La dernière fois que j’ai cru mourir c’était il y a longtemps, de Clémence Michallon (2020)

La dernière fois que j'ai cru mourirVéronica est culturiste. Son corps est son outil de travail, ses journées sont millimétrées, tout est planifiée : une compétition dans trois mois la fera passer élite. Sauf que. Un grain de sable dans la machinerie bien huilée. Un grain de sable non négligeable pour qui évalue ses repas au gramme près : une pâtisserie.

Tout d’abord, outre l’attrait d’un livre des éditions iXe, il y a eu la fascination pour un monde si différent du mien, si nouveau et inconnu. Pendant que je lisais sur mes pauses repas au boulot, me nourrissant de gâteau, Véronica pesait ses aliments, se contentait de poulet fade, de feuilles d’épinard et de shake de protéines. Bref, un gouffre entre nous. J’ai été sidérée par cette vie de contrôle, d’astreinte et de mental d’acier. L’obstination et la volonté, les entraînements matin et soir, le jeu des sponsors, les concours qui jugent en quelques secondes le travail de plusieurs mois, les sacrifices côté vie personnelle, etc. : ce roman est une véritable plongée dans le monde des bodybuilders. Et je vous le garantis, c’est captivant.

Puis, au fil de cette écriture belle et agréable, je me suis investie, passionnée par ses trajectoires de femmes surtout : Véronica, Carmélia, Lily (un tout petit peu), et puis Nico aussi. Des personnages qui touchent, agacent parfois mais émeuvent souvent. Des forces qui cachent des rêves, des doutes, des failles, des erreurs de trajectoires, des jeux d’équilibristes pour ne pas tomber, pour continuer à avancer. Les protagonistes sont creusés, complexes, imparfaits. Réalistes.
Et finalement, le corps de tous ces personnages – et pas seulement celui de Véronica – forme le cœur du récit. Qu’il soit maîtrisé ou incontrôlable, qu’il aime ou souffre, qu’il s’écrase ou flamboie, il se retrouve souvent dans les thématiques de ce roman très actuel. Je ne détaillerai pas ces sujets pour vous laisser le plaisir de la découverte.

Cependant, à côté du corps, il y a aussi l’esprit. L’esprit qui se fait moteur mais qui peut se transformer en arme. L’esprit qui peut être la plus grande des forces mais le plus impitoyable des ennemis. L’esprit qui taraude, qui pose cette question lancinante : qui suis-je ? qu’est-ce qui me remplit ? qu’est-ce que je fais là ?
Au-delà de cet univers spécifique qui peut sembler si étranger, ce sont donc des questionnements universels qui émaillent ce roman, des interrogations qui ont résonné en moi comme elles pourront résonner en vous.

 Une tranche de vie, un zoom sur quelques humain·es, des personnages forts, un roman riche et nuancé, une lecture fascinante et poignante à la fois. Une très jolie découverte.

« Mais par-dessus tout c’est la tête, c’est le mental, c’est la théorie de la mémoire musculaire appliquée au cerveau. C’est une question d’habitude. A force de réprimer sa faim, ses envies à longueur de journées, de semaines, de mois, on prend le pli. La discipline devient une seconde nature. On ne s’en rend même plus compte – jusqu’au jour où quelqu’un, enfin, rétablit le contact, bout des doigts sur courbe de la taille, et là on constate qu’à oublier sa faim, on a perdu l’appétit. On a perdu l’habitude d’être touchée comme ça. »

« Et je continue. C’est si clair en moi que je peux presque voir mon esprit s’approcher de la rambarde, de la falaise, de la barrière. Prendre son élan et sauter. »

La dernière fois que j’ai cru mourir c’était il y a longtemps, Clémence Michallon. Éditions iXe, coll. iXe’ prime, 2020. 312 pages.

Spécial BD et romans graphiques : trois nouveautés de l’année 2019 #2

Et on continue la petite sélection… J’ai eu pitié de vous et j’ai finalement scindé l’article en deux pour ne vous présenter que trois romans graphiques.

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Saison des Roses, de Chloé Wary (2019)

Saison des Roses (couverture)L’équipe féminine de Rosigny-sur-Seine est bien plus forte que l’équipe masculine. Cependant, lorsque les subventions ne permettent d’envoyer qu’une seule équipe en championnat, c’est la seconde qui est choisie. Une sentence dont l’iniquité révolte Barbara, la capitaine des Roses, qui décide de tout faire pour changer les choses.

Premier constat : encore une fois, le dessin me rebute. Je lui reconnais une énergie et un dynamisme – également porté par un découpage varié des planches – qui sert l’histoire, mais cette colorisation au feutre est trop agressive pour moi et je n’adhère pas aux portraits tracés par l’autrice. Par conséquent, j’ai d’abord été très détachée, ayant du mal à rentrer dans l’histoire. Dans cet univers qui, en outre, ne m’attire pas. Mais peu à peu, insensiblement, je me suis retrouvée à me passionner pour la lutte contre un sexisme ordinaire menée par les jeunes footballeuses. On croise les doigts pour que leur talent finisse par être plus important que leur sexe ; on enrage contre l’injustice qui leur est faite.
Barbara ne se laisse pas marcher dessus, par rien ni personne : ni les responsables du club, ni les garçons, ni son histoire avec Bilal, membre de l’équipe masculine, et encore moins des critères de « féminité » ne peuvent la faire changer de qui elle est vraiment. Les filles ont leur place dans le sport et elle a bien l’intention de le démontrer de manière éclatante. Un personnage affirmé, tel qu’il est toujours agréable d’en croiser.
De plus, Barbara ne se bat pas seulement avec les chef·fes de son club : sa mère aussi est un obstacle à sa passion. Sa mère qui la voudrait plus féminine, plus attentive à l’école, plus concentrée sur son bac que sur sa saison. La passion qui se heurte à l’inquiétude d’une mère pour sa fille : deux sourdes aux préoccupations de l’autre.

En dépit d’un style graphique qui ne me plaît pas, les thématiques très actuelles et la manière dont elles sont abordées dans Saison des Roses en font un roman graphique intelligent, original et efficace.

Plus de planches sur le site des éditions FLBLB

Saison des Roses, Chloé Wary. Éditions FLBLB, 2019. 227 pages.

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Mécanique céleste, de Merwan (2019)

Mécanique céleste (couverture)

Un monde post-apocalyptique. Des communautés divisées. Une plus grande, plus forte, plus armée, qui veut annexer les plus petites. Une seule façon de leur échapper : gagner la Mécanique céleste.
Encore de la SF avec ce roman graphique aux allures d’Hunger Games mélangé avec à la balle au prisonnier. Je dois dire que j’ai beaucoup beaucoup beaucoup aimé !
Pour Aster, l’héroïne, une jeune paria et une pile électrique qui va forcer le monde à reconnaître ses talents et ses forces. Pour son humour, son énergie, son détachement, son intelligence, sa ruse.
Pour Wallis, alter ego paisible. Pour tous les autres personnages bien sympathiques.
Pour l’histoire simple et pourtant terriblement efficace. Captivante, tendre, drôle. Un ton souvent léger pour des enjeux vitaux.
Pour le dessin à l’aquarelle qui croque avec douceur les personnages, avec grandeur l’univers rétro-futuriste, avec énergie les parties de Mécanique céleste.
Et pour la mise en page soignée et vivante avec des cases de tailles variées – longues, petites, horizontales, verticales, sans bordure… –, des pleines pages superbes, des éléments qui sortent du cadre ou encore des onomatopées joliment présentes.
Le résultat est lumineux, sublime, et il ne faut que quelques pages pour être scotchée à cette histoire passionnante et à ces personnages charismatiques.

Le début de l’histoire sur BD Gest’

Mécanique céleste, Merwan. Dargaud, 2019. 199 pages.

Challenge de l’imaginaire
Challenge de l'imaginaire (logo)

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Les Zola, de Méliane Marcaggi (scénario) et Alice Chemana (dessin) (2019)

Les Zola (couverture)A côté de l’auteur des célèbres Rougon-Macquart, il avait aussi l’homme. L’homme amoureux. C’est cette facette d’Émile Zola que Méliane Marcaggi) et Alice Chemana nous proposent de découvrir.
Une histoire assez incroyable et touchante dans laquelle on découvre que l’auteur n’aurait peut-être jamais eu la reconnaissance publique qui était, qui est la sienne sans Alexandrine alias Gabrielle. Une femme qui le pousse à écrire pendant qu’elle les fait vivre, qui lui fait découvrir les milieux pauvres lui fournissant ainsi la matière à sa fresque sociale. Une femme que cette même œuvre a privé de la possibilité d’avoir un enfant. Une femme qui a montré par la suite un état d’esprit exceptionnellement ouvert envers la maîtresse de son mari et leurs enfants. Une femme qui se dessine comme étant l’héroïne de cette bande dessinée historique. Des histoires d’amour, de respect, d’admiration, portées par des aquarelles qui retranscrivent à merveille les ambiances et les émotions. Une plongée dans l’intimité du grand écrivain, quand, aux côtés d’Alexandrine et de Jeanne, Zola devient Émile.

Une BD étonnante – dont je n’avais pas entendu parler et qui m’a charmée alors que je n’en attendais pas grand-chose – qui nous plonge dans la biographie des femmes ayant entouré Zola et qui donne une irrépressible envie de se lancer dans ses romans.*

Le début de l’histoire sur le site des éditions Dargaud

Les Zola, Méliane Marcaggi (scénario) et Alice Chemana (dessin). Dargaud, 2019. 112 pages.

*C’était prévu en 2019, ça n’a pas été fait, mais c’est à nouveau un objectif pour 2020 : reprendre Les Rougon-Macquart au premier tome et les découvrir dans l’ordre tranquillement.

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A mercredi prochain pour les trois dernières bandes dessinées !

Il s’agit de trois titres qui ont plutôt bien fait parler d’eux cette année, à savoir In Waves, Les Indes fourbes et Le dieu vagabond.

Uppercut, d’Ahmed Kalouaz (2017)

Uppercut (couverture)Erwan a 15 ans et, parce qu’il ne peut se retenir de boxer ceux qui font des remarques sur la couleur de sa peau, enchaîne les renvois jusqu’à l’internat de Nantizon, un collège perdu dans la montagne iséroise. Un jour, un professeur lui propose de quitter la classe pendant une semaine à l’occasion d’un stage dans un centre équestre.

Uppercut raconte un racisme ordinaire. Des regards avec une drôle de lueur, des mots qui blessent, un gâteau appelé tête-de-nègre… Je n’ai eu aucune difficulté à comprendre Erwan. Je ne suis pas Noire et ne peux sans doute tout imaginer, mais étant fille, j’expérimente régulièrement (comme beaucoup d’entre nous, je suppose) le sexisme ordinaire (et l’homophobie ne m’est pas étrangère non plus). On connaît donc le pouvoir blessant des idées reçues et des mots jetés comme ça, sans conséquences, sans que la personne ne soit toujours consciente de leur violence cachée, car ils sont parfaitement intégrés dans la société. Avec Gilbert, le directeur du centre, et ses remarques qui semblent naturelles pour lui, Erwan va devoir apprendre à canaliser sa violence et à ne plus répondre par les coups. Le respect ne va pas aller dans un seul sens et tous deux, aussi bien le vieux bourru que le jeune un peu perdu, vont tirer des leçons de cette semaine passée à travailler ensemble.

Dans les mots d’Ahmed Kalouaz, j’ai retrouvé le pire et le meilleur de la campagne. Ce que je n’aime pas et ce qui me fait l’adorer. D’un côté, les idées reçues propagées par la télévision et pernicieusement intégrées à son propre discours, les propos puants, la chasse et les chiens enfermés toute l’année (ce n’est peut-être pas aussi terrible que le racisme, mais le sort de ces pauvres bêtes me fend le cœur). De l’autre, la beauté des paysages, le silence et les bruits de la nature (contradictoire, moi ?), le calme, la gentillesse et la générosité, les histoires personnelles…

L’écriture est poétique, pleine de belles images, et enragée en même temps. En colère, mais emplie d’un désir de vivre, de bien vivre. Nous ne sommes pas dans le patos. Erwan est un adolescent en décrochage scolaire, s’exprimant davantage avec ses poings qu’avec ses mots, mais il n’est pas totalement désabusé. Contrairement à son copain Cédric, il reste plein d’espoir et conscient de la chance d’être soutenu par ses parents, la bibliothécaire bretonne et le routier sénégalais. Pour lui, la boxe est un moyen de se dépasser et de se contrôler et se tourne souvent vers son idole, Rubin Carter, surnommé « Hurricane », un boxeur américain qui a souvent été victime de la ségrégation raciale dans son pays.

Bien qu’il soit très court, Uppercut est un beau roman qui permet d’aborder avec douceur et sans misérabilisme le sujet du racisme ordinaire.

« Comme en boxe, il fallait que je le tienne à distance, pour que ses coups ne touchent pas. Ma tronche contenait des wagons de rage depuis des mois ou des années. A force d’échecs, de renvois d’un collège à l’autre, je m’étais forgé une image de petit taureau qui ne tardait jamais à montrer sa fureur. On m’avait mis au vert, et je ne savais pas ce qui déboucherait de cette semaine à la campagne, un peu comme retiré de mes habitudes. »

« Ma mère m’a parfois dit que les allusions de gens n’étaient pas volontaires, parce que beaucoup se sont habitués à un racisme médiocre et facile. Dans ces moments, elle m’invitait à la retenue, à détourner la violence qui pouvait montrer en moi. Facile à dire. Les autres ne détournent jamais la leur. »

Uppercut, Ahmed Kalouaz. Rouergue, coll. Doado, 2017.126 pages.

Moi et les Aquaboys, de Nat Luurtsema (2016)

Moi et les Aquaboys (couverture)Lou ne vit que pour la natation. Elle s’entraîne depuis l’enfance et son futur est tout tracé : camp d’entraînement intensif, compétitions, JO, victoires… à partager avec sa meilleure amie, Hannah. Sauf que Lou rate les sélections pour entrer au camp d’entraînement. Hannah part donc seule pendant que Lou affronte le lycée et l’ennui de journée sans entraînement. Heureusement que trois garçons viennent la solliciter pour une raison un peu particulière qui lui permettra de retourner dans son élément…
Moi et les Aquaboys est un roman que j’ai beaucoup apprécié pour plusieurs raisons.

Premièrement, les personnages, à commencer par son anti-héroïne. Lou, sportive passionnée de quinze ans aux épaules de déménageur, se transforme en une géante maladroite dès qu’on la sort de l’eau. Complexée par son apparence, elle ne manque toutefois pas d’humour pour affronter la vie. Sa famille ensuite. Ses parents qui vivent ensemble bien qu’étant divorcés, toujours là pour leurs deux filles. L’autre fille, justement, Lavande, 16 ans, qui, sous ses airs de fille superficielle, peut faire preuve d’une maturité inattendue et sera souvent d’un grand réconfort pour sa petite sœur. Quant aux trois garçons, Gabriel, Roman et Peter, ils sont plus classiques (quoique leur passion soit originale) : beaux gosses, populaires… Rien à voir et rien à faire avec une fille comme Lou… et la fin est prévisible.

Deuxièmement, l’humour. Qui naît généralement grâce ou aux dépens de notre héroïne. Grâce, car Lou, narratrice, possède d’un grand sens de l’humour et de la répartie et l’ironie est très présente dans ce roman. Aux dépens de, car elle est la reine des gaffes : chutes en tous genres, paroles sorties trop vite, situations gênantes ponctuent le roman. La vie de Lou se transforme parfois en comédie burlesque !

Troisièmement, les sujets abordés. Cette histoire farfelue et cette bonne humeur cachent des sujets plus graves, comme l’exclusion scolaire, l’anorexie et la pression mise sur les épaules d’Hannah. Le premier point est suffisamment développé à mon goût. Parce que Lou n’est pas populaire, mais elle n’est pas non plus dans une situation de harcèlement scolaire. Certes, ses anciennes camarades de piscine la snobent et la méprisent, elle connaît quelques situations gênantes, mais elle n’est pas constamment humiliée. Je suis assez contente que l’auteure n’ait pas trop exagéré ce point (surtout que l’on peut parfaitement traverser les années lycée sans être proche des autres, j’en sais quelque chose).
En revanche, l’anorexie et la pression exercée sur Hannah par ses parents sont peut-être un peu trop vite expédiées. Cela apparaît dans ses messages au fil du roman, mais ce sont des problèmes qui semblent se régler un peu trop rapidement et facilement à mon goût pour arriver au plus vite à une fin positive pour tout le monde, y compris Hannah.

Malgré ce léger reproche, Moi et les Aquaboys reste un bon roman qui m’a fait sourire plus d’une fois grâce à des personnages atypiques et beaucoup d’humour.

« Je mesure un mètre soixante-dix-sept et je n’ai pas fini ma croissance. Ce n’est pas grave, si jamais j’ai un jour un petit copain, je pourrai le porter quand il sera fatigué. »

« – Tu sais qui sont tes amis de lycée ?
[…]
– Ce sont des gens qui se trouvent avoir ton âge et qui se trouvent habiter près de chez toi. Alors, on vous met dans la même classe et voilà le choix qui t’est proposé. Tu dois juste supporter ça quelques années, et ensuite tu trouveras plein de gens que tu apprécieras davantage, tu auras l’embarras du choix.
 »

Moi et les Aquaboys, Nat Luurtsema. Gallimard jeunesse, 2016 (2016 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Emmanuelle Casse-Castric. 312 pages.

La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon (2014)

La petite communiste qui ne souriait jamais (couverture)Biographie d’une jeune gymnaste roumaine ? Certes. La petite communiste qui ne souriait jamais, c’est avant tout l’histoire d’une vie. Celle de Nadia Comaneci.

Une ascension fulgurante, compétitions après compétitions, médailles après médaille, allant jusqu’à perturber le panneau électronique olympique à Montréal. Toujours aller plus loin, plus vite, plus haut. En dépit des risques. En dépit de l’ombre de l’accident, de la paralysie, de la mort. L’admiration des journalistes, l’adulation des petites filles, l’amour du public.
Et puis, comme souvent, une déchéance. Les premières défaites, l’argent au lieu de l’or. Une utilisation de la jeune sportive par le pouvoir, des changements d’entraîneurs, des doutes, des « écarts ». Des critiques, des jugements. Une déception face aux changements morphologiques de la fillette qui avait battu les championnes soviétiques.

Derrière cette couverture rouge se cache un feu follet venu de l’Est….

Fiction ? Eh oui ! L’imagination de Lola Lafon (les belles sonorités de ce nom !) remplit les silences de l’histoire et les dialogues de la narratrice avec Nadia sont imaginés (bien que tirés ou inspirés par l’autobiographie de l’athlète). Et pourtant… Pourtant, ils sont si réalistes. Si crédibles qu’il semble impossible que les deux femmes n’aient jamais échangé. Si sincères que l’on voudrait qu’ils soient vrais !

Et sur ces pages blanches s’élance une virgule vivace, un corps souple et musclé !

Panorama d’un pays ? Bien sûr ! Et d’une époque, celle de la Guerre Froide. L’un des grands points forts du livre est l’absence d’une vision binaire des événements : pas de méchants contre des gentils. Etrangement – et intelligemment –, ce sont les points de vue parfois extrêmes de Nadia et de la narratrice qui permettent de nuancer. Le dégoût de l’Occident de l’une et la représentation réductrice du communisme et des pays de l’Est de l’autre entraînent des « dialogues » qui font apparaître les failles et les forces des systèmes. (Ceci n’est absolument pas une apologie de la dictature qui sera toujours injustifiable. Néanmoins, tout n’est pas forcément rose sous une démocratie.)

Avec son intelligence et sa sensibilité, La petite communiste qui ne souriait jamais a séduit quelqu’un qui ne connait rien de la gymnastique que les enchaînements minables du collège et qui ignorait l’existence d’une Nadia.
Avec son écriture aussi vive et dynamique qu’un enchaînement de la nymphette roumaine, Lola Lafon m’a donné envie de m’élancer, de traverser les longs couloirs de mon lieu de travail avec des roues et des bonds. De me sentir légère comme si la pesanteur n’existait plus, affûtée et maître de mon corps. Et libre !

  « Je ne vais pas tourner le dos à ce qui me fait peur. Je fais face, parce que la seule façon d’échapper à ma peur est de la piétiner. »

« Chez nous, on n’avait rien à désirer. Et chez vous, on est constamment sommés de désirer. »

« Si vous cherchez un mot pour dire que vous avez vu quelque chose qui était si beau que ça ne disait pas combien c’était beau, dites donc que c’était nadiesque. »

Un extrait de la performance de Nadia aux JO de 1976 à Montréal

La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon. Actes Sud, 2014. 317 pages.

Egalement de Lola Lafon : Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce