Mini-chroniques : la fournée du mois de mai

Deux mots sur quelques lectures du mois passé : des romans, une bande-dessinée et un documentaire…

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 La nuit des lucioles, de Julia Glass (2014)

La nuit des lucioles (couverture)

Kit, sans emploi, est englué dans une inertie qui l’empêche d’avancer. Sa femme le pousse alors à entreprendre la quête de ses origines, lui qui n’a jamais connu son père. C’est le début d’une quête familiale. Une quête qui m’a passionnée, je l’avoue. J’ai lu certains commentaires reprochant à ce livre des longueurs, mais, en ce qui me concerne, ça ne m’a pas freinée une seconde. J’ai adoré suivre ces personnages – le point de vue changeant au fil des parties – et l’autrice prend le temps d’explorer leur psychologie, leur passé, leurs regrets, leurs doutes, leurs espoirs. Effectivement, il ne faut pas rechercher des rebondissements éclatants ou des révélations tonitruantes. On sait dès l’incipit, avant même de rencontrer Kit, qui était son père.
Mais ce qui m’a entraînée, ce sont ces rencontres, ce ballet humain qui s’étale sur quatre générations ; ces paysages, de la montagne à la mer en passant par la campagne ; ces personnalités, ces âmes en quête de réponses. Ça parle de la famille, de la vieillesse, des questions lancinantes, de l’amour, de la paternité, du couple, des rencontres qui changent la vie, du temps qui passe.
J’ai adoré me laisser bercer par l’écriture agréable de Julia Glass, passer du temps avec les personnages et apprendre à les connaître. Une très bonne lecture qui dormait dans ma PAL depuis sept ans…

La nuit des lucioles, Julia Glass. Éditions des Deux Terres, 2015 (2014 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour. 571 pages.

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Peau d’Homme, d’Hubert (scénario) et Zanzim (dessin) (2020)

Peau d'homme (couverture)

Difficile d’être passée à côté de cette BD depuis sa sortie tant elle est encensée de tous côtés. Et je dois, à mon tour, confirmer que c’est bien mérité. Cette histoire de fille qui enfile une peau d’homme – un héritage familial un peu particulier, il faut l’avouer – et va ainsi s’éveiller et apprendre à penser par elle-même est tout d’abord très intelligente. Ça parle donc, avec beaucoup de subtilité, du couple, de genre, du respect mutuel, de la religion et ses excès, des relations amoureuses, de liberté et d’égalité.
Mais c’est également une excellente histoire, bien écrite et non dénuée d’humour, d’où naissent un attachement fort aux protagonistes et une irrésistible envie de connaître la suite et fin. La plongée dans la Renaissance italienne constitue un décor fascinant et original, monde de liberté et de création artistique mais encore soumis au poids de la religion.
Alors que je craignais la simplicité des illustrations, j’ai été séduite par le dessin très coloré de Zanzim. De plus, ses traits quelque peu sinueux apportent une grâce indéniable à ses personnages.
Bref, un vrai coup de cœur !

Peau d’Homme, Hubert (scénario) et Zanzim (dessin). Glénat, coll. 1000 feuilles, 2020. 160 pages.

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Sorcière : de Circé aux sorcières de Salem, d’Alix Paré (2020)

Sorcière (couverture)

Un petit documentaire que j’avais repéré en librairie avant d’avoir la chance de le recevoir grâce à une Masse Critique Babelio (merci aux organisateurs et aux éditions du Chêne !) et que j’ai vraiment aimé picorer.
Quarante œuvres d’art (majoritairement des tableaux mais pas seulement) autour de la figure de la sorcière sont ici présentées et accompagnées d’une notice sur une page. Celle-ci évoque aussi bien l’œuvre, expliquant les symboles, attirant notre attention sur des détails, que l’évolution de la représentation des sorcières au fil des siècles, avec le bestiaire, les anecdotes et les histoires qui ont inspirées les artistes.
Ça reste assez succinct, donc si vous cherchez tout un essai, passez votre chemin, mais en ce qui me concerne, j’ai beaucoup apprécié partir à la (re)découverte de tableaux plus ou moins célèbres. La diversité des œuvres et des styles permettront sans doute à chacun·e d’y trouver ses favoris, ceux qui nous toucheront plus que les autres.
Aborder l’art au travers d’une thématique évidemment fascinante, parler de ces femmes tantôt détestées tantôt admirées sous le prisme de leur représentation graphique : me voilà séduite par cet ouvrage d’art sans prétention !

Sorcière : de Circé aux sorcières de Salem, Alix Paré. Éditions du Chêne, 2020. 107 pages.

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Le Livre des mots (3 tomes), de J.V. Jones (1995-1996)

Mai a été l’occasion de finir ma lecture de cette trilogie de fantasy. Je ne vais pas vous mentir, ce n’est pas LA trilogie à lire même si ce n’est pas désagréable.
L’intrigue reste somme toute très classique : une lutte pour le pouvoir, des complots, un élu avec sa prophétie, de la magie… De même, les personnages sont plutôt manichéens, même si quelques nuances se glissent heureusement ici ou là, venant un peu tempérer leur côté tout gentil ou tout méchant. Cependant, j’ai pris plaisir à les côtoyer et à observer leurs évolutions, parfois bienvenues. Je pense notamment à Melli dont le côté naïf du premier tome ne manquait pas de me faire lever les yeux au ciel mais qui devient plus forte et déterminée dans les deux autres volumes tout en cessant de se laisser berner à chaque rebondissement. C’était ainsi plaisant, dans la seconde moitié du dernier tome, de se rendre compte du chemin parcouru (même si la fin est assez peu surprenante…).
Ainsi, en dépit de ces quelques facilités scénaristiques, j’admets que je n’ai pas boudé mon plaisir à cette lecture divertissante et dynamique. Les changements de points de vue attisent la curiosité en faisant avancer l’action à plusieurs niveaux. J’ai toujours eu envie de connaître la suite et c’est une lecture qui m’a bien changé les idées (ce qui correspondait tout à fait à mes envies quand j’ai entamé ma lecture).
Ce n’est pas la trilogie du siècle, elle ne renouvelle rien (peut-être était-elle plus originale à sa sortie), mais ça reste agréable à lire !

Le Livre des mots, J.V. Jones. Le Livre de poche, 2007-2008 (1995-1996 pour l’édition originale. 2005-2007 pour la traduction française. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier.
– Tome 1, L’enfant de la prophétie, 762 pages ;
– Tome 2, Le temps des trahisons, 851 pages ;
– Tome 3, Frères d’ombre et de lumière, 882 pages.

Génération K, tome 3, de Marine Carteron (2017)

Génération K, T3 (couverture)Kassandre, Georges et Enki sont fatigués de courir, mais leurs ennemis sont de plus en plus proches et de plus en plus forts. Difficile d’accorder sa confiance. De Lyon à Naples, c’est encore une course poursuite pour leur survie et celle de l’humanité qui s’engage.

> Ma critique de Génération K, tomes 1 et 2

Voilà une critique vraiment à chaud ! J’ai terminé le roman à onze heures hier soir après avoir passé une bonne partie de la journée dessus et je ne résiste pas à l’envie de partager tout de suite mes impressions avec vous.

On retrouve pour la dernière fois Kassandre et ses acolytes dans un troisième tome au rythme aussi effréné que dans les deux premiers. Courses poursuites, actions, affrontements aussi bien physiques (contre les hommes) que psychologiques (contre le Maître), ce final est aussi diablement sanglant !

Une nouvelle fois, j’ai été complètement fascinée par les entités millénaires créées par Marine Carteron. Je trouve que cela apporte beaucoup de poésie dans un roman autrement surtout centré sur l’action.
On se rend compte à quel point les quatre Génophores sont complémentaires, chacun représentant l’un des quatre éléments. La connexion qui lie Enki à la Nature permet à l’autrice de faire passer un message alarmant sur l’écologie tandis que Kassandre nous incite à avoir confiance en l’humain.
Après le taureau blanc de Kassandre et le noir dragon de Georges, on découvre les bêtes qui abritent les pouvoirs d’Enki et de Mina. Cette matérialisation donne lieu à des scènes très visuelles lorsque leurs pouvoirs, bien plus puissants que dans le premier opus, se réveillent.

Mais surtout… il y a cette révélation finale ! Ah, mes aïeux ! Des indices n’ont cessé de me titiller tout le long de ma lecture, mais ce n’est qu’à la page 354 que ça a enfin fait « tilt » (enfin, plutôt « Mais putain, évidemment ! »). La réponse à l’interrogation qui parcourt tout le roman était tellement évidente, écrite même, et j’ai bien eu l’impression d’avoir été menée en bateau avec maestria. Chapeau à Marine Carteron, voilà un moment qu’une fin ne m’avait pas enthousiasmée et amusée comme ça.
D’ailleurs, petit conseil à celles et ceux qui aiment fouiller les pages avant et après le roman, lire les remerciements, tout ça : je vous déconseille de lire la partie intitulée « Mais où trouvez-vous vos idées ? » au risque de complètement vous spoiler la fin ! Vous êtes prévenus !
Bon, ce n’est pas facile de vous faire passer mon enthousiasme et mon admiration sans spoiler, sans indice même, mais je serais ravie d’en parler avec vous dans les commentaires !

Des morts, du sang, un virus qui se propage de plus en plus, un antidote qui se fait attendre, des tensions exacerbées, un Maître très en colère… Tous les ingrédients nécessaires à un final sombre, pimenté par une révélation qui m’a tout simplement ravie. Ce troisième tome conclut en beauté (une beauté un peu morbide, certes) cette trilogie totalement addictive ! 

« Moi qui n’ai jamais douté, je m’interroge.
L’homme de ce siècle a tant appris que je n’arrive pas à comprendre comment il en est arrivé à ce point de non-retour. L’homme a oublié qu’il n’avait qu’une seule maison et danse, insouciant, entre ses murs prêts à s’effondrer.
Si par le passé je n’ai jamais hésité à punir les hommes ou à les combler, cette fois-ci, je ne sais pas quoi faire. »

Génération K, tome 3, Marine Carteron. Rouergue, coll. Epik, 2017. 364 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – Le Soldat Blanchi : 
lire un livre dont la couverture est à dominante blanche

Génération K, tomes 1 et 2, de Marine Carteron (2016-2017)

  • Tome 1

Génération K, tome 1 (couverture)Kassandre, Mina, Georges. Une fille d’aristocrates, une fille de domestique et un fils d’on-ne-sait-trop-qui. Apparemment, ils n’ont pas grand-chose en commun, pourtant leur sang est unique. Tout comme leurs pouvoirs qui attisent bien des convoitises.

En commençant ma lecture, j’ai eu la surprise de découvrir que Marine Carteron allait apparemment revisiter un mythe bien connu. En effet, la Roumanie, le retour d’un Maître vieux de plusieurs millénaires, le nom de famille de Kassandre (Elisabeth Báthory, accusée d’avoir assassinée plusieurs jeunes femmes, était surnommée la « comtesse Dracula »), tout cela s’est rapidement assemblé pour faire clignoter le mot « VAMPIRE » sous mon crâne. N’ayant rien lu sur la trilogie et bien que je me sois posée la question en découvrant la couverture du volume 2, j’ai été surprise mais curieuse de découvrir la suite.

Ce premier tome, qui assure la mise en place de l’histoire, est riche en découvertes et en révélations pour ces trois héros. Leur vie est bouleversée, mais ce ne sera que dans le second tome que l’on découvrira à quel point. Entre manipulations génétiques, course poursuite entre la Suisse et l’Italie (on fait aussi un tour dans le Jura, vers chez moi !) et pouvoirs mortels, cette nouvelle trilogie s’annonce bien plus sombre que la précédente. L’écriture de Marine Carteron est en rouge et noir. On ressent une pulsation, une musique de vie et, en même temps, une noirceur hypnotisante. La vie, la mort, le sang, tout se mêle.

Trois personnages, trois voix, trois points de vue sur les événements. Le fait de passer d’un personnage à l’autre ne fait qu’amplifier le côté page-turner du roman. On veut sans cesse avoir la suite de ses aventures, de ses découvertes, de ses réflexions. Aux pensées de Ka et Georges et au cahier de Mina s’ajoute une quatrième voix. Celle d’un cauchemar qui n’en est peut-être pas vraiment un…
Si je n’ai pas encore eu de coup de cœur pour l’un des personnages (comme j’ai pu en ressentir un à l’égard de Césarine dans Les Autodafeurs), j’apprécie énormément leur côté anti-héros. Ka a un caractère rock’n’roll qui envoie du lourd (surtout au milieu de sa famille d’aristo), mais elle est aussi exaspérante parfois avec ses caprices, Mina semble toute douce et toute fragile, mais je ne doute pas qu’elle cache bien son jeu, et la puissance rassurante de Georges est contrebalancée par son inquiétant pouvoir.
D’ailleurs, ces pouvoirs… Dangereux, mais tellement fascinants. S’agit-il un don ou une malédiction ? Ce dragon que Georges appelle « ma bête noire » ou « ma sombre amie », est-il un ami ou un ennemi ? Leurs pouvoirs grandissent rapidement, mais je pressens qu’ils n’en sont qu’à leurs balbutiements et j’ai hâte de découvrir leurs véritables capacités.

Humanité menacée, manipulations génétiques illégales, réveil d’un Maître en colère… Sans aucun doute, la trilogie Génération K s’annonce très différente de celle des Autodafeurs, mais tout aussi haletante et addictive.

 « La terre souffre, elle hurle sa douleur, sa rage et son malheur.
La terre se meurt, la terre étouffe et sa rage nourrit ma colère.
Hommes impudents, larves immondes, qu’avez-vous fait ?
Cette planète que vous deviez fouler avec respect, caresser avec douceur, aimer comme une mère nourricière, que lui faites-vous subir ?
Hommes, enfants stupides, que faites-vous ?
Vous étiez là pour glorifier la vie et vous ne faites que la détruire.
Immonde humanité, capricieuse, avide, égoïste.
Qu’ai-je fait en vous donnant la vie ? » 

  • Tome 2 (attention, risque de SPOILERS si vous n’avez pas lu le premier tome !)

Génération K, tome 2 (couverture)Kassandre, Mina et Georges sont enfin réunis… sur les flancs d’un Vésuve apparemment en colère. Ils savent à présent qu’ils doivent rejoindre le quatrième Génophore, porteur comme eux de six chromosomes K, mais leurs ennemis ne sont pas loin. Et quelle est cette voix qui leur parle et les appelle dès qu’ils ferment les yeux ? Quelles sont ces étranges visions vieilles de plusieurs milliers d’années qui remontent à la surface ?

Ça y est, le Maître est prêt à revenir, mais sa colère est immense. Marine Carteron revisite le mythe du vampire en le dépoussiérant un peu. Nous ne sommes pas dans un roman gothique et l’autrice se paie même le luxe d’ironiser sur l’œuvre de Bram Stocker :
« Au fil des siècles, nombreuses furent les légendes tissées autour de l’existence du Maître, mais aucune n’est aussi ridicule que celle écrite par Bram Stocker.
Le soi-disant roi des vampires… Si les amateurs de Dracula pouvaient voir la couverture made in China qui le recouvre et les petits rideaux en mauvaise dentelle accrochés au hublot de la cabine dans laquelle il est allongé, je pense que ça les décevrait beaucoup… certainement autant que son aspect qui est encore celui d’un vieillard repoussant. »

Elle nous ramène également aux origines de l’humanité et nous fait voyager à travers l’Histoire. J’ai été captivée par les quatre Génophores. On découvre peu à peu leur passé, leur rencontre avec le Maître. Cette idée de réincarnation et de mémoires millénaires m’a fascinée (alors qu’autrement, je n’y crois pas du tout). Les noms donnés aux différents personnages nous ramène à leur passé primitif avec poésie : le Chasseur de dragons et la Danseuse de taureaux, Celle qui écoute et Celui devant lequel tous se courbent… Comme dans Les Autodafeurs, Marine Carteron crée sa propre mythologie et réécrit l’Histoire sous un angle nouveau.
Alors que leurs vies passées se réveillent en même temps que le Maître, les quatre Génophores grandissent, mûrissent et s’acceptent (je ne dirai pas de quelle façon pour ne spoiler personne). Confrontés à des dangers toujours plus grands, ils deviennent de plus en plus intéressants en tentant de s’opposer à une destinée qui semble écrite par avance

La plume de Marine Carteron est toujours aussi diaboliquement efficace et nous plonge dans un thriller fantastique qui confronte science et croyance sur fond de pandémie et d’eugénisme. Ce second tome est encore plus prenant que le premier, alors la suite, vite !

> Ma critique de Génération K, tome 3

« Peu importe, de même que mon pouvoir a augmenté au point de me permettre d’influer sur les rythmes cardiaques, et de lire les émotions des personnes qui m’entourent, je suis certaine d’être capable de recréer à loisir ma musique intérieure. C’est assez logique : après tout, quelle différence y a-t-il entre la vie et la musique ?
Aucune.
Nous ne sommes que pulsations, battements de cœur, pouls, respirations, modulations, souffles et influx électriques.
Notre corps est un instrument, son fonctionnement une harmonie et moi j’en suis le chef d’orchestre. »

Génération K, tome 1, Marine Carteron. Rouergue, coll. Epik, 2016. 302 pages.
Génération K, tome 2, Marine Carteron. Rouergue, coll. Epik, 2017. 377 pages.

Tome 1
Challenge Les Irréguliers de Baker Street – 
Une Etude en Rouge 

lire un livre dont la couverture est à dominante rouge

Journal d’une traduction, de Marie-Hélène Dumas (2016)

Journal d'une traduction (couverture)Pendant trois saisons – hiver, printemps, été – Marie-Hélène Dumas a mené de front deux activités, habituellement incompatibles pour elle : écrire ce journal et traduire La République de l’imagination de Nazar Afisi.

La République de l’imagination, traite de littérature et d’exil, entre en résonnance avec le passé et le présent de Marie-Hélène Dumas et la pousse à écrire un journal. Ses réflexions portent sur la traduction, sur sa manière de procéder et d’aborder la traduction, mais surgit alors la question de la langue, des langues, parlées, apprises, maternelles. Elle revient alors sur l’histoire de ses parents et grands-parents. Le journal est également émaillé de souvenirs de sa famille, de son enfance, de certains épisodes de sa vie (notamment ceux passés sur des bateaux de port en port), etc.

Ce n’est pas un journal classique, avec des entrées pour chaque jour, avec des dates ; il s’agit plutôt d’une succession de réflexions sur divers sujets. Le résultat est parfois un peu décousu, ce qui fait que j’ai éprouvé quelques difficultés pour accrocher à ce texte (peut-être aussi car je n’ai lu que des romans ces derniers temps et que j’étais habituée à une certaine narration). Il m’est pour cette raison difficile d’en faire une critique : il s’agit d’une sensation diffuse, non de points précis qui m’auraient dérangée.

Le fond est pourtant profond, intelligent et pousse à la réflexion. Voyage parmi les mots, voyage de pays en pays, voyage entre les générations… J’ai été très intéressée par cette plongée dans son passé, ce passé russe auquel elle a tourné le dos, et par les interrogations sur ce que ses parents leur ont transmis, à sa sœur et elle, sur cette langue délaissée qui pourtant est revenue aux lèvres de sa mère dans ses derniers instants.

Journal d’une traduction n’a pas réussi à m’accrocher, à me passionner comme l’ont fait jusque-là tous les autres livres des éditions iXe, il fallait bien une première. Je pense qu’il s’agit d’un blocage lié davantage à la forme et à l’écriture de Marie-Hélène Dumas, et non au fond. Peut-être y reviendrai-je un jour pour en avoir une tout autre lecture, plus agréable.

« Cette histoire de traduire une langue qui n’est pas celle de ma mère et de ne pas traduire celle de ma mère, depuis quelques temps me turlupine vaguement. C’est comme ça. C’est une histoire qui n’a jamais commencé, le russe, les Russes, a, ont, toujours été à la fois là et pas là. »

« Traduire c’est, entre autres, laisser au lecteur les mêmes possibilités d’interprétation que l’auteur l’a fait. »

« On croit, traductrice, que je ne travaille que du ciboulot, c’est faux, j’ai dit, je travaille aussi avec mes deux mains, voire mes deux jambes quand je me lève et marche pour débloquer ce qui bloque, et quand de mon ciboulot à mes deux mains ça ne passe plus du tout, même après être allée me faire chauffer un café, je travaille avec ma voix. Mains, jambes, voix, corps, souffle. »

Journal d’une traduction, Marie-Hélène Dumas. Editions iXe, coll. Fonctions dérivées,  2016. 138 pages.

Une bible, de Philippe Lechermeier (textes) et Rébecca Dautremer (illustrations) (2014)

Une bible couvertureUne bible, ce sont les histoires de la Bible, que ce soit l’ancien ou le nouveau Testament. De la Genèse à la mort de Jésus, on retrouve toutes les histoires qui ont tant inspiré les arts. La Création, Adam et Eve, Abel et Caïn, Noé, l’Exode et Moïse, les Juges et les Rois tels que Samson, Salomon ou David, Job et Jonas, Judith et Salomé, puis Marie et Jésus-Christ, les Apôtres et les Pharisiens sont, depuis des siècles, les sources inépuisables pour les peintres, les sculpteurs, les écrivains et, à présent, les réalisateurs et scénaristes.

Mais il n’est pas ici question de morale, de conversion ou de croyance. Une bible, c’est notre culture occidentale, c’est une compilation des mythes qui ont fondés les grandes religions monothéistes, c’est une fontaine de contes comme le sont les mythologies grecques, égyptiennes ou scandinaves, pour les croyants comme les non-croyants.

(Penserait-on spontanément qu’un passionné de mythologie antique croit en ces dieux ? Non, et c’est ici la même chose pour les écrits relatifs au Dieu unique.)

Ainsi, si beaucoup d’histoires sont connues car apprises dans les tableaux, dans les livres et dans les films, Une bible m’en a également conté des nouvelles tout en m’apportant des précisions sur d’autres. Je connaissais, par exemple, l’expression « pauvre comme Job » sans en connaître la source ; voilà une imprécision de corrigée !

Une bible L'arbre de la Connaissance

Pour rendre plus accessible le best-seller qu’est La Bible, plus romanesque aussi, cet ouvrage présente une grande variété dans les formes de narration, ce qui nous pousse à dévorer ses 370 pages. Citons des contes, une pièce de théâtre pour les (més)aventures de Joseph, des vers rimés pour Daniel, Misaël, Azarias et Anarias, des Dits du moustique pour l’odyssée de Moïse. Les points de vue sont donc tour à tour internes et externes. La légende de Jonas est, par exemple, racontée par un jeune marin qui assista à sa disparition dans le ventre du poisson géant ou un nain raconte celle d’Hérode, Salomé et Jean-Baptiste au cours d’un spectacle de rue avec marionnettes (les illustrations nous montrent donc les pantins en question). En revanche, le lecteur partage les émotions de Jésus lorsqu’il marche sur l’eau.

La mise en page contribue également à rendre la lecture agréable. Pas de choses farfelues, mais une utilisation judicieuse du gras, de titres pour diviser les histoires en chapitre, de paragraphes disséminés dans la page… L’espace est utilisé sans être surchargé.

La couverture n’est qu’une annonce des superbes illustrations de Rébecca Dautremer. En couleur ou en noir et blanc, en pleines pages, elles expriment tour à tour joie et souffrance avec beaucoup de douceur. Parfois torturées, parfois grandioses (comme celle de Mie enceinte flottant dans la rivière sous la Lune) ou encore parfois un peu abstraites, elles engendrent chez moi une véritable fascination.

A l’image des textes, il y a une véritable richesse dans les techniques utilisées par l’artiste : crayonnés, encres, peintures, imitations de photographies (les supplices et la crucifixion sont notamment présentées par une série de « photos » sépia), affiche… Ces histoires ont traversés les contrées et les époques et cela se voit dans les illustrations. Si Adam et Eve évoquent, avec logique, un peuple ancien, proche de la nature, et si Jean-Baptiste est vêtu d’un simple pagne, il y a souvent beaucoup de modernité dans les visages, les vêtements, les objets… L’Orient, berceau de la Bible, est présent notamment à travers les tissus colorés de Marie, de l’oiseleur ou de Judith.

J’ai eu un coup de cœur pour les représentations d’Adam et Eve : il y a beaucoup de majesté dans les premières planches et leur « déchéance » ne s’en ressent que plus intensément. Mes autres favorites : les plaies d’Égypte avec cet échassier ensanglanté par le Nil devenu fleuve de sang et ces grenouilles par milliers, les dérangeants personnages illustrant les songes de Joseph, le berceau de Moïse, iceberg de brindilles entrelacées, ou encore Jésus et sa couronne d’épines, une planche noire, sombre, douloureuse qui exsude la souffrance avec ces ronces comme des barbelés qui lui enserrent le crâne et lui bandent les yeux.

Une bible Moise

Pour finir, Une bible, c’est un objet magnifique (et cet adjectif englobe les écrits comme les illustrations) qui se dévore et qui peut être lu en continu ou repris pour un épisode seulement. Ce sont des contes poétiques que l’on peut détacher des croyances de chacun. Une autre vision des histoires peut-être les plus célèbres de la civilisation occidentale.

En bande sonore de ma lecture, Jesus-Christ Superstar. Une des meilleures comédies musicales existantes. Créée par Andrew Lloyd Webber et Tim Rice (qui a également écrit les chansons du Roi Lion, LE dessin animé. Comme quoi, il y a une cohérence dans mes goûts…), ses chansons rock et entêtantes ne m’ont pas lâchée alors que les derniers épisodes de la vie de Jésus se déroulaient sous mes yeux…

Préface de Philippe Lechermeier :

« Parce que raconter la Bible, c’est raconter notre histoire, une histoire faite de milliers de mythes, de contes et de légendes. Comment comprendre le monde sans tous ces récits ? Comment l’appréhender sans savoir qui sont Abraham, Goliath, la reine de Saba et Marie-Madeleine ? Comment décrypter l’art, l’architecture, la littérature sans connaître les fondations fabuleuses de notre société ? La Bible n’appartient pas qu’à la religion. La Bible est un bien commun. Qu’on soit croyant ou non croyant et qu’on le veuille ou non, ses mythes ont façonné nos sociétés, ils s’immiscent dans notre vie quotidienne, ils circulent dans notre inconscient. En écrivant ce texte, j’ai voulu que chacun puisse reprendre ce qui lui appartient. Une Bible n’est pas La Bible. Une Bible est faite d’histoires qui se répètent et se réinventent. Des histoires que l’on raconte. Qui nous racontent. »

Une bible Marie

Une bible, Philippe Lechermeier (textes) et Rébecca Dautremer (illustrations). Gautier-Languereau, 2014. 381 pages.