Palais idéal du facteur Cheval : le Palais idéal, le Tombeau, les écrits, par Gérard Denizeau (2011)

Palais idéal du facteur Cheval

« Travail d’un seul homme »
(Façade Nord)

facade-est

Dans Palais idéal du facteur Cheval, Gérard Denizeau présente cet incroyable monument construit à Hauterives (Drôme) par Joseph Ferdinand Cheval, dit le facteur Cheval, entre 1879 et 1912. Il fut classé en 1969 comme monument historique et chef-d’œuvre de l’art naïf. Pendant 33 années, cet homme, facteur de son état, a empilé des pierres, les a modelées, les a assemblées afin d’édifier un stupéfiant palais : il avait 77 ans lorsqu’il l’a achevé. Ensuite, il a eu le courage de bâtir son « Tombeau du silence et du repos sans fin » au cimetière d’Hauterives : 8 années supplémentaires de travail jusqu’à ses 86 ans pour ériger « un lieu de repos sans pareil » (Cahier numéro 3 de décembre 1911).

« 1879 1912
10 mille journées
93 mille heures
33 ans d’épreuves
Plus opiniâtre
Que moi se mette
A l’œuvre »
(Angle Nord-Est)

Pierre d'achoppementVoilà de quelle manière il conte lui-même le commencement de cette aventure : « Un jour du mois d’avril 1879, en faisant ma tournée de facteur rural à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne. Je marchais très vite, lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin. Je voulus en connaître la cause. Je fus très surpris de voir que j’avais fait sortir de terre une pierre à la forme si bizarre, à la fois si pittoresque que je regardais autour de moi. Je vis qu’elle n’était pas seule. Je la pris et l’enveloppai dans mon mouchoir de poche et je l’apportai soigneusement avec moi me promettant bien de profiter des moments que mon service me laisserait libres pour en faire provision. A partir de ce moment, je n’eus plus de repos matin et soir. Je partais en chercher ; quelques fois je faisais 5 à 6 kilomètres et quand ma charge était faite je la portais sur mon dos. » (Lettre à André Lacroix de 1897).

Il ramena de ses tournées du tuf, du silex, du grès, du calcaire, des galets, des coquillages et d’autres matériaux, hétéroclite mélange de formes et de couleurs : le Palais qui peut sembler monochrome de loin est en réalité blanc, gris, noir, brun, rouge, rose, jaune… « C’est un fou qui remplit son jardin de pierres », c’est ce que disent les voisins. Mais Ferdinand Cheval n’en a cure. Il n’est pourtant pas un bâtisseur : « Du rêve à la réalité, la distance est grande n’ayant jamais touché ni la truelle du maçon, ni le ciseau, ni l’ébauchoir et j’ignorais absolument les règles de l’architecture. » Peu importe, il se met au travail attirant les moqueries, puis les visiteurs, puis les éloges.

« En cherchant j’ai trouvé
Quarante ans j’ai pioché
Pour faire jaillir de terre ce palais de fées
Pour une idée, mon corps a tout bravé
Le temps, la critique, les années
Le travail fut ma seule gloire
L’honneur mon seul bonheur. »
(Cahier numéro 3 de décembre 1911)

OLYMPUS DIGITAL CAMERALorsque je suis arrivée sur le site, je suis restée sans voix devant ce monstre. Assemblage cacophonique d’animaux, de plantes, de formes. Le facteur Cheval a mêlé éléments du quotidien et imaginaire oriental puisé dans les revues – à la mode à cette époque – qui racontaient les expéditions lointaines, les animaux sauvages, la flore exubérante, les palais des anciens rois.
Ainsi, temples égyptien et hindou se côtoient dominés par la Tour de Barbarie (qui n’était en premier lieu qu’un réservoir à eau). La façade Ouest propose un voyage spatial et temporel avec les représentations du Temple hindou, du Chalet suisse, de la Maison Blanche, de la Maison Carrée d’Alger et du Château au Moyen-Âge (VIIIe-IXe siècles). Quant à la façade Est, elle est occupée par les Sources de Vie et de Sagesse :

« A la source de la sagesse seule
On trouve le vrai bonheur. »

OLYMPUS DIGITAL CAMERASi la flore est composée de palmiers, de potirons, d’aloès ou encore de cèdres de pierre, on trouvera, pour la faune, des éléphants et des coqs gaulois, un bélier et un dragon, un lion et un crocodile, des oiseaux divers dont un phénix, un cerf, une biche et un faon, un chien et des serpents. Ils sont accompagnés de figures et de créatures étranges, indéterminées, menaçantes parfois. Adam et Eve surgissent de la pierre ainsi que les momies d’Egypte et toute une armée de petits bonhommes sur la crête de la façade Est. Sur cette même façade, contemplant l’horizon, se dressent trois géants : César, Vercingétorix et Archimède.
Ayant en horreur les audioguides, je sais que je suis passée à côté de la moitié des objets composant le Palais. Ils sont si nombreux, disséminés dans tous les coins et recoins, qu’il est impossible de tous les détailler en une visite. Ce livre m’a permis de les redécouvrir.

Sur tous les murs courent des inscriptions puisque, comme il le dit lui-même, il se plaît à « taquiner un peu la Muse ». Il utilise des caractères arabes (« amours », « des jours », « ambre ») qui donnent une impression d’authenticité, même si ces mots sont indéchiffrables par la majorité des visiteurs (et probablement même par lui). Mais ce sont surtout des vers que Ferdinand Cheval a immortalisé sur son Palais.

« La vie est un océan de tempête
Entre l’enfant qui vient de naître
Et le vieillard qui va disparaître. »
(Façade Ouest)

Il célèbre sa patience, sa volonté et sa fierté :

« Cette merveille
Dont l’auteur peut être fier
Sera unique dans l’univers. »
(Façade Nord)

Il raconte son histoire :

« L’hiver comme l’été
Nuit et jour j’ai marché
J’ai parcouru la plaine les coteaux
De même que le ruisseau
Pour rapporter la pierre dure
Ciselée par la nature
C’est mon dos qui a payé l’écot
J’ai tout bravé, même la mort. »
(Façade Est)

Il rend hommage à sa brouette :

« Je suis la fidèle compagne
Du travailleur intelligent
Qui chaque jour dans sa campagne
Cherchait son petit contingent. »
(Niche de la brouette)

Après la vie de Ferdinand Cheval, après le Palais idéal, après le Tombeau, Gérard Denizeau nous fait découvrir les écrits du facteur. Des lettres à l’archiviste André Lacroix, au journaliste Emile Lepage et des extraits de ses cahiers :

« Fils de paysan et fils de mes œuvres, je suis resté paysan avec le ferme désir de mettre en évidence le pouvoir d’une volonté énergique et d’un travail soutenu. »
(Cahier numéro 3 de décembre 1911)

« Le mot impossible n’existe plus
Le facteur l’a aussi vaincu
En créant un rocher j’ai voulu prouver
Ce que peut la volonté. »
(Cahier numéro 3 de décembre 1911)

C’est un très beau livre, très complet sur le facteur Cheval et ses œuvres. Richement illustré, il nous permet de rentrer au cœur du Palais, au plus proche de la pierre, à la découverte de ces fantastiques figures.

Terminons sur la devise de Jacques Cœur, gravée sur la façade Est :

« A cœur vaillant rien d’impossible »

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Le site officiel du Palais idéal

Palais idéal du facteur Cheval : le Palais idéal, le Tombeau, les écrits, Gérard Denizeau. Scala, 2011. 191 pages.