La malédiction d’Old Haven, de Fabrice Colin (2007)

La malédiction d'Old Haven (couverture)Le confinement m’a permis de redécouvrir un livre lu à sa sortie, soit quand j’avais quatorze ans. Peu de souvenirs (une affaire de sorcellerie, mais à part ça…) et un gros point d’interrogation sur l’intérêt qu’il allait générer avec treize ans de plus au compteur. Encore une fois, ce ne fut pas une déception. Je suppose que je sais juger de la capacité d’un livre à me plaire ou non sur le long terme nonobstant les années qui ont passées.

En revanche, j’ai constaté avec surprise et plaisir que ma lecture fut probablement très différente de celle d’il y a treize ans. Ne serait-ce que pour le genre du roman. A l’époque, je ne connaissais pas du tout le steampunk et je n’avais probablement pas prêté attention à tout ce qui relève de ce pan de la littérature de l’imaginaire.

Nous sommes ici dans une Amérique alternative, au XVIIIe siècle. D’un côté, l’Empereur, profondément catholique, et son bras armé, la Sainte Inquisition. De l’autre, des sorcières et des mages, des peuplades indiennes, des pirates, pourchassés de la même manière, voués à la torture et au bûcher… et Mary, notre héroïne. Le pétrole a été découvert ; les plans de Léonard de Vinci ont donné naissance à toutes sortes de machines, à commencer par les ornithoptères, des engins volants bien pratiques pour combattre les dragons ; des automates peuvent être rencontrés dans de riches demeures.

De même, toujours conforme à la définition du steampunk, les références littéraires abondent. Si la ville principale de l’Empire s’appelle Gotham, c’est à l’œuvre d’H.P. Lovecraft que le roman fait le plus référence. Arkham, le Necronomicon, Dagon et les Grands Anciens, Nyarlathotep, les Profonds et les hybrides issus de leur union avec des humaines… comptent parmi les clins d’œil qui parsèment le récit. Mary va également être amenée à côtoyer des personnages issus de la fiction – Rip Van Winkle ou Jack O’Lantern – ou de l’Histoire – le fils de Pieter Stuyvesant, Constance Hopkins ou Jonathan Swift. Je vous laisse vous renseigner sur qui a fait quoi, mais en tout cas, cet entremêlement m’a beaucoup plu.

Comme je l’ai dit, j’ai apprécié ma lecture. Certains passages m’ont réellement convaincue – notamment par l’évocation de certains lieux, tels que les souterrains ou l’île des dragons – tandis que certains mystères m’ont intriguée jusqu’à leur résolution – l’identité de celui qui se cachait sous les voiles immaculés de l’Empereur par exemple. De plus, suivre Mary sur le chemin de la vérité, dévoilant peu à peu tous les secrets de son passé et de sa famille tout en prenant conscience des formidables pouvoirs qui sont les siens était un voyage livresque plutôt plaisant.

Cependant, j’ai quelques petits reproches à faire à ce roman. Outre le fait qu’il est basé sur une histoire assez classique (une héroïne, un grand méchant, un mentor, des supers pouvoirs, des secrets de famille…), ce qui n’est pas vraiment un problème dans l’absolu (c’est une formule qui a fait ses preuves et qui peut toujours se révéler efficace), je l’ai trouvé légèrement déséquilibré. La première moitié est parfois un peu trop lente, très descriptive, voire répétitive, à la progression quelque peu laborieuse alors que la seconde est extrêmement dynamique, sans la moindre pause, avec une fin très abrupte.
Ensuite, c’est dense, c’est riche, ce qui est passionnant… mais aussi un peu frustrant parfois car certains aspects auraient pu être plus creusés, moins rapidement évoqué. Par exemple, la magie fonctionne grâce au monde de l’esprit qui s’est détaché de la Terre physique et matérielle (bon, je simplifie car il y a en réalité Spiritus, le Monde Blanc, et Umbra, un plan maléfique, mais je ne vais pas vous refaire le bouquin). Mary utilise Spiritus tandis que l’Empereur rôde en Umbra croyant que là est le chemin qui mène à Dieu. Or j’ai trouvé ses plans spirituels trop peu utilisés. Un coup en Umbra, deux fois en Spiritius, et hop, c’est bon, on a compris le principe, passons à autre chose. Oui mais non, c’est trop rapide et au final, on a juste l’impression que ça ne joue qu’un rôle mineur. Idem pour les dragons (et j’avoue que je n’aurais pas dit non à plus de dragons. Ou de pirates. On ne peut pas avoir trop de dragons ou de pirates.)
Enfin, les personnages. Entre Mary qui n’est pas inoubliable – quand elle n’est pas insupportable – et les autres qui sont trop superficiellement présentés, difficile de les garder longtemps en mémoire. Concernant les personnages secondaires, cela ne nuit pas à leur capital sympathie, certains sont très chouettes comme Jack O’Lantern, Nicketti ou Iron Moses, mais j’aurais apprécié des personnages plus forts, plus nuancés, plus marquants.

Voici une chronique finalement plus nuancée que mes sentiments au sortir de ma lecture. Certes, il y a quelques déceptions, mais j’ai aussi beaucoup apprécié la richesse de ce petit pavé qui mêle steampunk, uchronie, fantasy, aventure… Une relecture agréable.

« C’est là l’effroyable paradoxe : l’Inquisition est persuadée de l’innocence de ceux qu’elle envoie sur le bûcher. Elle les nomme sorciers ou sorcières parce qu’elle a besoin de boucs émissaires. En définitive, son objectif est double : faire régner la terreur, car celui qui est craint est aussi respecté ; et décourager les « honnêtes gens » de s’intéresser à la connaissance véritable. »

La malédiction d’Old Haven, Fabrice Colin. Albin Michel, coll. Wiz, 2007. 635 pages.

Les mystères de Larispem, trilogie, de Lucie Pierrat-Pajot (2016-2018)

J’avais écrit un billet sur le premier tome, mais je reviens vous dire un mot sur cette trilogie que j’ai pris le temps de (re)découvrir du début à la fin puisque je n’avais jusque-là jamais lu les tomes suivants.

Contrairement à ce que j’avais dit à l’époque, je me suis cette fois glissée dans ce monde avec plaisir et l’histoire m’a immédiatement emportée dans ce Paris alternatif. Sans heurts, mais avec une grande fluidité.
J’ai été heureuse de retrouver cet univers steampunk mâtiné d’un soupçon de magie occulte. Vapeur, voxomatons, taureau mécanique, tripodes et dirigeables en tout genre hantent cette ville bondée, moderne, cacophonique. On quitte cette trilogie avec de l’argot louchébem plein les oreilles. Ce n’est pas automatique de former les mots ainsi, mais c’est tout simplement irrésistible. Une signature unique pour ces trois romans !

J’ai trouvé dans cette suite tout ce que j’en espérais lorsque je n’avais lu que le premier tome.
Larispem dévoile des facettes moins idylliques et moins égalitaires qu’elle le souhaiterait, avec un pouvoir parfois corrompu et partial. Si, cette fois, les privilèges sont accordés à une tranche du peuple de la Cité-État, il n’en reste pas moins que les dérives d’autrefois sont sur le point de redevenir celle du présent.
Beaucoup de découvertes quant à l’origine du pouvoir du sang, des révélations bouleversantes sur le passé d’une méchante qui devient de plus en plus charismatique alors que ses faiblesses sont révélées, le tout entremêlé, sans être submergé, d’action et d’aventures qui rythme le récit et nous pousse à enchaîner les chapitres.
S’il y a parfois quelques facilités dans la résolution des problèmes, si certaines directions adoptées par l’histoire sont très prévisibles – oui, je parle des histoires de cœur –, ces petits défauts pas rares dans la littérature jeunesse ne sont pas trop lourds et ne vampirisent pas l’histoire qui se dévore malgré tout de bon cœur sans se laisser arrêter sur ces petits détails.

Les personnages se nuancent et la frontière entre le bon et le mauvais tend parfois à se brouiller. J’ai beaucoup aimé le personnage de Liberté qui n’a rien d’une grande héroïne. Un peu ronde, timide, venue de la province, sensible, la jeune mécanicienne se révèle au fil des tomes et elle s’endurcit tout en gardant bon cœur. Elle pourra parfois surprendre, bien plus qu’une Carmine globalement plus brute de décoffrage. Carmine est sympathique (et impressionnante), mais j’ai trouvé son personnage plus linéaire tout au long de la trilogie.
On rencontre bien d’autres personnages, bien d’autres personnalités, toutes très diverses aux histoires multiples et joliment travaillées, simplement esquissés dans le premier tome : Maxime Sévère – que j’ai vraiment beaucoup aimé –, Isabella, Félix, Vérité, Fiori… mais je vous laisse les rencontrer si vous lisez un jour cette trilogie.

Les mystères de Larispem sont donc une belle trilogie rétrofuturiste dont les tomes ne cessent de se bonifier. L’histoire se développe tout comme l’uchronie ici proposée et les personnages qui se complexifient parfois à mon plus grand plaisir.

Les mystères de Larispem (3 tomes), Lucie Pierrat-Pajot. Gallimard jeunesse.
– Tome 1, Le sang jamais n’oublie, 2016, 259 pages ;
– Tome 2, Les jeux du siècle, 2017, 322 pages ;
– Tome 3, L’élixir ultime, 2018, 358 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – Le Pouce de l’Ingénieur :
lire un livre du genre « Steampunk »

 Challenge Voix d’autrice : un diptyque/une trilogie

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La parenthèse 9ème art – Ninn, Frnck et Le château des étoiles

Aujourd’hui, je me penche sur quelques séries tous publics. Mes critiques porteront sur tous les tomes parus à ce jour, mais je ne dévoile rien, je vous livre simplement mes impressions de lectrice.

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Ninn (3 tomes),
de Jean-Michel Darlot (scénario) et Johan Pilet (dessin)
(2015-2018)

Ninn connaît le métro parisien comme sa poche. Ses pères adoptifs y travaillent et lui ont fait découvrir cet univers souterrain depuis qu’ils l’y ont trouvée tout bébé. Mais Ninn est curieuse et ne tarde pas à découvrir que ces kilomètres de galeries n’ont pas encore dévoilé tous leurs secrets et qu’elle devra peut-être s’enfoncer plus loin qu’elle ne l’a jamais fait pour éclaircir le mystère de ses origines.

Pour l’instant, trois tomes sont parus, à savoir :

  • Tome 1, La Ligne Noire;
  • Tome 2, Les Grands Lointains;
  • Tome 3, Les oubliés.

J’ai adoré les deux premiers tomes. Ils forment un diptyque étonnant dont les deux parties sont à la fois complémentaires et très différentes.
Le premier tome s’ancre globalement dans un décor très réaliste, voire familier pour qui a arpenté la capitale et ses sous-sols. J’ai pris grand plaisir à reconnaître des architectures familières – le carnet graphique à la fin, mêlant photographies, crayonnés et planches finalisées, m’a aidée à en identifier certaines. J’avoue que j’aurais aimé lire ces BD avant de quitter Paris pour peut-être rêver davantage dans le métro lorsqu’emprunter celui-ci était devenu une épreuve. On apprend divers anecdotes sur le métro au fil des pages : si je connaissais l’existence des stations fantômes, le wagon-aspirateur et le grand ouvrage Opéra m’étaient inconnus.
Le second prend la forme d’une aventure surprenante et merveilleuse. Les Grands Lointains qui donnent son titre à ce volume se dévoilent et le réalisme perd parfois pied. Les grises constructions de fer et de béton, si solides et terre-à-terre, cèdent la place à l’onirisme et à mille couleurs. Des concepts abstraits prennent vie, tels que les idées sombres ou les pensées perdues.

J’ai trouvé le troisième tome un peu différent de ses prédécesseurs. Il est très dense, riche en informations, mais il forme presque une aventure indépendante. Il présente néanmoins l’avantage d’élargir l’horizon des Grands Lointains et de nous offrir des informations sur le passé de cet univers fabuleux. J’espère simplement que les tomes suivants permettront de créer un véritable lien avec les événements qui y sont décrits, leur conférant une importance pour l’histoire de Ninn, que ce ne soit pas seulement une quête qui, une fois achevée, est laissée derrière.

Le travail de Johan Pilet m’a séduite par le rythme qu’il insuffle à l’histoire sans craindre de laisser la place aux dialogues, par les couleurs tantôt sombres tantôt lumineuses qui subliment chaque case, des plus petites aux pleines pages, par ses décors fidèles à la réalité parisienne et ceux, magiques, des Grands Lointains.

Mélange d’aventures et de poésie, la découverte de cet univers a été un vrai plaisir, surtout en étant guidée par une héroïne aussi attachante, volontaire et courageuse qui n’a pas été sans me rappeler l’adorable Cerise des Carnets du même nom.

Ninn (3 tomes), Jean-Michel Darlot (scénario) et Johan Pilet (dessin). Kennes, 2015-2018.
– Tome 1, La Ligne Noire, 2015, 72 pages ;
– Tome 2, Les Grands Lointains, 2016, 64 pages ;
– Tome 3, Les oubliés, 2018, 72 pages.

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Frnck (4 tomes),
de Brice Cossu (scénario) et Olivier Bocquet (dessin)
(2017-2018)

Encore un enfant abandonné ! Franck est un peu plus âgé que Ninn et n’a pas eu la chance d’être adopté tout bébé par deux pères aimants : au contraire, il enchaîne les familles d’accueil. Lorsqu’un nouveau couple se manifeste et qu’il apprend que ses parents sont peut-être en vie, il décide de s’enfuir de l’orphelinat à leur recherche. Alors qu’il s’est réfugié par hasard dans une grotte, il découvre involontairement un passage qui le conduit tout droit vers la Préhistoire !

Pour l’instant, quatre tomes sont parus, à savoir :

  • Tome 1, Le début du commencement;
  • Tome 2, Le baptême du feu;
  • Tome 3, Le sacrifice;
  • Tome 4, L’éruption.

Le titre vous intriguera peut-être, mais ce n’est pas une faute de frappe. Comme on le découvre très vite, les hommes et les femmes préhistoriques s’expriment sans voyelles ! Si c’est quelque peu déstabilisant au début, on s’y habitue très rapidement en constatant avec plaisir l’habileté de notre cerveau à reconstituer mots et phrases simplement à partir des consonnes.

L’humour ne manque pas et, même si Franck a une certaine tendance aux ronchonnements, il n’est pas difficile de se mettre à sa place : adieu distractions modernes, adieu sécurité d’une maison solide, adieu chauffage, adieu aliments cuisinés. Par contre, bonjour bêtes (et des plantes) féroces partout sans parler des tribus ennemies. Et ses tentatives pour améliorer leur confort (et le sien !) ne sont pas toujours bien accueillies par sa nouvelle famille d’accueil. A ce niveau-là, les gags restent classiques, mais le tout se révèle frais et très sympathique à lire.

Le dernier tome – qui n’est que la fin du « cycle 1 » – se conclue de façon bouleversante, le genre de fin qui fait « oh, mais c’est bien sûr… » (et aussi un peu « je me doutais bien qu’il y avait une entourloupe dans le genre, mais je me suis quand même fait attrapée »). J’avoue avoir fermé l’album enchantée et impatiente de lire la suite.

En revanche, le dessin me laisse plutôt indifférente : ni déplaisant, ni marquant malgré quelques belles couleurs. Les femmes sont évidemment très belles avec des robes dont les découpes n’ont rien à envier aux tenues actuelles (je pense notamment à une étonnante robe dos nu, très sexy, mais sûrement peu pratique lors des hivers préhistoriques).

Malgré des rebondissements parfois prévisibles, Frnck est une série très plaisante à lire. Il n’est pas difficile de s’immerger dans cet univers préhistorique et de se prendre d’affection pour ce héros généreux en maladresses comme en tendresse, râleur mais touchant et souvent drôle. Séduite par un fascinant final, j’attends néanmoins que la suite réponde à mes questions en suspens (notamment celles touchant à une étrange tribu qui apparaît dans le premier tome avec de s’évanouir dans la nature).

Frnck (4 tomes), Olivier Boquet (scénario) et Brice Cossu (dessin). Dupuis, 2017-2018.
– Tome 1, Le début du commencement, 2017, 56 pages ;
– Tome 2, Le baptême du feu, 2017, 56 pages ;
– Tome 3, Le sacrifice, 2018, 56 pages ;
– Tome 4, L’éruption, 2018, 58 pages.

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Le château des étoiles (4 tomes),
d’Alex Alice
(2014-2018)

Cette fois, notre héros n’est orphelin que de mère depuis que cette dernière a disparu dans l’espace alors qu’elle recherchait, à bord de son ballon, à prouver l’existence et l’utilité de l’éther. Un an plus tard, son carnet de bord est retrouvé par le roi de Bavière qui s’est lancé dans un projet fou. Pour cela, il a besoin de l’aide du mari de l’aventurière qui se présente à lui accompagné de Séraphin, son fils qui se rendra rapidement indispensable.

Pour l’instant, quatre tomes sont parus, à savoir :

  • Tome 1, 1869 : La conquête de l’espace (1/2) ;
  • Tome 2, 1869 : La conquête de l’espace (2/2) ;
  • Tome 3, Les chevaliers de Mars;
  • Tome 4, Un Français sur Mars.

J’ai souvent vu passer ces BD sur différents blogs, mais je ne m’y étais jamais intéressée à cause d’un a priori totalement flou dû à je-ne-sais-absolument-pas-quoi. Mais, bibliothèque aidant, je me suis lancée un jour et là… WAH ! Attrapée, fascinée, enthousiasmée, je me suis régalée du début à la fin (qui n’est pas la fin de l’histoire d’ailleurs et j’attends la suite maintenant).
Laissez-moi vous expliquer le pourquoi du comment.

Nous sommes dans un univers steampunk. Premier atout. J’ai lu plus ou moins en parallèle un Guide steampunk – dont vous entendrez parler sur ce blog prochainement – qui m’a fortement motivée pour explorer un peu ce sous-genre littéraire dont je connais l’esthétisme, mais que j’ai finalement peu exploré jusque-là. Ça a donc été une excellente surprise de découvrir cette version revisitée des relations entre la Prusse et la Bavière dans la seconde moitié du XIXe siècle (relations dont, honnêtement, je ne connaissais rien qu’elles soient ou non revisitées). Ici, l’élément déclencheur qui va faire basculer l’Histoire est la découverte de l’éther, une substance aux propriétés incroyables présente dans l’espace et qui rend possible les voyages à travers le cosmos.

Ensuite, nous sommes dans une histoire approfondie. Second atout. Le château des étoiles présente une aventure au long cours qui prend son temps quand il faut le prendre, sans pour autant ennuyer le lecteur. Sans craindre d’être bavardes, ces BD posent l’intrigue et distillent toutes les informations nécessaires à un lecteur ou lectrice peu familière de l’histoire germanique et de l’art de l’aéronautique. Tout cela participe au réalisme scientifique et historique – bien que l’on s’en éloigne à grands pas au fil des albums – de cette histoire.
C’est totalement prenant et cette aventure à travers l’espace fait tout simplement rêver. L’intrigue sait se faire trépidante à tel moment, mystérieuse à tel autre, ou encore grandiose ou surprenante.

Ensuite, les dessins sont sublimés par l’usage de l’aquarelle. Troisième atout. Les traits comme les couleurs sont à la fois douces et réalistes. A l’exception surprenante du personnage d’Hans – petit trublion qui sert de garçon à tout faire au château – qui a tout d’un personnage de dessin animé. A vrai dire, il ne m’a pas évoqué n’importe quel dessin animé, mais ceux de Miyazaki (quatrième atout !).
Si les planches explosent parfois en grandes pages absolument fascinantes, elles se découpent également en petites cases, de toutes les formes et imbriquées de toutes les manières possibles, proposant de nombreux détails pleins de richesse. Tout en restant étonnement aéré et apaisant à l’œil. Tout simplement magique.

Point crucial pour moi : les personnages intéressants et bien dessinés (cinquième atout). En dépit d’une mère aventurière et scientifique, on pourra regretter peut-être que Sophie soit la seule fille réellement présente dans l’histoire, mais elle est intelligente, têtue, brave et désireuse d’apprendre ce que sa naissance lui refusait jusqu’alors. Elle devient ainsi si importante que l’on n’imagine plus le trio sans elle (ça ne vous rappelle pas une certaine Hermione ?). Hans, quant à lui, apporte d’appréciables touches d’humour que ce soit au travers de conseils de mode bavaroise ou de lectures totalement scientifiques – telles que les aventures du baron de Münchausen.
Et puis, il y a aussi le roi Ludwig. Un souverain étrange et discret qui n’aura pas été sans me rappeler le mystérieux Hauru du Château ambulant de Miyazaki. Dans le Guide steampunk, Mathieu Gaborit parle de « la machine romantique » comme succincte définition du steampunk et je trouve que cela s’applique plutôt bien au Château des étoiles tant à travers l’histoire qu’à travers la figure du roi de Bavière, son château de conte de fées, sa fascination pour l’éther et l’Univers et son désir de découvrir un autre monde, plus beau, plus sage, loin des ambitions humaines et de la politique.

Sur fond de rivalités politiques, d’avancées technologiques majeures, de trahisons, mais aussi d’amitié et d’amour pour une mère absente, l’histoire entre Verne et Miyazaki m’a laissé des étoiles plein les yeux, ne serait-ce que pour les superbes planches d’Alex Alice.

Le château des étoiles, Alex Alice. Rue de Sèvres (intégrales), 2014-2018
– Tome 1, 1869 : La conquête de l’espace (1/2), 2014, 63 pages ;
– Tome 2, 1869 : La conquête de l’espace (2/2), 2015, 68 pages ;
– Tome 3, Les chevaliers de Mars, 2017, 60 pages ;
– Tome 4, Un Français sur Mars, 2018, 68 pages.

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Le guide steampunk, d’Etienne Barillier et Arthur Morgan (2019)

Le guide steampunk (couverture)Quand j’ai reçu ce Guide steampunk grâce à Babelio et aux éditions ActuSF, j’avoue que j’ai eu un petit moment de doute face à la densité du bouquin qui ne met pas forcément en appétit. Appréhension sans fondement car je l’ai dévoré une fois entamé. Les auteurs expliquent et présentent le mouvement de façon claire et abordable, y compris pour les néophytes. De multiples interviews parsèment l’ouvrage, donnant la parole à des auteurs, des musiciens, des artistes en tout genre qui ont contribué et/ou contribuent encore à faire vivre le mouvement.

Mes connaissances du steampunk étant somme toute assez basiques, j’ai découvert beaucoup de choses… à commencer par le flou qui tourne autour de ce mouvement. Si mes idées – assez clichées, je le reconnais – d’engrenages, de corsets, d’espions et de mécaniciennes font indéniablement partie de l’imagerie steampunk, c’est un genre qui s’avère beaucoup plus large et – heureusement – beaucoup plus riche.
Par conséquent, définir clairement le steampunk semble être un challenge que même les spécialistes ne parviennent à résoudre : si des éléments concordent – uchronie, dimension métatextuelle (qui permet de faire rencontrer R.L. Stevenson et Dr Jekyll, Jules Verne et capitaine Némo…), inspiré du XIXe siècle bien que ce ne soit pas une obligation absolue –, chaque vaporiste (comprendre les membres de la communauté steampunk) semble avoir sa propre vision du genre. J’ai par ailleurs beaucoup aimé cette citation de Douglas Fetherling reprise dans le Guide :

« Le steampunk s’efforce d’imaginer jusqu’à quel point le passé aurait pu être différent si le futur était arrivé plus tôt. »

Si je l’ai lu ici d’une traite, c’est un guide dans lequel je reviendrai régulièrement piocher des idées – de livres, de films, etc. – bien que je me sois déjà constitué une liste de belle taille (surtout pour quelqu’un qui souhaite se concentrer avant tout sur sa PAL). Soyez prévenu·es : ce livre regorge de mille tentations car l’enthousiasme des auteurs est contagieuse ! Leur passion pour le steampunk vous donnera envie de tout lire et de tout voir (ou presque car les auteurs n’hésitent pas à critiquer un film ou un livre qu’ils voulaient néanmoins présenter pour leurs éléments steampunk).
J’ai réalisé que j’avais vu beaucoup plus de films steampunk que lu de livres et la section jeux vidéo, bien que succincte, a aussi été une petite mine pour moi. En plus des découvertes, ce Guide a fait remonter à la surface de nombreux romans que j’avais déjà envie de lire, mais qui était noyés dans la masse. Bref. Ce livre n’est pas conseillé par les banquiers !
Sans surprise, la section « musique » a été une totale découverte pour moi. A l’exception des Dresden Dolls qualifiés de « proto-steampunk », je n’en connaissais tout simplement aucun. J’ignorais même qu’il existait de la musique steampunk. Mais ma culture musicale étant ce qu’elle est, c’était prévisible.

Entre discours théoriques, pistes (littéraires, cinématographiques, musicales…) à explorer et interviews, ce Guide steampunk s’est révélé instructif et passionnant. Nul doute qu’il sera mon copilote dans ma découverte approfondie du mouvement steampunk. Il s’agit d’un excellent ouvrage pour s’initier, mais je doute que des expert·es puissent trouver chaussure à leur pied dans ce livre qui semble présenter les grands titres du genre (ce qui, je le répète, convenait en revanche à merveille à l’ignorante que je suis).

« Le gigantisme steampunk est également à prendre en compte. Il est aux antipodes de ce que la technologie nous offre aujourd’hui où les écrans et les machines deviennent de plus en plus ténus (et de moins en moins réparables), où la notion d’obsolescence programmée ne choque qu’à peine. La technologie steampunk est bruyante, gigantesque, transpire la graisse qui protège ses engrenages. L’ordinateur y est mécanique ; l’androïde automate. Elle est aussi dangereuse qu’un piston mal entretenu, mais elle est réparable, fabriqué par la main de l’homme et fonctionnelle. Plus que tout, elle est belle. »

Le guide steampunk, Etienne Barillier et Arthur Morgan. ActuSF, coll. Hélios, 2019 (édition mise à jour et augmentée, première édition en 2013). 374 pages.

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L’invention de Hugo Cabret (2007) et La boîte magique d’Houdini (1991), de Brian Selznick

Pour l’avant-dernière critique de l’année, je vous propose de retrouver Brian Selznick après Le musée des merveilles et Les Marvels. Promis, c’est la dernière fois… jusqu’à son prochain roman. Aujourd’hui, ce sera une double chronique avec deux histoires pleines de magie. Mes critiques seront plus brèves que d’habitude car j’ai déjà longuement parlé de ses précédents ouvrages.

  • L’invention de Hugo Cabret

L'invention de Hugo Cabret (couverture)Orphelin, Hugo Cabret est seul responsable des horloges de la gare depuis la disparition de son oncle. Outre cette passion pour les mécanismes en tous genres qu’il comprend, manipule et assemble presque instinctivement, Hugo partage une autre obsession avec son père décédé dans un incendie : la restauration d’un vieil automate. Ce dernier et un carnet de croquis l’amèneront à rencontrer un vieux marchand de jouets aigri et une amoureuse des livres jusqu’à ce que tous les mystères soient éclaircis.

Dans ce roman, on retrouve les thèmes chers à Brian Selznick : se trouver une place dans le monde et une famille. Si Hugo était proche de son père, son oncle n’a jamais été d’un grand soutien pour lui, même s’il a été son mentor en lui apprenant à prendre soin des horloges. Au fil des événements et parce qu’il n’a jamais abandonné la tâche qui l’habitait, Hugo finit finalement par se trouver une famille qui lui ressemble et qui le comprend. Semblable à Ben,  Joseph et Victor, les héros des autres romans de Brian Selznick, c’est un garçon rêveur et débrouillard qui gagne rapidement la tendresse des lecteurs.

Après – même si je devrais plutôt dire avant – New-York (Le musée des merveilles) et Londres (Les Marvels), Hugo Cabret sonne comme une déclaration d’amour à Paris. C’est également une ode au cinéma des premiers temps, à Méliès et aux rêves. Car, bien que l’histoire soit fictionnelle, l’un des personnages principaux est en effet Georges Méliès dans les dernières années de sa vie. Il était alors marchand de jouets à la gare Montparnasse et son œuvre était tombée dans l’oubli après la Première Guerre mondiale. Brian Selznick nous fait redécouvrir, en même temps qu’Hugo, toute la magie fantasmagorique de ses films.

Annonçant ses futurs romans « en mots et en images », Hugo Cabret est en grande partie composé de dessins toujours aussi splendides et expressifs. Cependant, si les images sont importantes, elles ne le sont pas autant que dans les deux ouvrages suivants et ne racontent pas tout à fait d’histoires à elles toutes seules. Malgré l’émergence de leur côté narratif, le texte a encore le premier rôle et explicite parfois des images comme si l’auteur n’était pas certain de pouvoir s’y fier entièrement.
En plus des dessins, d’autres éléments ont été insérés en guise d’illustrations : des dessins de Georges Méliès, des images de films (de Méliès évidemment, mais aussi L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat de Louis Lumière ou Monte là-dessus avec Harold Lloyd) ainsi qu’une photographie d’époque sur un accident survenu à la gare Montparnasse.

Superbe histoire, pleine d’aventures et de poésie, de tendresse qui ne cache cependant pas tout à fait les tristesses de la vie, L’invention de Hugo Cabret rend hommage au septième art et à la magie. Un ouvrage original et magnifique capable de conquérir le cœur des petits comme des grands.

« – Tu as remarqué que toutes les machines sont créées dans un but précis ? demande-t-il à Isabelle. Elles sont conçues pour nous amuser, comme cette souris ; pour donner l’heure, comme les horloges ; pour nous émerveiller, comme l’automate. C’est peut-être ce qui m’attriste quand je trouve une machine cassée. Qu’elle ne soit plus en état de remplir sa fonction.
Isabelle prend la souris, la remonte de nouveau et la pose.
– Au fond, c’est peut-être pareil pour les gens, continue Hugo. Quand ils n’ont plus de but dans la vie… en un sens, ils sont cassés.
– Comme Papi Georges ?
– Peut-être… peut-être que nous pourrons le réparer. »

« Je m’imagine que le monde est une machine géante. Tu sais, dans les machines, il n’y a pas de pièces en trop. Elles ont exactement le nombre et le type de pièces qui leur sont nécessaires. Alors, je me dis que, si l’univers entier est une machine, il y a bien une raison pour que je sois là. Et toi aussi, tu as une raison d’exister. »

L'invention de Hugo Cabret 5

L’invention de Hugo Cabret, Brian Selznick. Bayard jeunesse, 2008 (2007 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle Laruelle. 533 pages.

  • La boîte magique d’Houdini

Après la prestidigitation qui habitait Hugo Cabret, parlons un peu d’escapologie, l’art de l’évasion !

La boîte magique d'Houdini (couvertureLe rêve de Victor ? Devenir magicien et, comme Houdini, traverser des murs et s’échapper des coffres les plus solides. Le jour où il croise son idole, il lui demande de lui apprendre. Souriant, Houdini promet de lui écrire…

Traduit pour la première fois en français en 2016, La boîte magique d’Houdini est le premier livre de Brian Selznick, publié en 1991.
Soyons honnête, cela se sent.
Tout d’abord, c’est un livre jeunesse très classique dans sa forme, loin de l’originalité des trois autres. Les images illustrent le texte, mais ne racontent rien. On reconnaît le coup de crayon de Brian Selznick, mais je ne le trouve pas aussi abouti que dans les romans suivants où ses illustrations sont tout simplement à tomber.
Ensuite, il est extrêmement court (surtout placé à côté des pavés qui ont suivi (oui, oui, j’arrête les comparaisons !)). L’histoire en elle-même fait 70 pages et les quarante suivantes proposent plusieurs bonus :

  • Une biographie d’Houdini: presque plus intéressante que le roman, le personnage, que je connais finalement très peu, m’a fasciné par son talent, mais aussi pour le combat longtemps mené contre les faux médiums ;
  • La naissance de l’histoire à travers les idées et étapes qui ont conduit à sa création, les recherches et les premières esquisses : une intéressante plongée dans le travail de l’artiste.

En découvrant la genèse de l’histoire, on sent rapidement que ce petit texte devait tenir à cœur à son créateur, lui-même passionné par Houdini (d’ailleurs, le Victor adulte, dans la scène du grenier, ressemble drôlement à Brian Selznick). Conclusion : des petits bonus plutôt enrichissants.

Malgré sa brièveté, Brian Selznick parvient encore une fois, en quelques phrases seulement, à nous faire ressentir une grande sympathie pour le personnage de Victor. Son enthousiasme et sa ténacité à recommencer encore et encore ses tours de magie (ratés) au grand dam de sa mère et de sa tante se révèlent véritablement attendrissants.

Une petite histoire sympathique, enfantine mais aussi très personnelle, mais qui permet d’en apprendre un peu plus sur le grand Houdini. Parfait pour de jeunes lecteurs !

« – Comment je peux faire pour sortir de la malle de ma grand-mère en moins de vingt secondes ? Pour retenir ma respiration dans mon bain sans manquer d’air ? Pourquoi je ne peux pas traverser un mur comme vous ? Comment vous vous évadez des prisons ? Comment vous vous libérez des menottes ou des cordes, et faites disparaître des éléphants ? Comment…
– Félicitations, jeune homme, l’interrompt Houdini en souriant. Personne ne m’a jamais posé autant de questions en si peu de temps. Serais-tu un magicien par hasard ?
 »

La boîte magique d’Houdini, Brian Selznick. Bayard jeunesse, 2016 (1991 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Agnès Piganiol. 111 pages.

Le compte-rendu de la rencontre Babelio avec Brian Selznick