Sandman, volume 2 (intégrale) de Neil Gaiman (1989-1996)

Sandman 2 (couverture)A la fin de la première intégrale, véritable découverte et coup de cœur, Morphée s’était à nouveau imposé comme le véritable Maître des Rêves après sa longue captivité et, ayant retrouvé tous ses attributs, avait remis de l’ordre parmi ses turbulents sujets. Cette seconde intégrale comprend les recueils « Le Pays du rêve » et « La Saison des brumes ».

« Le Pays du rêve » présente quatre histoires indépendantes qui nous permettent de découvrir d’autres facettes de Sandman, de son royaume, de son passé et de ses pouvoirs. J’ai un faible pour « Un rêve de mille chats », dans lequel une chatte explique à une assemblée de chats que si mille d’entre eux rêvaient simultanément d’un monde meilleur, ils deviendraient maîtres de leur vie, maîtres sur les humains. On apprend ainsi que l’influence du Maître des rêves s’étend à tout ce qui rêve.
Mais il y a aussi l’horrible histoire de la muse Calliope, séquestrée et violée parce qu’un écrivain a « besoin d’idées », qui nous apprend qu’elle est la mère du fils de Sandman, un fils qui n’était autre que le poète Orphée. Il y a « Le Songe d’une nuit d’été » qui nous ramène auprès de Shakespeare. Honorant la moitié de son marché avec Sandman, il joue sa célèbre pièce devant le peuple de Féérie, devant les véritables Obéron et Titania… quitte à ignorer son propre fils. Il y a aussi l’Elémentale, recluse dans son appartement, si puissante qu’elle ne peut se tuer malgré sa volonté de mourir.
Un fil conducteur de ses histoires pourrait être les désirs de chacun. Or, la concrétisation de ces souhaits ne se révèle jamais véritablement heureuse et montre également la cruauté humaine.

« La Saison des brumes », quant à elle, est une longue histoire cohérente comprenant six chapitres, un épilogue et un prologue. Morphée se rend aux Enfers pour libérer Nada, une mortelle qu’il a aimée autrefois et qu’il a punie à des milliers d’années de torture pour avoir blessé son orgueil. Sur place, il découvre Lucifer abandonnant son poste et chassant morts et démons avant de fermer les Enfers. L’ange déchu lui remet la clé des lieux, ce qui attire rapidement chez le Seigneur du Royaume des Cauchemars une foule de divinités (égyptiennes, nordiques, nippones…), démons ou autres fées convoitant le monde des morts.

Ce qui m’a plu dans cette histoire :

  • La découverte de nouveaux personnages: les divinités, les démons, mais aussi les autres Infinis qui se réunissent au cours d’une houleuse réunion de famille dans le prologue (les rencontrer était l’un de mes désirs suite à ma lecture de l’intégrale 1 ; à présent, je voudrais en savoir toujours plus sur eux, notamment la Mort et le Délire) ;
  • Les intrigues (dignes d’une cour royale), les négociations, les menaces en vue d’obtenir la clé des Enfers ainsi que les différents invités, tantôt truculents, malicieux, étranges, agaçants… ;
  • Le chapitre sur un pensionnat anglais envahi par ses anciens élèves et professeurs décédés et chassés des Enfers;
  • Et surtout, la façon dont Gaiman joue avec nos attentes pour mieux nous surprendre. Cela fonctionne vraiment et c’est très agréable d’être ainsi menée en bateau.

J’apporterais toutefois une nuance sur la fin de « La Saison des brumes » que je trouve un peu facile – quoiqu’inattendue – car Sandman est « sauvé » par le Créateur et ainsi dispensé de faire un choix. Cependant, à la lumière de l’interview avec Gaiman en fin de volume, je comprends et respecte ce choix.

Bien qu’un peu longues, les annexes sont véritablement enrichissantes et je trouverais dommage de passer à côté car elles mettent en lumière la richesse de l’œuvre de Gaiman. Les références à l’histoire, la littérature, la musique ou autres domaines de l’art, sont multiples et il est passionnant de parcourir à nouveau le volume à la découverte de ces pépites manquées ou inconnues.
Les annexes contiennent également deux scripts (pour « Le Songe d’une nuit d’été » et un chapitre de « La Saison des brumes ») ainsi que les crayonnés correspondants. N’ayant pas de connaissances particulières sur le monde de la bande-dessinée, j’ai trouvé plaisant de découvrir comment s’agençaient les rôles du scénariste et du dessinateur (du moins, comment eux procédaient car je suppose que tous les artistes ne travaillent pas de la même manière).

Sandman… Quel extraordinaire et envoûtant univers, sorti d’une imagination foisonnante, rempli de mille et un détails, de mille et une idées ! Histoires courtes ou longues, Neil Gaiman excelle dans les deux exercices et toutes sont toujours aussi prenantes, oniriques, folles, et, parfois, dérangeantes. Les illustrations, si elles divergent un peu de celles qui m’avaient séduite dans l’intégrale 1, sont encore une fois parfaitement adaptées aux mots de Gaiman. Ce volume est un peu plus court que le premier et j’ai été vraiment triste d’arriver si vite à la fin.

Je ne suis pas sûre d’écrire une critique pour chacun des tomes suivants, mais je suis tellement ravie de ma découverte et de cette seconde intégrale qui tient toutes les promesses de la première que je n’ai pas pu m’en empêcher. Découvrez Sandman !

 Sandman, volume 2 (intégrale), Neil Gaiman. Urban Comics, coll. Vertigo Essentiels, 2013 (1989-1996 pour les éditions originales). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Marcel. 462 pages.

Sandman, volume 1 (intégrale) de Neil Gaiman (1989-1996)

Sandman(couverture)Si vous me suivez régulièrement, vous savez tout le bien que je pense des romans de Neil Gaiman – au cas où : je les adore –, il fallait donc que je teste ses talents dans un autre genre, les comics. Je précise que je suis totalement inculte en matière de comics pour deux raisons (et sans doute pétrie de présupposés, je l’avoue) : la principale étant que je n’accroche pas aux dessins que je trouve (de ce que j’en ai vu) globalement lisses avec cette colorisation très unie et la seconde étant qu’il y en a trop, tout simplement, et que je n’ai pas particulièrement envie de me jeter dans cet univers sans fin. Ce sera donc une critique de néophyte. Venons-en à ce Sandman que je craignais de ne pas aimer (spoiler : J’AI AIMÉ !)

Sandman, Morpheus, Kai’ckul, quel que soit son nom, est un Infini, Seigneur du Songe et Maître des Rêves. En 1916, il est capturé par des petits magiciens qui visaient sa sœur, la Mort pour l’empêcher de nuire. Pendant soixante-dix ans, il est retenu captif jusqu’à ce que ses geôliers commettent une erreur, lui permettant de s’évader. A travers les rêves et les cauchemars des hommes, il retourne mettre de l’ordre dans son royaume, laissé à l’abandon depuis sa disparition.
Cette première intégrale comprend les recueils « Préludes & Nocturnes » (9 histoires) et « La Maison de poupées » (7 histoires).

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Sandman est à la frontière du fantastique et de l’horrifique (avec une pointe de super-héros) et on retrouve bien la touche Gaiman dans des scènes particulièrement angoissantes, glauques et morbides (voir l’histoire « 24 heures » avec Docteur Destin, alias John Dee, un fou échappé d’Arkham qui joue avec l’esprit, les pulsions et les folies des habitués d’un café ou « Collectionneurs » qui nous plonge dans une convention de tueurs en série).
Au milieu de l’action et de la vengeance, de l’horreur et du sang, « Le bruit de ses ailes » (chapitre n°8) est une histoire d’ambiance, calme et douce dans laquelle Sandman suit sa sœur, la Mort, une attachante jeune femme, à la rencontre des récemment décédés.
Toutes les histoires ne se valent pas et certaines sont plus prenantes que d’autres. On sent parfois des différences de ton, d’ambiance comme si Neil Gaiman cherchait sa voix dans les premiers chapitres. La première histoire a été particulièrement difficile à suivre pour moi car elle présente beaucoup d’éléments et paraît un peu brouillonne, mais une fois passée, on sait où on va, qui est qui, et la lecture devient fluide (j’y suis même revenue un peu plus tard et elle m’a semblée beaucoup plus claire !). Gaiman enchâsse les récits, introduit de nouveaux personnages – toujours plus originaux – et ne perd jamais son lecteur. Et confirme une nouvelle fois son talent de conteur.

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Je craignais le graphisme, mais mes inquiétudes se sont révélées infondées. Les dessinateurs de Sandman proposent ici une œuvre plus sombre et plus riche que l’idée que je me faisais du dessin de comics. De plus, je trouve assez agréable l’homogénéité du style en dépit des changements de dessinateurs. J’ai particulièrement eu un coup de cœur pour les couvertures de chaque chapitre qui présente des personnages à travers des portraits oniriques et torturés.

Et je dois dire qu’il m’intrigue, ce Sandman. On le découvre peu à peu. Son caractère, attachant même s’il ne fait rien pour – il est consciencieux au possible, il ne se déride jamais (si, il rit une fois dans ce volume), il est austère (personnellement, il m’a beaucoup rappelé Thorn, pour les lecteurs et lectrices de La Passe-Miroir…). Son passé – « Contes dans le sable » raconte ses amours malheureuses avec une reine africaine tandis que « Hommes de bonne-encontre » se focalise sur son amitié et sa rencontre centennale avec un homme auquel il a accordé l’immortalité. Sa famille, les autres Infinis – la Mort, le Désir, et j’espère découvrir ses autres frères et sœurs dans les prochains tomes.

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Interviews avec Neil Gaiman, sur son projet, ses idées, chapitre par chapitre… Les suppléments sont très intéressants et m’ont apporté de nombreux éclairages, notamment par rapport aux références à d’autres comics ou bien à des personnages connus des fans qui sont passés dans ce volume pour faire un coucou (comme John Constantine). Des détails qui me sont évidemment passés sous le nez et qui doit rendre la lecture encore plus riche pour un connaisseur. Cette ultime partie apporte ainsi des informations bienvenues pour saisir pleinement la complexité de Sandman.

Une œuvre dense et mature, sombre et captivante, un univers qui s’annonce vaste, à la frontière mouvante entre le rêve et la réalité. Neil Gaiman a encore frappé, je n’ai qu’une envie : découvrir la suite des aventures de ce personnage atypique.

« Si mon rêve était vrai, alors, tout ce que nous savons, tout ce que nous croyons savoir est faux. Ça signifie que le monde est à peu près aussi solide et fiable qu’une couche d’écume à la surface d’un puits d’eau noire qui plonge sans fin, et il y a dans ses profondeurs des choses auxquelles je ne veux même pas penser. Ça signifie que nous sommes des poupées. Nous n’avons aucune idée de ce qu’il se passe réellement, nous nous imaginons que nous contrôlons notre vie, alors qu’à une feuille de papier de là, des choses qui nous rendraient fous si nous y réfléchissions trop jouent avec nous, nous déplacent d’une pièce à l’autre, et nous rangent le soir quand elles sont fatiguées, ou qu’elles s’ennuient. »

Sandman, volume 1 (intégrale), Neil Gaiman. Urban Comics, coll. Vertigo Essentiels, 2012 (1989-1996 pour les éditions originales). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Marcel. 496 pages.