Les deux romans mythologiques de Madeline Miller : Le chant d’Achille et Circé

Madeline Miller propose ici l’histoire de deux personnages de la mythologie grecque : Patrocle et Circé. Deux protagonistes méconnus car ils sont invisibilisés par d’autres héros, plus grandioses : Patrocle par Achille dans L’Iliade, Circé par Ulysse dans L’Odyssée. Eux qui sont habituellement de simples épisodes dans une aventure plus longue, plus importante qu’eux, sont ici magnifiés et honorés.
Réécrivant les histoires, l’autrice offre ainsi un nouveau point de vue, tant sur la légende que sur les héros. Par exemple, le grand Ulysse est, dans ces romans, un personnage ambigu, toujours fascinant et diaboliquement rusé, mais également moins pleinement sympathique. Ses romans dévoilent les sombres facettes des divinités comme des héros.

« (…) mais il est vrai que nos histoires comportaient de nombreux personnages : le grand Persée, ou le modeste Pélée ; Héraclès, ou Hylas, presque oublié. Certains s’y voyaient consacrer toute une épopée, d’autres un simple vers. » (Le chant d’Achille)

Le chant d’Achille trace le portrait d’un homme bon, d’un héros d’un genre différent, plus simple, plus humain. Il s’intéresse aux autres et connaît les hommes qui l’entourent. Il refuse d’utiliser une fille comme un simple pion négligeable. C’est aussi une très belle histoire d’amour, d’une grande tendresse et d’une force surmontant tout, même la haine d’une divinité. J’ai été prise aux tripes par cette histoire intense. J’ai adoré suivre ces deux garçons, au fil de leur enfance et de leur apprentissage qui les menaient inéluctablement à la guerre. C’est une plongée dans la société grecque, dans les us et coutumes, dans les occupations et les connaissances de cette civilisation, dans les codes d’honneur et trahisons qui marquent le conflit.

« Il n’y avait pas de mots pour lui décrire ce que je ressentais. Notre monde était dominé par le sang, et par l’honneur gagné en le répandant. Seuls les lâches ne combattaient pas. Un prince n’avait le choix. Il pouvait soit aller à la guerre et gagner, soit aller à la guerre et perdre. Voilà pourquoi même Chiron avait envoyé une lance à Achille. » (Le chant d’Achille)

Circé est une histoire profondément féministe. Madeline Miller raconte ce qui n’est jamais raconté : l’enfance de Circé, rabaissée, ignorée, moquée pour sa voix et son physique, punie pour les autres. Mais découvertes, erreurs, hésitations, résolutions constitueront une sorte de quête de son identité et on la voit avec plaisir avancer au fil du récit, jusqu’à se trouver, s’affirmer, se connaître.
La légende est approfondie, développée. Dans les textes traditionnels, la transformation des marins en cochons par Circé semble gratuite, sans réelle justification ; il s’agit simplement de la démonstration de son pouvoir. Ce n’est pas le cas ici et Circé a bel et bien ses raisons d’agir ainsi…

« Jadis, je pensais que les dieux étaient le contraire de la mort, mais je vois maintenant qu’ils sont plus morts que tout le reste, car ils sont immuables et ne peuvent rien tenir dans leurs mains. » (Circé)

Ce sont deux romans d’une superbe sensibilité, qui mettent en scène des personnages touchants qui ne répondent pas aux attentes de leur entourage. Patrocle n’est pas le fier guerrier que son père aurait voulu qu’il soit – contrairement à ceux qui l’entourent, il a le combat en horreur – et Circé ne cesse de déplaire. Elle se débarrasse de son carcan de faible nymphe, s’oppose à son père Hélios, à Hermès et à Athéna, elle refuse de se soumettre éternellement ; son pouvoir effraie et l’isole des autres, son intelligence est reniée, bref, elle est trop « difficile » pour le monde simplement parce qu’elle est elle. La place des femmes, les attentes de la société, la différence et l’affirmation de son identité sont donc des thèmes centraux de ces récits atypiques.

« Je ne fus pas étonnée du portrait qu’on y faisait de moi : la fière sorcière s’avouant vaincue devant l’épée du héros, s’agenouillant et demandant grâce. Il semble que punir les femmes soit le passe-temps favori des poètes. Comme s’il ne pouvait pas y avoir d’histoire à moins que nous ne rampions en pleurant. » (Circé)

De plus, pour ne rien gâcher, ces récits sont terriblement prenants. L’écriture est riche, poétique et fluide à la fois et les pages tournent toutes seules. L’atmosphère est magique, tantôt contemplative, tantôt tumultueuse.
Plusieurs légendes sont abordées, notamment dans Circé car son immortalité lui a permis de côtoyer de nombreux personnages : les aventures d’Ulysse ou de Scylla évidemment, mais aussi celles de Prométhée, de Médée et Jason, du Minotaure, de Dédale et Icare… Cela ouvre l’horizon du roman, le rendant plus passionnant encore.
J’ai aimé que l’autrice prenne des libertés avec les histoires habituelles, qu’elle ne s’enferme pas elle-même dans le carcan de la simple réécriture. Chez Madeline Miller, il n’est jamais fait mention du fameux talon d’Achille et Circé s’invite dans des épisodes nouveaux comme celui du Minotaure (quoique cela ne soit pas aberrant puisque Pasiphaé, mère du monstre, n’est autre que la sœur de Circé).

J’ai adoré renouer avec la mythologie par le biais de ces points de vue alternatifs qui offrent enfin une voix aux à-côté des histoires et humanisent les légendes. Ce sont des histoires intelligentes, palpitantes, enchanteresses et magnifiques. A présent, j’attends le prochain avec impatience ! (En attendant, je vais peut-être relire L’Iliade et L’Odyssée…)

Le chant d’Achille, Madeline Miller. Pocket, 2020 (2012 pour l’édition originale. Edition Rue Fromentin, 2014, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché. 470 pages.

Circé, Madeline Miller. Pocket, 2019 (2018 pour l’édition originale. Edition Rue Fromentin, 2018, pour la traduction française). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché. 571 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – L’Interprète Grec :
lire une histoire se déroulant en Grèce

Elyon (tomes 1 à 3), de Patrick Carman (2005)

Avec Elyon, je me suis replongée dans une trilogie de mon adolescence. Des livres dont je n’avais absolument aucun souvenir. Par ailleurs, Livraddict m’a appris qu’il existait deux tomes supplémentaires dont je n’avais jamais eu connaissance et que je n’avais même jamais recherché la mention « trilogie » figurant sur les trois premiers volumes.

Alexa, 12 ans, se rend avec son père, comme tous les étés, à Bridewell, la principale cité de leur petit royaume. Sauf que, cette fois, elle est bien décidée à franchir les murailles qui les isolent de l’extérieur pour partir à l’aventure. Elle ne se doutait que cela l’amènerait à parler avec des animaux et surtout à prendre conscience qu’un terrible danger menace sa ville. Son destin vient de se mettre en marche.

Le premier tome, Le mystère des Monts Obscurs, peut se lire seul. Il y a un début et une fin bien propre et presque aucune question n’est laissée en suspens. Seuls les mystères entourant certains protagonistes – tels Thomas et Renny Warvold ou encore Elyon, le créateur de cette Terre – trouveront des réponses dans les deux volumes suivants.
Cette première lecture m’a été agréable. La Terre d’Elyon est un monde original, intrigant et onirique (quoique étonnement restreint en terme de géographie) sur lequel planent les reliquats d’une ancienne magie presque évaporée, oubliée. Ce récit recèle de très belles trouvailles, comme les Jocastes, ces pierres dont les gravures subtiles recèlent des motifs cachés ou ces récits poignants de famille (d’animaux mais cela importe peu) séparées par les murailles érigées par les humains. Bien qu’ayant démasqué « le méchant de l’histoire » bien avant Alexa, le jeu d’énigmes et d’enquête s’est révélé sympathique et plaisant à suivre.

Avec le second tome, La Vallée des Épines, mon enthousiasme a commencé à décroître. Un an après les événements du premier volume, les aventures d’Alexa continuent et celui qu’elle doit défaire est presque l’égal d’Elyon lui-même. Une histoire de toute évidence inspirée de la Chute, Elyon étant Dieu, Abaddon Lucifer et les Séraphins les anges déchus (Séraphins étant un terme désignant dans la Bible des créatures célestes dotées de trois paires d’ailes et présentes autour du trône de Dieu.
En premier lieu, j’ai trouvé ce tome très lent. C’est avant tout un voyage qui s’embrouille parfois dans des indications pas toujours claires et pendant lequel l’action se fait moins régulière. Ensuite, en dépit de cette lenteur, les nouveaux personnages traversent l’histoire sans susciter la moindre émotion puisque qu’ils restent méconnus et peu caractérisés.

Le troisième tome, La Dixième Cité, a tout d’abord souligné une étrange erreur qui me questionnait depuis le premier lorsque j’étudiais la carte de la Terre d’Elyon. Voici le passage en question :
« – Je connais l’existence de neuf cités sur la Terre d’Elyon.
(…)

– Neuf cités que j’ai vues de mes yeux, poursuivit Warvold.
Et il les énuméra, trop bas pour que j’entende ces noms familiers : Bridewell, Turlock, Lathbury, Lunenburg, Ainsworth, le Royaume de l’Ouest, Castalia et le Royaume du Nord.
– Il en est cependant une autre, reprit-il plus fort. Une autre dont je pensais que nul ne pouvait l’atteindre…
Il s’interrompit, se retint aux poutres tandis qu’une nouvelle vague cognait contre la coque.
– … La Dixième Cité, par-delà le Traître-Champ et les brumes éternelles, située en un lieu que personne n’a jamais découvert. »
Sauf que nous sommes bien d’accord qu’il n’énumère que huit cités (qui apparaissent sur la carte) : du coup, où est passée la neuvième ? Ou est-ce que l’auteur trouvait simplement que la Dixième Cité sonnait mieux que la Neuvième Cité ? Quoi qu’il en soit, c’est le genre de détail qui m’agace…

Ensuite, ce troisième opus a confirmé ce qui m’était déjà apparu dans le second : les personnages sont beaucoup trop lisses. Sujets à aucune évolution, ils représentent un caractère inébranlable tout au long de la trilogie. Les méchants sont atrocement caricaturaux : même le traître du premier tome, qui a tout de même connu l’héroïne depuis sa naissance, n’apparaît finalement que comme un homme cruel et violent sans la moindre nuance une fois dévoilée sa véritable identité. Dans les tomes 2 et 3, les apparitions de Victor Grindall, l’âme damnée d’Abaddon, sont risibles tant elles sont exagérées. Finalement, le seul personnage avec une psychologie un tant soit peu intéressante est Pervis Kotcher, le chef de la garde qui, malgré l’aversion mutuelle entre Alexa et lui, se révèlera d’une aide précieuse ; il possède un caractère plus complexe que les autres personnages. Bien entendu, tout cela est terminé dans le tome 2 puisque Pervis devient alors irrémédiablement « un gentil ».
Sans surprise, c’est la même chose du côté de l’histoire. On en devine la plupart des rebondissements, notamment grâce à des indices aussi discrets qu’un troupeau d’éléphants. Sans compter que tout semble trop facile puisqu’Elyon parle directement Alexa, la guidant dans sa quête et annihilant, pour le lecteur, le moindre sentiment de danger. Ses incertitudes apparaissent presque factices car elle ne semble finalement prendre aucune décision, se laissant guider par les autres et son ami omniscient. De plus, le discours « Elyon nous aime et veille sur nous, je ressentis alors tout l’amour qu’Elyon avait pour moi, etc. » était un peu exagéré pour moi, avec une connotation religieuse trop marquée.

Je ne vais pas faire que critiquer cependant. Côté personnages, la relation entre Alexa et Murphy, un écureuil surexcité, s’est révélé plutôt touchante dans la manière dont ces deux-là se réconfortent et s’encouragent mutuellement.
C’est aussi une histoire sympathique sur le fait de grandir, la vie qui se complique, les jeux qui n’en sont plus, les pertes qui ponctuent le chemin de l’existence, les regrets lorsqu’on regarde en arrière et l’impossibilité de redonner vie au passé. Si je pense être devenue trop âgée – et surtout trop exigeante – pour ces livres, je vois ce qui m’avait plu à l’époque et ce qui peut encore plaire à des adolescent·es.

Je sais que ma chronique n’est guère positive, cependant je pense que cela est dû à mon âge et à des romans trop enfantins à mon goût. Le premier tome fut une bonne redécouverte (et puis une héroïne qui adore lire et passe des heures à la bibliothèque, c’est toujours agréable !), mais la suite un peu trop monotone m’a moins emballée. J’aurais aimé quelque chose de plus creusé, avec des développements et dénouements moins évidents.

« Murphy en profita pour grimper encore plus haut et s’installer sur l’épaule de Yipes. Murphy sur Yipes, Yipes sur Armon : cela ressemblait à un numéro de cirque qui soulignait la nature unique de notre groupe. A présent, nos faiblesses me semblaient moins apparentes, et ce qui faisait notre force, plus évident. Les événements de la journée avaient prouvé que chacun de nous était doté de capacités que les autres n’avaient pas. Comme si nous étions les parties d’un même corps, nous dépendions les uns des autres et fonctionnions au mieux lorsque nous agissions ensemble. Ne sachant quelle partie de ce corps j’étais, je me sentis soudain inadaptée. »

Elyon (tomes 1 à 3), Patrick Carman. Bayard jeunesse.
– Tome 1, Le mystère des Monts Obscurs, 2006 (2005 pour l’édition originale), 327 pages ;
– Tome 2, La Vallée des Épines, 2007 (2005 pour l’édition originale), 279 pages ;
– Tome 3, La Dixième Cité, 2008 (2005 pour l’édition originale), 327 pages.

Trois petits livres signés par trois auteurs que j’apprécie beaucoup : Gaiman, de Fombelle et Bottero

Un peu par hasard, je me suis retrouvée avec trois livres de trois auteurs que j’aime beaucoup : Neil Gaiman, Timothée de Fombelle et Pierre Bottero. Odd et les géants de glace, Céleste, ma planète et Tour B2 mon amour sont trois courts romans jeunesse que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir.

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Odd et les géants de glace, de Neil Gaiman (2009)

Odd et les géants de glaceOdd, globalement, n’a pas beaucoup de chance. Plus de père, une mère réinstallée avec un gros bonhomme qui n’aime guère son beau-fils, une jambe en miette suite à un accident de bûcheronnage et voilà que l’hiver s’éternise, s’éternise, s’éternise… Il décide de partir du village sans se douter que son périple le fera côtoyer dieux et géants.

Avant son livre La mythologie Viking (que je n’ai pas encore lu), Gaiman avait déjà exploré ces contrées à travers une petite histoire. Un conte dans lequel un enfant vient en aide à Odin, Thor et Loki chassés d’Asgard par un géant de glace.
Ce n’est pas un Gaiman qui me restera en tête très longtemps. Ce serait même plutôt l’inverse. Attention, c’est une lecture très agréable, le décor prend vite forme – même s’il fait chaud dehors, on s’imagine aisément projeté au cœur de l’hiver –, les personnages sont sympathiques – même si je n’ai pas eu le temps de m’attacher à qui que ce soit – et l’on suit les péripéties sans déplaisir. Mais, contrairement à Timothée de Fombelle qui parvient en moins de pages encore à donner naissance à un récit puissant, Odd et les géants de glace se déroule trop facilement. Odd ne rencontre aucune difficulté et son aventure se déroule comme notre lecture, sans anicroche et bien trop rapidement. Le déroulé du récit est très classique et linéaire. J’aurais sans doute bien davantage accroché à cette histoire enfant, notamment pour l’aspect mythologique et la rencontre avec Loki, Freya et les autres.

Si j’aurais aimé une histoire plus approfondie, Odd et les géants de glace n’en reste pas moins un conte agréable que je conseillerais toutefois davantage aux enfants qu’aux adultes.

« Il était une fois un garçon nommé Odd, ce qui n’avait rien d’étrange ni d’inhabituel en ce temps et dans cette contrée-là. « Odd » signifiait « la pointe d’une lame », c’était un nom porte-bonheur.
Le garçon, en revanche, était un peu bizarre. C’était du moins l’avis des autres villageois. Bizarre, il l’était sans doute ; mais chanceux, certainement pas. »

« De l’écarlate retomba doucement autour d’eux, et tout fut souligné de vert et de bleu, et le monde fut couleur framboise, et couleur de feuille, et couleur d’or, et couleur de feu, et couleur de myrtille, et couleur de vin. »

Odd et les géants de glace, Neil Gaiman, illustré par Brett Helquist. Albin Michel, coll. Wiz, 2010 (2009 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Le Plouhinec. 141 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – Le Problème du Pont de Thor : 
lire un livre en rapport avec la mythologie nordique

Challenge de l’imaginaire
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Céleste, ma planète, de Timothée de Fombelle (2007)

Céleste ma planèteJe préviens, je vais spoiler pour cette chronique !

Dans un monde ultra modernisé, avec des complexes commerciaux titanesques, des tours dans lesquelles les voitures sont garées à la verticale, des humains qui ne mettent plus le nez dehors et une planète en souffrance, notre héros va faire une découverte incroyable qui va tout changer. Il tombe amoureux de Céleste, une jeune fille très malade… qui souffre des maux infligés à la planète.

On retrouve immédiatement la patte « de Fombelle » dans ce très court récit vite avalé. Poésie est un mot qui revient très souvent pour parler des œuvres de Timothée de Fombelle et ce texte ne fait exception. Cette histoire d’amour cache en réalité un fort engagement écologique et nous interpelle sur les ravages causés à la Terre et à la nature. Une manière originale et onirique pour parler de pollution. Un petit roman très actuel qui fait passer un message fort par le biais d’une histoire efficace et immédiatement prenante.

« Chaque coup porté à notre Terre était reçu par Céleste.
Céleste ne souffrait de rien d’autre que de la maladie de notre planète.
Elle allait mourir à petit feu.
Son sang devait être pollué comme les mers et les rivières, et ses poumons comme le plafond de fumée de nos villes. »

Céleste, ma planète, Timothée de Fombelle, illustré par Julie Ricossé. Gallimard, coll. Folio junior, 2016 (2007 pour la première publication). 91 pages.

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Tour B2 mon amour, de Pierre Bottero (2004)

Tour B2 mon amour (couverture)De Bottero, je n’ai lu que ses trilogies – La quête et Les mondes d’Ewilan, Le pacte des Marchombres et L’Autre – ainsi que Les âmes croisées, premier tome qui, tristesse infinie, restera sans suite. Ses one-shots me restent donc à découvrir et je suis tombée sur Tour B2 mon amour totalement par hasard.

C’est l’histoire d’une rencontre. De la rencontre de deux mondes entre les tours bétonnées d’une cité. La rencontre entre Tristan qui y est né et y a toujours vécu et Clélia qui a dû y emménager par la force des choses. Alors que son décrochage scolaire, ses conflits avec sa mère et la pression des copains menacent de faire glisser le premier sur une bien mauvaise pente, la seconde débarque dans sa vie avec sa spontanéité, sa gentillesse et son amour des livres et des mots. Tout cela, ainsi que sa veste trop grande et son vocabulaire soutenu, font d’elle une extraterrestre, parfaitement ignorante des codes de la cité.

Je n’avais pas de grandes attentes pour ce livre, moins encore lorsque j’ai compris qu’il allait s’agir d’une histoire d’amour, mais la plume de Bottero a su me convaincre.
Certes, l’histoire en elle-même n’est ni inoubliable ni particulièrement originale. La relation des deux personnages est très mignonne et, peu à peu, on s’attache à eux, à leurs fragilités, à leurs rêves, à leurs différences. J’ai apprécié que les personnages restent des collégiens et que les drames de leur quotidien restent crédibles et réalistes. Bottero aborde des thématiques actuelles, mais sans rendre le récit trop pesant, sombre ou torturé.
Cependant, le point fort de ce roman reste cette magie, cette profondeur dans son écriture. Cette justesse des mots qui touchent à chaque fois au cœur. Cette façon de raconter les sentiments, les tempêtes qui agitent cœurs et esprits. Si Clélia est un personnage atypique et décalé que j’ai immédiatement adoré, Tristan m’a également touchée par les craintes et espoirs qui l’agitent : la peur du rejet, le poids du regard des autres, l’envie de se dépasser, le rêve d’un avenir plus radieux, les efforts pour s’améliorer, la sensibilité qu’il tente de cacher, les instants de liberté avec Clélia…

C’est un joli petit récit, empli de tendresse, d’espoir et de la violence des premières histoires d’amour.

« Et maintenant, il était paumé. Déchiré entre des pulsions contradictoires, il ne savait que penser. L’image de Clélia se superposant à celle de ses copains, les accents de sa voix, ses mots formant une cacophonie avec le langage de la cité, il ne savait qu’écouter. Son passé luttant contre un futur à peine esquissé, il ne savait que croire. »

Tour B2 mon amour, Pierre Bottero. Flammarion jeunesse, coll. Tribal, 2004. 150 pages.

American Gods, de Neil Gaiman (2001)

American Gods (couverture)Ex-taulard, Ombre vient de perdre sa femme lorsqu’il rencontre Voyageur (qui m’a rappelé le Marquis de Carabas de Neverwhere). Cet homme étrange qui semble tout savoir de lui propose de travailler pour lui. Désabusé, Ombre accepte sans savoir qu’il s’engage dans une aventure périlleuse à travers les Etats-Unis. Une équipée qui l’amènera à côtoyer… des dieux. Les dieux de tous les pays, venus au fil des immigrations avec ceux qui croyaient alors en eux. Des dieux oubliés au fil des générations, remplacés par de nouvelles divinités : celles de la télévision, de l’argent, de la célébrité, du consumérisme…

Un roman aux multiples prix : prix Hugo du meilleur roman 2002, prix Nebula du meilleur roman 2002, prix Locus du meilleur roman de fantasy 2002, prix Bram Stocker du meilleur roman fantastique 2002, prix Bob Morane du meilleur roman étranger 2003.

American Gods est plus exigeant que les autres livres de Neil Gaiman que j’ai pu lire jusqu’à présent (Neverwhere, L’Océan au bout du chemin, Coraline, Miroirs et fumée). L’intrigue prend place doucement, les personnages sont plus nombreux, on visite de nombreux lieux, de nombreuses références sont faites à la culture populaire ainsi qu’aux différents panthéons. Bref, American Gods  est véritablement foisonnant.

Les Etats-Unis apparaissent vraiment comme un lieu cosmopolite, une terre sauvage où de nombreux peuples se sont retrouvés, se sont mélangés. C’est ce qui donne ce mélange de religions et de croyances. Et j’ai adoré rencontrer tous ces dieux et déesses, certain.es que je connaissais, d’autres non : Kali (hindouisme), Anansi (folklore de l’Afrique de l’Ouest), Odin (mythologie nordique), Czernobog (mythologie slave), Ibis/Thot (mythologie égyptienne), etc. Et les vies menées par ces divinités sont souvent peu reluisantes. Certaines se prostituent, d’autres survivent de petits boulots, d’autres se sont isolés du monde ou se sont parfois même suicidés. Décidément, Neil Gaiman ne manque pas d’humour et fait dégringoler les dieux et déesses de leur piédestal ! Un bon point pour les interludes qui évoquent une déité ou une autre, son arrivée sur le continent américain, sa survie au XXIe siècle : ce sont de petits détails passionnants !
American Gods est également un road-movie à travers les Etats-Unis. Les grands villes sont peu présentes (ou si c’est le cas, ne m’ont pas marquée) ; en revanche, on visite les petites villes, le cœur rural, authentique des USA.

En prime, un gros retournement de situation vous attend à la fin ! Il est très bien amené et je ne l’ai pas du tout vu venir.

Un peu SF, un peu fantasy, un peu de thriller et d’érotisme, des dialogues précis et de l’humour, American Gods est vraiment un livre à part, même si – peut-être paradoxalement – ce n’est pas celui de Gaiman qui m’a le plus enthousiasmée.

La série American Gods devrait être diffusée début 2017. Je suis impatiente de voir ce que cela va donner !

J’ai également Anansi Boys, dans lequel on retrouve les enfants d’Anansi, qui m’attend sur mon étagère depuis très longtemps. Il est en anglais et j’ai un peu peur de l’argot, mais je pense que je vais me lancer un de ces jours.

« Tu vas faire une commission à Voyageur. Tu vas lui dire qu’il n’existe plus. Il est oublié. Il est vieux. Dis-lui que nous, on est l’avenir, et qu’on n’en a rien à branler de lui ou des autres dans son genre. Il est relégué dans la poubelle de l’histoire alors que les types comme moi filent dans leur limousine sur la super autoroute de demain. »

« La chevauchée était plus qu’exaltante : elle était électrique.
Ils filaient à travers l’orage, s’élançant de nuage en nuage tels des éclairs déchiquetés ; ils se déplaçaient comme le tonnerre, comme l’ouragan déchaîné. C’était un impossible et crépitant voyage où la peur n’avait pas sa place. Il n’y avait que la puissance de la tempête, inexorable, qui dévorait tout, et la joie du vol. »

American Gods, Neil Gaiman. J’ai Lu, 2004  (2001 pour l’édition originale. Au Diable Vauvert, 2002, pour l’édition en grand format). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Pagel. 603 pages.

Challenge Les 4 éléments – Le feu : 
Une histoire d’éclairs