Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, de Camille Emmanuelle (2017)

Lettre à celle qui lit mes romances érotiques (couverture)Camille Emmanuelle dénonce le conservatisme des romances érotiques, ce genre littéraire également appelé « Mommy porn » qui  a explosé suite au succès inexplicable de 50 nuances de Grey. L’autrice sait de quoi elle parle puisqu’elle-même en a écrit une douzaine parce qu’il faut bien manger et payer son loyer de temps en temps. Autant dire que ce qu’elle a découvert des coulisses de la romance a bien hérissé le poil de cette spécialiste du féminisme, du genre et de la sexualité.

« J’ai arrêté d’écrire de la littérature cucul (c’est comme ça que je nomme les romances). J’aimerais que tu arrêtes, Manon, d’en lire. Pour cela, je vais te raconter les coulisses de cette écriture. Un récit que ne te fera pas jouir, mais qui, je l’espère, te fera rire. »

Je ne lis pas de romances érotiques, c’est un genre qui ne m’attire absolument pas (et les couvertures et résumés ne m’aident pas à m’en approcher), j’avais de forts préjugés envers ces romans, mais ce que j’ai appris dans ce livre dépasse… tout.

Déjà, Camille Emmanuelle se voit attribuer une fausse biographie : elle est Américaine, ses histoires se passent aux Etats-Unis et elle remercie à la fin d’imaginaires amis américains. La personnalité de l’autrice, pourquoi faire ? Il faut pouvoir la remplacer par quelqu’un d’autre en cas de problème. De toute façon, son éditrice lui imposera moult corrections pour rentrer dans les clous. La créativité n’existe plus.

« … je suis la nègre d’une auteure qui n’existe pas. Je suis la ghost writer d’un fantôme. »

Personnages pathétiques et figés dans des tableaux Excel, intrigues interchangeables et réglées comme du papier à musique, marques de luxe citées à la pelle… Le style littéraire est pauvre, voire inexistant. Ce serait un moindre mal si c’était l’unique problème posé par les romances érotiques.
Sauf que ce n’est pas le cas. Les romances ont beau parler de sexe, elles contribuent surtout à entretenir une vision sexiste et réactionnaire des relations femmes-hommes et du désir féminin. L’homme est fort, beau et riche (immensément riche, juste riche ne serait pas suffisant), mais il a une blessure secrète (et c’est pour ça qu’il est tout caparaçonné de sa virilité). La femme est… gourde. Elle est innocente, timide, faible, vierge et admirative face à l’homme. Leur sexualité est censée exciter les lectrices, mais se révèle conventionnelle et barbante. La pénétration est le but ultime (et ça tombe bien, l’homme n’a jamais de faiblesse à ce niveau-là). Bref, une vision stéréotypée et puante de la femme et de la sexualité.

« Un roman érotique n’est pas moderne parce que son héroïne mange des putains de cupcakes, il est moderne parce qu’il présente une vision nuancée, complexe, curieuse et diverse du plaisir et du sexe. »

Ces romances vantent le pouvoir de l’argent, le bonheur se trouve dans une énième paire de Louboutin. La richesse et les paillettes, voilà ce qui fait apparemment rêver. C’est tellement fade et vain. Rien de politique, rien de trop intelligent, pas de mention d’artistes qui risqueraient d’attirer l’attention de la lectrice vers une culture plus enrichissante. (Ce qui m’a fait rire, c’est que Camille Emmanuelle explique qu’il faut citer beaucoup de marques, des références qui parleront à la lectrice… Sauf que je n’en connaissais qu’une sur deux lorsqu’elle donnait des exemples. Je ne suis décidément pas la « target » idéale !)

« C’est toute une vision de la société – ultra-libérale, culturellement appauvrie et réactionnaire – qui est promue à longueur de page. Eh oui ! Manon, je n’ai pas écrit des mommy porns, mais bien des « Zemmour porns », réacs et bêtifiants. Je suis un peu la Monsanto de la littérature érotique. Et, alors que je suis une auteure féministe, j’ai contribué à délivrer aux femmes des messages extrêmement vieillots sur leur corps, leur vie, leurs rêves, leurs fantasmes. »

Le ton est drôle et sarcastique, bref, c’est juste hilarant (le lire dans le train n’était donc pas forcément l’idée du siècle). Certes, au bout d’un moment, la bêtise rétrograde de ces romances devient rageante. Franchement, pour la première fois de ma vie, j’ai eu envie de brûler des livres.

Le choix des citations a été un véritable challenge (c’est d’ailleurs pour ça que j’en ai semé partout), on pourrait citer quasiment toutes les pages tant ce livre est incisif et pertinent. La sexualité et le monde présentés dans ces livres sont tristes à pleurer et un tel succès pour cette littérature me déprime un peu. Mais en ce qui concerne Lettre à celle qui lit…, c’est à lire, c’est à relire, c’est à offrir, c’est un énooooorme coup de cœur !

(Et Camille Emmanuelle nous offre également quelques pistes pour une littérature érotique féministe. A explorer…)

« Je n’étais pas une auteure qui trouvait l’inspiration à une terrasse de café de Manhattan et avait envie de faire rêver ses lectrices. Non, j’écrivais à la chaîne et étais le rouage d’une « fabrique à fantasmes ». Les romances sont quasi exclusivement écrites par des femmes. Et ces femmes, dont j’ai fait partie, sont comme celles qui, au XVIIIe siècle, aidaient les autres femmes à serrer leur corset. La femme ainsi ficelée retenait sa respiration, puis souffrait en silence toute la journée, empêchée dans ses mouvements. Elle correspondait à ce qu’on attendait d’elle. Aujourd’hui, ces corsets sont mentaux, et empêchent tout autant de respirer et de se sentir libre. »

Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, Camille Emmanuelle. Les Echappés, 2017. 133 pages.

8 réflexions au sujet de « Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, de Camille Emmanuelle (2017) »

  1. J’en avais déjà entendu parler et en bien, et là raison de plus pour le découvrir ! Merci pour cet article carrément cool et qui donne juste envie de courir m’acheter ce bouquin ! =)

  2. J’avais ADORE cet essai même s’il m’a procuré un énervement général sur la façon dont on prend les lectrices pour des débiles. Depuis je suis assez fan de Camille Emmanuelle, je te conseille d’ailleurs son essai sur les règles !

    • Je crois qu’il est déjà noté dans ma WL !
      Je partage totalement ton amour pour cet essai comme pour l’énervement ! Mais il m’a aussi tellement fait rire que j’ai eu envie de l’offrir à toutes les lectrices de romance que je connais… avant de m’apercevoir que personne n’en lit dans mon entourage. ^^

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