La mer sans étoiles, d’Erin Morgenstern (2019)

« Toutes les portes mènent à un Port sur la mer sans Étoiles, pour peu que quelqu’un ose les ouvrir.
Peu de choses les distinguent d’une porte normale. Certaines sont simples. D’autres décorées minutieusement. La plupart ont un bouton qui n’attend que d’être tourné bien que d’autres aient des poignées à baisser.
Ce sont des portes qui chantent. Des chants de sirène silencieux à l’intention de ceux qui cherchent ce qu’il y a derrière.
De ceux qui ont la nostalgie d’un endroit où ils ne sont jamais allés.
De ceux qui cherchent, même sans savoir quoi ni où.
Ceux qui cherchent trouveront.
Leur porte les attend.
Mais ce qui arrive ensuite peut varier. »

La mer sans étoiles (couverture)Comment parler de ce roman, que je fais patienter depuis sa sortie ?  Comment raconter l’émerveillement face à ce texte ?

Tout comme l’avait fait Le Cirque des rêves, l’univers se déploie, prend vie, tout aussi fascinant, tout aussi envoûtant. Le choix des mots, le rythme, la musicalité, l’étrangeté… tout concourt à nous immerger autant qu’à nous déstabiliser (à l’instar de cette fête new-yorkaise où l’on ne sait tout de go qui est adjuvant, qui est adversaire, ce qu’il en est réellement, quels sont les camps et pourquoi, qui se situe de quel côté, dans une ambiance étrange et tourbillonnante qui m’a rappelé en moins loufoque l’hôtel Dénouement du pénultième tome des Orphelins Baudelaire).
Je ne savais pas où allaient me conduire ces histoires imbriquées à celle de Zachary, ces contes apparemment décousus, ces récits oniriques, ces livres dans le livre, ces quêtes secondaires. Mais j’ai accepté de me laisser entraîner, avec, pour seul fil conducteur, l’enquête de Zachary sur un livre, sur trois symboles récurrents, sur une occasion manquée enfant.
Tout s’entremêle, se répond, se complète. L’intrigue rebondit, se transforme, nous surprend tandis que le voyage se poursuit. Jeux de suppositions et de déduction, moments de tendresse réconfortante ou de doutes quant à l’avenir des protagonistes, lieux merveilleux ou inquiétants… et mise en abîme constante qui fait perdre tout repère, questionne, fascine.

Erin Morgenstern nous offre là un sublime hommage à la littérature, aux livres, aux histoires, et tout au long du roman, se croisent des titres et références variées, de Hamlet à Shining en passant par Max et les Maximonstres, James Bond ou Harry Potter. Les histoires passent aussi par les jeux vidéo (Zachary prépare une thèse sur la narration dans les jeux vidéo) qui viennent enrichir ces références collectives, et l’autrice n’oublie pas les lecteurs et lectrices qui font vivre les récits, en les lisant, en les racontant, en les partageant, en les prêtant…
À travers cette histoire, elle raconte également l’impermanence des choses, leur fin inéluctable. Même si elles semblent magiques et éternelles, il y a toujours une fragilité. Et l’histoire est celle de ce moment où la faille devient palpable, où il y a une évolution, un basculement. Une transformation dans un endroit que l’on n’a pas vraiment envie de voir changer ou des bouleversements nés des sentiments amoureux.

Le tout est évidemment porté par la plume poétique, immersive, élégante, miraculeusement fluide d’Erin Morgenstern, qui jongle entre le fantastique et l’urban fantasy, entre réel et imaginaire, entre les atmosphères, entre l’aventure qui se déroule et le métaphorique, avec cet onirisme flou des contes et leurs thématiques universelles.

Ce roman est un labyrinthe où les histoires s’enchevêtrent, une multitude de chemin qui conduit à un lieu que l’on rêverait de pouvoir visiter mais qui restera confiné à ces pages et à notre esprit (comme le Cirque).
Un récit aussi magnifique, intense et inoubliable que le premier de l’autrice, plus complexe et dense également, mais l’effet n’a pas été tout à fait identique car Le Cirque des rêves était inattendu – c’était une surprise, une pure découverte – alors que La Mer sans étoiles était une promesse de retrouvailles, avec des attentes qui n’ont nullement été déçues.
Un roman unique, d’une originalité folle et d’une construction aussi parfaite que déroutant. Un livre inoubliable qui sera indubitablement relu.

« Loin sous la surface de la terre, à l’abri du soleil et de la lune, sur les rivages de la mer sans Étoiles, se trouve un labyrinthe de tunnels et de pièces remplis d’histoires. Des histoires écrites dans des livres, enfermées dans des bocaux, peintes sur les murs. Des odes imprimées sur la peau ou sur des pétales de roses. Des contes gravés sur les carreaux du sol, certains passages effacés sous les pas. Des légendes sculptées dans le cristal des lustres. Des histoires cataloguées, entretenues, vénérées. Les plus anciennes préservées tandis que de nouvelles poussent autour d’elles. »

« La sculptrice trima une année durant. Elle refusa toutes les autres requêtes et commandes. Elle créa non pas une histoire, mais plusieurs. Des histoires dans des histoires. Des énigmes, des fausses pistes et des fausses fins, en pierre, en cire et en fumée. Elle fabriqua des serrures dont elle détruisit les clés. Elle trama les récits de ce qui devait arriver, de ce qui pourrait arriver, de ce qui était déjà arrivé, et de ce qui n’arriverait jamais et les enchevêtra. »

« « – Un livre est toujours une interprétation, le coupe Mirabel. Vous voudriez que cet endroit soit comme il était dans le livre, mais dans le livre ce n’est pas un endroit, c’est juste des mots. L’endroit dans votre imagination est là où vous aimeriez aller, et cet endroit est imaginaire. Ça, c’est réel », dit-elle en posant la main sur le parapet devant eux. »

La mer sans étoiles, Erin Morgenstern. Pocket, 2021 (2019 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julie Sibony. 757 pages.

16 réflexions au sujet de « La mer sans étoiles, d’Erin Morgenstern (2019) »

  1. J’en ai beaucoup entendu parler et je dois dire que comme beaucoup, ton avis me fait terriblement envie !

  2. Je me retrouve totalement dans tes mots pour ce livre ! J’ai été surprise, emballée, questionnée, intriguée, parfois déroutée. Au point d’accepter de se perdre et de se laisser guider sans forcément avoir toutes les réponses, même si bien des échos se retrouvent. Je ne suis pas sûre d’avoir vu toutes les subtilités en cours de route, ce qui méritera une relecture. Mais c’est un chef d’oeuvre totalement unique et fascinant. Une oeuvre-monde à sa manière, exigeante, mais qui nous récompense tellement ! Quel émerveillement…

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  4. Quelle belle chronique ! Ça attise vraiment fort ma curiosité et fini de me convaincre que j’ai ratée ma rencontre avec cette autrice à l’époque où j’avais lu Le cirque des rêves je ne devais pas être dans le bon état d’esprit.
    Je me garde celui ci en tête pour le jour où j’aurai envie d’une lecture atmosphérique qui englouti et fascine ! Ça a l’air incroyable !

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