Joyeux, fais ton fourbi, de Julien Blanc (1947)

Joyeux fais ton fourbi (couverture)Joyeux, fais ton fourbi, c’est l’histoire d’un ancien délinquant intégré au bataillon d’infanterie d’Afrique (appelé le bat’ d’Af’) pour une durée plutôt indéterminée. Dans ce campement maudit, on casse des cailloux et on construit des routes, mais les « joyeux » – puisque tel est le nom ironiquement donné aux hôtes de ce triste lieu – n’ont qu’un seul but : être réformé. Pour cela, certains se maquillent pour simuler abcès et fractures tandis que d’autres recherchent syphilis et chancre. La hiérarchie est forte : les gradés trouvent leur jouissance dans de mesquines punitions faisant planer, comme une épée de Damoclès, la menace de l’allongement de la peine et les hommes forts avilissent les plus faibles, surnommés les « femmes » et contraints d’accomplir leurs tâches ménagères et d’assouvir le désir sexuel. Humiliations, homosexualité souvent subie, misère intellectuelle, maladies…

Le narrateur, âgé d’une vingtaine d’années, restera plus de sept ans au bat’ d’Af’. Pourtant, il ne s’en sort pas trop mal – disons, si on compare son quotidien avec celui des autres condamnés – lorsqu’il est pris sous l’aile du toubib. Depuis son poste d’infirmier, il se fait le témoin de cette microsociété où règnent la misère et la sauvagerie. Quelque fois, des amitiés se nouent et sont, avec les livres qu’il conserve précieusement dans une malle, la seule lueur d’espoir dans ce cloaque. Il livre de magnifiques portraits, notamment celui de Trobé, colosse dont la force n’a n’égale que la gentillesse.

Il m’a rappelé, dans l’écriture, Le Lycéen de Bayon. Deux livres intenses que j’ai eu du mal à terminer (car j’ai eu du mal à y entrer), mais que j’ai pourtant aimé. Si les sujets sont différents, ils se rejoignent en proposant deux portraits d’une microsociété (celle des joyeux et celle des lycéens).

Des sentiments forts dans ce livre, mais pas de pleurnicherie. De la haine pour ceux qui abusent de leur force ou de leur position, de l’amitié pour ses compagnons d’infortune qu’il tente d’aider au mieux. Un pamphlet contre la bêtise et la brutalité humaine. Des passages durs que l’on lit le cœur au bord des lèvres. Un texte brut qui prend aux tripes.

Une découverte dense riche en émotions.

« Je ne répéterai jamais assez que le bataillon était l’image en réduction mais fidèle du monde. Le monde s’entre-tue, alors qu’il pourrait vivre heureux ; les bataillonnaires se battaient, alors qu’ils auraient dû se serrer les coudes afin que le malheur eût moins de prise sur eux. Comme dans le monde, méchanceté, brutalité régnaient naturellement. »

Joyeux, fais ton fourbi, Julien Blanc. Editions Libretto, 2014 (1947 pour la première édition). 352 pages.

Laisser un commentaire