Deux mots sur… Chaos et Idaho

Deux romans, trois en réalité, qui n’ont, à première vue, rien à voir. De la SF française et de la littérature américaine entre le roman psychologique et le nature writing.  Et pourtant, deux romans où l’oubli est au cœur du récit.

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Chaos (2 tomes) de Clément Bouhélier (2016)

Chaos T1 (couverture)Les publications des éditions Critic ont souvent tendance à attirer mon attention, donc ça ne se refuse pas lorsque l’on tombe sur les deux tomes dans une boîte à livre, surtout lorsque le résumé me fait penser que je vais passer un moment bien sympathique.
Le pitch ? Une épidémie qui se répand à travers Paris, la France et la planète engendrant maux de tête dans un premier temps et vidage complet de mémoire dans un second temps. Au milieu, quatre immunisés qui reçoivent d’étranges messages.

Le premier tome est bien efficace et parfois glaçant. Les récits post-apo, je n’en lis pas forcément beaucoup, mais j’aime beaucoup ça et je me suis ici régalée. Ce premier tome raconte les différentes étapes de l’épidémie – les cas isolés, les premiers éclairs de compréhension, la tentative d’enrayer le phénomène, la panique – jusqu’à l’effondrement de la société. J’ai adoré suivre la progression inéluctable des petits parasites, suivre cette « maladie de l’oubli » foudroyante s’étaler à travers le pays comme une nappe d’huile. On saute rapidement d’un personnage – à la fois très cool et tellement ordinaires, ces personnages – à l’autre et le bouquin se dévore.

Chaos T2 (couverture)Malheureusement, ça n’a pas vraiment été le cas du second tome qui a eu beaucoup de mal à m’intéresser. Les personnages sont réunis et tout est beaucoup plus confus. Pas étonnant, me direz-vous, car nous entrons dans une autre facette de la science-fiction et se dessine alors un multivers incompréhensible pour nos petits pions. Les voilà projetés dans des terres désertiques et hostiles pour essayer de comprendre qui a foutu leur monde en l’air. Je n’ai pas détesté ce tome qui est plutôt riche en péripéties (mais peut-être pas autant que je l’espérais en révélations même si l’une d’entre elle m’a bien touchée), j’ai fini par enchaîner les deux cents dernières pages à toute allure, mais ce n’est pas l’excellente lecture que j’espérais.

Je suis bien contente d’avoir lu ce diptyque, mais il va retourner dans sa boîte à livres pour se trouver de nouveaux lecteur·rices.

« Il est des nuits dont on voudrait qu’elles durent éternellement tant on appréhende le matin. Il est des sommeils dont on voudrait ne jamais se réveiller, tant la réalité dépasse en horreur le plus angoissant des cauchemars. »

Chaos, Clément Bouhélier. Editions Critic, 2016.
– Tome 1, Ceux qui n’oublient pas, 452 pages ;
– Tome 2, Les terres grises, 416 pages.

 Challenge Les 4 éléments – La terre :
Un récit dans le désert

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 Idaho, d’Emily Ruskovich (2017)

Idaho (couverture)Idaho, dans la montagne. Plusieurs époques : 1995, 2008, 2004, 1973, 1999, 2024… Un drame, une famille brisée. Un homme, Wade. Une autre vie avec Ann qui tente de percer les secrets de la première avec Jenny. Des souvenirs. Une maladie, celle de Wade qui, comme son père et son grand-père, perd la mémoire.

Je pensais vraiment écrire une chronique de ce livre, mais je m’aperçois que je n’ai pas de quoi alimenter une véritable chronique. C’est un livre qui m’a longtemps laissée perplexe, indécise quant à ce que j’en pensais.

Côté écriture, rien à redire. C’est subtil, c’est sensible, c’est l’art de dire beaucoup mine de rien. C’est captivant. L’atmosphère, les personnages, les caractères, tout est magnifiquement raconté. Enfin, magnifiquement n’est peut-être pas le meilleur terme car c’est parfois un peu oppressant, perturbant. C’est un roman lent qui m’a bercée quelques jours, un roman d’impressions, de pensées qui tourbillonnent, de regards posés sur la nature environnante, des odeurs, des sensations, de milliers de détails.

Un récit où les protagonistes ont des réactions étonnantes, parfois incompréhensibles. Un récit dont tous les personnages semblent en suspens, en attente, en réflexion. Évanescents aussi. Entre eux, une difficulté à communiquer, une gêne, un blocage. La maladie, le passé, la haine de soi… des éléments qui se mettent entre les protagonistes, les poussant à se poser mille questions sans réponse, à échafauder des scénarios. Et du coup, tu fais de même.

C’est un roman dont tu ne peux t’empêcher d’attendre la fin et les réponses qui vont avec. Sauf que non. Il n’y a pas vraiment de réponses. Ce qui était flou au début reste flou à la fin. Un peu frustrant, je dois dire.

 Je ne sais que réellement penser de ce roman. L’écriture et l’ambiance sont géniales, l’écriture est captivante, mais j’aurais aimé peut-être un peu plus de matière au final. Quelques indices. Quelques réponses à mes questions.

« Parce que Wade avait tout jeté – les dessins, les vêtements, les jouets –, chaque vestige accidentel prenait une importance indescriptible dans l’esprit d’Ann. Quatre poupées moisies enfouies dans la sciure d’une souche d’arbre pourrie. La chaussure à talon haut d’une Barbie, tombée d’une gouttière. Une brosse à dents fluorescente dans la niche d’un chien. Puis, enfin, le dessin à moitié achevé dans le manuel. Des objets chargés d’une importance qu’ils ne méritaient pas mais qu’ils revêtaient à cause de leur effrayante rareté : ils grandissaient en elle, se transformant en histoires, en souvenirs dans la tête d’Ann alors qu’ils auraient dû rester dans celle de Wade. »

Idaho, Emily Ruskovich. Gallmeister, coll. Americana, 2018 (2017 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Simon Baril. 352 pages.