Le Cercle, T1, Elisabeta, de Rozenn Illiano (2017)

Elisabeta (couverture)Novembre 2014, une éclipse solaire obscurcit le monde et sème la zizanie au sein du Cercle, société millénaire regroupant les Immortels du monde entier. D’un côté, Saraï, Immortelle assignée à résidence, retrouve son don parapsychique jusque-là éteint ; de l’autre, Giovanna, Gemella (aka source de sang pour un vampire) se fait agresser par un Immortel et reçoit la vie éternelle. Ces événements les positionnent comme hors-la-loi aux yeux des règles de la société vampirique et menacent leur existence.
Au fil de l’histoire, qui se déroule sur moins d’une année, se dessine un plan, un puzzle improbable et complexe qui, d’un murmure de révolte, fait rêver à une révolution, appuyée par l’esprit d’une Reine déchue.

Chez Rozenn Illiano, j’avais déjà croisé des sorciers, des exorcistes, un Sidhe, mais je n’avais fait que croiser les Immortels au détour de la nouvelle Les Archivistes (18.01.16). Ce roman a donc été l’occasion d’en apprendre beaucoup plus et j’ai été totalement séduite par sa conception des vampires, ou plutôt des Immortels comme ils préfèrent être appelés.
Les vampires, cette espèce vue et revue… Pas forcément facile de proposer quelque chose d’original, mais l’autrice (pas forcément fan des vampires à la base) a mis l’accent sur la création d’une société fouillée et passionnante. Le roman nous amène à regarder des siècles en arrière et à découvrir l’histoire, la hiérarchie et la culture du Cercle. Le Cercle regroupe plusieurs notions : les Immortels, leur société et la magie du sang qui régit cette société. C’est un peu compliqué à expliquer comme ça, mais j’ai vraiment aimé cette magie unique qui coule dans les veines des Immortels et la façon dont elle s’articule avec leur organisation, leurs traditions, leurs lois.
La société vampirique est donc millénaire, archaïque et, sans surprise, gangrenée par des traditions et des lois conservatrices. L’idée a été vraiment creusée et l’on découvre peu à peu la déchéance des Immortels, l’affaiblissement de leur pouvoir, la mainmise de quelques Maîtres sur la gouvernance et l’établissement de lois liberticides. De plus, l’Église s’est immiscée dans les affaires des Immortels, imposant une restriction de leurs mouvements, de leurs droits, une obligation à rester cachés sous peine d’être traqués et annihilés : souvent farouche opposante des « forces diaboliques », l’Église se fait ici complice. Loin des vampires vacant à leurs occupations en tout impunité, jouant de leur force voire de leurs pouvoirs surnaturels, les Immortels de Rozenn Illiano sont soumis à des règles strictes et injustes, notamment pour les femmes obligées de se marier. (Évidemment, société archaïque + intervention de l’Église + hommes jaloux du pouvoir des femmes = pas bon pour ces dernières.)
Côté biologie, les Immortels d’Elisabeta sont très intéressants aussi. Pas de vampires « végétariens » ici, ils se nourrissent bien de sang humain ; et certes ils sont inhumainement beaux. En revanche, leur « âge » (depuis leur transformation) a un véritable impact sur la gestion du manque de sang, sur leur tolérance à la lumière, sans parler du fait qu’eux aussi connaissent un vieillissement ! Se nourrir n’est pas une opération langoureuse, agréable et pseudo-sexuelle, mais donne plutôt lieu à un comportement de junkie et à des souffrances pas piquées des hannetons : ça résonne comme une bonne malédiction et on ne les envie pas vraiment. Je vais m’arrêter là, mais il y a encore plein de choses à découvrir au sujet de ces Immortels-là : leur surprenante pulsion autodestructrice, leur déclin physique et psychique, leurs prophéties, l’impact de la leucémie dont souffrait Saraï de son vivant… Quoi qu’il en soit, sachez qu’être un vampire chez Rozenn Illiano n’est pas synonyme de vie libre et tranquille !

Cependant, les romans de Rozenn Illiano sont tout à fait contemporains. Celui-ci se passe en 2014-2015 et l’univers – au-delà de cette société ancestrale et ritualisée – s’inscrit dans notre monde. La plume se fait protéiforme : touchant parfois à la poésie à travers des descriptions fortes et délicates, plaçant un vocabulaire très moderne dans la bouche des personnages. Ces derniers trouveront des échos en nous : si on s’attachera à la fougue et la colère de Giovanna ou à la compassion et l’intelligence de Saraï, tous les autres personnages, aussi secondaires et esquissés soient-ils, se révèlent intéressants, subtils et justes.
Elisabeta est donc un récit à deux voix. L’alternance des voix permet un dynamisme, un rythme enlevé, qui donne envie de tourner les pages pour connaître la suite des péripéties de nos deux héroïnes (et de la galaxie de personnages gravitant autour d’elles). C’est une histoire très efficace et prenante qui nous balade entre l’Italie et la France, de Paris à la Bretagne et, si elle paraît parfois un peu trop facile pour nos protagonistes, il y a tellement de richesse autour que je ne me suis pas senti frustrée pour un sou.

L’autrice adopte également un procédé original concernant la fin du roman. Comme vous le savez peut-être, ses romans sont tous liés entre eux, faisant partie d’un univers commun, du Grand Projet, mais restent totalement indépendants les uns des autres. Ainsi, le roman se finit sur un épilogue classique qui fait que vous pouvez en rester là. Mais, Elisabeta s’achevant un jour très spécial, essentiel dans la chronologie du Grand Projet, s’ajoute ensuite une seconde fin qui annonce la suite des événements, à découvrir dans d’autres romans. J’ai trouvé l’idée intéressante, permettant aux uns de s’en tenir là, aux autres de continuer l’aventure.

Une immortalité entravée, pliant sous le poids des règles, des restrictions et des obligations. Des jeux de pouvoirs et une quête de liberté. Trois femmes fortes aux caractères bien distincts qui pourtant se retrouvent pour lutter pour leur survie et contre une société injuste et patriarcale. Un roman au contexte et aux personnages fouillés et captivants. Une lecture réjouissante qui m’a donnée envie de lire la suite, Sinteval !

« Nous nous découvrons si semblables et si différents après notre transformation… une version parfaite de nous-mêmes, sans aucun défaut, mais si froide et hautaine. Nous oublions vite ce reflet d’autrefois dans le miroir, disparu à jamais. En nous transformant, nous disons au revoir à notre humanité, aux échos de normalité que nous possédions auparavant, et à la lumière. Nous nous cachons dans les ombres de l’Histoire, invisibles aux mortels. Nous n’avons plus grand-chose à voir avec ces êtres légendaires dont je rapporte l’existence dans mes registres ; à présent, nous ne sommes plus que des monstres domestiqués, des prédateurs mis en cage. »

Le Cercle, T1, Elisabeta, Rozenn Illiano. Oniro Prods (auto-édition), 2017. 500 pages.

Le Pensionnat de Mlle Géraldine (4 tomes), de Gail Carriger (2013-2015)

Le Pensionnat de Mlle Géraldine est une série dans laquelle j’ai eu un peu de mal à m’impliquer. Cependant, je suis têtue et, comme j’avais emprunté les quatre tomes d’un coup à la bibliothèque, j’étais bien décidée à tous les lire en dépit d’un premier tome qui ne m’avait pas du tout convaincue.
Je vous propose un récapitulatif des points positifs et négatifs de cette saga avant de revenir sur chaque tome.

Les + :

  • Le mélange steampunk, surnaturel et enquêtes policières ;
  • L’humour et les petites piques qui se glissent ici et là ;
  • Les personnages (quand on a appris à les connaître, ce qui m’a demandé d’attendre le troisième tome), notamment les filles avec leurs caractères très différents ;
  • Les enjeux sociétaux et technologiques développés au fil de la série.

Les – :

  • Un triangle amoureux qui dure bien trop longtemps à mon goût ;
  • Une intrigue parfois un peu faible ;
  • Le premier tome (c’est le plus mauvais, ce qui est plutôt dommage) ;
  • Une héroïne un peu trop parfaite.

Résultat : une série distrayante, mais pas particulièrement excitante. Malgré un univers et une héroïne sympathiques, elle ne me laissera sans doute pas un souvenir marquant.

Le Pensionnat de Mlle Géraldine est apparemment très lié avec la série précédente de Gail Carriger, Le Protectorat de l’ombrelle, qui serait également plus adulte. D’une part, je ne suis pas vraiment poussée vers Le Protectorat du fait de mon avis mitigé sur Le Pensionnat, mais, d’autre part… je suis curieuse. Donc je garde l’idée sous le coude et on verra ce que l’avenir me réservera !

  • Tome 1 : Etiquette & Espionnage

Le pensionnat de Mlle Géraldine, T1 (couverture)Angleterre, début du XIXe siècle. Sophronia, 14 ans, est un défi permanent pour sa pauvre mère : elle préfère démonter les horloges et grimper aux arbres qu’apprendre les bonnes manières ! Mme Temminnick désespère que sa fille devienne jamais une parfaite lady, aussi inscrit-elle Sophronia au Pensionnat de Mlle Géraldine pour le perfectionnement des jeunes dames de qualité.
Mais Sophronia comprend très vite que cette école n’est peut-être pas exactement ce que sa mère avait en tête. Certes, les jeunes filles y apprennent l’art de la danse, celui de se vêtir et l’étiquette ; mais elles apprennent aussi à donner la mort, l’art de la diversion, et l’espionnage – le tout de la manière la plus civilisée possible, bien sûr.
Cette première année au pensionnat s’annonce tout simplement passionnante.

(Désolée, j’ai été flemmarde, je vous donne les résumés de l’éditeur.)

Que ce premier tome peine à démarrer ! On découvre l’école et l’univers, mais pourtant, pendant une bonne partie du roman, j’ai eu du mal à voir où l’autrice m’emmenait.
Nous sommes au milieu du XIXe dans un univers qui mélange steampunk (avec des machines volantes et des domestiques mécaniques) et surnaturel (avec des loups-garous et des vampires) pour un résultat hétéroclite qui donne envie d’être exploré.

Comme l’indique chaque titre de volume, le pensionnat de Mlle Géraldine dispense deux formations. D’une part, elle prépare les filles à être de parfaites ladys et, d’autre part, à être de parfaites espionnes. Si j’ai beaucoup apprécié tout ce qui relevait de l’espionnage (dissimulation, combat, poisons, etc.), j’ai parfois été agacée par la frivolité des élèves. (J’ai beau savoir que ce sont les mœurs, l’époque et la société qui veulent cela et que c’est le but du roman, ça m’a tout de même irritée.)
Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer à Harry Potter pour le côté « école » et je trouve le résultat moins satisfaisant. Dans Harry Potter, dès le premier tome, j’avais une idée précise des cours et des professeurs (un premier aperçu qui n’a évidemment fait que s’étoffer au fil de la saga). Le résultat est bien moins efficace dans ce premier tome où j’ai trouvé que les cours et les professeurs étaient simplement survolés, ce qui ne m’a pas permis de me faire une idée précise du contenu de la formation.

Avec, en outre, des personnages classiques et pas spécialement attachants (mais je compte sur les tomes suivants pour remédier à cela) et une écriture agréable mais sans charme particulier, on ne peut pas dire que ce premier tome ait réussi à me séduire. Il m’a fait l’impression d’un long préambule un peu vide que ce soit en terme d’action ou de personnages. Toutefois, j’ai bravement continué ma lecture pour laisser une chance à cette série.

« Comment ai-je fait pour ne pas remarquer qu’il suffisait de la complimenter pour qu’elle me trouve acceptable ? se demanda Sophronia, sans vraiment se rendre compte que cela était aussi une conséquence de sa nouvelle éducation. Nombreuses sont les dames qui ne font confiance au jugement des autres que si elles ont été jugées favorablement elles-mêmes. »

  • Tome 2 : Corsets & Complots

Le pensionnat de Mlle Géraldine, T2 (couverture)Certaines choses ne changent pas au pensionnat de Mlle Géraldine : Monique est toujours aussi pimbêche, les cours toujours aussi mortels et les vampires, les loups-garous et les humains brûlent de s’entretuer. Cette deuxième année s’annonce donc bien remplie pour Sophronia : alors que son école volante se dirige vers Londres pour un mystérieux voyage scolaire, elle doit réussir ses examens, remplir son carnet de bal, perfectionner son art de l’espionnage et découvrir qui se cache derrière un dangereux complot visant à contrôler le fameux prototype susceptible de révolutionner le transport aérien surnaturel. Et voilà que les professeurs du pensionnat commettent l’impensable : ils laissent monter à bord rien moins que des garçons !
Mais Sophronia est douée dans sa partie et ne se laissera pas distraire de sa mission dans ce deuxième volet piquant et délicieusement écrit du Pensionnat de Mlle Géraldine.

Dans ce second tome, Sophronia est plus à l’aise dans son nouvel environnement et on devine clairement qu’elle est destinée à devenir la meilleure élève du pensionnat (ce qui est une véritable surprise, reconnaissons-le). Moi aussi, j’ai été plus à l’aise avec cet opus légèrement plus dynamique que le précédent. L’intrigue, totalement dans le prolongement du premier tome, se déroule avec davantage de fluidité (mais peut-être me étais-je tout simplement habituée à l’écriture, à l’histoire, à l’univers, etc., car finalement l’histoire reste globalement semblable à celle du premier tome).

J’ai été ravie d’en apprendre un peu plus sur les vampires, leur mode de vie, leur société ou leurs capacités. Côté personnages, je reconnais commencer à m’attacher à certains d’entre eux et à être curieuse de leur destinée, mais, à part Sophronia, ils n’évoluent pas énormément, ce qui est regrettable (mais pas irrattrapable puisqu’il reste deux tomes).

Un second tome qui, sans être transcendant, s’est révélé meilleur que le premier et ne m’a pas fait regretter ma persévérance.

« Beaucoup de messieurs étaient incapables d’affronter les pipelettes, ce qui était la raison pour laquelle ils les épousaient souvent. »

  • Tome 3 : Jupons & Poisons

Le pensionnat de Mlle Géraldine, T3 (couverture)Toujours élégante, Sophronia continue sa deuxième année au pensionnat – avec un éventail à lames d’acier dissimulé dans les plis de sa robe de bal, bien évidemment. Une arme tendance et fort à propos, puisque la jeune espionne, sa meilleure amie Dimity, l’adorable soutier Savon et le charmant Lord Felix Mersey montent clandestinement dans un train en direction de l’Écosse pour ramener leur camarade de classe Sidheag à sa meute de loups-garous. Personne ne se doute de ce qu’ils vont trouver – ou qui – à bord de ce train étrangement vide. Alors que Sophronia met à jour un complot susceptible de plonger Londres tout entière dans le chaos, elle va aussi devoir décider une bonne fois pour toutes vers qui va sa loyauté.
Rassemblez vos poisons, affûtez vos plumes d’oie et rejoignez les jeunes et gracieuses machines à tuer du pensionnat de Mlle Géraldine dans ce troisième volume passionnant offert par l’auteur steampunk à succès Gail Carriger.

A la lecture de ce troisième tome, il devient clair que les quatre intrigues sont étroitement liées par le prototype convoité de tous dans le premier volume. Deux énigmes se mêlent dans ce tome : l’une liée aux loups-garous et l’autre au prototype. Comme j’avais aimé découvrir les vampires, j’ai apprécié la rencontre avec les loups-garous qui permet d’approfondir notre connaissance de ce monde atypique. Il n’y a plus de temps mort comme dans les deux premiers volumes grâce à l’escapade rocambolesque des cinq jeunes gens et ce troisième tome a, en plus, le bon goût d’amorcer quelques changements agréables au niveau des personnages. Et j’avoue que je commence à apprécier le sens de la répartie des jeunes filles et l’humour distillé ici et là par l’autrice.

En revanche, je dis NON au triangle amoureux Sophronia-Savon-Félix ! C’est d’un classique horripilant et j’espère que l’on passera à autre chose dans le dernier tome (comme la fin de celui-là le laisse entendre). Il est également terriblement lassant de lire encore et encore que Félix est « terriblement séduisant », que son air d’ennui blablabla, que ses yeux bleus blablabla… Aaargh ! Stop !

Malgré un côté un peu fleur-bleue qui conviendra peut-être davantage à des lectrices plus jeunes que moi, ce roman remonte la série dans mon estime. J’attends du quatrième et dernier tome qu’il continue sur cette lancée.

 « Sophronia, l’espace d’une pensée hystérique, se dit que Félix ressemblait peut-être au pudding aux figues. Il était riche et délicieux mais il valait mieux le consommer avec modération. »

  • Tome 4 : Artifices & Arbalètes

Le pensionnat de Mlle Géraldine, T4 (couverture)Apprendre l’art de l’espionnage au sein de l’école volante de Mlle Géraldine est devenu fastidieux pour Sophronia, privée de la présence de Savon à ses côtés. Elle préférerait utiliser ses talents pour contrarier les plans des Vinaigriers, mais ses maints avertissements au sujet des viles intentions de ces derniers sont encore et toujours ignorés. Sophronia ne sait plus à qui se er. Quelles informations détient le bourru dewan de Sa Majesté ? Dans quel camp se place l’élégant vampire lord Akeldama ?
Une seule chose est certaine : un complot d’envergure se trame, et Sophronia doit se préparer à sauver ses amis, son école et Londres tout entier du désastre à venir – sans jamais se départir de son spectaculaire raffinement, bien évidemment.
Découvrez le destin de notre jeune héroïne alors qu’elle met enfin en pratique ses années d’entraînement, dans ce quatrième et dernier volume du Pensionnat de Mlle Géraldine.

 Voilà la fin de cette série ! Je n’irai pas jusqu’à dire que j’en suis soulagée, mais je ne suis pas particulièrement triste de voir le point final arriver.
Pourtant, ce dernier tome s’est révélé vif et agréable à lire. Le défi auquel Sophronia est confronté est plus dangereux et complexe que ceux des tomes précédents (on pourra regretter la facilité avec laquelle l’héroïne se défie des obstacles, mais, arrivée au quatrième tome, je n’en suis plus surprise). Si Savon, peu présent, m’a manqué, la maturité des filles (Sophronia la première), la réapparition de certains protagonistes des tomes précédents (comme Pétunia ou Lord Akeldama) ainsi que quelques révélations sur d’autres personnages m’ont vraiment fait plaisir.

Je laisse ce dernier tome sur un sentiment positif. Cette série vaut ce qu’elle vaut, elle n’est pas exempte de défauts (loin de là), mais la lecture est légère et distrayante, ce qui ne fait pas de mal de temps à autre.

« « Une jeune fille, qui portait un poulet en osier et jouait de la harpe, m’a assommé avec un livre sur les beignets puis m’a fourré sous un piano. » Ça ressemblait à un rêve bizarre. »

Le Pensionnat de Mlle Géraldine, tome 1 : Etiquette & Espionnage (VO : Finishing School – Etiquette & Espionage), Gail Carriger. Orbit, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Denis. 353 pages.

Le Pensionnat de Mlle Géraldine, tome 2 : Corsets & Complots (VO : Finishing School – Curtsies & Conspiracies), Gail Carriger. Orbit, 2014 (2013 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Denis. 354 pages.

Le Pensionnat de Mlle Géraldine, tome 3 : Jupons & Poisons (VO : Finishing School – Waistcoats & Weaponry), Gail Carriger. Orbit, 2015 (2014 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Denis. 359 pages.

Le Pensionnat de Mlle Géraldine, tome 4 : Artifices & Arbalètes (VO : Finishing School – Manners & Mutiny), Gail Carriger. Orbit, 2016 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Denis. 374 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – L’Ecole du Prieuré :
lire un livre se déroulant dans un pensionnat

L’étrange vie de Nobody Owens, de Neil Gaiman, illustré par Dave McKean (2008)

L'étrange vie de Nobody Owens (couverture)Nobody Owens a grandi dans un cimetière. Une vie parfaitement banale donc entre un couple de fantômes, une sorcière ayant été brûlée vive quelques siècles auparavant et un étrange tuteur ni mort ni vivant nommé Silas. Mais quelqu’un est après lui depuis des années : le Jack. Un tueur infatigable qui a assassiné sa famille lorsqu’il était bébé.

Non non, je n’aime pas du tout Neil Gaiman et je ne suis pas du tout en train d’avaler peu à peu toute sa bibliographie depuis un an. En réalité, j’avais déjà lu celui-ci à sa sortie, mais je n’en avais guère de souvenirs. Cette relecture donc fut un plaisir, mais pas un coup de cœur.

En effet, je trouve que le Jack, malgré son potentiel, n’a pas la carrure des autres méchants de Gaiman, des autres méchantes surtout comme la fausse mère dans Coraline ou Ursula Monkton dans L’Océan au bout du chemin. Il faut dire qu’on le voit (et même qu’on l’évoque) finalement assez peu, excepté au début et à la fin du roman. Nobody ne prend connaissance de son existence que tardivement. Ses parents et Silas lui répètent souvent qu’il n’est pas en sécurité en dehors du cimetière car ils ne peuvent le protéger en dehors de ses frontières, mais c’est un avertissement flou pour le jeune garçon qui ignore tout du Jack et de ses sombres desseins.
Avec ses nombreuses ellipses, ce livre est surtout la succession des (més)aventures jalonnant l’enfance  de Nobody : la Vouivre, Scarlett, la Porte des goules, etc. Cette progression en saut de puces au fil des années m’a empêchée de réellement m’attacher à Nobody.

En revanche, j’ai aimé le cadre et l’ambiance gothique du roman. J’irai bien me promener dans ce vieux cimetière avec ses vieilles tombes parfois recouvertes de mousse, ses caveaux poussiéreux, ses statues abîmées et le tumulus de l’Homme Indigo.
Quant aux personnages, si j’ai apprécié le voyage dans l’Histoire grâce aux fantômes, morts à diverses époques, ma préférence va à Silas, être sombre et secret que l’on sent intérieurement torturé.

Un roman à la fois d’apprentissage et d’aventures qui, en dépit de quelques défauts, s’est révélé bien sympathique et où l’on retrouve la poésie, la tendresse, l’humour et l’ambiance sombre et mélancolique des romans de Neil Gaiman.   

« C’est comme les gens qui s’imaginent qu’ils seront plus heureux en allant vivre ailleurs, mais qui apprennent que ça ne marche pas comme ça. Où qu’on aille, on s’emmène avec soi. »

« Dans tout cimetière, une tombe appartient aux goules. Arpentez n’importe quel cimetière le temps qu’il faudra et vous la trouverez : souillée et gonflée d’humidité, la pierre fendue ou brisée, cernée d’herbes en bataille ou de plantes fétides.Elle sera peut-être plus froide que les autres sépultures, aussi, et le nom sur la stèle sera dans la plupart des cas illisible. S’il y a une statue sur la tombe, elle sera décapitée, ou couverte de champignons et de lichens au point de ressembler elle-même à une moisissure. Si une seule tombe, dans un cimetière, semble avoir été vandalisée par des minables, c’est la porte des goules. Si cette tombe vous donne envie d’être ailleurs, c’est la porte des goules.
Il y en avait une dans le cimetière de Bod.
Il y en a une dans tout cimetière. »

L’étrange vie de Nobody Owens, Neil Gaiman et Dave McKean (illustrations). Albin Michel, coll. Wiz, 2009 (2008 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Le Plouhinec. 310 pages.

Neverwhere, de Neil Gaiman (2010)

Neverwhere (couverture)Reçu à Noël, Neverwhere est le premier livre de Neil Gaiman que je lis : il était temps que je comble cette lacune !

La vie jusqu’alors banale de Richard Mayhew bascule le jour où il rencontre Porte, une jeune fille grièvement blessée. Il lui sauve la vie, ce qui fait complètement basculer la sienne. Il devient alors invisible aux yeux de ses collègues de bureau, des chauffeurs de taxis et même de sa fiancée ! Il découvre alors qu’il appartient à présent à une autre Londres, située sous les rues qu’il arpentait auparavant : la Londres d’En Bas. Il décide de s’y enfoncer pour retrouver Porte et récupérer son ancienne vie. Mais la Londres d’En Bas est un monde dangereux.

La Londres d’En Bas est un univers magique et complètement fou. On y troque des ordures, des objets du quotidien, des services et même des cadavres. Une Bête guette, tapie dans un labyrinthe. Telles des vampires, de belles jeunes femmes aspirent la vie en embrassant ceux qui se laissent séduire. Certains parlent aux rats, d’autres ouvrent tout ce qui est fermé. Les objets ont des pouvoirs magiques. Voilà le monde de tous les possibles dans lequel est projeté le pauvre Richard, lui qui était accoutumé à une vie sans souci et bien ordonnée.
Je suis allée à Londres à l’automne dernier pour la première et j’en suis bien contente : cela m’a permis de situer les lieux évoqués dans le livre (Camden, la City, le HMS Belfast amarré non loin du Tower Bridge, etc.) et de visualiser le métro londonien. J’ai beaucoup aimé l’idée de prendre au pied de la lettre le nom des stations de métro : il y a vraiment une cour du Comte à Earl’s Court, des Moines Noirs à Blackfriars et des bergers (peu fréquentables apparemment) à Shepherd’s Bush, Knightsbridge devient l’inquiétant Night’s Bridge, le pont de la Nuit, Serpentine est présentée comme l’une des Sept Sœurs (Seven Sisters), etc.

Mais ce qui fait, avant tout, toute la saveur de cet univers, c’est sa population. Hauts en couleurs, cruels, magiques, uniques, les habitants de la Londres d’En Bas sont véritablement atypiques. Porte est forte et décidée, totalement adaptée pour survivre au monde de Neverwhere, tout comme sa garde du corps, Chasseur. Ma préférence va toutefois au marquis de Carabas, ce magouilleur rusé obsédé par les faveurs qu’il rend et surtout celles qu’on lui doit, ainsi qu’aux sadiques MM. Croup et Vandemar, duo d’éventreurs si totalement différents qu’ils en deviennent parfaitement complémentaires. Je m’arrête là, mais je n’oublie pas la ribambelle de personnages secondaires que l’on aimerait parfois mieux connaître comme Old Bailey, les Parle-aux-Rats, Serpentine (j’aurais aimé en apprendre plus sur la relation entre Chasseur et les Sept Sœurs)…
Mais en même temps, le peuple d’En Bas – ces invisibles pour ceux de la Londres d’En Haut, ceux qui sont tombés dans des failles – nous interroge sur notre regard sur les mendiants de nos villes, ceux qui deviennent parfois invisibles, ceux que l’on ignore.
Et bien sûr, au milieu d’eux, Richard que j’ai très vite pris en sympathie. Certes, il est peureux et parfois un peu trop pleurnichard, mais il est bon, pas calculateur pour un sou et, quand même… son désarroi est compréhensible.

Neverwhere, c’est aussi un univers très visuel (peut-être parce qu’il s’agit en premier lieu d’une série télévisée). On imagine très bien les rues étroites, les marchés encombrés et bruyants. Les couleurs de ce livre sont le noir de la crasse et le rouge du sang. Ses odeurs, celle des égouts et de la mort.
Ensuite, malgré la cruauté dont les habitants de cette ville étranges font parfois preuve et les épreuves affrontées par Richard, Porte et les autres, c’est également un récit très drôle. Entre les remarques désabusées d’un Richard perdu qui s’accroche désespérément à sa réalité, le cynisme du marquis, le verbiage continuel de M. Croup qui tranche avec l’économie de mots dont fait preuve M. Vandemar, l’humour est omniprésent.

J’ai regretté d’arriver à la fin de ce roman d’urban fantasy tant j’ai adoré arpenter la Londres d’En Bas en compagnie de personnages si hauts en couleurs. J’ai vraiment hâte de découvrir d’autres histoires de ce formidable conteur que semble être Neil Gaiman.

«  C’était un vendredi après-midi. Richard avait constaté que les événements sont pleutres : ils n’arrivaient pas isolément mais chassaient en meute et se jetaient sur lui tout d’un coup. »

«  Richard écrivait son journal dans sa tête.
Cher journal, commença-t-il. Vendredi, j’avais un emploi, une fiancée, un domicile et une existence sensée. (Enfin, dans la mesure où une vie peut avoir un sens.) Et puis, j’ai rencontré une jeune fille blessée qui se vidait de son sang sur le trottoir et j’ai joué au bon Samaritain. Désormais, je n’ai plus de fiancée, plus de domicile, plus d’emploi, et je me promène à quelques dizaines de mètres sous les rues de Londres avec une espérance de vie comparable à celle d’un éphémère animé de pulsions suicidaires. »

« Elle buvait ta vie, répondit le marquis de Carabas dans un chuchotement rauque. Elle te prenait ta chaleur. Elle te changeait en une créature froide, comme elle. »

Neil Gaiman sur le fait d’adapter la série en roman :

« Le roman a vu le jour, comme cela arrive parfois, sous la forme d’une série télé qu’on m’a demandé d’écrire pour la BBC. Et si la série qui a été diffusée n’était pas forcément mauvaise, je butais sans cesse contre le fait tout simple que ce que l’on voyait à l’écran ne correspondait pas à ce que j’avais dans la tête. Un roman paraissait la solution la plus commode pour transférer ce que j’avais dans ma tête à l’intérieur de celle des gens. Les livres sont plutôt bien, pour ça. »

Neverwhere, Neil Gaiman. Au diable vauvert, 2010 (1996 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais par Patrick Marcel. 494 pages.