Le cœur des louves, de Stéphane Servant (2013)

Le coeur des louves (couverture)Célia, rapidement rejointe par sa mère, vient s’installer dans la maison de feue sa grand-mère dans un village isolé dans les montagnes. Mais leur retour ne plaît pas à tout le monde et remue les cendres du passé.

J’ai découvert La langue des bêtes il y a plus de deux ans, me revoilà enfin reposant l’autre livre de Stéphane Servant qui me faisait extrêmement envie, Le cœur des louves. Pour être honnête, je suis un peu plus mitigée sur ce titre. Non, mitigée est trop fort et j’ai tout de même énormément apprécié cette lecture.

Pour parler tout de suite de ce qui m’a dérangée, c’est que je l’ai trouvé beaucoup trop long. Surtout dans la première moitié où j’avais l’impression de lire et relire sans cesse la même chose. Les mêmes émotions, les mêmes interrogations, les mêmes scènes. J’ai eu la sensation que le texte aurait pu être réduit de moitié sans problème. Cependant, la seconde moitié a su passer outre ce sentiment d’enlisement et je me suis enfin élancée sur les talons de Célia et de Tina.

En dépit de mes réserves, ce récit a aussi su me convaincre par son propos. Réalisme teinté de fantastique. Les femmes qui se font louves, la violence de la nature humaine, la dureté d’une société patriarcale, les peurs ancestrales gravées dans les tripes, les non-dits, les secrets de famille qui reviennent éclabousser le présent, la recherche de la liberté et de l’émancipation.

Le texte est poétique, d’une poésie dure. A l’image de la nature qui se dévoile à celles et ceux qui savent la regarder et l’écouter. Exploration de la forêt, escalade des reliefs rocheux, plongée dans le Lac Noir ; la nature est omniprésente, guide dans le parcours initiatique de Célia et Alice, de l’adolescence à l’âge adulte. Peu à peu naît une atmosphère ensorcelante, sauvage, sombre, qui entoure ce village perdu dans les montagnes. Une ambiance de légendes, de contes et de terreurs nocturnes.

Autre chose, en dépit de mon enthousiasme révolté pour ce cri de révolte hurlé à la Lune et à la face des hommes par ces femmes maltraitées, repoussées, violentées, méprisées, je n’ai pas réussi à m’attacher réellement à Célia. Ni à sa mère. Seule Tina, la grand-mère à la réputation de « sorcière » et de « putain », m’a touchée par son histoire emplie de brutalité, d’injustices et de liberté.

Le cœur des louves est donc une lecture palpitante, envoûtante, exigeante aussi, dont l’intrigue, les thématiques et l’écriture forment un tableau des plus magiques, éclaboussé de vérités parfois cruelles. Je regrette donc le sentiment de longueurs et le manque d’empathie envers bon nombre de personnages.

« Les bêtes les plus terrifiantes ne viennent pas la nuit. Elles n’ont ni griffes ni crocs. Elles vont sur deux jambes et elles ont tout de l’apparence d’un homme. Les bêtes peuvent parfois avoir le visage d’un père. »

« Le plus terrible, c’est que les gens ont pas oublié ce qui s’était passé ici. Ici, ils oublient jamais. Comme si leur mémoire venait se graver dans la montagne. Il faut des millions d’années pour qu’ils oublient et qu’ils pardonnent. Et pourtant, si tu savais… Eux aussi ils en ont des secrets. Des choses immondes qu’ils planquent dans des placards. »

« Il y avait quelque chose de grisant dans cette sensation. Comme quand on est en équilibre en haut d’un mur. L’impression que tout est ouvert devant soi. Et aussi la crainte. La peur de chuter. D’être entraînée par son propre poids vers le vide. Mais c’est peut-être de cette angoisse-là que naît le plaisir d’être bien vivante. Sans la peur de la chute, on ne ressent peut-être pas le plaisir de la liberté. »

Le cœur des louves, Stéphane Servant. Éditions du Rouergue, coll. Doado, 2013. 541 pages.

16 réflexions au sujet de « Le cœur des louves, de Stéphane Servant (2013) »

  1. J’avais adoré Sirius, celui-ci est donc dans mon collimateur aussi ! Mais j’ai la Langue des bêtes chez Suzette en priorité (depuis un bail d’ailleurs). Très intéressant de lire ce que tu en dis, en tout cas, et il m’intrigue toujours autant malgré tes réserves (dont je prends bonne note)!

  2. Bon, c’est vrai que ce que tu dis de la première partie avec ses répétitions n’est pas rès alléchant, cependant toutes les thématiques que tu énumères juste après ont fait une sorte de gradation de l’envie en moi, jusqu’à me dire « bordel, qu’est-ce que ce livre peut être puissant s’il est bien mené. » Puis des femmes qui se font louves ? C’est bon, mon imaginaire esquissent déjà mentalement des estampes à ce sujet !
    Je réalise d’ailleurs à la lecture de ton article que, bizarrement, c’est ce genre d’histoires, un peu à la nature writing, que je veux dans ma bibliothèque. Des narrations qui te font prendre l’air, te donnent la liberté que la société te vole. Et ce côté un peu folklore, avec mythes et légendes, je crois que j’ai un besoin de retour aux sources …?
    Même si thèmes durs il y a et que ce n’est donc pas une respiration tranquille en plein air littéraire, je pense quand même me pencher dessus, il peut me plaire – mais aussi me fréner pour les mêmes raisons que toi… Comme il date déjà un peu j’ai de fortes chances de le trouver d’occase (parce que oui je pourrais l’emprunter maiiiis je sais pas je sens que je voudrais l’avoir donc bon) histoire de pas avoir trop de regrets si ça ne m’envoûte pas comme prévu.
    Les extraits que tu partages, d’ailleurs, remuent quelque chose. Si déjà ils parviennent à faire ça hors contexte, qu’est-ce que ça doit être pendant lecture !

    • Ce n’est pas son meilleur à mon goût, je pense qu’il aurait pu être un peu réduit. Un petit peu plus fort s’il n’était pas si long – si les personnages m’avaient davantage séduite aussi. Son impact n’a donc pas été tout à fait celui que j’attendais.
      Cependant, il a clairement de belles qualités et j’adore cette touche de fantastique qui vient renforcer tant la violence que l’évasion du quotidien.
      En tout cas, j’espère que tu y trouveras tout ce que tu en attends et qu’il te marquera plus puissamment que moi !

      • Tu as lu quoi d’autre de cet auteur du coup ?
        Après je ne me le mets pas sur un piédestal parce que je sens le regret sinon, mais je ne sais pas, un quelque chose m’appelle avec cet ouvrage. Je te tiendrais au courant de toute manière même si, tu te doutes, ce ne seras pas de si tôt que je pourrais le lire !

          • Ah mais oui j’avais oublié que c’était de lui ! Du coup je ne sais plus si c’était celui de ta chronique, ou celui que tu mentionnes que j’avais offert à quelqu’un. Pfiouh, de toute manière je verrais bien sur quoi je tombe pour découvrir cet auteur, comme ça, ça va plus vite !
            Comme d’habitude : il ne faut juste pas que j’oublie.

  3. J’ai pas du tout aimé Félines, tu vas le lire ? J’ai l’impression que c’est toujours la même histoire du coup, parce que c’est un peu le même pitch de départ. Bref, je crois que je suis pas très fan de l’écriture de l’auteur, je trouve que ça manque de subtilité et que même si le message porte, il est pas forcément délivré de la bonne façon (en tout cas pour Félines)
    Kin

  4. J’en suis à la moitié et effectivement c’est un peu redondant… mais j’aime beaucoup l’ambiance et j’ai bien envie de connaître la suite et la fin, les mystères planent toujours pour l’instant !

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