La Cité sous les Cimes, de Marge Nantel (2022)

Nouvelle lecture pour le prix des Aventuriales !

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Les cinq titres en lice :
La cité diaphane, d’Anouck Faure ;
La trilogie du singe, de Pierre Léauté ;
La cité sous les cimes, de Marge Nantel ;
Dolls, de Népenth S. et MoonE ;
Crimes surnaturels, T1, Chaudron de bruyère, de Pauline Sidre.
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Et une leçon pour moi : ne plus me laisser tenter par ce genre de lectures opportunistes (même si je vais lire le dernier, évidemment). Parce que, une nouvelle fois, ça n’a pas été concluant du tout. Finalement, je crois que tout cela va se résumer à voter pour le moins pire…

La cité sous les cimesDarkha, demi-Dragon et mage, et Eri, ingénieur, sont amis et chercheurs à l’Université de Cayana. En étudiant une ligne de runes dans un grenier de la bibliothèque, ils passent par un portail qui les fait voyager à travers le temps et l’espace jusqu’à un pays envahi par un brouillard qui a tué tous les détenteurs du Don.

Comment parler de ce roman alors que j’ignore pourquoi j’ai persévéré ? J’ai failli plusieurs fois abandonner et je ne me suis pas écoutée à mon grand regret. Je suis désolée de devoir écrire une chronique aussi négative, mais quel ennui, mes aïeux… (Et ce n’est pas tout à fait ainsi que je l’ai noté dans mes rares notes.)

Il y avait des idées pourtant – la cohabitation de la science et de la magie, un multivers, des Dragons (et des demi-Dragons, des faux-Dragons et autres ersatz), des mutations et des manipulations un peu gore, un système de magie runique… et un duo qui fonctionne plutôt bien, je dois le reconnaître –, mais le tout n’est pas exploité de manière convaincante. Dans les faits, si je devais résumer le tout, je dirais : Darkha voit des runes partout pendant qu’Eri s’évanouit (pire qu’Émilie Saint-Aubert qui battait déjà des records). Je suis à peine de mauvaise foi, j’avais l’impression que chaque chapitre du point de vue d’Eri se finissait par un voile noir, un coma, un évanouissement.

Sérieusement, j’ai eu l’impression de brasser du vent pendant plus de cinq cents pages. L’univers est creux en dehors des personnages principaux. L’autrice n’a pas réussi à le rendre vivant, crédible.
J’ai eu diverses interrogations au fil de ma lecture, autour justement de ce manque d’épaisseur :

  • Tout d’abord, je me suis demandée où étaient les femmes : pendant près de deux cents pages, seules les mères de Darkha et Eri et la sœur de ce dernier sont évoquées sans apparaître, puis quelques membres du Concile, mais leur rôle reste assez marginal. Venant d’un roman écrit par une femme, cela m’a déconcertée, je l’avoue, d’autant qu’il n’y a pas d’explications sur leur absence ;
  • « Le ton que mettait Morlen à parler des Cimes, son pays d’adoption, avait quelque chose qui forçait le respect. Il aimait ces contrées, quels qu’en soient les rouages.» : pourquoi aime-t-il tant ce pays ? qu’a-t-il d’attachant ? Il est dit à un moment que la vue est belle, mais est-ce que ça suffit ? Rien ne me l’a fait ressentir, il n’y avait pas de vie, pas d’émotions : si la narration ne l’avait pas précisée, je ne l’aurais jamais deviné, jamais compris. « Show, don’t tell. »
  • « Il croisa quelques calèches sur la route pavée aux larges trottoirs ombragés, découvertes et transportant des individus rayonnants de bonne humeur. » Nous sommes là à la page 261 et, à ce stade, je me demandais vraiment si le pays était peuplé ou si nous étions dans une ville déserte parce qu’il n’y a aucune animation dans les rues, aucun regard sur la vie des habitants, alors que nous étions dans une sorte de capitale a priori. D’un coup, on croise des gus avec un air béat sur la tronche qui font un coucou en arrière-plan avant d’être à nouveau oubliés pour le reste du roman. La ville semble morte à mes yeux de lectrice car ses habitants ne sont que des fantoches, ce qui a un côté flippant, sauf que cela n’a aucun sens dans l’histoire (ils sont bien censés être là, tout va bien pour eux, même si on ne sait pas pourquoi ils sont tous de bonne humeur (on se croyait chez Oui-Oui), c’est juste qu’ils ne sont pas bien écrits) ;
  • Tout au long du roman, on nous fait comprendre que deux personnages de sexe masculin entretiennent une liaison à coup de regards et de mains effleurées, mais nos personnages – disons Eri car Darkha est un peu dans son monde – ne semblent rien comprendre. Pourquoi ? Il n’est rien dit quant aux amours homosexuelles dans ce monde, donc pourquoi en fait tout un mystère de manière aussi appuyée et finalement sans intérêt ? J’en suis venue à espérer que les relations entre ces deux personnages étaient en réalité autres, mais non, c’est bien ça, pas de surprise. J’ai eu l’impression d’une relation mal écrite, comme si l’autrice ne savait pas comment en parler ou comme si elle était là simplement pour cocher les cases « romance » et « LGBT » car elle ne sert pas l’histoire, mais au-delà de ça, leurs états d’âme ne permettent même pas vraiment de rendre les personnages plus vivants (juste agaçants à la rigueur). Et à côté de ça… cinq cents pages de « regards tendres » de la part d’Arthus dès qu’Eri ouvre la bouche… on peut passer à autre chose ?

Je ne sais pas comment vous transmettre la sensation de vide que j’ai eu au cours de ma lecture, comme si tout était un peu bancal. Il y a tant d’éléments et de situations qui sont répétées encore et encore, sauf que ces rabâchages ne viennent pas en accroître l’importance mais uniquement la sensation que le tout est mal bâti. Quand le propos, les personnages, l’intrigue, sont solides, il n’y a pas besoin d’en remettre une couche tous les trois chapitres. D’autant que certains ingrédients m’ont paru totalement inutiles et inintéressants. De là découle une persistante impression de longueurs.

Je dois aussi évoquer le fait qu’Arthus Morlen soit une fois sur deux désigné comme étant gros (« le gros Elfe, le gros capitaine »), ce qui m’a un peu gonflée. Sa masse décrite comme inhabituelle pour un Elfe trouve une explication au cours de l’histoire, mais ce n’est pas une raison pour nous le marteler à chaque page : encore une fois, on a compris.

Beaucoup de coquilles également : ce n’est pas dramatique, mais ça n’arrange pas le tableau.

Cette chronique est parfaitement bancale, à l’image du récit. Comme vous l’aurez compris, ce livre et moi n’étions de toute évidence pas sur le même Plan et la rencontre ne s’est pas faite du tout.

(Je n’ai même pas une citation à vous partager…)

La Cité sous les Cimes, Marge Nantel. Éditions 1115, 2022. 528 pages.

Trilogie du singe, de Pierre Léauté (2022)

Nouvelle lecture en vue du prix des Aventuriales qui récompense un roman SFFF publié par une maison d’édition à compte d’éditeur…

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Les cinq titres en lice :
La cité diaphane, d’Anouck Faure ;
La trilogie du singe, de Pierre Léauté ;
La cité sous les cimes, de Marge Nantel ;
Dolls, de Népenth S. et MoonE ;
Crimes surnaturels, T1, Chaudron de bruyère, de Pauline Sidre.
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… et second flop. Décidément.

Trilogie du Singe (couverture)Ce recueil contient trois nouvelles uchroniques. La première, « La grande brisure », nous emmène au début du XVIIIe siècle dans une aventure maritime dans un monde où la Bretagne a été séparée du royaume de France par un séisme et constitue à présent une nation distincte et adverse. « Kaiser Kong », la seconde, réécrit l’histoire du nazisme et du franquisme avec une dose de fantastique en y insérant King Kong et le petit-fils de Frankenstein. Dans la dernière, « Code noir », se croisent Mesrine, Kennedy et Marilyn Monroe, Johnny Hallyday et Sylvie Vartan dans une France où l’esclavage est toujours en place.
Voilà voilà.

Je ne vais pas mentir, j’avais des doutes dès le résumé. Je n’ai rien contre le genre de l’uchronie, un genre que je connais finalement très mal mais qui me semble réclamer une cohérence parfois compliquée à trouver ; en revanche, je ne suis pas du tout friande des crossovers. Dans le cas présent, j’ai eu l’impression d’un petit délire de la part de l’auteur qui s’est amusé avec différents personnages de fiction ou personnalités.
Oui, il y a des idées potentiellement intéressantes, des messages sur les droits humains, un regard sur l’Histoire, sur des sociétés inégalitaires, un hommage à un monstre de la pop culture… mais ça ne suffit pas, ça reste superficiel. Et pour la cohérence, je n’ai pas été convaincue, j’ai eu du mal à croire à ces chemins alternatifs. Peut-être est-ce une nouvelle fois le choix du format nouvelle qui me refroidit, du fait des limites que cela présente en termes de pose et développement de l’univers.

D’autant que, ce qui m’a le plus laissée de côté, c’est le manque d’émotions, d’implication dans ces récits. J’ai l’impression d’avoir simplement lu des suites de mots bien agencés, sans pouvoir prétendre avoir ressenti le moindre intérêt pour ce qu’ils disaient.
Par exemple, la première nouvelle est un récit d’aventures avec voyage à travers les mers, accrochage et abordage par la flotte française, emprisonnement, pendaisons… Sauf que je n’ai pas eu l’impression de partager une aventure, seulement de lire une suite de faits froids et détachés.

Je n’ai rien de plus à en dire, si ce n’est que je sais dès à présent que cette lecture au goût de trop peu va rapidement purement et simplement s’effacer de ma mémoire.

« « Interdit aux Serviles », proclamait la plaque si neuve que l’émail rutilait encore. C’est le cœur lourd que Denise rebroussa chemin à l’ombre d’une vérité ancienne. Sur le fronton du palais de la Bourse, un cadran solaire marquait la course du matin. « L’heure passe, la justice reste. » Inscrits tout autour du cadran, ces quelques mots donnaient à croire à Denise que si la justice était une vertu, elle était monochrome. »
(Code noir)

Trilogie du singe, Pierre Léauté. Editions 1115, 2022. 128 pages.