Mommy, de Xavier Dolan, avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval et Suzanne Clément (Canada, 2014)

Mommy (affiche)Évidemment, j’arrive après la bataille, j’ai pourtant vu Mommy, cinquième film de Xavier Dolan et deuxième film de l’année 2014, en avant-première. Bref, sans importance. Ce qui importe n’est pas quand, où j’ai découvert le film, mais bien ce bijou que j’ai déjà vu deux fois (la seconde fois, des détails sautent aux yeux, on attend des passages qui nous giflent à nouveau…)

Mommy (Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon)Steve est un adolescent souffrant d’un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (T.D.A.H.) et de l’attachement, agressif et violent en période de crise, ultra-possessif (et ainsi prêt à tuer sa mère pour qu’elle ne l’abandonne pas) et potentiellement dangereux. Renvoyé de l’institution où il avait été placé, sa mère, Die, se voit dans l’obligation de le reprendre avec elle. Une troisième personne va intervenir dans leur face-à-face explosif, Kyla, la voisine bègue.

Les acteurs sont tous incroyables et le trio fonctionne à merveille.

Mommy (Antoine-Olivier Pilon)Antoine-Olivier Pilon – que j’ai découvert dans le clip d’Indochine, College Boy, réalisé par Xavier Dolan, car sa brève apparition dans Laurence Anyways ne suffisait pas à parler d’une quelconque découverte – semble être un jeune homme parfaitement équilibré dans la vie et pourtant, il incarne un Steve avec une justesse déroutante. Tantôt insupportable gueule d’ange, tantôt insultant et violent, il a tout compris à ce personnage psychologiquement malade et très sensible. Encore une fois, comme avec Pierre-Yves Cardinal pour Francis (Tom à la ferme) ou Melvil Poupaud pour Laurence (Laurence Anyways), Xavier Dolan a su trouver l’acteur parfait pour le rôle.

Mommy (Anne Doval alias Die)Anne Dorval reprend le rôle de la mère. Un peu vulgaire, un peu adolescente attardée (les costumes en disent beaucoup) et souvent dépassée, mais combative et aimante, Diana « Die » Desprès est un nouvel aspect de cette figure qui traverse l’œuvre de Dolan. Ce n’est plus la Chantal Lemming de J’ai tué ma mère, kitsch, encore plus vulgaire et surtout manipulatrice et culpabilisante. Die est vraiment attachante malgré ses défauts et Anne Dorval est une nouvelle fois totalement géniale. Elle ne baisse jamais les bras, elle affronte l’adversité. La mort de son mari, son fils difficile, les problèmes d’argent, le chômage, elle affronte tout, juchée sur ses chaussures plateformes, le menton relevé. J’ai beaucoup d’admiration pour ce personnage et pour l’actrice.

 Mommy (Suzanne Clément alias Kyla)Après avoir interprété la flamboyante Fred de Laurence Anyways, Suzanne Clément avait le personnage le moins défini du trio. Kyla est habillée sans originalité, Kyla est silencieuse, Kyla ne révèle rien de sa vie. Et pourtant, grâce à Suzanne Clément, Kyla prend de l’épaisseur et de l’importance. Ses sourires timides, ses regards vers cet excentrique duo, ses bégaiements, ses changements dans la manière de se coiffer, son secret que l’on devine peu à peu bien qu’elle détourne sans cesse la conversation d’elle-même… autant d’éléments qui en font un personnage touchant et essentiel. Elle apporte un peu de calme au milieu des cris de Steve et Die (elle est même parfois frustrante par sa lenteur d’expression) et surtout, elle leur apporte un équilibre et une sérénité qui leur étaient impossible en tête-à-tête.

Mommy, malgré sa fin et son sujet, est un film lumineux. Poignant, dur parfois, mais également drôle. Le trio ne se laisse jamais abattre en dépit des épreuves et espère toujours. Ils ne se pleurent pas dessus, ce n’est pas « La vie est trop injuste… ».

Mommy (Anne Dorval et Suzanne Clément)Le format carré nous amène au plus proche des personnages, de leur souffle, de leur peau, de leurs yeux. Un geste ou un regard en dit parfois plus long que les mots. Sur une musique du « trésor national », la scène de la première soirée que Steve, Die et Kyla passent ensemble l’illustre bien : les mots ne veulent rien dire, tout passe dans les regards. Toutes les attentes, tous les espoirs des personnages… Cette scène est tout simplement incroyable, une des plus fortes du scénario.

Et cet incroyable moment sur la chanson Wonderwall d’Oasis justifiait à lui seul le format 1:1. Je ne veux pas trop en dire, mais Dolan introduit à cet instant une respiration qui libère aussi bien le personnage et le spectateur. Et c’est un véritable coup de génie.

Esthétiquement parlant, Mommy est vraiment un beau film, autant que Tom à la ferme était – volontairement – laid. Les lumières et les couleurs sont chaudes, la musique est magique comme toujours. Il y a vraiment une dynamique qui est également marquée par les dialogues aussi savoureux que d’habitude. Les mots, le rythme, la poésie au bon moment, l’écriture est magnifique.

 Mommy (Antoine-Olivier Pilon alias Steve)

Mommy, comment dire… c’est une véritable perle. Un film qui dit : la vie est dure, soit, alors battons-nous pour la rendre la plus belle possible. On passe du rire à la gorge nouée, Xavier Dolan sait trouver le bon dosage.

« Ça arrive pas dans la vie d’une mère qu’elle aime moins son fils. La seule chose qui va arriver, c’est que je vais t’aimer de plus en plus fort, et c’est toi qui vas m’aimer de moins en moins. »

 Mommy (Die, Steve et Kyla)

Les autres films de Xavier Dolan :

Laurence Anyways, de Xavier Dolan, avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri… (Canada, France, 2012)

Laurence Anyways 1Après J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, Xavier Dolan revient avec une nouvelle pépite qui confirme son grand, grand talent.

En 1989, Laurence Alia (« alias » en latin signifie « autre, différent ») annonce à sa petite amie, Fred Belair, qu’il veut devenir une femme, qu’il va rendre sa vie à celle qu’il est né pour être. Le film suit pendant dix ans, jusqu’à l’aube du nouveau millénaire, le parcours de ces deux personnages et leurs efforts pour préserver leur amour malgré les épreuves qu’ils traversent.

Ce n’est pas qu’un film sur la transidentité et la transition de genre. Evidemment, nous voyons Laurence changer physiquement, on sait qu’il prend des hormones, mais il n’y a pas vraiment de détails précis. C’est plus un prétexte, un contexte. Pour moi, c’est un film sur un amour impossible, thème que je vois dans les trois films de Dolan (entre la mère et le fils dans J’ai tué ma mère, avec ce couple à trois dans Les amours imaginaires). On les voit heureux au début du film avant que Laurence exprime sa volonté de changer de sexe, décider de faire ça ensemble, se séparer, se retrouver, se revoir, plus loin l’un de l’autre à chaque rencontre, plus différents malgré leur amour qui ne disparaît jamais. Monia Chokri disait que c’était un film sur les décisions que l’on prend dans sa vie, à l’âge adulte, pour être heureux, décisions qui viennent parfois interférer avec la relation amoureuse.

Laurence Anyways 5

Il traite aussi de la marginalité et de la différence qui ne sont pas toujours facilement acceptées. Laurence se fera tabasser, ils devront endurer les regards et les remarques des gens et dépasser les préjugés.

Xavier Dolan – qui est sur tous les fronts, de la réalisation au scénario, des costumes au montage – est considéré comme un jeune prodige. C’est carrément vrai. Ça devrait être interdit d’être si doué ! On le dit prétentieux, je ne sais pas, ça ne m’intéresse pas. Je pense qu’il est très cultivé, très intelligent (j’aimerais avoir un quart de ses capacités). Il a foi en ce qu’il fait et il veut être respecté, ce à quoi il a mille fois droit. A 23 ans, réaliser un film aussi puissant, aussi fort que Laurence Anyways, c’est vraiment la preuve d’un immense talent.

L’histoire, les acteurs, les couleurs, la musique, tout est à couper le souffle. Comme les deux précédents, Laurence Anyways jouit d’une bande-son entraînante et surtout qui colle incroyablement bien avec les émotions, la situation dans laquelle sont placés les personnages. The Cure, Brahms, Tchaikovsky, Duran Duran, Beethoven…

C’est de la poésie. C’est véritablement de l’art. La beauté des plans, des couleurs, la beauté des corps (Fred au Cinébal est montrée presque comme une œuvre d’art).

Il y a des moments terriblement intenses. Quand Laurence hurle à Fred qu’il va mourir (qu’il va mourir en tant qu’homme, qu’il ne vit pas pour de vrai). Quand Laurence arrive maquillé en jupe et talons hauts devant sa classe médusée. Quand Fred sombre. Je ne veux pas tout révéler, je m’arrête donc ici.

 Laurence Anyways 3

Je ne connaissais pas Melvil Poupaud (uniquement de nom) et il m’a complètement bluffé dans ce rôle. Il est totalement crédible. Il est touchant, par ses sourires et clins d’œil comme par ses larmes, par sa détermination comme par son rapport au regard des autres, par sa volonté comme par ses faiblesses. Il est jeune alors qu’il a environ 35 ans au début du film, Xavier Dolan insuffle de sa jeunesse à ses personnages.

Suzanne Clément donne corps à une Fred pleine de feu et de vie, une espèce de tornade fantasque qui finit malheureusement par s’assagir. Même si Fred me déçoit un peu par le fait qu’elle retourne à une vie « normale », on la comprend, on comprend ce qu’elle endure, on comprend qu’elle pète les plombs (comme dans cette scène au resto où elle insulte la serveuse) et on admire la détermination qu’elle met à comprendre et à rester avec Laurence, pour préserver leur amour.

Nathalie Baye est parfaite dans le rôle de la mère qui surmonte rapidement sa contrariété par amour pour son fils (« – Alors tu m’aimeras toujours ? Mais tu te transformes femme ou tu te transformes en con ? »). C’est vers elle que se tourne Laurence dans un mouvement presque enfantin, mais émouvant. Leur relation inexistante au départ – elle dira même « Je n’ai jamais eu l’impression que tu étais mon fils » – se construit peu à peu avec le changement de Laurence – « Par contre, j’ai l’impression que tu es ma fille. »

Monia Chokri – Stef, la sœur de Fred – a laissé derrière elle le look « vintage » qu’elle arborait dans Les amours imaginaires, mais pas son ironie cinglante. Ses remarques lorsqu’elle accompagne sa sœur dans le magasin de perruques sont hilarantes. Elle est géniale. Elle ne sera apparemment pas dans le prochain film de Xavier Dolan, Tom à la ferme (elle n’est pas notée parmi le casting). Dommage.

Laurence Anyways 4Il a créé une vraie petite famille : on retrouve en outre Magalie Lépine-Blondeau (Charlotte et qui jouait dans Les amours imaginaires), Manuel Tadros (le père de Dolan qui jouait également un concierge dans J’ai tué ma mère), Anne Dorval (qui apparaît juste deux secondes et qui était dans les deux autres), Patricia Tulasne (la mère d’Antonin dans J’ai tué ma mère), Monique Spaziani (J’ai tué ma mère), etc.

On regrette un peu Xavier Dolan l’acteur puisque c’est le premier film qu’il réalise et dans lequel il ne joue pas. Mais ! Petit caméo : on a le plaisir de l’apercevoir deux secondes parmi une foule d’invités. Je ne crois pas non plus me tromper en disant que l’on entend sa voix à la fin disant « C’est bon pour moi ».

Bref. C’est un film vertigineux, ambitieux et réussi qui passe trop vite. Laurence nous manque, on ne veut pas le quitter, on ne veut quitter aucun film de Xavier Dolan.

Ces films me hantent, me restent en tête pendant des heures, des jours et me coupent l’envie d’en voir d’autres.

Tom à la ferme, adapté d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, sortira prochainement et ce sera certainement un nouveau bijou. Où l’on retrouvera Xavier Dolan également en tant qu’acteur.

La première phrase :

« Je voudrais que l’on se penche un peu, non pas sur les droits et l’utilité des marginaux, mais sur les droits et l’utilité de ceux qui se targuent d’être normaux. »

Laurence Anyways 2

Les autres films de Xavier Dolan :

J’ai tué ma mère, de Xavier Dolan, avec Xavier Dolan, Anne Dorval, François Arnaud, Suzanne Clément… (Canada, 2009)

J'ai tué ma mère 1J’ai tué ma mère est le film qui a révélé le jeune réalisateur québécois Xavier Dolan. Celui-ci écrit le scénario à 16 ans et réalise le film à 20 ans, en le produisant faute de financements et en interprétant le rôle principal.

J'ai tué ma mère 4

Hubert Minel (Xavier Dolan), 17 ans, ne  supporte pas sa mère, Chantale Lemming (Anne Dorval). Sa décoration horriblement kitsch, ses vêtements, ses manières, sa manipulation et sa culpabilisation, tout l’horripile. Il tente pourtant de retrouver un temps où ils s’entendaient bien tous les deux, mais toutes ses tentatives conduisent à l’échec et creuse le gouffre entre eux. Il est épaulé par Antonin Rimbaud (François Arnaud), son amant, et Julie (Suzanne Clément), sa professeur de français. On le suit dans ses expériences (amicales, sexuelles, artistiques, etc.).


J'ai tué ma mère 5Cette histoire, en partie autobiographique donc, est vraiment centrée sur cette relation amour-haine entre la mère et le fils. Le père est absent presque tout au long du film, sauf pour prendre la décision d’envoyer son fils au pensionnat, expérience très mal vécue par Hubert.A la question « Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire « J’ai tué ma mère » ? », Xavier Dolan répondait : « C’est venu du ressentiment que j’éprouvais envers ma mère quand je vivais avec elle ; lorsque j’avais 15, 16 ans. C’est une sorte de récit librement inspiré de ce que j’ai vécu. (…) je pense que c’était pour faire la paix, pour me libérer, c’était une catharsis. » (source : evene).

Je dis amour-haine car, bien que Hubert ne supporte pas sa mère – et on s’interroge également sur son amour à elle face à sa mauvaise foi et certaines de ses actions –, certaines scènes montrent qu’il y a tout de même de l’amour entre eux, peut-être uniquement vagues réminiscences de l’amour de l’enfance. Je pense entre autres à celle où le personnage de Xavier Dolan vient se confier à sa mère et celle où Chantale se dresse contre le principal du pensionnat qui l’accuse d’avoir mal éduqué son fils. De plus, la fin du film laisse un espoir de réconciliation entre les deux.

J'ai tué ma mère 8C’est un film sur l’amour entre une mère et son fils, mais aussi sur la différence et l’incompatibilité. Cette incompatibilité, qui comme le dit Hubert ne les empêcherait pas d’être amis s’ils étaient des inconnus, rend difficile, impossible la vie en commun. Hubert ne peut se soumettre à son rôle de fils, il ne peut pas être son fils. Il est fait pour ne pas avoir de mère, mais peut-être comme lui suggère Julie, sa mère n’est pas faite pour avoir de fils.

Les dialogues percutants – et qui sonnent vrais et sincères – et les répliques incisives de Xavier Dolan servent tour à tour le côté dramatique et terrible de l’histoire et le côté humoristique. Car on rit des fois. Quant au couple Dolan-Dorval, il est tout simplement épatant.

J'ai tué ma mère 3C’est aussi une peinture très réaliste de la vie avec des détails du quotidien, mais aussi de la vie d’un jeune homosexuel. Hubert ne peut pas se confier à sa mère de peur de sa réaction. La mère d’Antonin est dans un sens montrée comme la mère idéale, face à la sienne : elle est très libérée des tabous liés à la sexualité, elle demande aux garçons de venir faire du dripping dans son bureau, elle est très proche d’Antonin, elle accueille avec plaisir Hubert chez elle et lui propose de l’héberger si ça ne va vraiment pas alors que Chantale ne veut pas qu’il invite Antonin pour dîner car elle ne veut pas faire à manger. C’est d’ailleurs elle qui révélera malencontreusement – pensant que Chantale était au courant – la liaison de leurs fils. Mais ce n’est pas un film sur l’homosexualité. Elle a une influence centrale sur ses relations avec sa mère, mais Xavier Dolan en parle d’une manière très pudique. On comprend l’amour entre Antonin et Hubert dès la première scène, avant de voir les corps enlacés. Xavier Dolan montre également l’homophobie dans le pensionnat catholique où Hubert est envoyé.

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L’art est très présent, que ce soit la peinture – Hubert et Antonin peignent tous les deux, notamment lors d’une séance de dripping, hommage à Jackson Pollock –, la littérature – avec plusieurs citations de Musset –, le cinéma – il y a une affiche des Quatre Cents Coups – ou la musique par le biais d’une bande originale percutante et efficace (Noir désir de Vive la fête, Vivaldi, Surface of Atlantic). Le nom de son amant est un mélange d’Antonin Artaud et d’Arthur Rimbaud. C’est un film qui donne l’impression de s’enrichir culturellement.

Xavier Dolan montre, dès ce premier film, qu’il a tout pour être un grand réalisateur. Il analyse les relations humaines avec une finesse fascinante. Il pose avec intelligence la question suivante : doit-on aimer ses parents ? Il m’a attachée à ses personnages dans lesquels je me suis reconnue. Il m’a bluffée avec la maîtrise qu’il a, des décors, du cadrage, de la mise en scène. Tout est parfait visuellement dans ce film. Je suis restée scotchée la première fois que je l’ai vu, la seconde fois aussi, la troisième fois aussi, la…

C’est du très très grand art.

 « Il n’est d’autre chose à tuer dans cette vie que l’ennemi intérieur, le double au noyau dur. Le dominer est un art. A quel point sommes-nous artistes ? »

J'ai tué ma mère 7

Les autres films de Xavier Dolan :