Spécial Benjamin Lacombe : Les Contes macabres, volume II, et Carmen

Et encore des déceptions. Il faut croire que les auteurs et autrices médiatisé·es peinent à me convaincre en ce moment.

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Les Contes macabres, volume II,
d’Edgar Allan Poe, illustrés par Benjamin Lacombe (2018)

Les contes macabres T2J’ai parlé il y a fort fort longtemps dans l’un de mes premières chroniques – pas très développée, d’ailleurs, la chronique – du premier volume de ces Contes macabres. Un ouvrage sublime que j’avais adoré tant pour ses illustrations que pour ses textes (même si j’avais surtout parlé de la forme et du travail de Benjamin Lacombe). Il était donc tout naturel que je me tourne vers le second tome lorsque j’ai eu la surprise de le voir paraître (rien n’annonçait une « suite »).
Six histoires (contre huit dans le premier opus) constituent ce recueil : Metzengerstein, Éléonora, Le joueur d’échecs de Maelzel, Le Roi Peste, Petite discussion avec une momie et Manuscrit trouvé dans une bouteille. Elles sont suivies d’un texte de Baudelaire intitulé « Notes nouvelles sur E. A. Poe ».

Je n’étais pas particulièrement prédisposée à en écrire la chronique et je ne l’aurais sans doute pas fait si je n’avais été si déçue. Comme je le disais, les histoires de Poe sur la mort, la culpabilité, la peur, les femmes, l’amour perdu m’avaient fascinée et les illustrations de Lacombe constituaient pour elles un écrin luxueux. Mais cette fois, l’immersion fut toute différente.
La première histoire, Metzengerstein, m’a laissée de marbre, la fin rapide me laissant très dubitative. La seconde histoire, Éléonora, m’a séduite par sa poésie avant de tout gâcher avec une fin en eau de boudin.
Passons à la troisième histoire, Le joueur d’échecs de Maelzel. Texte de non fiction, Poe écrit ici sur le célèbre Turc mécanique, un prétendu automate qui a fasciné les foules au XVIIIe siècle : il présente le déroulé de chaque démonstration publique, revient sur diverses hypothèses proposées alors et explique le fonctionnement de la supercherie selon lui. J’ai alors atteint des sommets d’ennui. Si le livre n’avait été si agréable à feuilleté, si j’avais lu cette histoire dans un vieux poche un peu pouilleux, nul doute que le bouquin en question se serait retrouvé dans une boîte à livres plus rapidement qu’il n’en faut pour le dire. Qu’est-ce que c’était barbant ! Le style ampoulé de Baudelaire, dont je fais habituellement abstraction, m’a fait piquer du nez quelques fois et j’ai allègrement sauté quelques phrases. En quoi est-ce un conte ? En quoi est-ce macabre ? En gros, que fait-il là ?
Après cette lecture extrêmement laborieuse, la suite ne pouvait que s’améliorer et, en effet, les textes suivants se sont avérés un peu plus conformes à mes attentes. Toutefois, Petite discussion avec une momie et Manuscrit trouvé dans une bouteille m’ont malgré tout semblé ici et là emprunts d’une lourdeur assez désagréable, et seul Le Roi Peste m’a vraiment convaincue, me permettant de retrouver un délicieux mélange de macabre et d’humour (mais ce n’est pas pour autant la nouvelle de Poe que je recommanderais pour découvrir l’oeuvre du monsieur).

L’objet-livre est toujours aussi soigné et agréable. Le rouge du premier tome cède la place au bleu et la couverture est une invitation plus que convaincante à se glisser entre les pages noires et blanches de l’ouvrage. Pourtant, Poe n’a pas été le seul à me décevoir. J’ai trouvé les illustrations de Lacombe trop rares à mon goût, plus rares que dans le premier volume. Une remarque que j’avais déjà soulignée suite à ma lecture du Musée des monstresElles sont comme toujours très réussies, conférant parfois aux nouvelles une ambiance que les mots peinent à instaurer, mais leur rareté est dommageable.

Conclusion : je vous recommande vivement le premier tome de ces Contes macabres ! En revanche, ce second volume très en-deçà de son prédécesseur et de mes attentes me laisse un goût bien amer dans la bouche.

« Tout à coup les marins trébuchèrent contre l’entrée d’un vaste bâtiment d’apparence sinistre ; un cri plus aigu que de coutume jaillit du gosier de l’exaspéré Legs, et il y fut répondu de l’intérieur par une explosion rapide, successive, de cris sauvages, démoniques, presque des éclats de rire. Sans s’effrayer de ces sons, qui, par leur nature, dans un pareil lieu, dans un pareil moment, auraient figé le sang dans des poitrines moins irréparablement incendiées, nos deux ivrognes piquèrent tête baissée dans la porte, l’enfoncèrent, et s’abattirent au milieu des choses avec une volée d’imprécations. »

Les Contes macabres, volume II, Edgar Allan Poe (textes) et Benjamin Lacombe (illustrations). Soleil, coll. Métamorphose, 2018. Traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Baudelaire. 203 pages.

Challenge de l’imaginaire
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Carmen, de Prosper Mérimée, illustré par Benjamin Lacombe (2017)

Carmen (couverture)Je retente ma chance avec un autre titre de la collection Métamorphose qui dormait dans ma PAL depuis Noël 2017. Découverte pour moi d’un texte classique de Prosper Mérimée, un auteur que je n’avais jamais lu (bien que La Vénus d’Ille soit aussi dans ma PAL).

Je vous le dis, je vais spoiler. Donc si vous ne connaissez pas la fin de l’histoire comme c’était mon cas (ma connaissance de Carmen s’arrêtait à Bizet et à deux-trois passages – « L’amour est enfant de bohême… », vieux souvenir de cours de musique au collège, la corrida… – mais pas la fin), arrêtez de lire si vous ne voulez pas tout savoir de cette histoire !

Je n’ai pas ressenti un enthousiasme fou pour cette histoire. La plume de Mérimée ? Les trop fréquentes interruptions pour consulter les notes en fin d’ouvrage ? Les personnages ? L’histoire classique ? Peut-être bien un peu de tout ça.

En tout cas, nous sommes là sur une histoire qui ne jure pas à notre époque : un gars qui tue une femme parce qu’elle avait décidé de le quitter, c’est fou comme ça sonne actuel. Peu importe que cela se passe ici dans un univers de brigands et de bohémiens andalous.
Par contre, si le but était de dépeindre Carmen comme machiavélique, satanique ou je ne sais quoi, c’est un peu raté à mes yeux : elle n’est pas un ange certes, elle n’est pas des plus fidèles, ni des plus sympathiques, mais ce n’est en rien une justification à l’acte final de Don José. Elle vit sa vie comme elle l’entend, séduisant qui ça lui chante, elle cause des ravages dans le cœur des hommes : elle est l’archétype de la femme fatale dont on pressent la chute. Mais son meurtre reste un meurtre et je n’ai aucune compassion pour le coupable.

Enfin, quand je dis « acte final », ce n’est pas tout à fait exact. Après le récit enchâssé de Don José qui constitue finalement le vrai cœur du texte – son amour pour Carmen, son ascension auprès d’elle, puis la déchéance, la jalousie, la folie, bref, tous les ingrédients d’une passion amoureuse – malgré les longues circonvolutions qui nous y amènent, se trouve un chapitre pseudo-scientifique inattendu qui fait totalement retomber le soufflé. Mérimée se lance dans des explications, des considérations, des discussions sur les Gitans, leur apparence physique et leur langue – avec quelques réflexions qui apparaissent comme un tantinet racistes deux siècles plus tard. J’ai vraiment question l’intérêt de ce chapitre au sein de ce court roman, c’est plat et ça n’a strictement rien de romanesque. J’ignore comment il était reçu lors de la parution en 1847, mais ce chapitre me semble aujourd’hui totalement inapproprié.

Quant aux illustrations de Benjamin Lacombe, j’ai apprécié l’ambiance sombre qu’elles dépeignaient avec cette image omniprésente de l’araignée qui tisse sa toile, Carmen usant de sa mantille comme d’un filet. Il s’en dégage l’impression que la fin est inéluctable. Couleurs chaudes de l’Andalousie et noirceur pour une entité plus diabolique dans les dessins que dans le texte.

Un beau livre qui me laisse cette fois un sentiment mitigé. L’histoire a pris son temps pour m’attraper dans sa toile avant de me perdre totalement au fameux et ultime chapitre IV et j’ai l’impression d’être passée à côté des sentiments que les personnages tentaient de m’inspirer : j’ai la sensation que j’aurais dû blâmer Carmen et compatir pour l’infortuné Don José, mais je n’y parviens pas. Suis-je passée à côté de ce classique de la littérature française ? Il semblerait.

« Puis, s’approchant comme pour me parler à l’oreille, elle m’embrassa, presque malgré moi, deux ou trois fois.
– Tu es le diable, lui disais-je.
– Oui, me répondait-elle.
 »

Carmen, Prosper Mérimée, illustré par Benjamin Lacombe. Editions Soleil, coll. Métamorphose, 2017 (1847 pour le texte de Mérimée). 171 pages.

12 réflexions au sujet de « Spécial Benjamin Lacombe : Les Contes macabres, volume II, et Carmen »

  1. Je te conseille vivement « La Vénus d’Ille » ! Par contre, autant je ne suis pas fan d’E.A Poe autant j’adore le travail de B.Lacombe.
    Bon week-end !

    • Il faut que je prenne la peine de le sortir de ma PAL alors !
      J’aime beaucoup le travail de Lacombe aussi, mais ces derniers temps, j’ai souvent eu une sensation de « trop peu ».
      Merci et à bientôt !

    • J’en sais rien, mais des trucs que j’ai lu après m’ont donné cette impression. Comme quoi Carmen n’était qu’une ensorceleuse démoniaque et inconstante et qu’elle l’a bien cherché. Après, je ne sais fichtrement pas quelle était l’intention de Mérimée, ni de quel côté il était. Peut-être que je suis complètement à côté de la plaque, mais j’ai l’impression que le narrateur a bien plus de sympathie pour Don José que pour Carmen. Du coup, je me répète, mais je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’aucun ne m’a été bien sympathique, mais que je suis bien incapable de comprendre ou de compatir pour Don José.

  2. J’ai le premier volume de Poe illustré par Lacombe mais je n’ai encore jamais pris/eu le temps de le lire. Même si je pense avoir une belle découverte de cet univers via ses illustrations, je n’ai presque pas lu Poe, je crois (à part Discussion avec une momie dont tu parles et que je crois me rappeler avoir lue). Mais c’est vrai que j’ai l’impression que Lacombe se repose un peu sur ses lauriers, son Alice aurait pu être encore plus génial, par exemple. J’adore ses illustrations de Notre-Dame de Paris, et j’aime bien celles de Carmen même si elles ne me feront pas acheter son volume. Comme tu dis, les illustrations deviennent parfois trop rares dans ces contes/romans qu’il illustre.

    Pour Carmen, c’est très 19e siècle je pense, la vision de la femme c’est soit l’ange, soit le démon ! J’ai une grande affection pour ce personnage, le 3e chapitre de la nouvelle étant le seul à lui rendre vraiment hommage, et en faisant vraiment une femme certes amorale, mais avec ses propres lois établies dès le début, sa propre dignité, et un sacré caractère…j’ai plus d’affection pour la Carmen de Mérimée que pour José !Même si José devait être à l’époque celui pour qui on se prenait de compassion, dans la lignée des persos romantiques. Et le 4e chapitre est hélas très raciste, peut-être l’ethnocentrisme de l’époque avec cumul de préjugés ? Si jamais tu en as l’occasion, je ne peux que te conseiller de voir l’opéra Carmen, qui rend vraiment hommage au personnage, l’améliore aussi en un sens, retranscrivant le meilleur ; particulièrement quand elle est chantée par Elina Garanca ou Anna Caterina Antonacci. En soi, la nouvelle est inférieure, ni même hyper palpitante, même si elle a laissé une influence durable sur d’autres personnages de femme fatale ensuite !

    • Pour le coup, je te conseille vraiment le premier tome : en plus tu y trouveras les classiques que sont Le chat noir et La chute de la maison Usher.
      Pour Lacombe, c’est exactement ça : il se repose sur ses lauriers. Ses bouquins cartonnent, donc il peut se permettre d’en faire un peu moins. Je n’ai rien à redire sur la qualité de ses illustrations, que ce soit celles des Contes macabres ou de Carmen, seulement qu’il y aurait pu en avoir davantage. Par contre, le Notre Dame de Paris est magnifique ! Ces derniers temps, j’aimerais bien lire Hugo et j’hésite entre relire celui-ci (autant pour l’histoire que pour le plaisir des yeux) ou découvrir Les misérables.

      Le chapitre 3 est le seul chapitre qui soit vraiment très intéressant. A mes yeux, les deux premiers font office de longue introduction et le quatrième… tu as tout dit.
      Je suis contente de l’avoir lue, mais je trouve que ça a tout de même très mal vieillie. Pour le portrait de Carmen, la narration, et le racisme qui clôt cette histoire.
      J’aimerais beaucoup voir l’opéra dans son intégralité à présent et je prends note de tes recommandations !

      Tes commentaires sont toujours si riches et si complets, c’est un régal de te lire ! Merci !

      • Notre-Dame de Paris est mon livre favori, je ne peux que conseiller une relecture ! Mais Les Misérables est une lecture très puissante (à part quelques chapitres historiques qui traînent en longueur comme toujours), avec des sacrés portraits humains. Impossible de ne pas aimer Jean Valjean…L’homme qui rit est excellent aussi, ce sont mes trois préférés.
        Merci à toi aussi pour tes réponses et tout simplement pour tes articles !

        • C’est tentant, tout ça ! Je viens de me lancer dans un petit pavé, mais peut-être qu’Hugo sera ma prochaine lecture du coup !
          J’aimerais beaucoup lire L’homme qui rit également, mais comme je ne le possède pas, je préfère me concentrer d’abord sur les deux premiers.

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