Town (4 tomes), de Rozenn Illiano (2017-2018)

Le 18.01.16, un Cataclysme s’est abattu sur la Terre : le lancement d’un funeste compte-à-rebours. 600 jours, douze coups à la Grande Horloge dont le dernier signera l’Apocalypse et le glas de la réalité connue. Au milieu des anges impitoyables, des néphilistes qui les assistent, de l’hostilité de celles et ceux qui n’ont plus rien à perdre, quelques humains tentent de survivre, de se débarrasser d’autant d’anges possibles et, peut-être, changer le cours des choses ?

Depuis février, j’égrène au fil des mois ma lecture de cette saga clé de l’œuvre de Rozenn Illiano.

Lire Town, c’était changer d’univers. Après l’onirisme d’un Midnight City, après les secrets familiaux d’Érèbe, après le Cercle, la fascinante société d’Immortels, d’Elisabeta, c’était plonger dans du post-apo sur une Terre ravagée, aux côtés d’une humanité décimée et d’anges vengeurs. Tout en étant lié à ces autres romans, c’est une atmosphère totalement différente qui se met en place, avec un certain désespoir, des actes de cruauté et/ou de survie, la loi du plus fort vs l’union fait la force.

Lire Town, c’était vivre cette Apocalypse, ces 600 jours jusqu’au jour de la fin du monde, ces légions angéliques déferlant sur la Terre et la résistance – dérisoire ? – des humains encore en vie. La narration est efficace : l’écriture est assez simple et directe, même si elle devient plus riche au fil des tomes et offre des moments très intenses. Quant aux personnages, variés et intéressants, il est très facile de se reconnaître en eux, quels que soient leurs pouvoirs ou aptitudes. J’ai été touchée par leurs solitudes. Ce sont des personnages qui se cherchent, qui sont parfois paumés et toujours imparfaits.

Oxyde par Xavier Collette

Oxyde par Xavier Collette (Source : Onirography)

Lire Town, c’était rencontrer enfin Oxyde (davantage que par un petit coucou dans un autre roman ou nouvelle), ce que j’attendais avec impatience du fait de ma fascination pour ce sorcier extrêmement puissant et charismatique. L’amour que lui porte sa créatrice n’y est sans doute pas pour rien, j’avais donc hâte de passer du temps avec lui. Lui qui est un clairvoyant – un sorcier qui cumule les pouvoirs – m’a surprise (et conquise) par ses failles : en dépit de tous ses dons, ce n’est pas un super-héros infaillible. Il fait des erreurs (et fait d’autres erreurs en tentant d’en réparer d’autres), il a des défauts, à commencer par une violence plus ou moins contenue qui vibre en lui, mais ce n’est pas juste le gars ténébreux. Il montre également de la tendresse (notamment vis-à-vis de Glenn et Cesca dans les deux derniers tomes), de regrets, sans parler de son lien bouleversant avec Élias. Enfin, il a beau être surpuissant, il a besoin des autres pour avancer, pour triompher. Il évite le piège des archétypes avec beaucoup de classe, et il faut l’avouer, c’est un personnage éminemment charismatique. Et à travers lui, on découvre également un fantastique jeu d’échecs et de bluff entre puissances inhumaines.
Quel que soit l’univers, quelles que soient les péripéties, les personnages de Rozenn Illiano sont toujours bien présents. Ils ne sont pas un prétexte pour faire avancer l’histoire, ce serait plutôt l’inverse. Moi qui aime les personnages consistants, que l’on jugerait réels, je suis comblée par la place qu’elle leur accorde à chaque roman. Elle inscrit leurs actions dans leur histoire, leur passé, leurs réflexions, leurs interactions avec les autres, en parfaite cohérence. Ainsi, chaque lecture est une rencontre.

 Lire Town, c’était rencontrer la fameuse ville. Le lieu qui devient personnage est quelque chose que j’apprécie beaucoup, j’ai toujours une attirance pour ces lieux qui acquièrent une conscience (le Bois de Déracinée, la Catastrophe du Royaume de Pierre d’Angle…). Une conscience immature, brouillonne, mais démesurée. Town a une présence brute et touchante parfois. C’est un appel pour les sorciers et les psychopompes, c’est un bruit de fond dont on n’a pas toujours conscience, ce sont des vagues de colère, de tristesse, de joie ou de regret. C’est un chiot folâtrant, c’est une mère protectrice, c’est une adolescente brutale parfois. C’est un personnage indubitablement.

Lire Town, c’était lire ce que Rozenn Illiano qualifie une œuvre de jeunesse, en particulier Tueurs d’anges, un roman dont l’idée lui est venue quand elle était adolescente et qu’elle tenait absolument à publier, même s’il n’était finalement pas tout à fait abouti. Cela explique quelques défauts qui viennent ternir quelque peu cette lecture.
Dans les premiers tomes – Tueurs d’anges essentiellement, mais également Oracles –, je regrette de ne pas avoir pu davantage ressentir les choses. Vivre avec les personnages les événements, leurs émotions, les liens tissés. Cela était dit, écrit, mais il manquait cette vibration qui fait naître l’empathie et l’immersion. J’ai à nouveau ressenti cette absence d’implication quand le quatrième tome raconte l’état émotionnelle de deux personnages lié à leur connexion et à des événements pour le moins traumatisants du premier tome : je me suis aperçue que j’étais passée un peu à côté de l’intensité de leur relation. Et cela se reproduit avec les relations amoureuses qui se nouent, les couples qui se forment, sans que l’on ressente réellement la naissance et la progression de leurs sentiments. Pourtant, l’intériorité des personnages est réellement développée, mais la façon de la présenter est sans doute plus didactique qu’intuitive. De la même façon, alors que Tueurs d’anges est narré par trois personnages différents, il m’a manqué d’entendre des différences dans leur voix.
Il m’a également manqué de la tension. Tueurs d’ange souffre peut-être d’une certaine hâte à raconter des événements qui auraient mérité davantage de pages. Autant les trois tomes suivants développent l’histoire d’Oxyde, autant le premier tome – qui n’est pas plus long – avance à grands pas, et parfois par ellipses, tentant d’en dire beaucoup en peu de pages. La fin de Tueurs d’anges m’a semblé très abrupte et m’a laissée un peu partagée : je demandais à voir les développements par la suite, mais je trouvais que le tout était un peu facile. Sans parler du fait que, malgré une situation relativement dramatique tout de même, je n’ai pas été heurtée, bousculée émotionnellement parlant. L’explication à mon détachement nous fait revenir à ce manque de proximité et d’empathie avec les personnages dans ce premier tome.
En bref, dans les premiers tomes, il m’a manqué de vivre les choses avec les tripes.

Le troisième semble être le simple début de Clairvoyants. Le rythme est plus lent, annonciateur des événements du dernier tome. Il m’a semblé être un tome de transition sublimé par quelques moments de grâce, des instants sublimes et captivants. Réunissant les personnages des deux premiers tomes, c’est également l’occasion de tenter de démêler quelques fils de cette intrigue.

Et finalement – et heureusement –, tous ces reproches s’envolent totalement avec Clairvoyants, ce qui a souligné plus clairement les défauts des tomes précédents. Dans ce quatrième tome, Rozenn Illiano ne m’a pas seulement raconté une histoire, elle me l’a fait vivre. Enfin, j’ai ressenti. L’atmosphère intense générée par l’Anaon. L’angoisse, les souffrances et la colère des esprits. La chape de plomb sur l’esprit des humains qui s’y aventurent. La sidération face à ce Paris métamorphosé. La peur et la fatigue d’Oxyde. J’ai vraiment aimé ce tome qui prouve bien que ces romans ont la matière pour être géniaux.

Et c’est là qu’intervient une bonne nouvelle : la saga va être réécrite ! Je n’étais pas particulièrement enthousiaste à cette idée au début, je l’avoue. On venait de m’offrir les deux premiers tomes, je n’étais pas très emballée à l’idée qu’une version améliorée allait bientôt exister, même si la trame restera identique. Et puis, Rozenn Illiano étant prolifique, je ne me voyais pas acquérir de nouveau tous ses livres quelques années après leur sortie. Cependant, la chose est exceptionnelle et, après les avoir lus, je comprends cette décision et je suis même impatiente de découvrir la nouvelle version (pas encore écrite) ! Town est une saga clé du Grand Projet. Même si tous ses romans sont indépendants (sauf au sein d’une même série, évidemment), c’est un passage un peu incontournable pour qui veut suivre son œuvre (même si, personnellement, j’ai réussi à lire sept de ses romans avant de m’y attaquer). Cette saga pose des événements essentiels dans son univers, les idées sont bonnes, il y a déjà des moments formidables, l’ambiance a tout pour être intense : je comprends à présent l’envie de l’autrice d’offrir quelque chose de mieux à cette saga si importante et je reconnais que ça ne pourra être qu’une très bonne chose. Relire le tout avec des relations mieux écrites, un ressenti accru, de l’empathie, de l’immersion… je signe tout de suite !

Town n’est pas parfaite, non. Je ne partage pas totalement certains avis dithyrambiques. Il y a des défauts, des défauts incontestables qui font que je suis contente de ne pas avoir lu ces romans-là en premier. Cependant, cela n’a en rien entamé mon envie de continuer à suivre cette autrice (ça a même renforcé ma curiosité) ni ma confiance en sa capacité à m’émerveiller avec ses histoires. Ces romans sont parfaitement indépendants, on ne le dira jamais assez : vous pouvez parfaitement lire uniquement Town, ou uniquement Midnight City ou Érèbe, ils se suffisent à eux-mêmes. Il ne vous manquera pas d’éléments pour comprendre et apprécier l’histoire, vous pourrez ainsi choisir l’univers ou l’atmosphère qui vous intéresse le plus. Toutefois, quand on se lance dans le Grand Projet, l’impulsion et l’enthousiasme sont tels que même un roman en deçà des autres n’est pas une raison de ne pas continuer le voyage.

Pour finir, est-il nécessaire de souligner que Xavier Collette a encore fait un travail magnifique sur les couvertures ?

« Ce truc qui gronde dans ma tête me terrifie, admet-elle. Je l’entends de plus en plus fort quand il se met en colère. À certains moments, j’ai l’impression d’atterrir quelque part sans savoir comment j’y suis venue. De me réveiller sans m’être endormie. Je suis en train de devenir quelqu’un d’autre. Et… je crois bien que je m’en fous. C’est ça qui me fait peur. »
(Tome 1, Tueurs d’anges)

« Une fois seul, le jeune homme sent une force nouvelle le parcourir, mais aussi un nuage de ténèbres tel qu’il n’en a jamais vu. Il tombe du banc et s’effondre au sol sous la douleur. Il a tellement mal… le vent s’engouffre dans son esprit, balaie tout sur son passage.
Le prénom de sa mère s’envole. Ses souvenirs d’enfance auprès d’Élias. La découverte de ses pouvoirs, le regard bienveillant de Dossou. Tout disparaît, s’efface, s’estompe. Son nom s’en va, et il n’a pas le temps de le rattraper. La peine aussi, et la colère. La solitude. Est-ce si grave ?
 »

(Tome 2, Oracles)

« – Ce n’est pas juste que tu doives réparer tes erreurs de cette façon, dit-elle.
– L’univers considère que ça l’est. Ce n’est qu’une façon de me remettre à ma place : on ne peut pas laisser autant de magie entre les mains d’une seule personne.
– Pourtant, tu auras beau posséder tous les pouvoirs possibles, toute la puissance qui existe sur cette Terre, tu resteras ce clairvoyant paumé qui se débat dans des sables mouvants.
Je souris. C’est parfaitement vrai. »

(Tome 3, Passeurs)

« Souvent, les départs s’accompagnent d’une petite mélodie grinçante, un pressentiment me chuchotant que ceux qui partent ne reviendront pas, que le malheur les frappera. »
(Tome 4, Clairvoyants)

Town (4 tomes), Rozenn Illiano. Oniro Prods (auto-édition), 2017-2018.
– Tome 1, Tueurs d’anges, 245 pages ;
– Tome 2, Oracles, 243 pages ;
– Tome 3, Passeurs, 230 pages ;
– Tome 4, Clairvoyants, 238 pages.

6 réflexions au sujet de « Town (4 tomes), de Rozenn Illiano (2017-2018) »

  1. Est-il possible d’être déçu·e du travail de Xavier Collette ? Je ne crois pas.
    En tout cas, la réécriture m’intéresse (et j’espère que ce sera toujours Xavier Collette derrière les couvertures, même si le visuel change !).

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