Rouge, de Pascaline Nolot (2020)

Rouge (couverture)Après le quatrième tome de La Passe-miroir, je sors enfin un autre livre dégoté à Montreuil : Rouge, de Pascaline Nolot qui sort dans deux mois ! (Le 16 avril précisément.) Quelques mots du vendeur (l’éditeur ?) du stand de Gulf Steam ont suffi à nous emballer, mon amie et moi, à l’idée de découvrir ce texte.

Bienvenue à Malombre, un sinistre hameau situé sur le mont Gris et cerné par Bois-Sombre (ça place tout de suite sa petite ambiance…). Venez rencontrer Rouge, une jeune fille haïe par la bourgade toute entière – à l’exception de son ami Liénor. Exécrée pour la rougeur qui colore une partie de son visage, abhorrée pour la boule de chair qui déforme son sourcil, maudite pour les actes de sa mère, la folle qui aurait frayé avec le Mal absolu pour lui donner naissance, amenant sur le village une véritable malédiction. En effet, chaque fille de Malombre est condamnée à rejoindre, à son premier sang, la terrifiante Grand-Mère qui vit au cœur du bois. Seule joie des habitants, Rouge est vouée au même sort…

Nous sommes ici sur une libre réécriture du Petit Chaperon Rouge dont les différents éléments feront leur apparition au fil du récit : la forêt, la Grand-Mère, le panier et la galette que les jeunes filles doivent lui apporter, le loup, Chasseur. Et Rouge évidemment, même si ce n’est pas sa grande capuche noire mais sa peau qui est d’écarlate. Une psyché enchantée complète le décor de conte.
En revanche, ce n’est pas une réécriture particulièrement légère.

Le roman s’ouvre sur un exergue signé Charles Perrault : « Rien au monde, après l’espérance, n’est plus trompeur que l’apparence. » Voilà qui résume à merveille ce récit. Rencontre après rencontre, Rouge découvrira que l’apparence n’est pas un indice de ce qui se cache derrière. Une thématique typique des contes : une figure avenante n’est pas forcément synonyme de bien, une physionomie repoussante n’est pas forcément synonyme de mal. Rouge en est l’incarnation même, mais, en dépit de cela, elle se laissera berner à plusieurs reprises. « Ne pas se fier aux apparences » pourrait être la morale de cette histoire et le dernier chapitre – qui m’a bien eue – est là pour enfoncer le clou.
« Rouge » est le qualificatif parfait pour ce roman de meurtres, viols, traîtrise et incendie. Les personnages sont globalement laids : violents, haineux, fourbes, menteurs, superficiels, avides. Et dangereux. A commencer par les hommes qui s’érigent en juges et prennent leur plaisir comme bon leur semble, aveugles à la souffrance qu’ils causent. Les thématiques sont d’actualité : le viol et le consentement, le harcèlement, la pédophilie… La Grand-Mère évoque même la faune qui change à l’instar du climat !

« On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Entraînent les jeunes demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
De tous les loups sont les plus dangereux. »

Charles Perrault, morale du Petit Chaperon Rouge

Rouge – la cramoisie, l’écarlate, la rougeaude, l’empourprée… – est victime de la superstition et de l’esprit étroit des paysans (mais l’histoire de la Grand-Mère nous montrera que la situation aurait été de même à la ville). On la croit fille d’un démon, capable d’actes sataniques, et, sans le pacte, voilà longtemps que son corps – à ne toucher sous aucun prétexte – aurait été brûlé ou lapidé. Mauvais coups, injures et humiliations font partie de son quotidien. Elle m’a beaucoup touchée par son courage, son désir d’obtenir coûte que coûte des réponses, son lien avec sa mère jamais connue. Elle qui a longtemps subi, elle s’est malgré tout donné les moyens de survivre en apprenant à lire et à subsister seule. Je ne peux rien en dire évidemment, mais j’ai trouvé son évolution très réussie tout comme l’évocation des sentiments qui l’agitent.

Alternant passé et présent, l’histoire se déroule en moult péripéties et révélations. Les interrogations affluent tant dans l’esprit de Rouge que dans le nôtre, attisées par les indices conférés par les flash-backs. L’on s’inquiète pour elle, ce qu’elle pourrait devenir aussi face aux épreuves qui s’enchaînent. Une seule chose m’a légèrement déçue cependant, un détail que je ne veux pas dévoiler, mais qui concerne la Grand-Mère : disons que je m’attendais à quelque chose d’un peu plus… profond, dirais-je.
L’écriture est magnifiquement soignée, évoquant un texte un peu daté. Le vocabulaire est choisi, peu usuel. La sylve plutôt que la forêt, la chaumine plutôt que la chaumière, la vénusté plutôt que la beauté… Les mots sont des perles délicatement, minutieusement agencées. Je me suis surprise à relire plusieurs passages à haute voix pour en savourer la poésie, la musicalité. En effet, les phrases recèlent fréquemment un rythme et des rimes très agréables à lire et à entendre.

Un texte puissant, aux sujets cruels et actuels. Une belle héroïne. Une langue qui apporte un peu de beauté dans le maelstrom de laideur formé par les événements narrés.

« La personne en elle était morte.
Celle qui pouvait rire, rêver, parler…
L’habitude, l’instinct de l’animal blessé l’avaient poussée jusqu’ici, devant chez cette femme familière, dont sa conscience fracassée ne conservait déjà plus qu’une vague souvenance de l’amitié.
Lisiane n’était plus.
Autre chose.
Elle était cette autre chose qui l’avait remplacée dans sa tête.
Une fêlure faite de répugnance et de souffrance mêlées.
Un terreau idéal pour le Mal. »

« – Dès qu’ils t’ont regardée, les gens ont eu peur de ta différence. Avant cela, pour le même motif, ils avaient tremblé devant ta mère devenue aliénée. Aucune de vous deux ne correspondait aux critères de cette chose contraignante que l’on nomme normalité… Alors ils ont inventé toutes ces histoires à faire peur, ces boniments à propos d’œuvre de Satan et de contagion de couleur, afin de se donner bonne conscience et d’excuser leur haine. Mais rien de tout cela n’est vrai ! Tu as beau renâcler, je suis sûre que dans tes tripes, tu le ressens. Tu le sais ! Et si cela te semble difficile à avaler, rappelle-toi mon histoire. S’il y a bien une chose qu’elle m’a enseignée, c’est que la destinée est une garce patentée… Néanmoins, tu peux te consoler : même sans ta teinte hideuse, les villageois auraient sans doute usé d’une autre allégation pour te rejeter. « La fille de la folle », je parie que c’est un mobile de détestation dont ils se seraient contentés, toute pimpante et diaphane aurais-tu été ! »

« Impossible.
Rouge s’éveilla avec ces mots à la bouche et au cœur. S’était-elle évanouie ? Était-elle tombée dans un sommeil de ténèbres, épuisée par l’horreur et par ses pleurs ? Elle aurait voulu ne jamais émerger de son assoupissement, retourner se blottir entre les bras immatériels d’un Morphée amnésique. Maintenant qu’elle reprenait conscience, elle ne pouvait plus rien occulter. La réalité lui revenait en pleine face, et la nausée au bord des lèvres. »

Rouge, Pascaline Nolot. Editions Gulf Stream, coll. Électrogène, 2020. 311 pages.

25 réflexions au sujet de « Rouge, de Pascaline Nolot (2020) »

  1. Très intriguant, ce que tu dis… Je ne pensais pas que ce livre attirerait mon attention, mais un peu quand même ! Ca veut dire que ta chronique joue son rôle, héhé.

  2. C’est moi « l’amie », c’est moi 😀 Contente qu’il ait été à ton goût ! Je n’ai pas encore trouvé le temps de le découvrir entre les lectures pour le boulot…mais il me tarde !

  3. Cette chronique m’a mis l’eau à la bouche ! Certaines phrases m’ont rappelé tour à tour Déracinée de Noami Novik pour la forêt qui fait peur et le côté conte de fée, et The Lonely Hearts Hotel de Heather O’Neill pour le contraste entre écriture poétique et tout en finesse, et la cruauté de la vie. Ma pile à lire a encore pris des centimètres.

    • Il y a effectivement un côté Déracinée, même si le bois n’est pas aussi vivant dans Rouge. En revanche, il a une importance et une présence plutôt fortes.
      Je ne connaissais pas du tout The Lonely Hearts Hotel, mais je suis allée jeter un oeil et il m’a l’air plutôt alléchant aussi, je vais peut-être le garder dans un coin de ma tête (ou d’une liste Livraddict si je veux vraiment m’en souvenir).
      En tout cas, je suis enchantée de t’avoir donné envie, j’espère que tu croiseras la route de Rouge à l’occasion : ce livre est vraiment excellent !

  4. Je n’avais pas oublié ta chronique, mais hier, j’ai arpenté (enfin !) le blog d’Alberte Bly et c’était son dernier article. J’ai donc commencé par elle, et déjà, elle me donnait très, très envie.
    Je dois avouer qu’à la lecture de ta chronique, et j’insiste sur le fait que je ne dis pas ça car je t’apprécie (et tu passeras le langage qui suit), ce que je me suis dis à la fin c’était : « bordel de merde. »
    Tu vas te demander pourquoi. Déjà parce que, PAL immense ou pas, rien à fichtre, je pense clairement aller en librairie dès qu’elles seront réouvertes pour me le procurer d’office. C’est sombre, et je sais que les thématiques vont me donner un coup limite à l’envie de vomir tellement ça risque d’être poignant, mais il faut croire que mon côté un peu maso cherche ça en ce moment. J’ai vraiment besoin de livres qui te foutent un coup et ne te laissent pas indemne à la fin, et clairement, de ce que tu en dis, celui-là y correspond tout à fait.
    Mais aussi « bordel de merde » parce que bazar de bazar chère Ourse, comment peux-tu trouver tes chroniques fadasses ? Je ne sais la qualité écrite du livre (des passages que tu en mets, et des mots peu usités, j’avoue que c’était un régal en guise d’amuse-bouche) et je l’ai trouvée véritablement sublime. Déjà, pour Né d’aucune femme, j’étais subjuguée par ta capacité à transmettre une émotion sans pouvoir puiser dans le livre puisque tu voulais lui laisser tout son mystère. Mais là ! Tu as l’impression de ne pas analyser ? Mais tu le fais ! Enfin bref, déjà que je t’arrose de commentaires, je vais m’arrêter là mais vraiment, tu sais vraiment donner envie et conseiller un livre contrairement à ce que tu penses.

    • Je n’ai pas encore lu la chronique d’Alberte sur Rouge ! Quand on parlait des articles qui traînent dans les favoris, voilà un bel exemple…
      Et ne va pas dans les librairies dès la semaine prochaine pour ce livre : à en croire le site de l’éditeur, sa sortie a été repoussée au 20 mai apparemment.
      Et puis euh… merci beaucoup. C’est super gentil de dire tout ça , je ne sais pas quoi dire. Maintenant, il faudrait que j’arrive à le croire, mais j’avoue que c’est très plaisant à lire. Je suis ravie d’avoir pu te convaincre, te donner envie de découvrir ce livre ! Ma critique, c’est une chose, maintenant, j’espère que le roman te subjuguera autant !

      • Hé bien j’espère que tu la sortiras rapidement des favoris, tu auras source de discussion avec elle du coup. c:
        Pfiouh, déjà, faut que j’arrive à sortir cette semaine ne serait-ce que pour mes courses, alors l’étape librairie, je pense que Rouge aura le temps de sortir avant que j’y mette les pieds haha. Mais merci en tout cas pour la date, c’est vrai que j’avais oublié que tu l’avais lu en avant première on va dire.
        Hé bien ne dis rien, mais essaie de le garder précieusement dans ta tête quand tu te dénigres même si ça ne fera pas tout. En tout cas pas de pression, on verra bien ce que j’en pense, mais en tout cas je suis quasi certaine qu’il ne me laissera pas indifférente, à voir si c’est en bon ou mauvais !

  5. J’avais vue passer ta chronique mais j’attendais d’avoir lu Rouge qui m’attendait dans ma pal avant de te lire ! Tu résumes très bien les qualités des cet ouvrage qui m’a aussi beaucoup plu ! Tellement rare un livre YA aussi « cru » !
    Et franchement j’suis allée de surprise en surprise avec ce livre qui n’a pas fait long feu, en 2 jours je l’avais dévoré hihi
    Du coup j’hésites à enchainer avec un autre Pascaline Nolot dont tu avais parlé il me semble…Ou peut etre que j’ai vu ca passer sur un autre blog, je sais plus mais je parle d’Eliott et la bibliothèque fabuleuse ! Je vais chercher voir si je me plante 😛

    • J’ai ta chronique dans mes favoris « à lire » ! J’ai un peu boudé l’ordinateur ces dernières semaines, donc j’ai pris du retard, mais j’ai hâte de lire ce que tu en dis !
      En tout cas, merci beaucoup, et oui, je suis d’accord avec toi, ça a été plein de surprises dans ce livre franchement addictif.
      Je n’ai jamais lu d’autre Pascaline Nolot, tu dois effectivement confondre avec un autre blog.

  6. Ping : Pérégrinations #17 – La Récolteuse

  7. Ping : Rouge – Pascaline Nolot | OmbreBones

  8. Ping : « Elle avait le droit d’être elle-même et n’avait besoin ni de son agrément, ni de son estime pour exister. » – La Récolteuse

Laisser un commentaire