – désolée, je reste volontairement vague pour ne pas spoiler.) Sans blague, comment peut-on laisser passer un truc pareil ? (Ou alors je n’ai pas compris quelque chose et il faut m’expliquer…))

« Le silence me pesait pas et j’aurais pu jurer que c’était le seul endroit où se sentir bien, si jamais le silence peut être un endroit où se réfugier quand on se sent pas bien avec quelqu’un, ou peut-être trop bien. »

« Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, qu’il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent ou du sang, ou même des deux à la fois, et puis les lâches. Lâche, comme Edmond. Parce qu’être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange. »

« J’ai collé la poupée sous mon nez et je me suis mise à la sentir. Mon enfance était entièrement contenue dans son odeur, comme une carte que j’avais toujours été en mesure de déplier et qui me permettait d’aller dans un endroit que j’étais la seule à connaître. Avant. Tout ce qui venait de céder à l’intérieur de moi. Il y a des vies qu’on raconte dans des grands livres, et moi, je possédais rien que cette poupée que je tenais, une sorte de livre sans pages, que personne à part moi était capable de lire. »

« La seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce moment existe il me convient. Au moins, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. Je désire pourtant pas être sauvée. »

Né d’aucune femme, Franck Bouysse. La Manufacture de livres, 2019. 333 pages.

La tresse, de Laetitia Colombani (2017)

La tresse (couverture)Tresse n. f. Assemblage de trois mèches, de trois brins entrelacés.
Cette définition ouvre ce roman qui tressera la vie de trois femmes, chacune sur un continent différent. Smita, l’Indienne, est une Intouchable qui, pour protéger sa fille de la vie de misère qui est la sienne, décide de quitter son village, consciente de la punition qu’elle pourrait encourir. Alors que son père est dans le coma suite à un accident, Giulia, la Sicilienne, découvre la faillite de l’atelier familial de perruque. Avocate renommée, Sarah, la Canadienne, flirte avec les sommets lorsqu’elle apprend qu’elle est gravement malade.

La tresse nous offre un triste bilan sur la condition des femmes. Ces trois femmes doivent lutter contre les préjugés de la société, contre les violences faites aux femmes. Chaque jour de leur vie est un défi.
Evidemment, Smita est celle dont le destin est le plus insupportable dans « ce pays qui décidément n’aime pas beaucoup les femmes » : la femme comme une possession du mari, le viol utilisé comme une arme et comme une punition (pas seulement pour punir la femme concernée, mais aussi pour punir son père, son frère…). Mais il y a également Sarah déchirée entre son travail et ses enfants. Dans son monde de requins, la maternité et la maladie sont presque considérées comme des fautes professionnelles. Giulia, quant à elle, doit lutter contre le poids des traditions lorsque l’on vient d’une vieille famille palermitaine.
En mille occasions, les femmes sont stigmatisées, victimes dans l’indifférence générale. Evidemment, ça me bouleverse. Je m’identifie à elles et cette situation me met en rage.

« Qui croit-elle donc être, face à cette violence, cette avalanche de haine ? Pense-t-elle pouvoir y échapper ? Se croit-elle plus forte que les autres ? »

Smita, Giulia, Sarah… Les chapitres s’alternent et cette construction, pour être classique – surtout lorsque l’on rajoute des attrapes en fin de chapitre du genre « C’est alors que le miracle se produit. » –, fonctionne à merveille. J’ai été incapable de lâcher le livre, poussée par la curiosité de connaître leur destin. Peu à peu des boucles se forment et un lien entre les trois femmes se dessinent. Sans le savoir, sans se connaître, elles sont liées. J’ai aimé cette idée de cette solidarité entre les continents, de cette tresse multiculturelle.

La tresse est à mon goût un roman bouleversant et je remercie l’autrice de dénoncer ce qu’elle dénonce. Néanmoins, je ne le trouve pas parfait pour autant. Je lui reproche d’être un peu trop court et donc de ne pas creuser assez loin ses trois intrigues ainsi que ses personnages. Elle se concentre tellement sur les injustices qu’elles doivent affronter qu’elle oublie parfois de leur donner un côté plus humain. Par exemple, pour Sarah, on ne parle que du travail sous différentes déclinaisons (les enfants et le travail, la maladie et le travail, etc.), mais comment va-t-elle parler de sa maladie à ses enfants, comment vit-elle cette situation à un point de vue personnel ? Seule Giulia échappe à ce sort et a droit à des instants de joie dans sa vie. Autre conséquence de la brièveté du roman : le dénouement arrive de manière quelque peu abrupte.
Je l’ai également trouvé un poil trop documentaire par moments. Je pense notamment au passage sur le viol en Inde, plusieurs exemples de viols sont donnés, certains ont d’ailleurs fait parler en Occident. Je trouve cette énumération un peu forcée comme si l’autrice tenait à justifier son propos.

Un roman féministe qui, s’il n’est pas exempt de défauts, m’a fait connaître l’abattement et la rage avant, enfin, de m’apaiser grâce aux trois derniers chapitres, lueurs d’espoir. Un hymne aux femmes et à la liberté. Un premier roman réussi.

« Smita le sait : une femme n’a pas de bien propre, tout appartient à son époux. En se mariant, elle lui donne tout. En me perdant, elle cesse d’exister. »

« Alors Giulia aime Kamal en secret. Leurs amours sont clandestines. Ce sont des amours sans papiers. »

« Il valait mieux mentir, inventer, broder, tout, plutôt qu’avouer qu’on avait des enfants, en d’autres termes : des chaînes, des liens, des contraintes. Ils étaient autant de freins à votre disponibilité, à l’évolution de votre carrière. Sarah se souvient de cette femme, dans l’ancien cabinet où elle exerçait, qui venait d’être promue associée et qui, à l’annonce de sa grossesse, s’était vue destituée, renvoyée au statut de collaboratrice. C’était une violence sourde, invisible, une violence ordinaire que personne ne dénonçait. »

La tresse, Laetitia Colombani. Grasset, 2017. 221 pages.

Imani, mon amour, de Connie Porter (2001)

Imani mon amour (couverture)A Buffalo, Tasha, une lycéenne de 15 ans, tombe enceinte suite un viol. Par honte, elle le tait et garde l’enfant qu’elle prénomme Imani. Elle l’élève donc tout en poursuivant ses études, elle la dépose à la garderie de lycée (où les mères-enfants sont nombreuses), suit les cours de Mme Poole pour apprendre à l’élever avant de la récupérer le soir.

L’histoire est plutôt touchante par la dévotion que cette jeune fille voue à son joli bébé, elle qui, depuis longtemps, ne se sent plus aimée par sa mère. Tasha fait tout pour pouvoir sortir sa fille de ce ghetto noir, monde de violence et de misère où les dealers campent à tous les coins de rue. Imani est une gamine mignonne comme peuvent l’être certains enfants en grandissant et j’ai été indignée par la manière dont Earlene, la mère de Tasha, finit par utiliser le bébé, prétendant qu’il est le sien.

La fin m’a surprise. Je ne m’attendais pas à cette violence. Donc si je n’ai pas trouvé le livre excellent, la fin a le mérite d’être inattendue et bouleversante.

Le viol, qui n’est avoué au lecteur qu’au bout d’un certain temps, n’est pas dénoncé par Tasha alors qu’elle connaît son agresseur et se retrouve même face à lui plus tard. J’ai eu la désagréable impression que cela encourageait à se taire, validait la honte du viol. Mais l’histoire ne se focalise pas sur le viol, mais sur l’enfant. On le laisse ainsi de côté.

L’écriture très oralisée m’a rebutée au début, puis je me suis habituée avant de me lasser à nouveau. C’est parfois excellemment fait, mais cette fois, ce n’est pas passé. C’était pourtant approprié, mais c’était peut-être trop marqué. Trop lancinante parfois, cette manière de répéter Imani, Imani, Imani.

Un livre réaliste, qui oscille entre ténèbres et lumières, qui offre un portrait psychologique relativement fin d’une jeune adolescente luttant pour offrir une vie meilleure à sa fille.

« Maman dit que maintenant je suis grande parce que j’ai Imani. Elle dit qu’Imani est à moi, rien qu’à moi. Je le sais qu’elle est rien qu’à moi, et justement c’est ça qui me plaît, de pas être obligée de partager mon bébé avec personne. Même qu’elle me ressemble, Imani. Je le vois, qu’elle a mon nez sur sa petite bouille, et mes lèvres, aussi, et mes mains. Ses doigts sont larges et aplatis, exactement comme les miens. Je m’en fiche de ce que les gens disens, sur qui ils retrouvent quand ils la voient. Elle est tout moi. »

Imani, mon amour, Connie Porter. France Loisirs, 2001 (1999 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Oristelle Bonis. 280 pages.