Fahrenheit 451, de Ray Bradbury (1953)

FahrenheitComme Le meilleur des mondes – relu – et 1984 – à relire –, Fahrenheit 451 fait partie de ces classiques de la SF lus adolescente que je souhaitais redécouvrir pour raviver mes souvenirs.

Ce qui m’a surprise, c’est que Fahrenheit 451 est plus poétique que scientifique. La technologie n’est pas absente évidemment, elle monte le décor de la société futuriste et joue parfois un rôle important dans l’histoire, à l’image des écrans qui envahissent les salons ou du Limier, terrifiant chien-robot apparemment infaillible. Mais Bradbury prend le temps de poser des atmosphères, donne corps aux sensations et aux réflexions intérieures qui tiraillent le personnage principal, se laisse aller au lyrisme ; il use de multiples métaphores et comparaisons, la plus fréquente associant les livres à des oiseaux blessés, leurs pages déchirées à des ailes qui ne voleront plus. De même, l’image délicate de ces hommes-livres qui portent en eux, dans le secret de leur boîte crânienne, les textes devenus interdits.

Ce que j’ai apprécié, c’est que Bradbury ne pointe pas du doigt un régime dictatorial comme seul responsable des autodafés. Certes, le système s’en est emparé, les a institutionnalisés en réinventant le corps des pompiers devenus incendiaires, s’appuie dessus pour éviter la réflexion chez les gens. Cependant, ce serait trop facile de faire porter tout le blâme au régime en place, car c’est avant tout le nivellement vers le bas et un goût pour la culture de masse qui a rendu les livres indésirables, ainsi que le silence des intellectuels, la retenue des uns puis la peur des autres. Ainsi, à l’origine, ce sont les gens ordinaires et non pas ceux de pouvoir qui se sont détournés des livres, jugés trop complexes, trop fatigants, trop contradictoires, au profit de versions abrégées, de résumés, d’émissions télévisées, etc., ce qui nous mène à…

Ce qui m’a effarée, c’est évidemment cette dictature des écrans. Écrans omniprésents, toujours plus grands, toujours plus chers, toujours plus immersifs. Personnages abrutissants, publicités oppressantes, bavardages ineptes. Des cris, de la musique assommante, des couleurs éblouissantes. Le murmure permanent des Coquillages radio enfoncés dans les oreilles. Le sensationnalisme au détriment de la réflexion, accrocher l’attention qui se fait de plus en plus brève. L’esprit saturé, plus la place pour penser. Plonger dans une autre réalité, se créer une famille pixelisée. Loisirs kleenex, surconsommation sans effort, immédiateté souhaitée.
Les relations humaines s’effacent, les gens ne se regardent plus, se parlent encore moins. Il n’y a plus d’histoires communes. Le couple devient simple cohabitation, les enfants sont ignorés, laissés à d’autres, abrutis par les écrans comme leurs parents (« On les fourre dans le salon et on appuie sur le bouton. C’est comme la lessive : on enfourne le linge dans la machine et on claque le couvercle. »). La nature est oubliée, toute contemplation paisible est morte. Chacun se répète qu’il est heureux et tente d’oublier la vacuité de sa vie ; chacun sa recette, des émissions consternantes de bêtises aux excès de vitesse qui, une nuit, seront peut-être mortels, et sinon, il y a toujours le suicide, devenu banal. Paradoxalement, en dépit de la grande solitude de chacun et de leur surdité aux autres, la délation va bon train : on s’observe et on redoute l’autre, toute conversation menant au questionnement et tout comportement différent sont jugés suspects. Et, pendant ce temps, la guerre gronde et les bombes menacent entre les grandes puissances.
Face à ce néant, face à ce constat pessimiste, des rencontres peuvent heureusement tout changer et raviver la flamme de l’imagination, du rêve et de l’espoir.

Ce que je regrette, un seul détail : parmi tous les auteurs, poètes, penseurs et autres philosophes cités, pas une seule femme…

Fahrenheit 451 est un de ces romans d’anticipation indémodables. Même s’il n’est pas strictement devenu réalité, il reste glaçant et attristant de constater qu’il sait encore résonner avec notre époque, soixante-dix ans après avoir été écrit.
J’arrive à la fin de ma chronique et je m’aperçois que je n’ai rien dit sur le déroulement de l’intrigue, les personnages… à vous de les découvrir.

« Seigneur ! s’exclama Montag. Tous ces engins qui n’arrêtent pas de tournoyer dans le ciel ! Qu’est-ce que ces bombardiers fichent là-haut à chaque seconde de notre existence ? Pourquoi tout le monde refuse d’en parler ? On a déclenché et gagné deux guerres nucléaires depuis 1960. Est-ce parce qu’on s’amuse tellement chez nous qu’on a oublié le reste du monde ? Est-ce parce que nous sommes si riches et tous les autres si pauvres que nous nous en fichons éperdument ? Des bruits courent ; le monde meurt de faim, mais nous, nous mangeons à satiété. Est-ce vrai que le monde trime tandis que nous prenons du bon temps ? Est-ce pour cette raison qu’on nous hait tellement ? J’ai entendu les bruits qui courent là-dessus aussi, de temps en temps, depuis des années et des années. Sais-tu pourquoi ? Moi pas, ça, c’est sûr. Peut-être que les livres peuvent nous sortir un peu de cette caverne. Peut-être y a-t-il une chance qu’ils nous empêchent de commettre les mêmes erreurs insensées ! Ces pauvres crétins dans ton salon, je ne les entends jamais en parler. Bon sang, Millie, tu ne te rends pas compte ? Une heure par jour, deux heures, avec ces bouquins, et peut-être… »

« Qu’est-ce qui vous a tourneboulé ? Qu’est-ce qui a fait tomber la torche de vos mains ?
– Je ne sais pas. On a tout ce qu’il faut pour être heureux, mais on ne l’est pas. Il manque quelque chose. J’ai regardé autour de moi. La seule chose dont je tenais la disparition pour certaine, c’étaient les livres que j’avais brûlés en dix ou douze ans. J’ai donc pensé que les livres pouvaient être de quelque secours.
– Quel incorrigible romantique vous faites ! Ce serait drôle si ce n’était pas si grave. Ce n’est pas de livres dont vous avez besoin, mais de ce qu’il avait autrefois dans les livres. »

« Beaucoup de choses seront perdues, naturellement. Mais on ne peut pas forcer les gens à écouter. Il faut qu’ils changent d’avis à leur heure, quand ils se demanderont ce qui s’est passé et pourquoi le monde a explosé sous leurs pieds. Ça ne peut pas durer éternellement. »

Fahrenheit 451, Ray Bradbury. Gallimard, coll. Folio SF, 2009 (1953 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Henri Robillot et Jacques Chambon. 213 pages.

Demain, le jour, de Salomon de Izarra (2022)

Demain, le jour (couverture)1936, un train déraille dans les Vosges. Trois survivants seulement. En quête de secours, ils parviennent dans un petit village isolé dans la forêt. Sauf que celui-ci semble la proie d’une malédiction et de deux créatures maléfiques. Pourquoi eux seuls ont survécu ? Pourquoi sont-ils piégés ainsi ?

Dès que j’eus tourné cette couverture sobre et mystérieuse, j’ai été frappée par une belle plume, avec son vocabulaire soigné et son attention à créer des voix distinctes, et une atmosphère immersive.

C’est un roman constitué de trois voix d’abord, celles des survivants. Le journal écrit de Paul Rudier, au ton gouailleur quoique cultivé, intelligent et rude, parfois cru. La prose soignée de la correspondance de Suzanne Garcin, fille de bonne famille. Les enregistrements phonographiques d’Armand Létoile, que l’on pourrait peut-être reprocher d’être trop bien écrit, de manquer d’une touche d’oralité. Puis s’ajoutent les pensées d’Armand Brémont, succession de réflexions, flux bondissant de mots, images et mots-valises.

Nous sommes en 1936. L’empreinte de la Grande Guerre est toujours là, tâchant les âmes et les souvenirs, quel qu’ait été le rôle de chacun dans cette boucherie absurde, tandis que le spectre d’Hitler et du conflit à venir – menace confuse niée par certains, redoutée ou attendue par d’autres – se profile à l’horizon.
L’ambiance est sombre, un peu poisseuse. Relents de boue, de mort et de comportements plus que douteux. Les personnages sont des survivants à plus d’un titre et leur passé est rempli de ces nuances qui fabriquent des psychologies riches et travaillées et, de là, attachantes, à commencer par Paul, l’amoureux de la littérature et pourtant salaud de première…
Même si l’on s’échappe souvent de l’histoire présente à travers les récits personnels, les passages dans le village sont oppressants comme tout bon huis-clos et les apparitions des créatures – dont l’auteur n’abuse pas – sont véritablement marquantes. Précisons que le résumé est un peu trompeur car le récit est finalement constitué de plus de flash-backs à travers les regards en arrière des personnages que de cette intrigue surnaturelle.

Cependant, deux-trois points m’ont malheureusement gênée au fil de ma lecture.

Dans un premier temps, j’ai été prise par ces histoires familiales compliquées, ces familles qui, pour certaines, cachaient sous un vernis lisse des relations parents-enfants conflictuelles, traumatisantes. Récit du poids des attentes familiales, du milieu social qui colle à la peau de certains comme la terre humide aux bottes, du mépris de classe, d’un enfermement intellectuel et des ruades furieuses pour s’en sortir, de l’identité et des rêves d’un avenir à sa mesure…
Sauf que tout vient surtout des mères : des désirs d’abandon, des humiliations, des pressions intolérables, des brimades… Tout est la faute de la mère apparemment (les pères ont beau être tout aussi défaillants, c’est uniquement à cause de leur lâcheté, leur faiblesse, leur soumission à leur femme, les pauvres…). Certes, cette belle unicité dans le passé des personnages a une raison d’être, mais j’ai fini par être agacée face aux portraits féminins en général. Car d’une manière plus générale, tout semble de la faute des femmes – mères, compagnes… – qui « ne semblent exister que pour mieux faire souffrir les hommes à grands coups d’excuses et de pitoyables justifications, dans le seul besoin d’occulter leurs propres travers. Une lâcheté effrayante qui nourrit leur perdition et leur égoïsme. »
De la même manière, Suzanne et l’amie à qui elle écrit ont subi « un abus ». Elle ne cesse d’y faire allusion à mots couverts dans sa lettre, le moment où elle en parle à Armand est comme éludé, survolé, comme si un voile de pudeur était jeté dessus alors que les hommes racontent leur vie dans les détails. J’ai surtout eu cette sensation d’un ajout « dans l’air du temps » que l’auteur ne savait pas vraiment comment traiter. D’ailleurs, je suis bien obligée de reconnaître que, parmi les quatre personnages principaux – trois hommes et une femme –, Suzanne est la seule qui m’a laissée assez indifférente car elle est, à mes yeux, moins bien campée que les hommes.

De plus, l’histoire paranormale ne semble être qu’un prétexte, une toile de fond réunissant des personnages dont l’auteur avait apparemment très envie de raconter la vie, sans forcément savoir comment la présenter. Que le cadre soit un prétexte ne me dérange pas – c’est un peu le cas dans Dans la forêt que j’avais adoré –, mais dans celui-ci, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’artificiel et d’un peu lourd dont la façon dont les personnages se racontent (quoique cela colle bien avec le protagoniste égocentrique qu’est Paul).
Certains passages détonnent vraiment, allant jusqu’à me sortir de ma lecture. Tout d’abord, Suzanne retranscrivant dans une lettre le récit de la vie d’Armand à la première personne et avec moult détails et dialogues comme si elle l’avait vécue. Ensuite, Suzanne toujours qui, ayant décidé de tenter sa chance à travers la forêt, écrit : « Toutefois, il [Paul] me laisse suffisamment tranquille pour que je finisse de t’écrire. Je doute de le refaire, il faudra que j’aie tous mes sens en éveil. », puis ligne suivante : « Je suis partie en silence (…) » alors qu’elle est dans la forêt, la fin de la lettre ne laissant pas de doute, elle y est toujours. Qui écrit une lettre dans la forêt alors qu’il y a potentiellement des monstres, des mystères et qu’elle ne sait pas pour combien de temps elle en a à sortir de là, si tant est qu’elle y arrive ?
Quant à cette fin, elle me laisse très partagée. Si je la trouve plutôt marquante visuellement parlant, elle me laisse un goût de « tout ça, tout ce suspense, tous ces mystères, pour ça » (tant au niveau du « pourquoi ? » que du « comment ? ») qu’il est difficile de préciser sans divulgâcher.

Ce roman reçoit d’excellentes critiques que je ne partage pas vraiment, même si je l’ai lu sans déplaisir et sans heurt (en dépit de cette petite voix soulignant  les bémols). Si je lui reconnais certaines qualités en termes d’écriture, de thématiques, de construction des personnages principaux (masculins) et de l’atmosphère, je n’ai pas été complètement emballée par l’histoire, également pénalisée par les personnages féminins et certaines lourdeurs.

Pour une critique beaucoup plus sévère que la mienne, je vous invite à vous rendre chez Alberte : on se retrouve sur plusieurs points, mais on a tout de même quelques divergences (que voulez-vous, je suis juste plus gentille, hein, tata Alberte ?!).

« J’avais toujours jalousé les riches, les friqués, ceux qui portent de jolis costumes et passent en vous ignorant car ils ne peuvent pas vous voir ; toute mon enfance et mon adolescence, j’avais senti ce gouffre entre eux et nous, eux qui font le monde et nous qui servions de décor et bras pour leurs jolies idées. »

« C’est là que je compris définitivement le pouvoir des mots ; au moment où ils bouleversèrent mes horizons. Comme ma rencontre avec Aurore, qui me fit réaliser à quel point ma vie passée était plus que jamais un pitoyable gâchis. Que sont l’ivresse et les putains, un territoire et du respect, lorsque l’on sait que tout cela est éphémère ? Tiens, rien que ce terme « éphémère », n’est-il pas grandiose ? avec sa prononciation, tout en « e » montants et glissants à mesure que les incisives frottent le long de la lèvres inférieure… ça en dit long sur le caractère tristement bref de ce qu’il désigne. C’est un souffle, l’existence même. Alors, quitte à vivre, autant vivre pleinement et d’autres vies que la sienne – par la lecture, les auteurs ! Bon Dieu, c’est si simple à comprendre, si facile à faire, si limpide à saisir… et il m’a fallu tant d’années pour le réaliser. »

« Lorsque je m’y installai, je ne songeai pas à l’emplacement du lit, de la table ou d’une armoire, non : je songeai à ma bibliothèque. Où la poser ? Quels ouvrages acheter, voler, posséder et, surtout, où les mettre ? Dans quel ordre ? Et très vite j’eus un mur couvert de livres. On ne réalise pas le plaisir à avoir en sa possession des ouvrages qui nous ressemblent. D’ailleurs, ne comprend-on pas une personne en ne considérant que ses lectures ? »

« Et quels génies se cachaient ici – et où ? Des amis des mots et de la couleur, des passeurs de savoirs et des transmetteurs d’idées de brillants professeurs et au-diable-le-reste ! mais non non non. Étudier d’abord et surtout pour l’A-V-E-N-I-R. Ces six lettres amicales qui une fois soudées deviennent leitmotiv-propagande de pèremère. »

Demain, le jour, Salomon de Izarra. Éditions Mnémos, label Mu, 2022. 263 pages.

Journal 1931-1934, par Anaïs Nin

En novembre, j’ai eu l’immense plaisir de retrouver l’inénarrable Alberte Bly, formidable copinaute, the best pour ce qui est des lectures communes. Après l’aventure Notre-Dame de Paris, nous nous sommes entre-motivées pour sortir le journal d’Anaïs Nin de nos PAL respectives (sachant qu’il était dans la mienne depuis cinq ou six ans minimum) et quelle bonne idée ce fut ! Outre le fait que ce sont parfois nos échanges qui m’ont persuadée de continuer cette lecture (nous y reviendrons), nos ressentis étaient incroyablement synchronisés (à l’image de notre rythme de lecture), ce qui était tout bonnement génial. Donc *instant remerciements* merci Alberte ! Encore une fois, c’était extrêmement chouette de partager ça avec toi ! Un tête-à-tête avec Anaïs uniquement n’aurait pas eu la même saveur DU TOUT.

>>> Sa chronique, à ne pas manquer ! <<<

A la base de cette envie, il y a eu la sortie de ce roman graphique de Léonie Bischoff, Anaïs Nin, sur la mer des mensonges. Contrairement à Alberte, je ne l’ai pas encore lu, mais les avis ayant croisés mon chemin m’ont donné très envie de découvrir la BD ainsi que ce fameux journal que j’ignorais depuis longtemps. Nous nous attendions à une lecture renversante et c’est donc enthousiaste au possible que je me suis lancée dans la vie d’Anaïs.

Journal 1931-1934 (couverture)

La première partie du journal relate ses relations avec l’auteur Henry Miller et June, la femme de ce dernier, tandis que la suite fait entrer d’autres personnes dont les psychanalystes Allendy et Rank, Antonin Artaud et le père d’Anaïs.
Avec June et Henry, deux rapports très différents se mettent en place. D’un côté, Henry, les discussions sur l’écriture, sur la vérité, sur June évidemment, ainsi que des sorties dans Paris. Une admiration réciproque qui naît aussi bien de leurs points communs que de leurs différences. De l’autre, June, troublante June. Leur amitié se fonde sur la fascination, toutes deux trouvant en l’autre un modèle. Les mensonges de June, sa vie flamboyante, sa passion, transportent Anaïs.
Et au bout de plusieurs dizaines pages, quand l’enthousiasme s’évapore, la lecture m’est devenue plus pénible. Impossible, entre ces trois-là, de cerner une vérité. June et Henry s’entre-déchirent tandis qu’Anaïs prend parti tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre, sans parler du fait qu’on subodore qu’elle aussi nous raconte son lot de mensonges (« Embellir est chez moi un vice », nous dit-elle). Leurs disputes et leurs petits problèmes me sont apparus comme particulièrement vains et puérils. Tous et toutes inventent leurs réalités qui se contredisent, s’affrontent, s’accusent mutuellement de mensonges.
Sans parler qu’il est difficile de se prendre d’affection pour ces personnalités qui semblent en permanence dans la mise en scène. Au mieux June inspire-t-elle parfois la compassion mais le fait qu’elle surjoue en permanence finit par fatiguer malgré tout, et entre les jalousies mesquines et les vols d’idées littéraires d’Henry, les incessantes déclarations prétentieuses d’Anaïs, l’éthique discutable de son psychanalyste Allendy dans sa relation docteur-patiente…, tous sont globalement exaspérants. J’ai ainsi fini par me détacher de toute la clique et ai parfois eu du mal à rester concentrée sur ma lecture.

Une lecture qui a interrogé l’image qu’Anaïs Nin souhaitait donner d’elle-même au travers de ses journaux qu’elle faisait lire à des proches, qu’elle a retravaillés et publiés de son vivant. La démarche n’étant pas purement intime, on se questionne sur sa sincérité. Comment se raconte-t-elle ? Exagère-t-elle volontairement cette image de femme compatissante, douce et généreuse ? Qui des perpétuelles félicitations et témoignages d’admirations qu’elle reçoit tant pour son caractère que ses fameux journaux ? Au fil des pages, elle semble créer divers personnages réservés à telle ou telle fréquentation : pour June, pour Henry, pour Allendy, pour Otto Rank…
Les autres éléments qui contribuent à la particularité de cette lecture, c’est qu’Anaïs alimentait tellement ses journaux – rédigés pratiquement en même temps qu’elle vivait les événements, comme elle le dit à plusieurs reprises – que des coupes sévères ont dû être pratiquées, ce qui donne parfois un sentiment étrange de « cheveu sur la soupe » (je pense notamment à ce bébé dont je reparlerai qui apparaît et disparaît tout aussi brusquement). En outre, certaines personnes ont refusé d’y apparaître. Ainsi, Anaïs était mariée ces années-là, mais il n’y a absolument aucune allusion à son mari !

J’ai également été stupéfiée par la dévalorisation des femmes présentes dans son journal. Elle qui se présente comme une artiste, une femme indépendante, a parfois des propos misogynes en complet désaccord. J’ai eu beaucoup de peine pour elle dans ces moments où l’intériorisation du sexisme ordinaire ressort. Elle écrit par exemple : « Quels efforts je fais pour comprendre. Lorsque Henry parle j’ai des moments de vraie fatigue, je sens que je suis une femme qui essaie d’atteindre un savoir au-delà de ses capacités. Je tire sur mon esprit afin de suivre la trajectoire d’un esprit d’homme. »
On se demande alors dans quelle proportion son rôle de femme protectrice des hommes, cette mère pour grands enfants, cette amie indispensable pourvoyeuse de conseils, d’argent et de machines à écrire, cette posture maternelle souvent mise en scène, est joué, même si elle y trouvait de toute évidence une grande satisfaction. Elle qui, adolescente, a assisté sa mère célibataire dans l’éducation de ses frères ; elle qui, naturellement, voit les femmes à la périphérie des hommes.
De même, la manière dont chaque homme de sa vie tente de la manipuler – et généralement de l’éloigner d’Henry Miller – et d’avoir l’ascendant sur elle est ahurissante. Son père retrouvé la veut aristocrate, jolie fille à exhiber, loin de l’influence d’Henry ; Allendy, la voyant comme quelqu’un de sincère et simple, souhaite l’éloigner d’Henry qui ne mériterait pas son amitié ; Artaud réclame sa présence et son approbation (dans un jeu de « je t’aime moi non plus » assommant). Ainsi, elle est déchirée entre la discipline de soi prônée par son paternel, par le chaos d’Henry, par l’attrait des drogues consommées par Artaud, par la psychanalyse, et finit par mentir sur le fait qu’elle reste toujours très proche d’Henry pour donner aux uns ou autres ce qu’ils veulent entendre, ne se laissant pas influencer dans le choix de ses fréquentations.

Quelques pages ont toutefois éclairé cette lecture. Des moments de franchise, de sincérité, où Anaïs apparaît plus « humaine », dans ses doutes et ses peurs. Il y a les passages avec son père, ces retrouvailles dans lesquelles elle place l’espoir d’une relation de confiance, cette désillusion progressive tandis que son regard sur son père, perdant le voile de l’espérance, devient plus objectif. Et ce presque final racontant sa grossesse d’un enfant qu’elle incite à ne pas naître, discours déchirant d’une femme qui apparaît pleine de doute envers elle-même et envers les géniteurs, ainsi que cet accouchement d’une violence incroyable, témoignage de violences obstétricales de la part d’un médecin qui ignore totalement sa peur et sa souffrance.
Si seulement le reste de journal avait eu cette même tonalité, je ne ressortirais pas de ce livre avec un si grand sentiment de vide.

La préface – en corrélation avec le peu d’informations que j’avais glanées auparavant – m’avait motivée et passionnée en abordant les sujets de l’image de soi, de la persona, du masque montré au monde (bref, des sujets qui me parlent), mais le texte en lui-même a eu du mal à me convaincre. Seuls les passages concernant sa vie très personnelle – son père et cette grossesse – ont résonné comme authentiques et ainsi intéressants.
En outre, tous ses lecteurs – les personnes à qui elle fait lire son journal – semblent trouver son écriture percutante et unique, mais je n’ai pas été marquée par sa prose. Ça se lit facilement, mais ce n’est pas renversant pour un sou. Ainsi, tous les compliments qu’elle rapporte dans son journal nous ont laissées, Alberte et moi, quelque peu perplexes et dubitatives.

« Il y eut toujours en moi deux femmes, au moins, une femme perdue et désespérée qui sentait qu’elle se noyait, une autre qui entrait dans une situation comme elle serait montée sur scène, dissimulant ses vraies émotions parce qu’elles n’étaient que faiblesse, impuissance, désespoir, pour présenter au monde un sourire, de l’ardeur, de la curiosité, de l’enthousiasme, de l’intérêt. »

« Lorsque, de ma fenêtre, je regarde la grande grille de fer verte, je lui trouve une allure de porte de prison. Sentiment injustifié, car je sais bien que je peux quitter les lieux à ma guise, et je sais bien que les êtres humains attribuent à un objet, ou à une personne, la responsabilité d’être l’obstacle, alors que l’obstacle est en soi-même. »

« Devant chaque monde nouveau, chaque personne, chaque pays, je me tiens hésitante, mal assurée, haïssant les nouveaux obstacles, les nouveaux mystères, les nouvelles possibilités de souffrir, de me tromper par manque de courage. La peur, le manque de confiance en moi ont rétréci mon univers, limité le nombre de gens que j’ai pu connaître intimement. »

« Je n’avais pas de vie intermédiaire : l’envol, le mouvement, l’euphorie, ou alors le désespoir, la dépression, la désillusion, la paralysie, le choc et le miroir brisé. »

Journal 1931-1934, Anaïs Nin. Le Livre de Poche, 1981. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Van der Elst, revu et corrigé par l’autrice. 509 pages.

Et en complément, le roman graphique Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, par Léonie Bischoff.

Anaïs Nin sur la mer des mensonges (couverture)

TAG Tu es un sorcier, Harry !

Petit tag, créé par Signé C., que j’ai pu voir à droite à gauche ces derniers temps et que je reprends avec plaisir parce que ça fait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu de tag dans le coin. Onze sorts, onze questions, onze réponses, c’est parti !

1 – ACCIO ! Quel livre aimeriez-vous avoir entre les mains actuellement ?

Sans doute Night Travelers de Rozenn Illiano. Midnight City m’avait envoûtée l’année dernière et je traîne – à mon habitude – pour découvrir la suite. Je pense toutefois me l’offrir ce mois-ci parce qu’il faut savoir se faire de petits cadeaux de temps à autre…

Night Travelers (couverture)2 – STUPÉFIX ! Avez-vous abandonné une lecture ? Si oui, pourquoi ?

Fini le temps où je m’échinais à terminer un livre coûte que coûte ! A présent, je veux bien persévérer un peu, mais si ça ne passe pas (parce que je n’aime pas du tout ou parce que je m’ennuie trop), tant pis : il y a trop de livres appétissants pour se forcer à terminer ceux qui ne m’intéressent finalement pas.
Le dernier en date : Fight Club, de Chuck Palahniuk. Je n’ai pas accroché du tout à ce livre (dont je connaissais déjà le film), mon ennui était terrible. La lecture était facile et j’aurais pu continuer sans trop peiner, mais ça ne m’intéressait vraiment pas…

Fight Club (couverture)

3 – RICTUSEMPRA ! Quel livre vous a fait rire dernièrement ?

Bien que je sois quelqu’un d’assez bon public en manière général, les livres humoristiques ne sont pas ceux vers lesquels je me tourne le plus. Cela dit, je trouve de l’humour dans d’autres genres : par exemple, il n’est pas rare que Jane Austen me fasse rire. En tout cas, comme ça, je ne retrouve pas de livres récents m’ayant fait rire…

4 – OUBLIETTE ! Quel livre souhaiteriez-vous oublier pour redécouvrir ?

Le Cirque des rêves d’Erin Morgenstein. Un roman à l’atmosphère absolument magique que j’avais découvert en en sachant vraiment très peu, une lecture merveilleuse. C’est une relecture que je projette depuis longtemps, mais que je repousse sans cesse. Je finirai bien par me laisser aspirer une nouvelle fois par cet univers onirique.

Le Cirque des rêves (couverture)5 – EVANESCO ! Quel livre vous a déçu au point de vouloir le faire disparaître ?

Rayer un livre de la Terre simplement parce qu’il n’a pas eu l’heur de me plaire me semble un tantinet prétentieux, mais dans le genre immense déception, Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson tient le haut du podium depuis deux ans. Une retraite au bord du lac Baïkal, ça semblait pourtant un si bon début pour me plaire…

Dans les forêts de Sibérie (couverture)6 – GEMINO ! Quel livre avez-vous envie de conseiller à vos amis ?

L’homme qui savait la langue des serpents d’Andus Kivirähk. Œuvre unique, surprenante, fascinante, en provenance directe d’un pays rarement croisé sur les rayonnages – l’Estonie -, ce livre est un titre que j’aimerais beaucoup faire découvrir bien que je doute qu’il plaise à tout le monde.

L'homme qui savait la langue des serpents (couverture)7 – PETRIFICUS TOTALUS ! Quel livre vous a glacé le sang ?

J’ai rarement l’occasion de lire de l’horreur et je crains n’avoir encore jamais éprouvé si forte sensation face à un roman. J’aimerais bien pourtant. King m’a offert quelques instants de tension, mais pas de terreur.

8 – PRIOR INCANTO ! Quelle est votre toute dernière lecture ?

Croc-Blanc de Jack London. Un classique qui traînait dans ma PAL depuis moult années et qui m’a happée de la première à la dernière ligne.

Croc-Blanc

Questions bonus spéciales Sortillèges impardonnables…

9 – IMPERIUM ! Quel auteur aimeriez-vous pouvoir contrôler afin de le contraindre à changer un passage de son œuvre ?

Question difficile… Il faudrait déjà que je me rappelle d’un livre que j’ai assez aimé pour vouloir le relire, mais dont un ou des passages m’ont déplu. Sans compter qu’il est un peu présomptueux de se dire que l’on fera mieux que l’auteur·rice. Mais jouons le jeu avec Christelle Dabos, histoire d’offrir une autre ampleur et une autre fin, un peu plus attentive, à tous ses superbes personnages secondaires, délaissés dans les troisième et quatrième tomes de La Passe-Miroir !

10 – ENDOLORIS ! Quel roman a été un supplice à lire ?

A présent, plus de supplices puisque livre-supplice équivaut à livre abandonné. Mais si je remonte un peu dans le passé, Salammbô de Gustave Flaubert avait été bien laborieux. J’ai vraiment du mal avec cet auteur et je n’avais d’ailleurs pas terminé Madame Bovary lorsque je m’y étais frottée il y a une dizaine d’années.

Salammbo11 – AVADA KEDAVRA ! Quelle mort d’un personnage vous a affecté ?

 Attentions aux spoilers !

Je vais dire les morts qui surviennent dans Les Misérables de Victor Hugo. Celle de Javert car elle survient dans un passage grandiose, celle de Jean Valjean qui donne envie de gueuler de frustration, celle de Gavroche qui touche forcément, celle d’Enjolras et Grantaire parce qu’elle clôt un autre passage sublime, celle d’Eponine parce que ce personnage est d’une tragédie terrible. Ah, ce livre…

Les Misérables (couverture)

Voilà mes réponses !
N’hésitez pas à le reprendre ou à me dire en commentaire ce que vous auriez répondu !

Mini-critiques : Misery et Ogresse

Deux histoires avec des femmes inquiétantes, du sang et de la peur. Malheureusement, l’une a fonctionné avec moi, l’autre beaucoup moins…

***

Misery, de Stephen King (1987)

Misery (couverture)Paul Sheldon est un écrivain libéré : il a tué Misery Chastain, son héroïne qu’il ne supportait plus. Mais les événements s’enchaînent : finir un nouveau grand roman, se bourrer pour fêter ça, prendre la route, avoir un accident de voiture… et être « secouru » par Annie Wilkes, son « admiratrice numéro un ». Qui, vivant très mal la mort de son idole, séquestre l’écrivain pour la faire revivre, de manière plausible évidemment ! Le début d’un long calvaire…

Une relecture du premier livre que j’ai lu de King alors que j’étais adolescente. Si je me souvenais du gros de l’histoire, je ne m’en rappelais pas les rebondissements (je ne gardais le souvenir que d’une seule scène incluant une tondeuse à gazon…).

Ça a été une très bonne relecture ! J’avoue avoir été happée par ce huis-clos diablement efficace : j’ai eu du mal à lâcher avant de l’avoir terminé. Les relations avec les fans ne sont pas toujours faciles et Paul Sheldon l’apprend à ses dépens à coups de tortures physiques et psychologiques dont on ne sait lesquelles sont les pires. Séquestré, drogué, brutalisé, bientôt addict au Novril, un antidouleur très puissant, Paul se retrouve totalement sous l’emprise d’une ancienne infirmière psychotique. De rébellions en abandons, de révoltes en soumission, son calvaire le conduit aux limites de la folie et nous, liés que nous sommes toutes ses pensées, à toutes ses souffrances, nous lisons ça avec une fascination bien morbide.
Annie Wilkes est aussi captivante que repoussante. Magnétique. Elle inspire tantôt le mépris, tantôt la pitié et souvent l’horreur. Elle terrifie par sa ruse, surprend par certaines réflexions et il est terrible de voir qu’en dépit de ses actes, elle parvient à nous toucher. C’est qu’on finirait par s’attacher à elle !
Amour obsessionnel, paranoïa, folie, addiction, souffrance physiques et mentales… c’est un roman angoissant et addictif. Comme l’évoque Paul, arrive rapidement le il faut que (je sache ce qui se passe ensuite / je sache ce qu’Annie va faire / je sache comment ça va finir…). J’ai beaucoup aimé toutes ses réflexions sur l’écriture, cette mise en abîme sur ce travail d’écrivain, ainsi que le contraste entre le récit horrifique qui se déroule ici et les passages mièvres des aventures de Misery écrites par Paul pendant sa détention.

Palpitant, répugnant parfois, oppressant, bref, addictif et réussi !

 « Si elle n’allait pas bien le matin, son état n’avait fait qu’empirer depuis. Elle allait maintenant très mal. Il se rendit alors compte qu’il la voyait dépouillée de tous ses masques : telles était la véritable Annie, l’Annie intérieure. »

Misery, Stephen King. Editions Albin Michel, 1989 (1987 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par William Desmond. 391 pages.

***

Ogresse, d’Aylin Manço (2020)

Ogresse (couverture)Me voilà bien embêtée. Doublement embêtée. Tout d’abord, parce que je ne sais pas quoi dire sur ce livre que je dois pourtant chroniquer puisqu’il m’a été gracieusement envoyé par Babelio. Ensuite, parce que ne pas aimer un livre Exprim’ ne m’est jamais agréable, j’ai ce sentiment d’avoir été trahie par quelque chose qui ne m’avait jamais fait défaut – ce n’est pourtant pas le cas, puisqu’il y a d’autres titres qui ont échoué à me convaincre, mais Exprim’ étant, dans mon esprit, synonyme de textes forts, je suis à chaque fois surprise dans la mayonnaise ne prend pas. Autant dire que ça va être difficile d’écrire une chronique.

De quoi ça parle, pour commencer ? De Hippolyte – H – qui entame une année compliquée : entre son meilleure ami d’enfance devenu un abruti sexiste, son  père qui s’est fait la malle, sa mère qui s’enferme à la cave et la disparition de la vieille voisine qu’elle ignorait depuis des mois (après des années à manger ses shortbreads), la rentrée ne s’annonce pas simple. Et cela se confirme le soir où sa mère lui saute dessus et la mord (rien que ça).

Ce n’est pas que je n’ai pas aimé lire ce livre. C’est juste que je me demande « Pourquoi ? ». Pourquoi avoir écrit cette histoire ? Pourquoi tous ces mots ? J’ai l’impression d’être totalement passée à côté de quelque chose de crucial, d’avoir raté le sens caché d’une histoire qui aurait dû me renverser. C’est comme si j’avais lu un texte de philosophie dont j’avais compris tous les mots sans comprendre leur sens une fois alignés page après page.

Pas de surprise au fil du texte puisque le résumé raconte à peu près tout – bien qu’il ne fasse pas mention des amis d’Hippolyte. Ogresse, c’est une histoire d’adolescence – très bien narrée certes, avec ses amitiés qui se nouent, s’engueulent, s’observent de loin, se renouent, avec ses amours, ses désirs, ses expériences, ses courages et ses lâchetés, avec ses problèmes familiaux et scolaires, avec ses préjugés, ses injures, ses regards… – mixée avec film Grave.
Pourquoi n’ai-je pas adhéré à ces quatre adolescents, particulièrement bien campés, si juste avec leurs forces et leurs faiblesses – avec une mention spéciale à Benji, sa bonne humeur toute douce et ses tirades grandioses à thématique culinaire –, moi qui suis si sensible aux personnages ?
Ce n’était pas désagréable à lire, les personnages sont bons, mais en même temps, j’ai trouvé ça fade. Ça n’a généré chez moi ni attachement particulier aux personnages, ni frisson d’appréhension, ni tension… Tout au plus, un écœurement grandissant face à tous ces plats de viande – cœur, foie, steak et autres morceaux sanguinolents.

Moi qui suis d’ordinaire si bon public, qui aime généralement tout ce que je lis puisque, comme un poisson trop naïf, je me fais à chaque fois hameçonner par l’intrigue, les personnages ou la plume de l’écrivain·e, me voilà bien perplexe face aux ferventes chroniques que ce livre récolte – même si j’en suis malgré tout heureuse pour son autrice. J’ai lu certaines de ces chroniques pour tenter d’y trouver soit l’étincelle qui me ferait aimer ce roman, soit un indice pour le pourquoi de mon indifférence, mais je suis simplement restée perplexe face à cet enthousiasme. Comme si je n’avais pas lu le même livre.

Je crois que ce genre d’avis est le pire que je puisse ressentir pour un livre. Je préférerais un bon « je l’ai détesté pour telle, telle et telle raison, je ne l’ai pas aimé, je sais ce que j’en pense » à cette indifférence tiédasse traduisible par « ce n’était pas mauvais, il y avait des éléments qui sont/auraient pu être très réussis, mais ça ne réveille rien chez moi ». Tant pis, Ogresse n’était pas pour moi.

« Il manque un mot dans la langue française, un mot pour qualifier les événements qui sont impossibles mais qui surviennent tout de même. Quelque chose de tellement inconcevable que, quand ça se produit, c’est comme si l’univers se fendait en deux, et vous vous retrouvez du mauvais côté, dans un monde presque pareil mais tout à fait différent. »

Ogresse, Aylin Manço. Sarbacane, coll. Exprim’, 2020. 274 pages.