Deux mini-chroniques : Le fusil de chasse de Yasushi Inoué et La vie en chantier de Pete Fromm

Deux mini-chroniques pour des livres qui n’ont rien à voir. Ni la taille, ni l’époque, ni le style… bref, ne cherchez pas. Leur seul lien, c’est la brièveté de mes critiques.

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Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué (1949)

Le fusil de chasse (couverture)Trois lettres écrites par trois femmes et adressées au même homme. Au départ, un simple adultère. Au final, une fresque sur l’amour, la mort et le mensonge.

Trois lettres. Trois femmes écrivant à un homme. Racontant leur histoire, leur passé, leur relation avec lui et entre elles. A travers ces trois lettres écrites sans la moindre concertation, plusieurs facettes d’un même tableau se peignent peu à peu. Chaque femme dévoile sa version de l’histoire, ses détails, et l’histoire, anecdotique en elle-même, se complète progressivement.

Trois lettres pour dire l’amour, les regrets, la jalousie, la honte, la colère, la solitude… Les sentiments sont exacerbés, finement exprimés avec cette écriture imagée et raffinée – dans laquelle fleurs et saisons sont omniprésentes – que j’ai souvent retrouvée dans des textes japonais (du Dit du Genji aux Belles endormies par exemple).

Le texte a beau avoir soixante-dix ans, il n’en reste pas moins actuel. Les sentiments qu’il décrit sont ceux qui peuvent tournoyer autour de n’importe quelle histoire d’amour passionnelle, quelle que soit l’époque et le lieu.

Economie de mots, ce texte épistolaire se révèle court mais efficace pour cette fine analyse des relations humaines. Simple, poignant et délicat.

« Je pleurais parce que tout me semblait voué à un isolement triste, effrayant. Vous trois – Mère, déjà devenue une âme, et vous, et Midori – vous étiez réunis dans la même chambre, et chacun de vous avait ses pensées secrètes mais n’en disait mot. Quand je me représentais la scène, le monde des adultes me semblait intolérable, comme un monde de solitude, de tristesse et d’horreur… »

Le fusil de chasse, Yasushi Inoué. Le Livre de Poche, coll. Biblio roman, 2012 (1949 pour l’édition originale). Traduit du japonais par Sadamichi Yokoo, Sanford Goldstein et Gisèle Bernier. 88 pages.

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La vie en chantier, de Pete Fromm (2019)

La vie en chantier (couverture)Missoula, Montana. Taz et Marnie semblent promis à une vie heureuse : de l’amour et de la complicité à revendre, une maison en chantier qu’ils réhabilitent avec bonheur malgré leur petit budget, un bébé en route… Sauf que tout s’écroule lorsque Marnie meurt en donnant naissance à Midge. Si Taz est en miettes, il peut néanmoins compter sur son ami Rude, sur la mère de Marnie et sur Elmo la nouvelle babysitter pour l’aider à remonter la pente.

Pete Fromm est un auteur que j’aimerais croiser plus souvent au fil de mes lectures depuis mon immense coup de cœur pour Indian Creek. C’est donc enthousiaste que j’ai emprunté son dernier titre à la bibliothèque. Ce fut une agréable lecture, mais malheureusement pas aussi géniale et fascinante qu’Indian Creek. J’avais de telles attentes que je ne peux m’empêcher de me ressentir une immense déception et, de ce fait, je me contenterais d’une petite critique car la petite voix qui me chuchote que « Indian Creek était quand même mieux » risquerait de tout gâcher en se manifestant sans cesse.

Je suis partagée sur les portraits dessinés par Pete Fromm. Parfois, ses personnages ont su me toucher ; parfois, ils m’ont complètement laissé de marbre. J’ai en revanche été plutôt séduite par leur relation si empreinte de tendresse – et parfois de maladresse – envers Midge.
Ce qui m’a également un peu déçue, ce sont les chemins un peu faciles empruntés par l’histoire. C’est le genre de roman où l’on envie un peu le personnage d’être si bien entouré, qui nous fait espérer rencontrer de telles personnes un jour parce qu’aucune histoire ne peut mal finir avec des ami·es si dévoué·es (la dernière fois que j’ai éprouvé cette sensation, c’est en lisant Agnès Ledig histoire de connaître un peu ce qui plaît tant aux lectrices de la bibliothèque : autant dire que je ne pensais pas que Pete Fromm me rappellerait Agnès Ledig…). Le côté romantique de l’intrigue, dont l’issue se voit comme le nez au milieu de la figure, m’a également fait pousser quelques soupirs.

Cela reste néanmoins une jolie histoire de vie, sur ce qui fait le quotidien, sur le deuil, sur la force de reconstruction de l’être humain, sans pathos et passages trop tire-larmes. J’ai qualifié cette lecture d’agréable. Ce qui veut tout dire à mon avis. C’est-à-dire que ça se lisait bien, j’ai passé un bon moment, mais ce n’était pas non plus le livre qui me marquera durablement.

Mouais… j’ai beau ne pas avoir détesté cette lecture, j’ai quand même du mal à vous la vendre. Pour conclure, je vous conseille de lire Indian Creek (mais je suppose que vous l’aviez déjà compris).

« Au lieu des pins ponderosa sur la colline, des trembles sur la berge, de leurs feuilles sous l’eau encore dorées, constellant le barrage des castors, il voit des troncs calcinés se détachant sur le bleu glacial du ciel telles des pointes de lances noircies.
Même les peupliers ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, leurs doigts griffus se refermant sur du vide. La terre est carbonisée. Les étangs sont comme huilés, graissés. Il ne reste rien.
 »

La vie en chantier, Pete Fromm. Gallmeister, coll. Americana, 2019 (2019 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliane Nivelt. 380 pages.

Lettres du Père Noël, de J.R.R. Tolkien (écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976)

Lettres du Père Noel (couverture)Entre 1920 et 1943, J.R.R. Tolkien, se faisant passer pour le Père Noël, a écrit des lettres à ses quatre enfants. Il leur raconte la vie au Pôle Nord, les mésaventures de l’Ours Polaire, son fidèle compagnon, les batailles contre les gobelins et, évidemment, les préparatifs pour Noël.

Ces lettres n’étaient pas destinées à la publication et les historiettes qu’elles racontent restent relativement enfantines, même si le quotidien au Pôle est plaisant à découvrir et si l’aventure est souvent au rendez-vous. Toutefois, au fil des années (et de la croissance des enfants), Tolkien a développé et enrichi son univers polaire et certains éléments ne sont pas sans rappeler Le Seigneur des Anneaux : les guerres avec les gobelins deviennent plus virulentes, le Père Noël trouve des alliés chez les elfes, des langages (elfique, polaire…) font leur apparition, etc.
La Seconde Guerre mondiale n’est pas exclue des lettres et le Père Noël explique aux enfants les problèmes liés au conflit, les pénuries et les souffrances des personnes ballotées par la guerre. Se devinent également les années où Tolkien n’a pas eu le temps de travailler ses lettres : ces années-là, rien de particulier n’est arrivé au Pôle et le Père Noël n’a rien à raconter !

Mais surtout, ce qui se dessine dans ses lettres, c’est l’amour d’un père pour ses enfants. Ces lettres sont magnifiques et ont dû les faire rêver les uns après les autres, année après année. C’est une idée magnifique à mes yeux. Etre le correspondant privilégié du Père Noël, voilà une idée qui doit faire rêver bon nombre d’enfants ! Beaucoup de tendresse se dégage de cette compilation car, sous les mots admiratifs du Père Noël pour le caractère ou le travail de tel ou tel enfant, c’est la fierté de leur père qui transparaît.

Les illustrations sont charmantes. Elles montrent les timbres du Pôle Nord, la maison du Père Noël, les gobelins, les chutes et bêtises de l’Ours Polaire… J’ai beaucoup aimé les paysages enneigés, étincelant sous la Lune.
Je possède l’édition Pocket, mais je pense que j’emprunterai à l’occasion le grand format de chez Christian Bourgeois pour redécouvrir ces dessins riches en détails dans de meilleures conditions.

Même si les histoires racontées ne sont pas toujours palpitantes, les Lettres du Père Noël constituent un recueil attendrissant, plein de magie, de rêve et d’amour, qui permet de rencontrer le père et le grand conteur qu’était Tolkien. Un petit livre parfait pour un instant cocooning !

« Je vous envoie à présent mille baisers, et espère ardemment avoir sélectionné les plus beaux cadeaux dans vos listes de suggestions. J’allais vous envoyer des Bilbo le Hobbit ; j’en envoie d’énormes quantités (de la deuxième édition, pour la plupart) que j’ai commandées il y a quelques jours – mais j’ai pensé que vous en auriez beaucoup, donc je vous fais parvenir un autre Conte de Fées d’Oxford. » (1937)

« Le nombre d’enfants qui restent en contact avec moi semble diminuer : je suppose que c’est à cause de cette horrible guerre, que les choses s’arrangeront j’imagine quand ce sera fini, et que je serai plus occupé que jamais. Mais de nos jours, le nombre de gens qui ont perdu leur maison ou l’ont quittée est effroyable ; la moitié du monde paraît se trouver au mauvais endroit. » (1941)

« Ma chère Priscilla,
Un très joyeux Noël ! Je suppose que tu vas suspendre ton bas encore une fois : je l’espère car j’ai encore quelques petites choses pour toi. Après quoi je devrai dire « au revoir », plus ou moins : mais je ne t’oublierai pas. Nous conservons toujours les numéros de nos vieux amis et leurs lettres ; et plus tard nous espérons revenir quand ils sont grands et quand ils ont leur propre maison et des enfants. » (1943)

Lettres du Père Noël, J.R.R. Tolkien. Pocket, 2010 (lettres écrites entre 1920 et 1943, première publication en 1976, première traduction en 2004). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Gérard-Georges Lemaire. 111 pages.

Et je danse, aussi, de Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux (2015)

Et je danse, aussi (couverture)Me serais-je naturellement dirigée vers ce roman après, notamment, l’expérience catastrophique du Cercle des amateurs d’épluchures de patates ? Je ne pense pas. Mais ma curiosité littéraire est telle que je ne refuse pas une découverte lorsque l’on me l’offre. Et heureusement, j’ai été davantage convaincue par Et je danse, aussi que par l’ouvrage cité ci-dessus.
Eh oui, j’ai apprécié par la correspondance de Pierre-Marie Sotto et Adeline Parmelan, j’en ai tourné les pages rapidement comme ce style nous invite à le faire. Tous deux m’ont paru concrets, assez esquissés pour qu’on puisse, en quelque sorte, s’y attacher (du moins, le temps d’une lecture). Quelques personnages secondaires, qui nous permettent de découvrir davantage le cercle des proches de Pierre-Marie, apportent une bouffée d’air frais ou une tornade enragée.

Sur une toile quasi policière de disparition non élucidée et d’enveloppe mystérieuse, ce sont les vicissitudes du quotidien qui se dessinent au fil des mails dans lesquels les deux protagonistes se dévoilent vies présentes et passées. Problèmes de couples, ennui, famille décomposée et recomposée, décès, échec professionnel ou sentimental, doute de soi et de sa vie, secrets de famille, mais aussi, les bons moments de paix, de bonheur, de rencontres. En bref, un panorama de l’ordinaire finalement.
Intéressant, ce roman épistolaire écrit à quatre mains, celles de Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux. Sans être un chef d’œuvre, Et je danse, aussi est très divertissant, ce qui est aussi le but de la littérature (aucune obligation de se prendre systématiquement la tête avec des pavés philosophiques). Avec humour, il parle de la vie telle qu’elle est, avec ses joies et ses douleurs, avec ses fantaisies et ses rencontres.

MAIS. Car il y a un « mais ». Outre le fait que je n’ai pas vraiment rêvé ou été embarquée dans cette histoire de vies qui pourraient être la mienne aujourd’hui ou demain, je me suis un peu lassée de leur bonne humeur quasi permanente. La tristesse ou la colère ne semble pas durer plus de deux mails chez eux. Peut-être suis-je trop pessimiste pour que cela ne me paraisse pas vraiment crédible.
L’autre critique que je ferai concerne la fin. Tout d’abord, le secret qui pèse sur le livre est élucidé, disséqué et balayé très rapidement. Et ensuite, j’ai eu l’impression que la fin était pliée en quatrième vitesse. Hop, on conclue définitivement le fameux mystère, on organise une rencontre, le tout introduit par un fade et facile « Cinq mois plus tard ». Un peu déçue, je l’avoue.

Pour finir sur une note positive, Et je danse, aussi rappelle que la vie est un roman si on veut la voir comme tel et peut être, même sans super-héros, extraordinaire.

« Au fait, connaissez-vous la définition d’un ami ? C’est quelqu’un que vous pouvez appeler à trois heures du matin pour lui dire : je crois que j’ai fait une très grosse bêtise, peux-tu venir avec une bâche et une pelle ? Et il vient. »

Et je danse, aussi, Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux. Fleuve, 2015. 288 pages.

Le monde de Charlie, de Stephen Chbosky (1999)

Le monde de Charlie (couverture)Edité en France pour la première fois en 2008 – soit près de dix ans après sa sortie aux Etats-Unis sous le titre Pas raccord, Le monde de Charlie a été réédité lors de la sortie de son adaptation au cinéma.

Comme l’indique le second titre – explicite, mais naze –, on entre dans le monde de Charlie, un garçon « pas raccord », un garçon « dégénéré » selon les autres de son âge, un garçon « exceptionnel » selon son prof de Lettres. On rentre dans son univers, avec ses livres, ses chansons, ses films, avec ses pensées. L’histoire se déroule à travers plusieurs lettres que Charlie écrit à un inconnu – ou à nous – et lui raconte sa première année de lycée. Cette nouvelle année s’annonce aussi angoissante et solitaire que l’année précédente, sauf qu’il fait la connaissance de Sam et Patrick qui lui parle, le découvre et l’intègre dans leur groupe d’amis.

C’est un superbe roman qui se rapproche sous certains rapports de L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger, livre que « Bill », le prof de Lettres prête d’ailleurs à Charlie au cours de son année. Un roman sur l’adolescence, la découverte d’un monde nouveau, un monde où l’on fume, où l’on sort, où l’on parle de sexe, où l’on écoute de la bonne musique, mais avant tout un monde où l’on a des amis, où l’on se sent à sa place, où l’on se sent éternel.

C’est vraiment un roman intelligent. Un vrai, bon roman sur l’adolescence, sur les questions que l’on peut se poser, sur les découvertes que l’on fait sur le monde et sur soi-même, sur la peur face à ce monde qui n’est pas rose. Charlie se pose énormément de questions, ce qui m’a amené à m’en poser également, à réfléchir sur des choses auxquelles je n’avais jamais pensées. Charlie apparaît parfois comme très naïf dans sa manière d’agir avec les autres, dans sa manière d’écrire et de raconter ses expériences (drogue, homosexualité, amour, sorties, alcool…). D’ailleurs, je n’ai pas vraiment fait attention, mais j’ai eu l’impression qu’au fur et à mesure que l’année se déroule, l’écriture devenait plus riche : est-ce effectivement le cas car Charlie fait des progrès et utilise, comme Bill lui suggérait, davantage de vocabulaire ou est-ce simplement moi qui me suis habituée à l’écriture ? Mais il n’est pas idiot. Il est attachant, il est intelligent, il regarde tout et questionne, dissèque, comprend. C’est d’ailleurs ce que lui dit Patrick : « Tu vois les choses. T’en parles pas. Et tu comprends. »

J’ai beaucoup apprécié le fait que Charlie ne devient pas le garçon « le plus cool du lycée », Charlie n’est pas le garçon le plus cool du lycée au sens où la masse des lycéens l’entendent. La bande dans laquelle il s’intègre est composée de marginaux, de personnes un peu mises à l’écart (et qui s’y mettent aussi volontairement). Ils ont leur caractère, leur style, leurs goûts. Leur histoire. Charlie, Sam et Patrick ont vécu ou vivent tous trois des moments difficiles.

Charlie est très fragile psychologiquement au début du roman. Cela empire jusqu’à la fin lorsqu’il réalise que ces amis vont tous partir à l’université et qu’il se sentira seul à nouveau, mais paradoxalement, il s’améliore également : il « s’implique » sur les conseils de Bill, il voit les bons moments, il s’attache fortement à ses amis et, par la même occasion, à la vie.

Je me suis beaucoup identifiée à chacun de ces trois personnages (même s’il ne m’est rien arrivé d’aussi terrible). Mes années lycées se sont passées de la même manière que celles de Charlie et je retrouve un peu de mon caractère dans le leur. Sam dit : « J’ai décidé d’être la personne que je suis vraiment. Et je vais essayer de trouver cette personne. » Je cherche encore et sans doute, chercherai-je toujours.

Je sais que le fait de m’être identifiée comme ça a énormément contribué au plaisir que j’ai eu de lire ce roman. Se reconnaître dans un livre, ça donne l’impression que quelqu’un nous comprend. C’est assez étrange car des milliers de personnes l’ont lu et peut-être des dizaines, des centaines parmi eux ont eu le même sentiment. Je crois que l’on peut retirer beaucoup de choses de ce roman, notamment beaucoup de réflexion.

J’ai l’impression que je ne saurai jamais comment donner envie de lire ce livre.
Il est touchant, il est drôle, il est pertinent.
Il est vrai.

Petit plus très sympa : les listes des musiques écoutées et des livres par Charlie tout au long du roman. Ça m’a donné envie de me faire une petite playlist et j’ai rajouté des livres à lire sur mes listes.

Ma critique du film

« Il faut d’abord que tu saches que je suis à la fois triste et heureux, et que j’ai toujours pas compris comment ça se fait. »

« Du coup, je me dis que c’est pour des tas de raisons différentes qu’on est comme on est. Et qu’on les connaîtra jamais toutes, ces raisons. Mais même si on ne peut pas choisir d’où on vient, à partir de là, on peut quand même choisir où on veut aller. On peut faire des choses. Et essayer de se sentir bien quand on les fait. »

Le monde de Charlie, Stephen Chbosky. Sarbacane, coll. Exprim’, 2012 (1999 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Blandine Longre. 252 pages.

Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, par Mary Ann Shaffer et Annie Barrows (2009)

Le Cercle des amateurs d'épluchures de patatesAu sortir de la Seconde Guerre Mondiale, Juliet Ashton, jeune écrivain fort appréciée, se met à correspondre avec Dawsey, un homme habitant l’île de Guernesey. Lorsque celui-ci évoque « le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates », Juliet se pique de curiosité pour cette petite île de la Manche et se lie d’amitié avec plusieurs de ses habitants, membres du Cercle, qui lui narrent leur manière dont ils ont vécu la guerre et le rôle joué par les livres. Jusqu’au moment où elle décide d’aller leur rendre visite à Guernesey…

J’avais beaucoup entendu parler de ce livre depuis sa sortie. En bien. De plus, son titre relativement intrigant attrapait mon regard dans chaque librairie que je visitais. En revanche, la couverture et le commentaire d’Anna Gavalda en quatrième de couverture (« Absolument délicieux ! ») jouait plutôt en sa défaveur. Après l’avoir emprunté à une amie, il fut abandonné pendant plusieurs mois au milieu de mes livres à lire. Ce n’est que récemment que je me décidai à le lire (un peu pour m’en débarrasser, je l’avoue).

Et au final, qu’en est-il ? Le cadre : Guernesey. Une île dont je ne connaissais rien et des paysages splendides dont les descriptions offertes par ses habitantes font parfois rêver. Le moment : la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Un moment fort, les Nazis sont repartis, on apprend à revivre, la douleur est toujours là, mais la joie commence parfois à revenir. On découvre donc dans ce livre l’histoire et l’occupation par les Allemands d’une région inconnue et ignorée des livres d’histoire. Et mêlés à tout cela, des livres ! Que demander de mieux ?

Voyons… Des personnages moins gentils peut-être ? Oui, parce que les gens sont tous très gentils autour de Juliet. Ils sont tous originaux, attachants, Elizabeth qui a été déportée est tellement courageuse, la petite Kit est mignonne à souhait malgré son caractère bien trempé, etc. (Autre petite chose qui m’a fait sourire : ils créent le Cercle durant la guerre, la plupart n’ayant jamais lu de livres auparavant. Mais presque à chaque fois qu’ils prennent leur premier livre, c’est LE livre, celui qui les suivra toute leur vie. J’ai trouvé ça un peu improbable et, même si ça ne m’a pas dérangé du tout, je reconnais que ça m’a fait sourire.) Les Nazis sont méchants, mais pas tous quand même : c’est peut-être la seule nuance à être dans le caractère des personnages. En revanche, le prétendant de Juliet Mark Reynolds est LE bellâtre par excellence et Adelaïde Addison LA méchante vieille aigrie contre tous. Un peu de gris aurait été le bienvenu dans cette farandole de bons sentiments et de portraits pour le moins manichéens. Et cela nous aurait peut-être épargné la fin totalement bateau et prévisible que nous offre (cadeau empoisonné !) les auteures.

A mon avis, il manque autre chose à ce livre, quelque chose d’essentiel : un style. Ce livre m’a frappée par son absence totale de style. C’est un roman épistolaire, il se construit donc sur les lettres provenant de différentes personnes, de différentes personnalités, de différentes histoires, or, tous les courriers sont écrits sur le même ton. N’est-ce pas fabuleux ? Ainsi, celle dont l’écriture est son métier écrit de la même façon que celui qui ne lit que depuis deux ans. De même, il n’y a pas de différence notable entre les missives de l’excentrique du village et de la respectable dame qui habite le manoir. Où est la crédibilité ? Les auteures auraient dû se pencher sur leurs personnages et leur donner une voix propre. Bien sûr, on sent qu’ils ne sont pas tous pareils, mais cette impression m’a été donnée par leurs actes et non pas par leurs écrits.

Je sais que beaucoup ne seront pas d’accord avec moi comme je sais que certains le sont, mais si vous cherchez un roman à l’eau de rose dans un beau décor à lire sans réfléchir, d’accord. En revanche, si vous êtes en quête d’un bon roman, fuyez !

(Cependant, le nom de Charles Lamb est couché sur l’un de mes carnets et j’ai bien l’intention de le découvrir un jour.)

Petite précision : Le véritable nom du Cercle est « le Cercle des amateurs de littérature et de tourtes aux épluchures de patates », ce qui est conforme avec le titre anglais (« The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society »), mais cette appellation a été raccourcie lors de sa traduction (un énième exemple de massacrage de titre…).

Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, Mary Ann Shaffer et Annie Barrows. Editions Nil, 2009 (2008 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Aline Azoulay-Pavcon. 396 pages