Le Pavillon d’Or, de Yukio Mishima (1956)

Le Pavillon d'orLe Pavillon d’Or est un roman inspiré par un fait divers : l’incendie du temple éponyme par un jeune bonze en 1950. Dans ce roman à la première personne, Yukio Mishima nous plonge dans la tête de Mizoguchi pour, peut-être, appréhender les raisons de son geste.

Parmi mes partenaires de lectures communes, il y a Coline avec qui j’ai partagé des découvertes fabuleuses comme Et quelquefois j’ai comme une grande idée ou le cycle de Terremer. Et puis, il y a Alberte Bly, ma copine de galère sur le Journal d’Anaïs Nin… et sur Le Pavillon d’Or (heureusement qu’il y a eu Notre-Dame de Paris aussi !). Je vous invite tout de suite à aller lire sa chronique et je commence tout d’abord par la remercier pour la rigolade, la motivation et les réflexions pertinentes car, si je l’avais lu seule, je l’aurais très probablement abandonné.

Pourquoi ? Car le roman souffre d’un gros cœur mou dans lequel je me suis engluée. On se perd dans des réflexions philosophiques autour de la Beauté et de la laideur, de l’identité, du mal. Non pas qu’elles soient particulièrement compliquées (quoique les multiples références au cas « Nansen tue un chaton » ne m’aient pas aidé à en comprendre la moralité ? la finalité ? l’intérêt ?), mais parce qu’elles sont extrêmement redondantes. J’ai eu longtemps l’impression de tourner en rond face aux désirs paradoxaux du narrateur entre faire le mal et atteindre une certaine pureté, une « âme de lumière » semblable à celle de son condisciple Tsurukawa. Une dualité à l’image de celle amour/haine éprouvée envers ce trésor architectural dont je me suis également lassée des multiples descriptions.
Quelques chapitres se sont ainsi révélés d’une lenteur pétrifiante : mes yeux avaient alors envie de se lancer dans une lecture fortement diagonale et je ne comprenais plus grand-chose à ce que je lisais…

Ce roman est une sorte de parcours initiatique qui conduira Mizoguchi à la pyromanie. Son bégaiement et sa laideur, une trahison de sa mère. L’impunité des soldats américains et la soumission des Japonais aux vainqueurs. Le cynisme d’un ami. Un éloignement du temple et de l’université, une perte de respect pour le Prieur. Des désillusions, des regards désappointés sur les autres (même ceux qu’il jugeait favorablement, détruisant alors un idéal).
Et puis, il y a ce Pavillon d’Or, d’abord fantasme né des récits émerveillés de son père. Obsession par laquelle le temple s’interpose sans cesse entre lui et le monde. Relation oscillant entre fascination et déception. Désir d’en devenir le maître ou de leur détruire, impérieux besoin de se libérer de son influence pernicieuse.

Malgré ces quelques chapitres qui ont failli me perdre, le roman redevient plus lisible – peut-être car plus linéaire – à compter du chapitre 7. On finit par se prendre d’intérêt, voire de pitié pour Mizoguchi ; des événements surviennent, une évolution de ses relations avec différents personnages est notable ; son projet criminel apparaît ainsi que des atermoiements, de faibles tentatives pour s’en décourager et un report de la faute sur autrui qui engendre une certaine attente, un quasi-suspense (en dépit du fait que la fin est connue)… Les derniers chapitres ont clairement remonté l’ouvrage dans mon estime, allant jusqu’à conclure sur une note plutôt touchante.

Il faut aussi reconnaître que la traduction est belle. J’ai retrouvé des échos à Confession d’un masque dans les instincts destructeurs de Mizoguchi, son appétit pour la souffrance et la mort qui le fera appeler de ses vœux les bombardements et les incendies sur Kyoto : une atmosphère sombre, parfois malsaine qui avait tout pour me plaire. J’ai également aimé le regard sur la nature – une tempête qui approche, un bord de mer… – et les descriptions précises qui en jaillissent.
De plus, Mishima sait aller là où on ne l’attend pas. Certaines scènes, notamment avec les personnages féminins qui émaillent le récit, au-delà de leur caractère troublant voire dérangeant, m’ont surprise en prenant une direction tout à fait contraire à mes suppositions.

Ce roman possédait des atouts pour me plaire : la thématique, l’atmosphère, l’évolution psychologique du personnage, l’écriture… Et pourtant, on a frôlé le naufrage et je ne peux partager les critiques dithyrambiques car il y a, à mon goût, des longueurs et des répétitions d’un ennui abyssal au milieu du roman.

Rappel : la chronique d’Alberte Bly est là !

(Heureusement qu’au milieu de notre lecture, Moka a publié une chronique enthousiaste du Marin rejeté par la mer, renouvelant mon intérêt mourant pour Mishima et me donnant une idée lecture avant de plonger dans les mille cinq cents pages de sa Mer de la fertilité.)

« Il va sans dire que cette infirmité dressait un obstacle entre moi et le monde extérieur. C’est le premier son qui a du mal à sortir ; il est, en quelque sorte, la clé de la porte qui sépare mon univers intérieur du monde extérieur ; mais jamais il ne m’était arrivé de sentir tourner cette clé sans effort. Les gens, en général, manient les mots à leur gré ; ils peuvent, cette porte de séparation, la laisser grande ouverte et ménager ainsi une constant circulation d’air entre les deux mondes. Mais à moi, cela était absolument interdit : la clé était rouillée, irrémédiablement rouillée. »

« Je crois que c’est vers ce temps-là qu’un changement subtil commença de se dessiner dans mes sentiments à l’égard du Pavillon d’Or. Non que je pusse parler d’aversion, mais je pressentais qu’un jour viendrait immanquablement où ce qui germait peu à peu en moi se révélerait absolument incompatible avec son existence. »

« Quand je le connus mieux, j’appris qu’il avait en horreur la Beauté qui dure. Il n’aimait que ce qui s’évapore à l’instant : la musique, les arrangements de fleurs flétris en quelques jours ; il détestait l’architecture, la littérature. Pour qu’il vînt au Pavillon d’Or, il avait fallu ce clair de lune sur le temple… »

« Ainsi raisonnais-je, et mes réflexions me firent apparaître une indéniable et totale différence entre l’existence du Pavillon d’Or et celle de l’être humain. D’une part, un simulacre d’éternité émanait de la forme humaine si aisément destructible ; inversement, de l’indestructible beauté du Pavillon d’Or émanait une possibilité d’anéantissement. Pas plus que l’homme, les objets voués à la mort ne peuvent être détruits jusqu’à la racine ; mais ce qui, comme le Pavillon d’Or, est indestructible, peut être aboli. Comment personne n’avait-il pris conscience de cela ? Et comment douter de l’originalité de mes conclusions ? Mettant le feu au Pavillon d’Or, trésor national depuis les années 1890, je commettrais un acte de pure abolition, de définitif anéantissement, qui réduirait la somme de Beauté créée par la main de l’homme. »

Le Pavillon d’or, Yukio Mishima. Gallimard, coll. Folio, 2003 (1956 pour l’édition originale. 1961 pour la traduction française). Traduit du japonais par Marc Mécréant. 375 pages.

27 réflexions au sujet de « Le Pavillon d’Or, de Yukio Mishima (1956) »

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  2. Le résumé ne me tente pas plus que ça… Et je t’avoue que ton avis ne me donne pas envie de le découvrir non plus !! J’ai de plus en plus de mal à accrocher aux romans où il y a des longueurs, je suis vite lassée, alors lire ce livre n’est sans doute pas une bonne idée 😀

  3. « Dans ce roman à la première personne, Yukio Mishima nous plonge dans la tête de Mizoguchi pour, peut-être, appréhender les raisons de son geste. » J’ai l’impression que dans cette phrase tout est dans le peut etre xD

    Merci de m’avoir accompagnée pendant cette longue traversée ♥ Faudrait qu’on se décide à lire de meilleures livres ensembles, Notre-Dame de Paris c’est un de mes meilleurs souvenirs de lectures de 2020 (ou 2021 ? je sais plus, mais bref)

    Eh bien tu as tenue parole, tu as vraiment un meilleur esprit de synthèse que moi, j’ai l’impression que ma chronique tourne autour du pot pendant 107 ans juste pour dire ce que tu dis clairement en quelques paragraphes. Comme on dit « Ce qui se comprend aisément s’énonce clairement », je crois que j’ai pas compris aisément ce roman ahahaha

    Bon, j’espère qu’on se retrouvera pour une meilleure lecture commune la prochaine fois ^^

    • Haha ! Très juste !

      Oui, carrément ! Ce serait avec plaisir ! Même si c’est bien d’avoir quelqu’un pour affronter les livres les plus laborieux, ce serait chouette de partager de l’enthousiasme pour une fois !
      (Hum… 2020, je crois que c’était en juillet juste après le premier confinement.)

      Haha, c’est drôle : tu trouves que la mienne est bien parce que j’ai synthétisé et je trouve que la tienne est mieux parce que tu as su développer les choses. Tu vois la tienne comme la preuve que tu ne l’as pas compris aisément et je vois la mienne comme la preuve que je n’avais pas dix mille trucs à dire dessus ! Comme quoi… tout change selon le point de vue !

      Oui, j’espère aussi ! En tout cas, si tu as une idée à l’occasion, n’hésite pas à me faire signe !

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