Aujourd’hui, je me penche sur quelques séries tous publics. Mes critiques porteront sur tous les tomes parus à ce jour, mais je ne dévoile rien, je vous livre simplement mes impressions de lectrice.
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Ninn (3 tomes),
de Jean-Michel Darlot (scénario) et Johan Pilet (dessin)
(2015-2018)
Ninn connaît le métro parisien comme sa poche. Ses pères adoptifs y travaillent et lui ont fait découvrir cet univers souterrain depuis qu’ils l’y ont trouvée tout bébé. Mais Ninn est curieuse et ne tarde pas à découvrir que ces kilomètres de galeries n’ont pas encore dévoilé tous leurs secrets et qu’elle devra peut-être s’enfoncer plus loin qu’elle ne l’a jamais fait pour éclaircir le mystère de ses origines.
Pour l’instant, trois tomes sont parus, à savoir :
- Tome 1, La Ligne Noire;
- Tome 2, Les Grands Lointains;
- Tome 3, Les oubliés.
J’ai adoré les deux premiers tomes. Ils forment un diptyque étonnant dont les deux parties sont à la fois complémentaires et très différentes.
Le premier tome s’ancre globalement dans un décor très réaliste, voire familier pour qui a arpenté la capitale et ses sous-sols. J’ai pris grand plaisir à reconnaître des architectures familières – le carnet graphique à la fin, mêlant photographies, crayonnés et planches finalisées, m’a aidée à en identifier certaines. J’avoue que j’aurais aimé lire ces BD avant de quitter Paris pour peut-être rêver davantage dans le métro lorsqu’emprunter celui-ci était devenu une épreuve. On apprend divers anecdotes sur le métro au fil des pages : si je connaissais l’existence des stations fantômes, le wagon-aspirateur et le grand ouvrage Opéra m’étaient inconnus.
Le second prend la forme d’une aventure surprenante et merveilleuse. Les Grands Lointains qui donnent son titre à ce volume se dévoilent et le réalisme perd parfois pied. Les grises constructions de fer et de béton, si solides et terre-à-terre, cèdent la place à l’onirisme et à mille couleurs. Des concepts abstraits prennent vie, tels que les idées sombres ou les pensées perdues.
J’ai trouvé le troisième tome un peu différent de ses prédécesseurs. Il est très dense, riche en informations, mais il forme presque une aventure indépendante. Il présente néanmoins l’avantage d’élargir l’horizon des Grands Lointains et de nous offrir des informations sur le passé de cet univers fabuleux. J’espère simplement que les tomes suivants permettront de créer un véritable lien avec les événements qui y sont décrits, leur conférant une importance pour l’histoire de Ninn, que ce ne soit pas seulement une quête qui, une fois achevée, est laissée derrière.
Le travail de Johan Pilet m’a séduite par le rythme qu’il insuffle à l’histoire sans craindre de laisser la place aux dialogues, par les couleurs tantôt sombres tantôt lumineuses qui subliment chaque case, des plus petites aux pleines pages, par ses décors fidèles à la réalité parisienne et ceux, magiques, des Grands Lointains.
Mélange d’aventures et de poésie, la découverte de cet univers a été un vrai plaisir, surtout en étant guidée par une héroïne aussi attachante, volontaire et courageuse qui n’a pas été sans me rappeler l’adorable Cerise des Carnets du même nom.
Ninn (3 tomes), Jean-Michel Darlot (scénario) et Johan Pilet (dessin). Kennes, 2015-2018.
– Tome 1, La Ligne Noire, 2015, 72 pages ;
– Tome 2, Les Grands Lointains, 2016, 64 pages ;
– Tome 3, Les oubliés, 2018, 72 pages.
Challenge de l’imaginaire

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Frnck (4 tomes),
de Brice Cossu (scénario) et Olivier Bocquet (dessin)
(2017-2018)
Encore un enfant abandonné ! Franck est un peu plus âgé que Ninn et n’a pas eu la chance d’être adopté tout bébé par deux pères aimants : au contraire, il enchaîne les familles d’accueil. Lorsqu’un nouveau couple se manifeste et qu’il apprend que ses parents sont peut-être en vie, il décide de s’enfuir de l’orphelinat à leur recherche. Alors qu’il s’est réfugié par hasard dans une grotte, il découvre involontairement un passage qui le conduit tout droit vers la Préhistoire !
Pour l’instant, quatre tomes sont parus, à savoir :
- Tome 1, Le début du commencement;
- Tome 2, Le baptême du feu;
- Tome 3, Le sacrifice;
- Tome 4, L’éruption.
Le titre vous intriguera peut-être, mais ce n’est pas une faute de frappe. Comme on le découvre très vite, les hommes et les femmes préhistoriques s’expriment sans voyelles ! Si c’est quelque peu déstabilisant au début, on s’y habitue très rapidement en constatant avec plaisir l’habileté de notre cerveau à reconstituer mots et phrases simplement à partir des consonnes.
L’humour ne manque pas et, même si Franck a une certaine tendance aux ronchonnements, il n’est pas difficile de se mettre à sa place : adieu distractions modernes, adieu sécurité d’une maison solide, adieu chauffage, adieu aliments cuisinés. Par contre, bonjour bêtes (et des plantes) féroces partout sans parler des tribus ennemies. Et ses tentatives pour améliorer leur confort (et le sien !) ne sont pas toujours bien accueillies par sa nouvelle famille d’accueil. A ce niveau-là, les gags restent classiques, mais le tout se révèle frais et très sympathique à lire.
Le dernier tome – qui n’est que la fin du « cycle 1 » – se conclue de façon bouleversante, le genre de fin qui fait « oh, mais c’est bien sûr… » (et aussi un peu « je me doutais bien qu’il y avait une entourloupe dans le genre, mais je me suis quand même fait attrapée »). J’avoue avoir fermé l’album enchantée et impatiente de lire la suite.
En revanche, le dessin me laisse plutôt indifférente : ni déplaisant, ni marquant malgré quelques belles couleurs. Les femmes sont évidemment très belles avec des robes dont les découpes n’ont rien à envier aux tenues actuelles (je pense notamment à une étonnante robe dos nu, très sexy, mais sûrement peu pratique lors des hivers préhistoriques).
Malgré des rebondissements parfois prévisibles, Frnck est une série très plaisante à lire. Il n’est pas difficile de s’immerger dans cet univers préhistorique et de se prendre d’affection pour ce héros généreux en maladresses comme en tendresse, râleur mais touchant et souvent drôle. Séduite par un fascinant final, j’attends néanmoins que la suite réponde à mes questions en suspens (notamment celles touchant à une étrange tribu qui apparaît dans le premier tome avec de s’évanouir dans la nature).
Frnck (4 tomes), Olivier Boquet (scénario) et Brice Cossu (dessin). Dupuis, 2017-2018.
– Tome 1, Le début du commencement, 2017, 56 pages ;
– Tome 2, Le baptême du feu, 2017, 56 pages ;
– Tome 3, Le sacrifice, 2018, 56 pages ;
– Tome 4, L’éruption, 2018, 58 pages.
Challenge de l’imaginaire

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Le château des étoiles (4 tomes),
d’Alex Alice
(2014-2018)
Cette fois, notre héros n’est orphelin que de mère depuis que cette dernière a disparu dans l’espace alors qu’elle recherchait, à bord de son ballon, à prouver l’existence et l’utilité de l’éther. Un an plus tard, son carnet de bord est retrouvé par le roi de Bavière qui s’est lancé dans un projet fou. Pour cela, il a besoin de l’aide du mari de l’aventurière qui se présente à lui accompagné de Séraphin, son fils qui se rendra rapidement indispensable.
Pour l’instant, quatre tomes sont parus, à savoir :
- Tome 1, 1869 : La conquête de l’espace (1/2) ;
- Tome 2, 1869 : La conquête de l’espace (2/2) ;
- Tome 3, Les chevaliers de Mars;
- Tome 4, Un Français sur Mars.
J’ai souvent vu passer ces BD sur différents blogs, mais je ne m’y étais jamais intéressée à cause d’un a priori totalement flou dû à je-ne-sais-absolument-pas-quoi. Mais, bibliothèque aidant, je me suis lancée un jour et là… WAH ! Attrapée, fascinée, enthousiasmée, je me suis régalée du début à la fin (qui n’est pas la fin de l’histoire d’ailleurs et j’attends la suite maintenant).
Laissez-moi vous expliquer le pourquoi du comment.
Nous sommes dans un univers steampunk. Premier atout. J’ai lu plus ou moins en parallèle un Guide steampunk – dont vous entendrez parler sur ce blog prochainement – qui m’a fortement motivée pour explorer un peu ce sous-genre littéraire dont je connais l’esthétisme, mais que j’ai finalement peu exploré jusque-là. Ça a donc été une excellente surprise de découvrir cette version revisitée des relations entre la Prusse et la Bavière dans la seconde moitié du XIXe siècle (relations dont, honnêtement, je ne connaissais rien qu’elles soient ou non revisitées). Ici, l’élément déclencheur qui va faire basculer l’Histoire est la découverte de l’éther, une substance aux propriétés incroyables présente dans l’espace et qui rend possible les voyages à travers le cosmos.
Ensuite, nous sommes dans une histoire approfondie. Second atout. Le château des étoiles présente une aventure au long cours qui prend son temps quand il faut le prendre, sans pour autant ennuyer le lecteur. Sans craindre d’être bavardes, ces BD posent l’intrigue et distillent toutes les informations nécessaires à un lecteur ou lectrice peu familière de l’histoire germanique et de l’art de l’aéronautique. Tout cela participe au réalisme scientifique et historique – bien que l’on s’en éloigne à grands pas au fil des albums – de cette histoire.
C’est totalement prenant et cette aventure à travers l’espace fait tout simplement rêver. L’intrigue sait se faire trépidante à tel moment, mystérieuse à tel autre, ou encore grandiose ou surprenante.
Ensuite, les dessins sont sublimés par l’usage de l’aquarelle. Troisième atout. Les traits comme les couleurs sont à la fois douces et réalistes. A l’exception surprenante du personnage d’Hans – petit trublion qui sert de garçon à tout faire au château – qui a tout d’un personnage de dessin animé. A vrai dire, il ne m’a pas évoqué n’importe quel dessin animé, mais ceux de Miyazaki (quatrième atout !).
Si les planches explosent parfois en grandes pages absolument fascinantes, elles se découpent également en petites cases, de toutes les formes et imbriquées de toutes les manières possibles, proposant de nombreux détails pleins de richesse. Tout en restant étonnement aéré et apaisant à l’œil. Tout simplement magique.
Point crucial pour moi : les personnages intéressants et bien dessinés (cinquième atout). En dépit d’une mère aventurière et scientifique, on pourra regretter peut-être que Sophie soit la seule fille réellement présente dans l’histoire, mais elle est intelligente, têtue, brave et désireuse d’apprendre ce que sa naissance lui refusait jusqu’alors. Elle devient ainsi si importante que l’on n’imagine plus le trio sans elle (ça ne vous rappelle pas une certaine Hermione ?). Hans, quant à lui, apporte d’appréciables touches d’humour que ce soit au travers de conseils de mode bavaroise ou de lectures totalement scientifiques – telles que les aventures du baron de Münchausen.
Et puis, il y a aussi le roi Ludwig. Un souverain étrange et discret qui n’aura pas été sans me rappeler le mystérieux Hauru du Château ambulant de Miyazaki. Dans le Guide steampunk, Mathieu Gaborit parle de « la machine romantique » comme succincte définition du steampunk et je trouve que cela s’applique plutôt bien au Château des étoiles tant à travers l’histoire qu’à travers la figure du roi de Bavière, son château de conte de fées, sa fascination pour l’éther et l’Univers et son désir de découvrir un autre monde, plus beau, plus sage, loin des ambitions humaines et de la politique.
Sur fond de rivalités politiques, d’avancées technologiques majeures, de trahisons, mais aussi d’amitié et d’amour pour une mère absente, l’histoire entre Verne et Miyazaki m’a laissé des étoiles plein les yeux, ne serait-ce que pour les superbes planches d’Alex Alice.
Le château des étoiles, Alex Alice. Rue de Sèvres (intégrales), 2014-2018
– Tome 1, 1869 : La conquête de l’espace (1/2), 2014, 63 pages ;
– Tome 2, 1869 : La conquête de l’espace (2/2), 2015, 68 pages ;
– Tome 3, Les chevaliers de Mars, 2017, 60 pages ;
– Tome 4, Un Français sur Mars, 2018, 68 pages.
Challenge de l’imaginaire
