Célia, rapidement rejointe par sa mère, vient s’installer dans la maison de feue sa grand-mère dans un village isolé dans les montagnes. Mais leur retour ne plaît pas à tout le monde et remue les cendres du passé.
J’ai découvert La langue des bêtes il y a plus de deux ans, me revoilà enfin reposant l’autre livre de Stéphane Servant qui me faisait extrêmement envie, Le cœur des louves. Pour être honnête, je suis un peu plus mitigée sur ce titre. Non, mitigée est trop fort et j’ai tout de même énormément apprécié cette lecture.
Pour parler tout de suite de ce qui m’a dérangée, c’est que je l’ai trouvé beaucoup trop long. Surtout dans la première moitié où j’avais l’impression de lire et relire sans cesse la même chose. Les mêmes émotions, les mêmes interrogations, les mêmes scènes. J’ai eu la sensation que le texte aurait pu être réduit de moitié sans problème. Cependant, la seconde moitié a su passer outre ce sentiment d’enlisement et je me suis enfin élancée sur les talons de Célia et de Tina.
En dépit de mes réserves, ce récit a aussi su me convaincre par son propos. Réalisme teinté de fantastique. Les femmes qui se font louves, la violence de la nature humaine, la dureté d’une société patriarcale, les peurs ancestrales gravées dans les tripes, les non-dits, les secrets de famille qui reviennent éclabousser le présent, la recherche de la liberté et de l’émancipation.
Le texte est poétique, d’une poésie dure. A l’image de la nature qui se dévoile à celles et ceux qui savent la regarder et l’écouter. Exploration de la forêt, escalade des reliefs rocheux, plongée dans le Lac Noir ; la nature est omniprésente, guide dans le parcours initiatique de Célia et Alice, de l’adolescence à l’âge adulte. Peu à peu naît une atmosphère ensorcelante, sauvage, sombre, qui entoure ce village perdu dans les montagnes. Une ambiance de légendes, de contes et de terreurs nocturnes.
Autre chose, en dépit de mon enthousiasme révolté pour ce cri de révolte hurlé à la Lune et à la face des hommes par ces femmes maltraitées, repoussées, violentées, méprisées, je n’ai pas réussi à m’attacher réellement à Célia. Ni à sa mère. Seule Tina, la grand-mère à la réputation de « sorcière » et de « putain », m’a touchée par son histoire emplie de brutalité, d’injustices et de liberté.
Le cœur des louves est donc une lecture palpitante, envoûtante, exigeante aussi, dont l’intrigue, les thématiques et l’écriture forment un tableau des plus magiques, éclaboussé de vérités parfois cruelles. Je regrette donc le sentiment de longueurs et le manque d’empathie envers bon nombre de personnages.
« Les bêtes les plus terrifiantes ne viennent pas la nuit. Elles n’ont ni griffes ni crocs. Elles vont sur deux jambes et elles ont tout de l’apparence d’un homme. Les bêtes peuvent parfois avoir le visage d’un père. »
« Le plus terrible, c’est que les gens ont pas oublié ce qui s’était passé ici. Ici, ils oublient jamais. Comme si leur mémoire venait se graver dans la montagne. Il faut des millions d’années pour qu’ils oublient et qu’ils pardonnent. Et pourtant, si tu savais… Eux aussi ils en ont des secrets. Des choses immondes qu’ils planquent dans des placards. »
« Il y avait quelque chose de grisant dans cette sensation. Comme quand on est en équilibre en haut d’un mur. L’impression que tout est ouvert devant soi. Et aussi la crainte. La peur de chuter. D’être entraînée par son propre poids vers le vide. Mais c’est peut-être de cette angoisse-là que naît le plaisir d’être bien vivante. Sans la peur de la chute, on ne ressent peut-être pas le plaisir de la liberté. »
Le cœur des louves, Stéphane Servant. Éditions du Rouergue, coll. Doado, 2013. 541 pages.