La sauvageonne, d’Anne Schmauch (2018)

La sauvageonne (couverture)Fleur et son frère Kilian vivent dans une station essence et rêvent d’ailleurs. Avec leur copain Rodrigue, ils tombent par hasard sur un sacré pactole. Ils décident alors d’utiliser l’argent pour monter à Paris et commencer une nouvelle vie. Le Conservatoire pour Kilian le violoniste et moins de violences pour Fleur. Malheureusement, les ennuis semblent bien décidés à les suivre de près.

Ce nouvel Exprim’ a encore tapé fort ! Entre les vapeurs d’essence et les vieux pneus, entre une mère qui préfère s’évader dans des romans à l’eau de rose et un père macho, le quotidien de Fleur et Kilian est plutôt morose. Et quand ils découvrent Paris, le programme s’avère être appartement miteux avec son et lumière sur le périph’. Anne Schmauch nous plonge dans un monde parallèle, un monde d’invisibles, peuplés de graffeurs, de sans-papiers, de magouilleurs et de petits voleurs. Au cœur de l’échangeur de la Porte de Montreuil se cache une micro société prête à tout pour survivre. De la ruse à la violence, voire aux trahisons.
Certains verront des oppresseurs et des opprimés, d’autres des forts qui protègent des faibles : rien n’est simple pour ceux qui vivent à la marge. Une communauté avec sa hiérarchie bien établie, silencieusement perçue et acceptée de tous, des légendes et des craintes. Si le décor m’a évoqué des souvenirs (puisque j’ai vécu un certain temps non loin de la Porte de Montreuil), j’ai aussi eu l’impression de découvrir un autre plan que l’on ne fait qu’apercevoir ici et là lorsque nous ne sommes pas concernés.

On s’attache rapidement aux personnages, notamment à la narratrice. Fleur la mal-nommée est une boule de nerfs, une guerrière aux poings vifs comme l’éclair. Terriblement touchante quand elle se préoccupe de son frère, le génie violoniste si étranger à la violence. Pleine de doutes quant à ses capacités, à sa personnalité et à son avenir. Révoltée contre le monde, contre les injustices et les classes sociales. Fleur tente de s’extirper de ce qu’elle a connu depuis sa naissance, mais les outils que la vie lui a donnés ne sont pas de ceux qui améliorent forcément les choses.
C’est, entre autres, pour cela que le roman fait rapidement naître un mauvais pressentiment dont il est impossible de se défaire. Malgré leur bonne volonté, leurs coups de chance et leur habilité à saisir les bonnes occasions, on se doute que les fréquentations du trio et les liasses de billets qu’ils trimballent avec eux seront synonyme de dangers et d’embûches. Et effectivement, de ce point de vue-là, l’autrice ne chôme pas non plus. Pas le temps de s’ennuyer dans ce roman aux mille rebondissements. La vie monotone de la station essence devient vite un lointain souvenir pour nos héros pris dans la frénésie citadine et la nécessité de survivre chaque jour. Mille rebondissements… et mille rencontres.

Heureusement, s’ils feront bon nombre de mauvaises rencontres, des gens seront là pour croire en eux et les aider. Des personnes que l’on s’attendrait parfois à voir méprisants ou hautains. Une bourgeoise ou un artiste à la renommée mondiale par exemple. Anne Schmauch crée toute une galerie de personnages de différentes classes sociales, avec leurs préoccupations, leurs soucis et leurs passions, leurs défauts et leurs qualités. La richesse des personnages et des caractères est le gros bonus de ce roman. Mélancolique, violent, passionné, timide, égoïste, effrayant, mystérieux, généreux… Tous ont plusieurs facettes et la plupart évoluent ou se dévoilent au fil du récit. Ici, il n’est nullement question d’opposer méchants et gentils, riches contre pauvres. Ce livre est un voyage à travers Paris et sa banlieue, à travers celles et ceux qui composent la société française, de ceux qui sont chouchoutés à ceux que d’autres aimeraient parfois voir disparaître d’un coup de baguette magique.

De sa plume vive et aiguisée, Anne Schmauch nous propose un diamant brut qui parvient, en dépit d’une action dynamique et sans temps mort, à dépeindre des personnages absolument fascinants de réalisme à la psychologie fouillée et variée. (Et en ce qui me concerne, j’adore lorsque les protagonistes – principaux ou secondaires – ont une véritable épaisseur.) Une vraie opportunité de réfléchir un peu sur la société française.

« Bref. Cette station, c’est un iceberg à la dérive, qui fond un peu plus chaque année. Et mon père a décidé de jouer les ours polaires.
Pas nous. Mon frère et moi, on a prévu de se tirer à la fin de l’été. »

« A présent qu’on se trouve à la lisière, une grande trouille me tord les boyaux. Je sais qu’il existe un monde au-delà de ce grillage, j’en ai vu les reflets sur Internet. Mais à force de m’en tenir éloigné, j’en ai fait une sorte de rêve inatteignable. »

« Les mots de Mercedes me reviennent à la figure comme un boomerang. Vide intersidéral. Est-ce qu’on peut ne rien trouver, quand on se met à chercher qui on est ? »

La sauvageonne, Anne Schmauch. Sarbacane, coll. Exprim’, 2018. 267 pages.

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lire un livre dans lequel de grosses sommes d’argent sont brassées

 Challenge Voix d’autrices : un roman publié dans l’année

10 réflexions au sujet de « La sauvageonne, d’Anne Schmauch (2018) »

  1. Tu me donnes envie de découvrir ce roman et cette maison d’édition dont j’entends beaucoup parler. Surtout qu’il y a plusieurs titres qui me tentent. Ta chronique est superbement écrite !

    • Merci beaucoup ! Venant de quelqu’un à la plume si incroyable, ça me touche !
      Sarbacane fait vraiment un super boulot et leur collection Exprim’ regorge de pépites à côté desquelles il serait dommage de passer !

  2. Cette histoire a l’air vraiment percutante !
    Merci pour la découverte, décidément cette collection a l’air ouf !

  3. Très belle chronique ; tu as les mots justes pour donner envie de foncer sur ce roman ! Rien qu’à la lire j’ai envie de découvrir tous ces personnages (Fleur surtout) et l’envers de la banlieue et des petites tentatives de survie du quotidien, dont on parle malheureusement peu ou sous une mauvaise approche. Merci pour la découverte !

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