La vie de Lena, Bridget, Tibby et Carmen a toujours été imbriquée dans celle des autres. Ces « filles de septembre » nées dans un intervalle d’à peine un mois ont grandi ensemble, ne passant pas une journée sans se voir. Jusqu’à ce premier été où chacune part en vacances de son côté. Heureusement, au dernier moment, un jean fait irruption dans leur vie. Un jean qui va aussi bien aux longues jambes de Bridget, à la minceur de Tibby, aux formes généreuses de Carmen et au corps parfait de Lena. Pour elles, pas de doute, c’est un signe : ce jean est magique et il sera le lien entre elles pendant les longues semaines d’éloignement. Quatre étés remplis par l’amour, l’amitié, la tristesse, la peur, la découverte de soi et l’ouverture à d’autres, les désillusions et les espoirs… bref, la vie, quoi.
Les quatre premiers tomes de Quatre filles et un jean font partie des sagas de mon adolescence. Je l’ai lue et relue et, comme tous les livres de ma jeunesse, j’avais envie de prendre le temps d’une relecture (parce que, même si j’adore évidemment découvrir de nouveaux récits, ça me manque de ne plus lire et relire !) et c’est Coline qui m’en a donné l’occasion grâce à Relire son enfance et une lecture commune à plusieurs (pas tous au même rythme cependant, je confesse les avoir honteusement lâchées au quatrième tome pour me lancer dans un sprint final (mais j’avais quand même l’excuse de devoir rendre le cinquième tome à la bibliothèque)). J’avais une appréhension : ne plus aimer autant qu’avant et, avec le recul, trouver ça un peu « cucul »…
Mais ô joie, ça n’a pas été le cas. Les histoires de Bridget, Lena, Carmen et Tibby m’ont enthousiasmée comme avant. Est-ce dû aux qualités intrinsèques de ces romans ou est-ce parce que j’ai définitivement renoncé à l’idée de grandir ? Je n’en sais rien, mais j’ai eu un immense plaisir à redécouvrir (même si généralement le gros de l’histoire me revenait en commençant chaque fois) ces romans à la fois drôles et touchants, fleurant bon l’été et le soleil sans être dépourvus d’émotions bien plus froides et sombres. Les malheurs des filles se sont révélés émouvants, mais sans jamais trop en faire. Je pense notamment au premier arc narratif de Tibby, poignant et très réussi.
Les changements fréquents de points de vue nous poussent à tourner d’autant plus rapidement les pages que l’on souhaite savoir au plus ce qui arrive à telle ou telle fille. Classique peut-être, mais indubitablement efficace.
Nos quatre héroïnes sont particulièrement bien écrites. Après la joie de les retrouver, je me suis à nouveau attachée à elles, comme un membre invisible de leur petit groupe. Ce qui a bien contribué à mon incapacité à lâcher ces romans un fois lancée. Je me suis reconnue dans chacune d’elles, même la sportive, la flamboyante, la dynamique Bridget qui, au départ, me semblait être aux antipodes de mon caractère. Finalement, non, nous avons bien des points communs toutes les deux. J’ai aimé leur amitié si puissante et solide, j’ai aimé leurs caractères remplis d’espoirs, d’envies et de rêves malgré les galères et les cœurs brisés.
La tripotée de personnages secondaires qui les entourent – famille, autres ami·es, ennemi·es, etc. – est tout aussi réaliste, tant dans leurs caractères que dans leurs relations avec les quatre filles. Sans jamais tomber dans le cliché, Ann Brashares nous fait rencontrer des personnalités plus ou moins attachantes, plus ou moins sympathiques, plus ou moins admirables, mais toujours terriblement proches de nous ou des personnes que l’on peut rencontrer dans une vie.
Teintée d’un peu de nostalgie, cette relecture fut décidément des plus agréables. Étaient-ce les tomes qui se bonifiaient au fur et à mesure ou ai-je peu à peu perdu tout sens critique, portée par les mots ?
Et puis, il y a le cinquième tome. Qui se passe dix ans plus tard, se déroule sur plusieurs mois d’automne et d’hiver, bref, qui se détache des autres. Et qui était pour moi une complète découverte : sorti plus tard – alors que ma PAL avait commencé à grandir de manière exponentielle et que je ne passais plus autant de temps au milieu de mes sagas favorites –, j’étais totalement passée à côté et j’ai appris son existence que relativement récemment. Dire qu’il suscitait chez moi des sentiments mitigés est un euphémisme. Si j’étais par avance ravie de prolonger les vacances avec les filles de septembre et curieuse de savoir ce que la vie avait fait d’elles, de rencontrer des femmes et non plus des adolescentes, je craignais que ce soit le tome de trop, écrit pour satisfaire les fans uniquement, mais sans réel intérêt. J’avais également peur de ce qu’elles seraient devenues : et si l’âge adulte les avait radicalement changées ? et si leur amitié si extraordinaire se révélait faillible ? Ajoutez à cela l’impatience de lire une histoire inédite pour moi et la tristesse anticipée d’un dernier tome nécessitant de leur dire au revoir par la suite, vous obtiendrez un melting pot de sentiments bien confusionnant.
Et finalement…
Déjà, je dois avouer qu’il est très difficile d’en parler sans spoiler. Je vais essayer de ne pas donner de détails précis, mais si vous souhaitez le lire un jour sans en savoir le moindre élément, la moindre idée, passez votre chemin.
Je reprends. Et finalement… ça a été une immense surprise. Un choc même. Dans tout ce que je craignais, dans tout ce que j’avais pu imaginer, jamais ce scénario ne m’avait effleuré l’esprit. Il m’a laissée hébétée. Comme assommée.
Il y a pour moi un gouffre entre les quatre premiers et ce dernier tome. L’humeur générale n’est pas du tout la même. Malgré les peines de Lena, malgré la souffrance de Bridget, malgré les périodes noires de Tibby, malgré les angoisses de Carmen, les quatre autres tomes me laissent un sentiment plutôt joyeux, lumineux. Un souvenir de rires et d’amitié qui soulagent tout. Un goût de « tout finit (presque) bien » même quand la fin est triste. Ce cinquième tome m’a laissée une sensation profondément triste, déprimée. Même si la fin apparaît comme un rayon de soleil à travers les nuages, elle ne rattrape pas les quatre cent cinquante pages d’accablement qui y conduisent.
A la question « Les filles ont-elles changé ? », la réponse est oui. Indubitablement. Et pourtant, ce sont toujours elles. Leurs personnages adultes sont aussi bien écrits que leur pendant adolescent. Un peu moins sympathiques parfois peut-être (oui, Carmen, c’est toi que je regarde). Si la superficialité de Carmen et la passivité de Lena m’ont agacée (pour la seconde, peut-être car je me retrouve trop en elle…), j’ai adoré Tibby et Bridget qui m’ont toutes les deux étonnée.
Ce cinquième tome a donc été une incommensurable surprise qui a néanmoins su balayer toutes mes craintes. Mature, renouvelant l’histoire des filles tout en nous permettant de les retrouver, il est aussi captivant que les quatre premiers.
Une (re)lecture à laquelle j’ai été ravie d’accorder du temps !
« – Demande-moi ce que tu veux.
C’était un défi.
– De quoi as-tu peur ?
La question était sortie de la bouche de Tibby plus vite qu’elle ne le voulait.
Bailey réfléchit.
– J’ai peur du temps.
Elle répondait courageusement, sans flancher devant le gros œil de Cyclope de la caméra.
– J’ai peur de ne pas avoir assez de temps, précisa-t-elle. Pas assez de temps pour comprendre les gens, savoir ce qu’ils sont vraiment, et qu’ils me comprennent aussi. J’ai peur des jugements hâtifs, de ces erreurs que tout le monde commet. Il faut du temps pour les réparer. J’ai peur de ne voir que des images éparpillées et pas le film en entier. »
« S’il y avait bien un argument que Carmen détestait, c’était bien « la vie est trop courte ». Dans le genre excuse minable, on ne pouvait pas trouver mieux. Faites quelque chose sous prétexte que « la vie est trop courte », et vous pouvez être sûr que, justement, la vie sera assez longue pour vous le faire regretter. »
« Elle pensait avoir tiré une leçon de l’accident de Katherine. Une leçon qui disait : « N’ouvre pas, ne grimpe pas, n’essaie pas et tu ne tomberas pas. » Mais ce n’était pas ça du tout ! Elle avait tout compris de travers !
Du haut de ses trois ans, la petite Katherine lui enseignait exactement l’inverse : « Essaie, tends la main, désire, tu risques de tomber mais, même si tu tombes, tu t’en remettras. »
Remuant ses pieds sous les couvertures, Tibby réalisa qu’une autre leçon encore en découlait : « Si tu n’essaies jamais, bien sûr tu ne risques rien, mais autant être morte. » »
Quatre filles et un jean (5 tomes), Ann Brahares. Gallimard jeunesse, 2002-2012 (2001-2012 pour les éditions originales). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Vanessa Rubio.
– Tome 1, Quatre filles et un jean, 2002 (2001 pour l’édition originale), 309 pages ;
– Tome 2, Le deuxième été, 2003, 392 pages ;
– Tome 3, Le troisième été, 2005, 370 pages ;
– Tome 4, Le dernier été, 2007, 399 pages ;
– Tome 5, Pour toujours, 2012, 432 pages.