La trilogie de la Poussière, livre 1 : La Belle Sauvage, de Philip Pullman (2017)

La Belle Sauvage (couverture)Malcom partage son quotidien entre son travail à l’auberge familiale, l’école, ses promenades dans son canoë, baptisé La Belle Sauvage et ses visites aux sœurs du prieuré voisin. Tout cela est bouleversé avec l’arrivée d’une mystérieuse petite fille, Lyra, confiée aux religieuses. Une inondation le pousse à fuir dans son canoë accompagné par le bébé et Alice, la fille de cuisine de l’auberge. Mais la fillette semble attirer les convoitises d’un étrange personnage qui prend le trio en chasse. Entre la nature déchaînée et la cruauté humaine, le périple s’annonce mortel.

J’aurais aimé écrire une critique uniquement en mode WOUAH, mais je sens que cette chronique va être en demi-teinte. Du genre « j’ai aimé, mais… ». Le premier « mais » étant que, grande admiratrice de la trilogie A la Croisée des mondes, mes attentes étaient peut-être démesurées, ce qui influe forcément sur ma réception de ce nouveau tome.

J’ai dévoré ce livre, je n’ai absolument pas eu le temps de m’ennuyer. Pourtant, je l’ai trouvé parfois inégal.
Tout d’abord, l’histoire met certain temps à démarrer. Heureusement, je n’y ai pas trop prêté attention, trop heureuse de me replonger dans ce monde à la fois merveilleux – les dæmons font toujours leur petit effet – et terrifiant. Terrifiant car la parole y est étroitement surveillée. Le CDC (Conseil de Discipline Consistorial) rôde, interrogeant, déportant, assassinant, tandis que la malfaisante Ligue de Saint-Alexander incite les élèves à dénoncer ceux – parents, professeurs, élèves – qui ne vont pas dans le sens du Magisterium. La folle épopée de la quatrième de couverture n’arrive pas tout de suite, ce qui peut dérouter même si cette description d’un quotidien déjà bousculé bien qu’encore innocent soit très réussie.
Lorsque Malcom et Alice fuient avec Lyra sous le bras, la narration trouve enfin un bon rythme, celui d’un vrai récit d’aventures, celui d’un formidable voyage. Pullman jongle alors entre tension et calme, émotion et action, beauté et horreur. Toutefois, il y a une seconde baisse de rythme lorsque deux événements féeriques se succèdent. Certes, ils sont surprenants, bien trouvés, bien racontés, mais leur côté fantasmagorique ralentit le récit.

En outre, je trouve que Pullman passe un peu vite sur les différentes étapes du périple de Malcom, Alice et Lyra. Certains obstacles sont un peu trop rapidement résolus à mon goût. Pour rester floue pour éviter les spoilers, je citerai simplement le prieuré des sœurs de la Sainte Obédience. Toutes ces péripéties sont absolument entraînantes, mais il est parfois dommage qu’elles soient si rapidement expédiées.
De même, certains personnages apparaissent et disparaissent tout aussi rapidement. Mme Coulter semble là juste pour faire un caméo, la reine Tilda Vasara pour rappeler qu’il y a des sorcières dans ce monde et on dit rapidement au revoir à Mlle Carmichael qui introduit la Ligue de Saint-Alexandre dans les écoles. Sera-t-on par la suite amenée à rencontrer ces deux dernières ?

La fougueuse Lyra est ici un bébé joyeux et rieur doté d’un bébé dæmon Pantalaimon est absolument adorable. La relation entre les humains et leur dæmon est de toute façon toujours magique et émouvante, que ce soit Lyra et Pan, Malcom et Asta, ou encore Stelmaria, le dæmon de Lord Asriel, curieux envers le bébé (on découvre d’ailleurs une facette beaucoup plus tendre et aimante d’Asriel).
Probablement le personnage le mieux dépeint du récit, Malcom est un garçon touchant et intelligent : courageux et serviable, il est prêt à tout pour la petite Lyra. Curieux et observateur, il séduit tous les adultes qu’il rencontre, à commencer par l’Erudite Hannah Relf qui fait bien écho à la Mary Malone du Miroir d’ambre.
Personnage peu aimable au départ, plus difficile d’accès, Alice ressemble parfois à la Lyra du futur : si elle est bien moins sociable, elle est tout aussi débrouillarde, farouche, impulsive, fidèle à Malcom lorsqu’ils deviennent amis. J’aurais aimé que ce personnage sarcastique et probablement malmené par la vie soit davantage mis en avant (pour autre chose que changer les couches de Lyra !).
Concurrençant le terrible singe doré de Mme Coulter, le dæmon hyène de Bonneville, persécuteur des trois enfants, est absolument glaçant par sa brutalité et sa vulgarité. On ressent bien la terreur de Malcom et Alice entendant son rire trop humain percer la nuit. Seule exception à la règle énoncée ci-dessus, sa relation avec son humain n’a pour le coup rien de magique : choquante, révoltante, malsaine, incompréhensible. A l’image de ce repoussant duo. Et pourtant, je trouve qu’une fois encore, Pullman reste à la surface des choses, il aurait pu leur offrir bien davantage de présence.

(D’ailleurs, au sujet de Mme Coulter, je n’ai pas compris les raisons de son changement de couleur de cheveux ! Dans Les Royaumes du Nord, on nous dit « C’était une jeune et jolie femme. Ses cheveux noirs soyeux encadraient son beau visage (…). » et dans La Belle Sauvage, le texte est sensiblement le même, à un détail près : « Jamais il n’avait vu une femme aussi belle : jeune, avec des cheveux dorés, un visage doux (…). » Faudrait savoir, non ?)

A ma grande surprise, La Belle Sauvage est beaucoup plus contextualisé que la trilogie A la Croisée des mondes. On savait que l’histoire se déroulait dans un monde parallèle au nôtre (notre monde qui était visible à travers le personnage de Will), à la fois semblable et différent. Mais dans ce nouveau tome, nous avons des dates et des mentions à des événements historiques – comme la « guerre de Suisse » en 1933 entre Britannia et les forces du Magisterium –, nous apprenons que le pays de Lyra se nomme Britannia et est gouverné par des rois, et enfin, nous apprenons que l’Eglise – omniprésente dans la trilogie originale – révère Jésus-Christ. Je ne suis pas certaine de l’intérêt de ces informations. J’aimais le flou de A la Croisée des Mondes : le Nord, l’Eglise… c’était imprécis, mais parfaitement suffisant. On se doutait bien que le Magisterium et l’Eglise agissait au nom d’un dieu unique et c’est à mes yeux inutile de le nommer.

Vous l’aurez compris, c’est un bilan mitigé que je pose sur ce premier tome au rythme chaotique et aux personnages parfois superficiels. Il n’en reste pas moins une bonne lecture au cours de laquelle j’ai retrouvé l’écriture riche, précise et poétique de Philip Pullman ainsi que les thématiques sombres et complexes de la trilogie A la Croisée des mondes. Ce livre peut se lire indépendamment de la saga originale, mais je vous la conseille cependant mille fois car elle reste, sans le moindre doute, indétrônée dans mon cœur.

« Asta, encore à moitié endormie, mordilla l’oreille de Malcolm, qui émergea du sommeil comme quelqu’un luttant pour remonter à la surface d’un lac d’opium où les plaisir les plus intenses étaient aussi les plus profonds alors que, au-dessus, il n’y avait que le froid, la peur et le devoir. »

« « Je suis trop jeune pour tout ça ! » pensa t-il, presque à voix haute.
Il enveloppa le bébé dans la couverture avant de le poser au milieu des coussins. La culpabilité, la fureur et la peur livraient bataille dans son esprit. Jamais il n’avait été aussi éveillé qu’à cet instant, songeait-il, et il se disait qu’il ne dormirait jamais, qu’il vivait la nuit la plus effroyable de toute son existence. »

La trilogie de la Poussière, livre 1 : La Belle Sauvage, Philip Pullman. Gallimard jeunesse, 2017 (2017 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch. 529 pages.

31 réflexions au sujet de « La trilogie de la Poussière, livre 1 : La Belle Sauvage, de Philip Pullman (2017) »

  1. J’ai un peu peur de le lire, je dois avouer. Je suis comme toi une grande fan d’À la croisée des mondes et j’ai peur d’être déçue… Et puis, j’attendrais peut-être la sortie des trois tomes pour tout lire d’une traite. Par contre, je me demande si le changement de couleur de cheveux n’est pas lié à Nicole Kidman qui jouait madame Coulter dans le film et qui était blonde justement. Ca m’avait perturbée à l’époque, surtout que je n’imaginais pas du tout madame Coulter ainsi…

    • Je te comprends… Et j’avoue que mes attentes ont sûrement joué dans mon accueil mitigé.
      C’est ce que j’ai pensé, mais si c’est ça, je trouve ça vraiment nul ! Il est l’auteur et le créateur de ce personnage, il ne devrait pas se laisser influencer. Surtout par un film mauvais qui n’a pas marché et pas eu de suite ! Mais c’est vrai que le film a fait fort en prenant Nicole Kidman pour la brune Mme Coulter et Eva Green pour la blonde Serafina Pekkala !

  2. C’est une sorte de prequel la trilogie du Nord ? Je me souviens que j’avais beaucoup aimé le tome 1 et que j’ai voulu être trop rapide pour les deux derniers tomes. Je vais peut être les relire. Et attendre cette deuxième saga en poche 🙂

    • Alors ce tome-là, oui, Lyra est bébé, donc ça se passe une dizaine d’années plus tôt. Par contre, il me semble avoir lu quelque part (mais je ne sais plus où) que le tome 2 se passera après les événements de A la croisée des mondes… C’est à prendre avec des pincettes, je ne sais pas trop si c’est vrai, si c’est sûr, donc j’attends de voir… Si c’est le cas, je suis un peu dubitative à la fois sur ce que ça va donner et sur l’intérêt de ce premier tome…
      Par contre, je te conseille vraiment de finir la première trilogie, c’est à la fois diablement intelligent et merveilleusement raconté !

  3. Oh c’est super intéressant ! J’avais adoré la trilogie de base, j’hésite encore à lire celui-là. Ca m’a interpellée, ce que tu dis sur le contexte : j’aimais bien ce flou artistique aussi, pas sûr que j’ai envie qu’on me donne de meilleurs repères…

  4. Je n’ai jamais lu A la croisée des mondes, du coup, c’est un peu du chinois pour moi tout ça 😀 ! Par contre, il va sans dire que ça m’intéresse beaucoup ! Mais du coup, c’est une suite de la saga ?

    • Merci à toi de m’avoir lue malgré tout alors ! 😀
      Ce tome-là est un préquel : il se passe dix ans avant. Par contre, je crois (mais je ne suis pas sûre) que le second tome de la trilogie de la Poussière se passera après les événements de A la Croisée des Mondes.
      Et du coup, je t’invite vraiment à lire la première trilogie !

      • Mais figures-toi qu’il figure bien sur ma liste de livres à lire, et depuis un moment même ! Mais bon, je crois que le faite que ce soit une trilogie me fait peur.. La dernière que j’ai lue c’est Miss Peregrine, et même si j’ai beaucoup aimé, ça m’a paru long sur la fin…

        • Mais non, tu verras, c’est un régal et ça coule tout seul et c’est magique d’un bout à l’autre et il n’y a pas les baisses de rythme ou d’intérêt que peut avoir Miss Peregrine (que j’ai beaucoup aimé, mais rien à voir avec A la croisée des mondes !)

          • J’y viendrai sûrement un jour c’est sur ! Mais je vais essayer de réduire un peu ma PAL avant de m’y plonger 😀
            (dit-elle alors qu’elle a racheter deux livres hier et en a deux en commande chez la libraire…)

              • Alooooors, à part « Moi ce que j’aime c’est les montres » (je t’enverrai des photos dès que je le reçois si tu veux !) :

                – Eden Springs de Laura Kasischke
                – Filles de la mer de Mary Lynn Bracht
                – No Home de Yaa Gyasi

                🙂

                • Oui, je veux bien, avec plaisir !
                  Et à part No Home que j’ai pas mal vu sur la blogo, je ne connais rien ! Donc j’espère que tu nous en parlera !

                • J’y compte bien ! Le No Home je l’ai beaucoup vu passer aussi donc j’ai hâte de voir ce que ça donne 🙂
                  Je pense que tu pourrais apprécier l’écriture de Laura Kasischke en tout cas.
                  Et pour Filles de la mer, ça va être une découverte totale !

                • Je n’en ai lu qu’un seul, « La vie devant ses yeux ». J’ai beaucoup aimé l’écriture et l’atmosphère qu’elle installe. Bon après j’ai été assez déroutée parce que je ne sais pas si j’ai bien compris la fin ahaha !
                  Enfin en tout cas c’est une auteure à découvrir 😉

                • J’ai commencé Eden Springs et franchement c’est pas mal (et c’est un livre court, du coup c’est bien quand on a d’autres lectures aussi… si tu vois ce que je veux dire^^)

                • Ouaaaais je suis nulle sur tous les plans c’est une catastrophe ! Mais le challenge ça aurait fait trop je pense :/

                • Tant pis ! 😀 Après, il n’y a pas besoin de se mettre la pression. Perso, je ne me fais pas une liste ou quoi. Et je sais que je ne validerai pas tous les items, loin de là.
                  (Je t’informe néanmoins de l’existence de listes d’attente.)

                • Ahana oui j’avais vu cette histoire de liste d’attente ! En fait pour être tout à fait honnête j’ai été un peu effrayée aussi 😱😱

                • Je pense que j’ai lu les conditions de participation un peu trop sérieusement à un moment où j’étais un peu trop stressée du coup panique 😆

                • Ahah ! Mais ça reste un jeu, pour le plaisir de la lecture, tu sais ! 😀 Après, il y a des règles, c’est normal, mais en réalité elles ne sont pas si compliquées. ^^

  5. Ton avis est intéressant, je voyais trop de critiques dithyrambiques sur ce préquel, j’étais en mode « hmm, c’est louche », aha. Je sais du coup qu’il a ses défauts, toujours bon à garder en tête lors de sa lecture, j’ai beaucoup aimé A la Croisée des mondes aussi 🙂 Merci pour cette chronique du coup !

    • Merci !
      Victoria (Un point c’est tout) a aussi eu un avis mitigé si tu veux te rassurer sur la non perfection de ce roman.
      Trop de critiques dithyrambiques sont souvent annonciatrices d’une déception pour ma part…

  6. À la croisée des mondes étant sans conteste ma saga fantasy jeunesse préférée de tous les temps, j’ai très peur de m’y plonger (même si je l’ai aicheté dès sa sortie). Et tu ne me rassures pas DU TOUT !!! Bon, si je vois le côté positif, ta chronique me permettra peut-être d’avoir moins d’attentes quand je me lancerai.

    • Sorry… Mais beaucoup de gens semblent avoir adoré sans y mettre de reproches, ce sera peut-être ton cas ! J’ai mis longtemps à le lire aussi parce que j’appréhendais et… j’avais un peu raison…

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