Difficile d’ignorer le nom de Margaret Atwood : son roman, La Servante écarlate, a été partout sur la blogosphère en 2017, notamment grâce à l’adaptation en série et à la distribution de livres par Emma Watson dans les rues de Paris. Mais c’est C’est le cœur qui lâche en dernier qui s’est retrouvé dans ma PAL et, à ma grande surprise (avec tous ces éloges sur La Servante écarlate, j’avais un excellent a priori), je dois dire que ma lecture m’a laissée plutôt mitigée…
Les Etats-Unis sont touchés par une crise économique qui jette les gens dans la rue et les pousse aux actes les plus désespérés. Stan et Charmaine survivent péniblement dans leur voiture, mais n’hésitent pas lorsqu’ils entendent parler du projet Consilience/Positron. Ils signent immédiatement pour une vie parfaite avec maison et travail dans la ville de Consilience… un mois sur deux. L’autre mois, ils le passeront dans la prison Positron où ils seront également nourris et employés à diverses tâches utiles à la communauté. Pendant ce temps, un couple d’Alternants prend leur place dans leur maison. Le mot d’amour passionné de l’autre femme sera le premier grain de sable dans cette machine bien huilée.
« Consilience = condamnés + résilience.
Un séjour en prison aujourd’hui, c’est notre avenir garanti. »
Une dystopie qui s’interroge sur l’éternelle question « liberté ou sécurité ? », un résumé intriguant, une idée de base intéressante, les dérives prévisibles d’une utopie gâchée par l’avidité…. et pourtant…
Ma lecture s’est quelque peu déroulée en dents de scie. Le début m’a intriguée ; une fois les protagonistes à Consilience, j’ai eu une grosse lassitude pendant soixante-dix pages car le récit était redondant et donc long à mes yeux ; j’ai ensuite eu un regain d’intérêt qui m’a fait lire la fin sans trop de déplaisir (sans passion non plus).
L’embrigadement et le contrôle des habitants de Consilience sont tout de suite perceptibles et pourtant les personnages ne réalisent pas les problèmes qui les entourent. Charmaine notamment, avec son désir de bien faire et d’être acceptée dans cette nouvelle vie, se laisse convaincre sans difficulté que son travail en prison – pas très moral, mais je n’en dis pas plus – est nécessaire et met un temps fou avant de remettre en question les notions de dévouement et d’utilité publique bien inculquées.
Les dérives de ce nouveau système m’ont (plus ou moins) accrochée car je ne les trouve pas si farfelues que ça et j’étais curieuse d’assister à l’éveil et la rébellion de certains protagonistes. Mais finalement – comment Margaret Atwood se débrouille-t-elle ? – je suis restée à l’extérieur et je n’ai pas été horrifiée par les actes horribles qui se déroulent sous la surface lisse de Consilience, je n’ai pas tremblé pour les personnages… Finalement, Margaret Atwood lance beaucoup de pistes et les utilise très peu (le passé de Charmaine, l’alternance des couples dans la maison, la passion soudaine du Big Brother pour Charmaine…).
Parlons-en d’ailleurs, des personnages… Les principaux, Stan et Charmaine, me sont restés froids et peu sympathiques, distants en tout cas. Je n’ai ressenti pour eux aucune empathie. J’ai donc eu l’impression de rester à la marge du roman tout au long de ma lecture. Et eux aussi me semble-t-il. Tous deux ne font que suivre la révolte de loin, faisant ce qui leur est ordonné sans trop s’impliquer, ils subissent les événements d’un bout à l’autre.
Stan, Charmaine, Jocelyn, Max… tous sont des névrosés du cul qui te font oublier que le monde semble sombrer dans un gros bordel, leur unique (ou presque) préoccupation se trouvant entre leurs jambes. C’est peut-être une satire de nos sociétés, mais ça vient prendre le dessus sur les autres aspects de l’histoire et le sexe reste le moteur principal du roman.
Il a quelque chose de désuet et de misogyne dans cet histoire. Stan est parfois un gros macho (même si l’arrivée de Jocelyn va retourner un peu la situation puisqu’il devient rapidement pantin). Charmaine est un archétype de la bonne petite ménagère, elle est toute polie et aime se faire passer pour une petite chose fragile. Même si ce n’est pas tout à fait le cas, elle n’en est pas moins agaçante. Quant à la société instaurée à Consilience/Positron, elle est très proprette, classique, avec une répartition des tâches qui fait, par exemple, que les femmes en prison s’occupent du tricot, des cuisines et du linge. Au mieux, ça laisse de marbre ; au pire, ça énerve…
C’est le cœur qui lâche en dernier contient vraiment d’excellentes idées, le futur décrit n’est pas si lointain et inimaginable que ça, on frôle un peu l’étude de mœurs, l’immoralité des personnages est intéressante et l’humour noir (pas aussi hilarant que le prétend la quatrième de couverture) vient parfois ajouter une note grinçante au récit, mais ça n’a pas pris avec moi.
Le récit est poussif et je ne me suis pas une fois immergée dans cette histoire. C’est finalement le reproche majeur que je fais à ce roman car je n’ai pas de grosses critiques à lui faire : je ne me suis jamais impliquée, je n’ai jamais eu le moindre frisson d’inquiétude et de curiosité pour les personnages ou même l’utopie déglinguée de Consilience, je suis passée à côté.
Je garde malgré tout l’envie de lire La Servante écarlate en espérant que ce livre dont j’ai entendu tant de bien permettra à Margaret Atwood de remonter dans mon estime…
« Le mieux avec les cinglés, disait toujours Mémé Win – le seul truc, en réalité -, c’est de ne pas se trouver sur leur chemin. »
« Vous avez le choix, poursuit Jocelyn. De l’entendre ou pas. Si vous l’entendez, vous serez plus libre, mais moins tranquille. Si vous ne l’entendez pas, vous serez plus tranquille, mais moins libre. »
C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood. Editions Robert Laffont, coll. Pavillons, 2017 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch. 443 pages.
Challenge Voix d’autrices : une dystopie