Loin, d’Alexis Michalik (2019)

Loin (couverture)Pour la première fois depuis longtemps, cet été, j’ai écouté un livre audio. Je me suis laissée embarquée par une histoire signée Alexis Michalik que je ne savais point auteur de roman avant de tomber dessus à la bibliothèque. Diverses activités et événements en juillet et août se sont prêtés à l’écoute et, en quelques semaines, je suis parvenue au bout des 18 heures nécessaires pour découvrir Loin.

C’est l’histoire d’Antoine Lefèvre, un jeune homme comme il faut, bientôt employé dans une grosse boîte parisienne, bientôt marié, avec appartement, plan d’avenir et probablement bientôt un bébé dans l’équation. Jusqu’à ce qu’il tombe sur une carte postale de son père. Père qui a disparu vingt ans plus tôt et carte postale qui s’était perdue depuis presque aussi longtemps. Les vacances à Londres avec son pote Laurent se transforment en une petite enquête et, rapidement rejoints par sa jeune sœur Anna, tout son opposé, leur voyage va les emmener forcément très loin.

Ayant adoré les pièces Le cercle des illusionnistes, Intra Muros et plus que tout Le Porteur d’histoires, je connaissais déjà le goût d’Alexis Michalik pour les histoires foisonnantes. Et il est perceptible dès le prologue que cela en irait de même pour celle-ci. À travers la quête des origines d’Antoine et Anna, nous allons parcourir l’Histoire des années 1910 à 2008, traverser l’Allemagne, l’Autriche, la Turquie, l’URSS… et d’autres pays dont je ne dirai rien pour ne pas gâcher le plaisir du voyage à d’éventuelles personnes désireuses d’embarquer.
En parcourant leur étonnant arbre généalogique et la Terre à la recherche de ce paternel pour le moins fuyant, nous allons revivre certains des grands – et souvent terribles – épisodes de l’histoire du XXe siècle et nous allons découvrir, en bons touristes, des cultures, des plats traditionnels, des atmosphères bien diverses. Un bon travail de documentation pour nous immerger au mieux dans l’ambiance locale.
Cette quête et ce voyage sont remplis d’interrogations dont les réponses en soulèvent davantage. Les personnes cherchent, se cherchent (parfois sans le savoir), et comme on dit, ce n’est pas l’arrivée qui compte mais le chemin. C’est l’occasion de réflexions sur le voyage, le pourquoi de celui-ci, l’être humain et ses nuances… et le parfait prétexte pour un mélange justement dosé d’histoires de vie poignantes à serrer le cœur, de péripéties étonnantes et parfois invraisemblables et de dialogues saupoudrés d’humour.

Alexis Michalik propose ici un réjouissant puzzle littéraire. Car tout n’est pas linéaire, on ne va pas simplement et tranquillement découvrir les ascendants d’Antoine et Anna les uns après les autres. Non, leur histoire est un chouïa plus compliquée. Les histoires personnelles s’imbriquent dans la grande Histoire, les personnages bougent, fuient (la guerre, les représailles, le passé…), changent d’identité, vieillissent et meurent accessoirement, ce qui complique parfois la tâche de nos enquêteurs en herbe. Enquêteurs que l’on se prend à vouloir imiter en tentant de deviner les liens entre tel ou tel protagoniste avant leur révélation, en essayant de faire coller les dates (ce qui n’est pas facile avec un livre audio car encore faut-il s’en souvenir, des dates). Le roman réserve bien des surprises et il est difficile de finir un chapitre sans vouloir enchaîner tant l’histoire de cette famille est atypique et captivante.

Tout n’est pas parfait cependant. Ce qui m’a le plus ennuyée : plusieurs personnages féminins m’ont fait un peu soupirer, j’aurais parfois voulu les voir dans des rôles et caractères aussi divers que les hommes avec moins de détails (répétitifs) sur leur physique. Ensuite, oui, il y a quelques longueurs ici ou là, notamment une digression autour de Laurent qui ne me semblait pas forcément nécessaire. En outre, comme dans le tour du monde de Phileas Fogg, on se prend à se dire que le compte en banque du jeune Antoine est décidément bien approvisionné et que c’est un peu facile.
Est-ce que la fin m’a frustrée ?… Oui, un tantinet, je l’avoue. Et pourtant, elle convient très bien malgré tout, donc ce n’est pas bien grave. C’est sans doute surtout qu’il est difficile de quitter une histoire que l’on a eu dans les oreilles pendant dix-huit heures.
Pour être honnête, je me serais peut-être davantage ennuyée en le lisant, les longueurs et les défauts m’auraient sans doute davantage sauté aux yeux du fait d’une concentration accrue. Mais pour une écoute (en vaquant à diverses occupations, en étant fatiguée, etc.), ce roman était léger et entraînant et c’était tout ce que je recherchais.

La rencontre avec les personnages est également truculente, ces derniers étant généralement assez hauts en couleurs… même quand le personnage est, à première vue, un peu terne – comme Antoine –, il saura nous surprendre et l’on ne peut empêcher l’attachement. Face au duo formé par Antoine et Laurent, Anna est l’élément perturbateur et énergique. Celle qui ne se plie à aucune règle, qui fait ce qu’elle veut comme et quand elle veut, qui se débrouille toujours. Elle est la moquerie, le cynisme et l’opposition qui vient pimenter les échanges. Mais comme tous, elle n’est pas cantonnée à un seul rôle et elle saura offrir une palette d’émotions.
Damien Ferrette offre à tout ce petit monde une voix et une réelle présence, par de légères variations d’intonations. Sa lecture est vivante, dynamique et sied à merveille à pareil récit de voyage et d’aventures.

Encore une fois, Alexis Michalik offre une œuvre labyrinthique. À travers le temps et l’espace, il nous embarque pour un voyage dépaysant et émouvant. Même si je préfère nettement ses pièces – plus concises (forcément) et absolument magiques – à son roman, c’était une histoire très agréable à écouter au fil de l’été.

« Je voulais l’aventure, moi aussi. Je voulais vivre.
À vingt ans, j’avais posé le pied sur quatre continents. J’avais dit « bonjour » en
dix-sept langues, j’avais photographié trente-six hôtels de ville.
Outre le plaisir de la découverte, j’en avais tiré une leçon essentielle : nulle part,
je n’étais chez moi. J’étais un Français en Afrique, un Africain ailleurs, un Breton
en Normandie, un Martien en Russie. Mais peu m’importait. C’est ainsi que j’ai compris
qui j’étais : un passager, un témoin.
 »

« Tout juste des questions, car les questions sont la vie même. Tant qu’il existera quelqu’un pour questionner, et pour se questionner, l’humanité vivra, avancera, reculera, s’effondrera, renaîtra de ses cendres. »

« L’essentiel, ce sont les questions. Tant que l’on pose des questions, il y a un but. Dès qu’on a la réponse, on peut mourir. »

Loin, Alexis Michalik, lu par Damien Ferrette. Audiolib, 2019 (Albin Michel, 2019, pour l’édition papier). 18h, texte intégral.

14 réflexions au sujet de « Loin, d’Alexis Michalik (2019) »

  1. J’hésite à le lire car c’est un pavé !
    Ce n’est pas la première fois que j’entends que A.Michalik est moins doué pour mettre les femmes en valeur.
    Je te conseille « Normal people ».
    Bon week-end !

    • Je ne sais pas du tout quelle taille il fait en papier, mais j’imagine qu’il est assez épais vu la durée du livre audio.
      Ça ne m’a jamais choquée dans ses pièces, mais là, j’avoue que c’était un peu décevant…
      J’en ai déjà souvent entendu parler effectivement !
      Bonne journée !

  2. Alors j’ai un drole de rapport avec ce livre puisqu’il fait partie de ces livres que j’ai maintes et maintes fois conseillés en librairie sans l’avoir lu. Evidemment je ne suis pas une libraire-escroc, je sais de quoi il tient et je le vendais non pas comme un livre que j’avais lu mais comme le coup de coeur de ma collègue qui m’en avait longuement parlé. Mais malgré le fait qu’elle m’en ait beaucoup parlé, elle n’a jamais réussi à me donner envie de me lancer dans ce pavé.

    Forcément ce que tu dis sur les personnages feminins fadasses et ramenés à leur physique, ca me vend pas du reve. Mais je me dis, pourquoi pas emprunter le meme chemin que toi, un jour que j’ai envie d’un livre pas prise de tete. Je suivrai ton conseil en tout cas et l’écouterai assurément en livre audio aha

    ENFIN, le peu que tu as dis de ses pièces de théatre me donne bien envie. Je sais qu’il est un des grands talents de sa génération et je me dis que je devrais peut etre commencer par son théatre etant donné que c’est ce qui l’a fait connaitre et ceux en quoi il excelle a priori ! Alors j’attaque laquelle? C’est laquelle ta préférée ? 🙂

    • Ne t’inquiète pas, ça se fait de conseiller des livres qu’on n’a pas lus ! (Enfin, perso, je ne peux pas, j’ai déjà du mal à me souvenir de ceux que j’ai lu, je suis bien incapable de vendre ceux que je n’ai pas lus…) (mais je ne suis pas libraire).

      Oui, ça m’a un peu déçue et je pense clairement que j’aurais été plus intransigeante dans une lecture papier. Là, vu que c’était en audio, que je l’ai écouté en faisant des trucs ou en comatant à l’hosto, j’avoue que ça abaisse le niveau critique.

      Autant je ne sais pas si je conseillerai réellement ce livre, même si j’ai passé un bon moment, par contre, ses pièces… oui, je te les conseille mille fois. Ma préférée (mais je n’ai pas vu Edmond et Les Producteurs) c’est Le Porteur d’Histoires que j’ai vu plusieurs fois (mais je me souviens encore parfaitement de mon état d’éblouissement et d’émerveillement absolu quand j’en suis sorti la première fois) et que j’ai fait découvrir à plusieurs personnes avec toujours le même succès.

  3. Il me fait un peu peur. Déjà, c’est une sacré brique ! En plus, tu parles de longueurs… Peut-être pour plus tard, mais pour le moment, j’ai envie de choses plus légères.

    • Je ne me rends pas compte de sa taille papier parce que je ne l’avais jamais vu avant de tomber sur le livre audio à la bibliothèque.
      C’est amusant parce que, en dépit des thématiques pas toujours joyeuses, je l’aurais qualifié de lecture légère. ^^

  4. La chronique VIP ! Qui d’ailleurs est très intéressante à lire ! En elle-même, elle donne envie, mais je pense que personnellement je n’ai pas (pour l’instant, ou plus du tout, je ne sais) la concentration pour m’égarer dans un roman qui part dans tous les sens, avec des dates qui se renvoient comme une balle de ping pong. Il y a de fortes chances en plus que les longueurs m’achèvent dans une telle lecture, un coup à perdre l’attention si on s’ennuie un peu, donc je papillonnerai un peu trop. Je crois que je vais me concentrer sur ses pièces, ça me semble plus raisonnable pour ma capacité actuelle de lecture ! (puis j’ai pas envie de soupirer bruyamment sur les femmes diminuées à leur physique, ça va me gaver trop fort et je serais super dur avec le reste du bouquin.)

    • C’était bien la peine que je te l’envoie en avant-première, non mais ! ^^
      En fait, c’est bizarre parce que ma critique est globalement positive, mais je ne sais pas si je recommanderais réellement ce roman. Disons que j’ai conscience que j’aurais été beaucoup plus intransigeante en papier et que j’ai apprécié parce que c’était en audio et parce que ça correspondait un peu à ce dont j’avais besoin quand je l’ai écouté. Une lecture un peu légère, des personnages qu’on côtoie sur la durée… et aussi parce qu’il y a des choses positives dans ce roman. Mais voilà, c’est un sentiment un peu nuancé.
      Je pense clairement qu’il vaut mieux rester sur ses pièces en priorité !

      • Pas taper pas taper ! Je sais, je crains. Je t’ai embêté pour la VIP pour rien…
        Il y a des livres comme ça qu’on sait apprécier sur le coup sans forcément en faire la suggestion à d’autres parce qu’il ne se présente pas comme « le » livre de la situation.
        À l’occasion quand mon envie de relire du théâtre repointera le bout de son nez, je me dirigerais vers lui. ^^

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