Missouri 1627, de Jenni Hendriks et Ted Caplan (2019)

Missouri 1627Veronica Clarke est une élève modèle : major de promo, membre de l’équipe de volley, future étudiante à Brown, populaire, etc. Sauf qu’elle est enceinte. Adieu avenir radieux. Une seule solution : une clinique d’Albuquerque à 1627 kilomètres de chez elle. Pour l’y conduire : son ancienne meilleure amie, Bailey Butler.

J’avoue que j’avais quelques doutes à la lecture du synopsis. Le côté road-trip un peu barré, ça peut fonctionner ou pas. Heureusement, le voyage s’est bien passé ici. Enfin, pas toujours pour les deux filles, mais pour moi. Certes, j’ai eu l’impression que les déboires en série étaient un peu trop rapprochés pour être totalement crédibles. Mais c’est aussi ce qui confère du piquant à ce livre, ce qui fait que l’on enchaîne les chapitres pour savoir comment elles vont se sortir de chaque mauvais pas pour continuer leur chemin.
Le côté humoristique vient adoucir le sujet fort sérieux de l’avortement. Cela ne le décrédibilise pas, mais apporte un souffle d’air frais et offre une bonne répartition de gravité et de légèreté, de joie et de tristesse, d’adolescence insouciante et de réflexions matures. D’autres sujets sont également abordés comme ceux du consentement, de la famille, de la religion, de l’amitié…

De plus, ce qui fonctionne très bien, c’est le duo Veronica-Bailey. Autrefois meilleures amies, leurs routes se sont séparées au lycée quand Veronica est devenue cette fille idéale, machine à bonnes notes, quand Bailey est devenue trop excentrique, trop colérique, trop sombre. Cet improbable voyage est l’occasion pour elles de se redécouvrir, de se retrouver, de se pardonner.
Leurs différences ne tournent cependant pas à la caricature. Veronica fait parfois preuve de cran et d’audace tandis que Bailey a évidemment des failles à nous révéler. J’ai vraiment aimé la complémentarité et l’alchimie de ces deux filles aux portraits tracés avec justesse.
C’est aussi un voyage initiatique pour Veronica. Cette occasion de réfléchir aux années passées et aux choix effectués va transformer son regard sur elle-même et sur ce qu’elle considère comme important.
Si Veronica et Bailey trouveront bien des obstacles pour leur mettre des bâtons dans les roues, elles feront également quelques rencontres teintées de bienveillance et de compréhension : ces instants qui font du bien et permettent de contrebalancer la méchanceté, l’égoïsme ou les convictions dévastatrices de certain·es.

Un roman divertissant et bien dosé : un équilibre entre le sérieux de la thématique et le fol enthousiasme qui parcourt ce périple, entre la raison de Veronica et l’insouciance apparente de Bailey, entre le jeu perpétuel des apparences et la sincérité que peuvent offrir certaines rencontres. Si certaines péripéties sont parfois un chouïa trop rocambolesques, Missouri 1627 n’en est pas moins une lecture agréable et vite dévorée.

« Tu t’enfuis au moindre problème parce que tu as peur de casser ton image. Parce que tu as besoin que tout le monde te trouve parfaite. Tu as un B à un devoir ? Tu prétends que tu étais malade et tu réclames une seconde chance. Ton mec est un connard ? Tu fais semblant d’organiser un week-end en amoureux, avec photos à l’appui, pour que tes amies ne se doutent de rien. Les parents de ta meilleure amie divorcent et elle est un peu perturbée ? Tu la largues pour des espèces de robots surdoués ! »

« Bientôt, mes parents, mes amis, tout le monde apprendra la vérité, et il ne restera plus rien de la Veronica Clarke d’avant.
Oubliées mes excellentes notes et mon investissement dans le conseil des étudiants.
La seule chose que l’on retiendra de moi, c’est que je me suis fait avorter.
 »

Missouri 1627, Jenni Hendriks et Ted Caplan. Bayard, 2021 (2019 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sidonie Van den Dries. 365 pages.

Et je danse, aussi, de Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux (2015)

Et je danse, aussi (couverture)Me serais-je naturellement dirigée vers ce roman après, notamment, l’expérience catastrophique du Cercle des amateurs d’épluchures de patates ? Je ne pense pas. Mais ma curiosité littéraire est telle que je ne refuse pas une découverte lorsque l’on me l’offre. Et heureusement, j’ai été davantage convaincue par Et je danse, aussi que par l’ouvrage cité ci-dessus.
Eh oui, j’ai apprécié par la correspondance de Pierre-Marie Sotto et Adeline Parmelan, j’en ai tourné les pages rapidement comme ce style nous invite à le faire. Tous deux m’ont paru concrets, assez esquissés pour qu’on puisse, en quelque sorte, s’y attacher (du moins, le temps d’une lecture). Quelques personnages secondaires, qui nous permettent de découvrir davantage le cercle des proches de Pierre-Marie, apportent une bouffée d’air frais ou une tornade enragée.

Sur une toile quasi policière de disparition non élucidée et d’enveloppe mystérieuse, ce sont les vicissitudes du quotidien qui se dessinent au fil des mails dans lesquels les deux protagonistes se dévoilent vies présentes et passées. Problèmes de couples, ennui, famille décomposée et recomposée, décès, échec professionnel ou sentimental, doute de soi et de sa vie, secrets de famille, mais aussi, les bons moments de paix, de bonheur, de rencontres. En bref, un panorama de l’ordinaire finalement.
Intéressant, ce roman épistolaire écrit à quatre mains, celles de Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux. Sans être un chef d’œuvre, Et je danse, aussi est très divertissant, ce qui est aussi le but de la littérature (aucune obligation de se prendre systématiquement la tête avec des pavés philosophiques). Avec humour, il parle de la vie telle qu’elle est, avec ses joies et ses douleurs, avec ses fantaisies et ses rencontres.

MAIS. Car il y a un « mais ». Outre le fait que je n’ai pas vraiment rêvé ou été embarquée dans cette histoire de vies qui pourraient être la mienne aujourd’hui ou demain, je me suis un peu lassée de leur bonne humeur quasi permanente. La tristesse ou la colère ne semble pas durer plus de deux mails chez eux. Peut-être suis-je trop pessimiste pour que cela ne me paraisse pas vraiment crédible.
L’autre critique que je ferai concerne la fin. Tout d’abord, le secret qui pèse sur le livre est élucidé, disséqué et balayé très rapidement. Et ensuite, j’ai eu l’impression que la fin était pliée en quatrième vitesse. Hop, on conclue définitivement le fameux mystère, on organise une rencontre, le tout introduit par un fade et facile « Cinq mois plus tard ». Un peu déçue, je l’avoue.

Pour finir sur une note positive, Et je danse, aussi rappelle que la vie est un roman si on veut la voir comme tel et peut être, même sans super-héros, extraordinaire.

« Au fait, connaissez-vous la définition d’un ami ? C’est quelqu’un que vous pouvez appeler à trois heures du matin pour lui dire : je crois que j’ai fait une très grosse bêtise, peux-tu venir avec une bâche et une pelle ? Et il vient. »

Et je danse, aussi, Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux. Fleuve, 2015. 288 pages.