Sexisme, le mot pour le dire !, de Pauline Leet Pittenger (2015)

Sexisme, le mot pour le dire (couverture)Sexisme, le mot pour le dire !, paru cette année aux éditions iXe, est un tout petit livre de 13 cm sur 10, 85 pages, mais un tout petit livre plein d’intelligence. Encadré d’une préface de Sarah Gurcel Vermande et d’une postface de Pauline Leet Pittenger, il contient le discours prononcé par cette dernière le 18 novembre 1965 devant les étudiants de l’université non-mixte de Lancaster en Pennsylvanie. Ce discours est célèbre car il est l’un des premiers à utiliser le nom de « sexiste ».

 

Dans sa préface, Sarah Gurcel Vermande nous explique comment elle a été amenée à s’intéresser à ce discours et apporte des informations sur l’autrice et les conditions dans lesquelles ce discours fut rédigé. Elle évoque les autres utilisations de ce terme, notamment par le Français Emile Servan-Schreiber quelques mois plus tôt, ou encore présente quelques chiffres intéressants sur la place des femmes dans les arts qui ne sont pas des plus positifs. Elle nous laisse ensuite avec les mots, « des mots joyeux », de Pauline Leet.

Ce discours est à la fois très fin, très intelligent et plein d’humour. Il est émaillé de poèmes de William Butler Yeats, d’Emily Dickinson et d’Edna Millay. Je ne disserterai pas sur la poésie car je n’y connais rien et je suis rarement touchée par ce genre littéraire, je l’avoue. Toutefois, j’ai bien compris leurs propos et le pourquoi de leur présence ici.

Elle explique que, étant privés de toute présence féminine, ne pouvant discuter avec des femmes et se rendre compte que, oui, elles ont un cerveau dont elles savent se servir et qu’elles ne sont pas que chair fraîche à disposition pour leurs sorties dominicales, ces étudiants seront handicapés une fois lâchés dans le monde mixte, « non ségrégué », car ils ne sauront se comporter correctement avec les femmes. Et ils ne connaîtront jamais rien de leur vision du monde, de leur expérience du monde car ils ne reçoivent, à travers la littérature notamment (Pauline Leet s’en prend spécialement à une anthologie de poésie étudiée en classe qui ne présente – à l’exception d’Emily Dickinson – que des poètes masculins), que le point de vue masculin qui est le leur. Finalement, leur vie dans un ghetto masculin risque de leur être néfaste, à eux et pas seulement aux femmes qui croiseront leur chemin.

Elle critique également les magazines masculins comme Playboy et féminins qui considèrent les femmes comme des objets. Elle redoute les dégâts que ces publications à la « langue insupportablement mièvre » peuvent causer en donnant une vision erronée des hommes, des femmes, des rapports hommes/femmes ou des relations amoureuses.

La postface de Pauline Leet propose un tour rapide et – disons-le – assez superficiel de la situation des femmes cinquante ans plus tard. Je ne dis pas qu’elle dit des choses fausses, mais elle ne donne pas de chiffres, elle aborde simplement par quelques exemples la place des femmes dans l’éducation, dans les gouvernements, dans les médias (dont elle dénonce l’influence néfaste) ou encore dans le sport (notamment au sujet des tenues, bien souvent plus suggestives pour les femmes que pour les hommes).

 

D’autres autrices sont citées dans la préface comme Fanny Raoul ou Caroline Bird. Voici quelques citations de ces dernières.

La première écrivait en 1801 qu’« il est remarquable de voir les philosophes […] proclamer la liberté des nègres, et river les chaînes de leur femme, dont l’esclavage est pourtant aussi injuste que celui de ces malheureux ; reconnaître ce dont on n’eût jamais dû douter, que les uns sont, ainsi qu’eux, sortis des mains de la nature, lorsqu’ils semblent oublier que les autres soient son ouvrage. L’idée d’assimiler les femmes aux Noirs pourra paraître étrange ; mais si cette comparaison est singulière, elle n’est au moins pas dénuée de justesse ».

Quant à la seconde, elle explique le sexisme ainsi : « Le sexisme, c’est juger les gens selon leur sexe quand le sexe n’importe pas. Sexisme est fait pour rimer avec racisme. Les deux ont permis à ceux qui détenaient le pouvoir de le garder. Les femmes sont sexistes aussi souvent que les hommes. »

Difficile de résister à l’envie de partager avec vous tout le discours de Pauline Leet, ce texte qui, bien que très court, combine à merveille pertinence et humour. Un regard en arrière sur le mot qui permet de réfléchir à la chose, toujours trop présente cinquante ans après avoir été nommée.

 

« Il est si rarement en concurrence avec des femmes, il a si rarement l’occasion d’apprendre l’humilité en n’ayant pas le dessus lors d’une dispute ou d’un débat avec l’une d’elles sur tel ou tel sujet impersonnel, que sa capacité à fonctionner avec les femmes intelligentes qu’il rencontre une fois sorti du ghetto s’en trouve diminuée. Ce qu’il devrait voir comme une occasion stimulante et animée de discussion ou d’échanges de points de vue devient, à cause de sa mentalité façonnée par le ghetto, un défi lancé à sa masculinité. »

« Ce manque d’échanges avec des femmes, que ce soit en cours ou dans d’autres circonstances de la vie quotidienne, entraîne chez l’étudiant ségrégué et défavorisé une autre carence handicapante. Il considère volontiers les femmes non comme des personnes, des êtres humains au même titre que lui, qui cherchent à comprendre, grandir et trouver un sens aux absurdités de l’existence, mais comme des objets, des instruments, de êtres déshumanisés. »

« Je défends l’idée que plus on fréquente de membres d’un autre groupe dans la plus grande variété possible de situations, plus il devient difficile de les instrumentaliser, d’une part, et facile de les voir comme des personnes, d’autre part.

Ainsi, « le point de vue féminin » n’existe pas. Il y a autant de points de vue que de femmes. »

« De même que le racisme prétend préserver la race supérieure de tout croisement, la pensée sexiste porte la hantise du métissage des genres associée à des définitions très normatives de la virilité et de la féminité. »

« Si vous acceptez la logique justifiant le fait que les femmes soient totalement exclues de l’anthologie parce qu’elles sont moins nombreuses à avoir écrit de bons poèmes, votre position est analogue à celle du raciste – et je vous qualifierais donc de « sexiste » –, selon qui l’exclusion des Noirs des livres d’histoire est affaire de bon sens, et non de discrimination, puisqu’ils sont moins nombreux que les Blancs à avoir marqué leur temps. Le raciste et le sexiste font comme si tout ce qui s’était passé n’était pas arrivé, et l’un comme l’autre statuent sur la valeur des gens à partir de critères non pertinents. »

Sexisme, le mot pour le dire !, Pauline Leet Pittenger. Editions iXe, coll. La petite iXe, 2015. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sarah Gurcel Vermande. 85 pages.

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