Sarah Crossan, encore et toujours : The Weight of Water (2012)/Swimming Pool (2018) et We Come Apart (2017)

Ma lecture d’Inséparables m’avait donné envie de le lire en anglais, j’ai donc découvert One, puis Moonrise est sorti et ce fut un nouveau coup de cœur. J’ai alors décidé de lire tous les romans de cette autrice irlandaise. Si Apple and Rain m’attend encore dans ma PAL, je ne résiste pas à l’envie de vous parler immédiatement de deux romans supplémentaires.

The Weight of Water, de Sarah Crossan (2012)
traduit par Clémentine Beauvais sous le titre Swimming Pool (2018)

C’est avec presque rien que Kasienka et sa mère quittent la Pologne pour l’Angleterre dans l’espoir de retrouver leur père et mari. Leur seul indice : un cachet de poste.

J’ai lu The Weight of Water en janvier et mon article attendait depuis que je me décide à lire We Come Apart pour une double chronique. Ce mois-ci, j’ai eu la chance de recevoir grâce à Babelio la traduction du premier par Clémentine Beauvais. Ma critique est donc basée à la fois sur la VO, The Weight of Water, et sa traduction, Swimming Pool.

Les thèmes abordés sont durs. Au programme : fuite d’un père, immigration, intégration et harcèlement scolaire. On ne peut pas reprocher à Sarah Crossan d’embellir la réalité.

Leur immeuble est pourri. Sa mère est complètement en vrac, leur cœur brisé par la fuite de son mari. Elle passe ses jours à faire des ménages et ses soirées à frapper à toutes les portes dans sa quête vaine. A l’école, placée dans une classe d’élèves plus jeunes à cause de son mauvais anglais, Kasienka devient le souffre-douleur d’une bande de filles populaires. En butte aux moqueries de ses camarades (ou à la pitié de celles qui restent à l’écart sans pour autant la soutenir), elle expérimente la solitude et l’incompréhension. Sarah Crossan en profite pour nous faire découvrir la cruauté qui règne dans les collèges anglais, l’esprit de compétition et la persécution vécue par certain.es élèves. Kasienka comprend vite que ses efforts pour leur ressembler sont inutiles et la piscine devient son refuge et elle y trouvera un ami, et peut-être même un peu plus, ainsi qu’un but et une force.

Malgré les épreuves qu’elle doit affronter, Kasienka est une héroïne forte et volontaire. Elle n’a que douze ans, mais elle fait rapidement preuve de la maturité de ceux à qui la vie ne sourit pas. Elle ne baisse pas la tête et affronte la vie par elle-même sans se reposer sur quelqu’un d’autre, sans attendre une défense de la part d’un tiers.

Les poèmes sont courts (une page ou deux, rarement davantage) et, grâce à ses vers libres, les pages tournent toutes seules. On plonge dans l’histoire comme dans une piscine et on tourne la dernière page, le souffle coupé, un peu surpris d’arriver si vite de l’autre côté.
Ce n’est pas une littérature descriptive : les lieux et les physiques importent peu, c’est à nous de les imaginer. C’est une littérature d’émotions. Un poème, un moment, des sensations. Et peu à peu se dessinent les portraits des personnages. Je crois que c’est ce qui donne cette voix, ce souffle unique aux livres de Sarah Crossan.

Je ne vais pas prétendre faire une analyse comparative (cinq mois séparant mes lectures en VO et VF), mais la traduction de Clémentine Beauvais a touché aussi juste que la version originale. Derrière cette couverture veloutée, on retrouve le rythme tout aussi efficace et les mots lumineux, puissants, entraînants, évocateurs.

Juste et touchante, c’est une nouvelle lecture pleine de tolérance et d’espoir à travers laquelle chacun.e revivra son adolescence.

 The Weight of Water, Sarah Crossan. Bloomsbury, 2012. En anglais. 227 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – La disparition de Lady Frances Carfax :
lire un livre traitant de la disparition d’une personne

 Challenge Les 4 éléments – L’eau :
un livre à la couverture bleu océan

 Challenge Voix d’autrices : un livre dont le personnage principal est une femme

Swimming Pool, Sarah Crossan. Rageot, 2018 (2012 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Clémentine Beauvais. 251 pages.

Challenge Voix d’autrices : une traduction

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We Come Apart, de Sarah Crossan et Brian Conaghan (2017)

Nicu et Jess se rencontrent lors de journées de travaux d’intérêt général. Tous deux ont été surpris en train de voler. Elle est Anglaise, il est Roumain. Elle est entourée de copines, il est toujours seul. Ils n’auraient pas dû se trouver, et pourtant…

We Come Apart (couverture)

Ce récit écrit à quatre mains est une vraie réussite. J’aime la manière dont Sarah Crossan (et Brian Conaghan ici) aborde des sujets graves. Comme dans The Weight of Water, on retrouve la thématique de l’immigration : Nicu, comme Kasienka, peine à s’intégrer dans cette société qui regarde de travers la couleur de sa peau et grimace en entendant son mauvais anglais.

Ce livre aurait pu faire partie de mon article sur les familles dysfonctionnelles tant il présente des situations familiales compliquées et conflictuelles. Pour Jess, un beau-père violent envers sa mère qui est complètement passive et bloquée dans cette relation ; pour Nicu, une union imposé dont il ne veut pas. Appréhender le mariage forcé depuis les yeux d’un garçon est une nouveauté pour moi : la situation lui est extrêmement désagréable car, en dépit du racisme qu’il subit à l’école, l’Angleterre devient rapidement l’endroit qu’il qualifierait de « chez-lui ». Mais il n’a absolument pas son mot à dire.

Les courts chapitres alternent les points de vue des deux protagonistes, ce qui nous offre l’opportunité de les connaître aussi bien l’un que l’autre. Si Nicu est tout de suite éminemment sympathique, Jess est un personnage plus complexe : au début quelque peu prétentieuse et quelque peu suiveuse, elle permet également de découvrir l’ambiance au lycée, une atmosphère de mépris, de vantardise et de méchanceté. Son caractère piquant et parfois désabusé devient aussi accrocheur que le grand cœur de Nicu.
Nicu et elle réussissent néanmoins à s’apprivoiser et apparaît alors une très belle histoire d’amour. Alors que celle de The Weight of Water est plus secondaire, celle-ci n’a cessé de m’émouvoir et de me surprendre. Les situations respectives sont tellement gangrenées que l’on doute de la possibilité d’une fin heureuse, mais on a envie d’y croire avec eux, d’y croire pour eux. Le récit captive jusqu’à cette fin absolument superbe et inattendue.

Quant aux vers libres, c’est décidément une écriture qui me plaît énormément. Je ne sais pas comment ça fonctionne, je n’analyse pas l’agencement des phrases. Je me laisse tout simplement porter et, à chaque fois, la magie opère. La langue anglaise coule toute seule, c’est un délice, je savoure les mots et j’absorbe mille émotions.

 Histoires de famille, histoires d’adolescence, histoire d’amour, We Come Apart est un récit doux-amer terriblement prenant et absolument bouleversant. L’amour et l’espoir peuvent-ils être plus forts que le racisme, les préjugés et la violence ?

We Come Apart, Sarah Crossan et Brian Conaghan. Bloomsbury, 2017. En anglais. 325 pages.

Challenge Voix d’autrices : une autrice que j’aurais aimé découvrir à l’école

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Inséparables, de Sarah Crossan (2015)

Inséparables (couverture)Grace et Tippi sont inséparables. Pour cause, elles sont aussi siamoises. Elles ont seize ans et, pour la première fois, elles vont entrer au lycée.

Je n’en dis pas plus car il n’y a pas besoin d’en savoir davantage. Il faut entrer dans le roman sans trop en savoir, pour se laisser emporter, pour se laisser bouleverser.
Puisque je savais que je ne pouvais pas passer à côté de ce livre tant m’attiraient  son sujet et son écriture en vers libres, j’ai évité les critiques qui ont fleuri partout sur la blogo. J’avais fait cette erreur avant de découvrir Songe à la douceur et le souvenir des dizaines de chroniques dithyrambiques avait perturbé ma lecture – au demeurant merveilleuse.

« Une histoire qui raconte ce que c’est d’être Deux.
Une histoire qui raconte ce que c’est d’être Une. »

Quelques pages pour s’habituer au rythme si rare des vers libres… et la magie opère. Cette forme donne une douceur, une poésie et une musique vraiment particulières qui se marient incroyablement bien avec cette belle histoire. Une fois happée par les mots de l’autrice, je n’ai pu lâcher le roman avant la dernière page.

L’amitié, la découverte d’un nouvel univers, l’amour pour et de sa jumelle, un autre amour naissant et interdit, le tout étant narré par Grace. Inséparables m’a fait ressentir des émotions brutes. J’ai souri, j’ai espéré, j’ai voulu changer le passé, j’ai pleuré, j’ai aimé la vie.
La fin a vraiment été rude et je suis restée un moment assommée face à ce tourbillon littéraire qui m’avait transportée et fait disparaître les heures. Le refermer a été un déchirement tant j’ai aimé Tippi et à Grace. Dur de trouver sa prochaine lecture après cet ouragan de délicatesse.

Ce livre n’est pas uniquement émouvant, il est aussi passionnant. Des sœurs siamoises ne sont pas des personnages principaux courants dans la littérature, c’est bien la première fois que j’entends leur voix. Grâce à une riche documentation, Sarah Crossan a su raconter avec justesse les difficultés de leur vie, mais aussi et surtout le bonheur que cela leur procure et l’extraordinaire amour qui les lie. Etre ainsi unies n’est nullement une malédiction pour elles, contrairement à ce que pensent les gens qu’elles rencontrent. Au contraire, elles ne peuvent imaginer de vivre sans l’autre.

Il faut dire que Sarah Crossan réussit ici un véritable exploit en abordant une foultitude de sujets sensibles sans jamais tomber dans le pathos. Jugez plutôt (je ne vous dirai pas qui est concerné par quoi). On parle d’exclusion, de chômage, de maladies, d’alcoolisme, du regard des autres, des médias, de la différence. Il y aurait de quoi faire pleurer dans les chaumières, non ? Et pourtant, ce n’est rien de tout ça qui fait pleurer car c’est avant tout leur amour infini qui m’a chamboulée.

 

 

Avec sa douce couverture velouté et son papier épais, Inséparables est un livre que l’on voudrait feuilleter, caresser, lire pendant des heures car Rageot a offert un bien bel écrin à ce chef-d’œuvre. Oui, un chef-d’œuvre et un coup de cœur absolu, renversant et poignant. Lisez Inséparables, vous ne regretterez pas cette rencontre avec ces jumelles inoubliables par leur courage, leur humour, leur maturité et leur sensibilité.

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Inséparables, Sarah Crossan. Rageot, 2017 (2015 pour l’édition originale). Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Clémentine Beauvais. 405 pages.

Challenge Les Irréguliers de Baker Street – L’Homme à la Lèvre Tordue : 
lire un livre dans lequel le personnage principal a une déformation physique

Les âmes croisées, de Pierre Bottero (2010, roman posthume)

Les âmes croisées (couverture)J’ai parlé il y a peu de temps de la trilogie L’Autre du même auteur, j’ai ensuite enchaîné avec ce livre que je n’avais jamais lu non plus : Les âmes croisées. Jamais lu parce que, étant paru à titre posthume, la suite restera à jamais inconnue et je n’avais pas envie de connaître une trop intense frustration. Finalement, cinq ans plus tard, l’opportunité se représentant, je me suis décidée et, je vous le dis tout de suite, je suis frustrée !

Mais reprenons.

Les âmes croisées, c’est l’histoire de Nawel Hélianthas, une jeune adolescente très privilégiée, une Perle, qui vit dans la cité d’AnkNor. Comme tous les autres Aspirants, elle doit demander une Robe, une caste : Mage, Gouvernante, Historienne, Prêtre… Ou Armure. Prenant peu à peu conscience des conséquences que peuvent avoir ses choix, elle décide de tracer son propre chemin – et non celui que l’on attend d’elle – à travers le monde.

Nawel est très surprenante car, au début, elle ne ressemble pas aux autres héros/héroïnes de Pierre Bottero. Autant Ewilan, Salim, Ellana, Natan ou Shaé sont sympathiques (bien que Shaé soit quelque peu sauvage et parfois distante), autant Nawel est d’une suffisance et d’une arrogance insupportable. Elle se moque des Cendres – qui sont les pauvres, exploités par les Perles, riches et puissants – ou de Ol Hil’Junil, le fou du roi, évoque l’autre monde d’où il vient, elle vit dans son univers et peine à accepter des critiques sur sa ville. Cela s’explique certes par son éducation, par ses parents qui ont réglé sa vie avant même sa naissance, mais cela ne la rend pas vraiment agréable à côtoyer. Jusqu’à l’événement tragique qui lui ouvrira les yeux.
Là, elle évolue, prend en profondeur et en maturité. Et par conséquent, ressemblera davantage à Ewilan, Ellana ou Shaé. Comme elles trois, elle est décidément promise à un destin extraordinaire qui se marie avec ses capacités qui surpassent celles de ceux qui l’entoure. Par exemple, la synergie à 100% avec Venia, son Armure, m’a fait penser au cercle noir d’Ewilan. Duom explique après avoir testé Ewilan que « c’est impossible (…), cette figure n’existe que dans les livres. » et Lounia dit à Nawel : « Je n’ai jamais entendu parler d’une synergie supérieure à 83%. »

Parmi les personnages qui entourent Nawel, j’ai simplement deux remarques à faire. Tout d’abord, la description d’Anthor Pher m’a fait sourire tant j’ai eu l’impression de retrouver Edwin.

« D’autant qu’Anthor était un petit homme sec et musclé, le cheveu ras, les traits burinés par le soleil et les intempéries, qui passait facilement inaperçu.
Du moins tant qu’on ne l’avait pas vu bouger.
Dès qu’il se mettait en mouvement, il dégageait en effet une stupéfiante impression d’énergie contrôlée, de calme efficacité et de dangereux sang-froid qui inspirait le respect et incitait à la prudence. »

C’est Edwin, non ? En plus, tous deux ont le titre de maître d’armes.

Et deuxièmement, je suis très contente de Philla. Effacée, timide, elle semble assez transparente – Nawel le dit elle-même, vive l’amitié… – et son avenir ne paraît glorieux. Toutefois, elle va faire mentir Nawel car, une fois la Robe d’Historienne revêtue, Philla s’épanouit, prend confiance dans ses capacités et on lui découvre de  nombreuses qualités. Son avenir, avenir qu’elle prend fermement en main, semble finalement s’annoncer heureux.

Comme lors de ma lecture de L’Autre, ce qui m’a particulièrement plu, c’est de chercher les petits (ou gros) indices reliant le monde de Nawel à Gwendalavir ou à la Fausse Arcadie.
Tout d’abord, Ol Hil’Junil. Avec un nom pareil, si typiquement alavirien, impossible de passer à côté. Outre le fait qu’« il n’était pas jurilan, nul ne savait d’où il venait », Nawel a un jour avec lui une conversation très éclairante pour nous et très absconse pour elle :

« – Je dois te quitter, demoiselle. J’ai rendez-vous avec la Dame.
– Toi, un rendez-vous ?
– Un rendez-vous imaginaire, il va sans dire.
– Je croyais que le chemin des rêves conduisait à une impasse.
– Ne confonds pas le rêve et l’Imagination. Si le premier vient à toi de son propre chef, c’est volontairement que tu décides d’arpenter la deuxième. Cela peut s’avérer périlleux, j’en ai fait l’amère expérience, mais les possibles sont trop nombreux pour que tous débouchent sur des impasses. »

Or, si vous avez lu Les mondes d’Ewilan, vous vous rappellerez peut-être qu’un condisciple d’Ewilan, de Liven et des autres s’appelait… Ol Hil’Junil.

Robes, Familles… Dans mon esprit, tout cela fait écho. Me semble lié. De plus, les Guérisseurs évoquent indéniablement les rêveurs alaviriens.
On retrouve également des Ims, des Lycanthropes, des Helbrumes, etc., ce qui laisse à penser que la porte de la cité des Anciens découverte par Nawel ouvre sur le charmant monde de la Fausse Arcadie.
Quant aux Glauques à la peau mate et peinte, ne seraient-ils pas les Faëls ?
Et à la fin – et j’arrêterai là – Nawel voit trois adolescents qui ont beaucoup de points communs, dans leur physique, avant Eryn et Elio (L’Autre) ainsi que Destan, fils d’Edwin et d’Ellana (Le Pacte des Marchombres). La rencontre de tout ce petit monde aurait été tellement excitante… Voilà pourquoi je suis et je resterai définitivement frustrée.

Je suis également très curieuse aux sujets des Armures qui, plus que des objets magiques, me semblent provenir d’une technologie très avancée. Venia explique à une Nawel ahurie qu’elle est « constituée d’un alliage de métal protéiforme géré par des puces de troisième générations sur base nanotechnologique. » A tes souhaits. Cette matière aurait-elle été importée d’un autre monde parallèle aux connaissances bien plus avancées que les nôtres ?

Ce tome est peut-être parfois un peu plus grave que les autres, mais en tout cas, je l’ai lu avec émotion et regret. Comme dans les autres livres de Pierre Bottero, on voyage, on passe d’une aventure à une autre, on ressent mille émotions… On rêve. Tout simplement. La poésie que ces histoires contiennent me fait vibrer, m’entraîne, page après page. Il est tout bonnement impossible de les lâcher.

(Je m’excuse pour ces « critiques » de L’Autre et de ce livre, Les âmes croisées, qui n’en sont pas vraiment. Je voulais seulement faire partager mon enthousiasme, plus que d’en faire une analyse critique. Je ne pense pas pouvoir être assez objective sur des livres, des univers qui me bercent depuis des années. Ce serait la même chose – en pire, peut-être – pour Harry Potter.)

« Et que lui importait une Cendre alors que ses chances de devenir une Robe Mage étaient compromises ? Que lui importait une Cendre alors qu’un effroyable mal de tête, conséquence d’une nuit entière passée sans dormir, broyait ses tempes ?
Que lui importait une Cendre ? Tout simplement. »

« Dire.
Dire ce qu’on meurt d’envie de dire.
Dire ce qu’on a besoin de dire. Besoin vital. Terrifiant.
Dire ce qu’on ignore avoir envie ou besoin de dire.
Dire pour comprendre, nettoyer, guérir, avancer.
Mais est-ce que dire suffit ? »

« « La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens », m’a dit Sylia la seule fois où nous nous sommes disputés. La reprendre à zéro est impossible. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, on ne revient jamais en arrière. »

« Tu te dessines un avenir ? Belle image. Et il est de quelle couleur, ton avenir ?
– La couleur de l’aventure mélangée à celle de la découverte, sur un fond d’amitiés et de voyages. »

Les âmes croisées, Pierre Bottero. Rageot, 2010. 432 pages.

L’Autre, de Pierre Bottero (2006, 2007)

L’Autre est une trilogie de Pierre Bottero qui réunit Le souffle de la hyène, Le maître des tempêtes et La huitième porte.

L'Autre (couvertures : Le souffle de la hyène, Le maître des tempêtes, La huitième porte)

Natan, un adolescent qui tente de mener une vie normale en dépit des prodigieuses capacités physiques et intellectuelles qui tendent à le faire remarquer, habite au Canada lorsque ses parents meurent dans l’explosion de leur maison. Menacé par un danger dont il ne sait rien, il fuit en France où il rencontre Shaé, une jeune fille torturée par « la Chose », instinct qui la pousse à se métamorphoser. Tous deux découvrent qu’ils sont les seuls à pouvoir protéger l’humanité d’une terrible menace : l’Autre, une entité venue d’un autre monde, la Fausse Arcadie, et escortée par une horde de créatures maléfiques. L’Autre est divisé en trois parties : Jaalab, la Force, Onjü, le Cœur et Eqkter, l’Âme.

 

J’adore ses autres trilogies depuis très longtemps, donc l’objectivité est difficile. Que ce soit La quête d’Ewilan, Les mondes d’Ewilan ou Le pacte des marchombres, je les ai découvertes à leur sortie ou peu après, je les ai lues et relues, mais L’Autre, non. Je ne sais pas pourquoi, mais ces trois tomes m’attiraient moins. Notamment à cause de l’idée que l’histoire se passe dans notre monde, je crois. J’avais envie de voyager, de voir autre chose… Pierre Bottero m’a forcée à reconnaître que c’était une sacrée mauvaise raison. Parce que, premièrement, on voyage : on passe de Montréal à Marseille et Paris, puis on se rend dans le Haut Atlas, sur l’île de La Réunion, à Yaoundé au Cameroun ou à Leticia en Colombie. Et deuxièmement, les pouvoirs des Familles disséminés sur tous les continents et l’influence de l’Autre sur les hommes rendent ce choix très judicieux et très intéressant. Pierre Bottero a su créer un univers mystérieux, même dans des paysages connus.

 

On reconnaît immédiatement la plume de Pierre Bottero, la poésie de ses mots, ses phrases courtes, sa manière d’insister sur un mot, un sentiment, etc. Ainsi que son procédé narratif que l’on retrouve régulièrement (mais pas assez pour que cela devienne lassant) consistant à faire un bond dans le temps pour se retrouver directement dans une situation stressante voire dramatique, quitte à revenir quelques lignes plus loin sur les événements des heures (ou jours) précédentes qui ont conduit à cette situation.

Dans cette trilogie, j’ai eu à quelques reprises la sensation dérangeante qu’on ne savait pas qui était réellement digne de confiance, sensation plutôt absente dans les autres trilogies. Rafi paraît étrange au début, avec des intentions peu claires ; le majordome de Barthélémy m’a été plutôt antipathique ; et, dans le second tome, il apparaît d’ailleurs comme évident qu’un traître se cache parmi les Cogistes.

 

Attention, je risque de spoiler un peu…

Dans le troisième tome, j’ai ronchonné au début car je n’appréciais pas trop l’idée de changer de personnage principal. Je m’étais attachée à Shaé et à Natan, or c’est sur les épaules de leur fils, Elio, que tout repose à présent. Mais finalement, Pierre Bottero m’a encore obligée à reconnaître que c’était idiot. Car, même s’il est peut-être un peu trop efficace, Elio m’est devenu aussi sympathique que ses parents : il fait preuve d’une ahurissante maturité pour ses neuf ans, mais garde son âme et ses réflexions d’enfant.

 

Les liens avec Gwendalavir sont de plus en plus nombreux au fil des romans, et j’ai vraiment été très excitée à chaque fois que j’en découvrais un nouveau.

Le premier fut évidemment la « Pratum Vorax » qui encercle la Maison dans l’Ailleurs. Elle m’évoquait quelque chose sans que je parvienne à mettre le doigt dessus, mais lorsque Shaé, après un long survol de la prairie, déclare avoir vu des voiles blanches, je me suis rappelé des Fils du Vent et de leur malheureuse aventure dans ce qu’ils décident de nommer la Grande Dévoreuse. Première coup de fouet en découvrant que l’Ailleurs est en Gwendalavir.

Un second en découvrant Eryn, celle que l’on devine être fille d’Ewilan et de Salim. Elle a les boucles dorées et les yeux violets de la première et la peau sombre du second, elle connaît l’existence des dragons, elle sait faire un pas de côté, elle maîtrise à merveille l’art du Dessin.

Un troisième en me rappelant le seigneur Kharx invoqué par les Mercenaires du Chaos, semblable aux Kharx que Natan, Shaé et les autres affrontent à plusieurs reprises.

Et enfin, la redécouverte de l’Arche enjambant le Pollimage à la fin du troisième tome.

Il y a plein d’autres connexions à faire, des petits détails à relever, notamment avec des personnages comme Salim, Artis, Doume Fil’Battis…

 

Une excellente trilogie comme toutes celles de Pierre Bottero qui se dévore en un clin d’œil. Un monde passionnant avec des personnages attachants et des monstres terrifiants qui voyagent autour du globe et même plus loin. Ma préférence reste pour les trois trilogies se déroulant en Gwendalavir, mais celui-ci n’en est pas moins sérieusement addictif !

 

 « Ces mots que tu utilises pour pervertir les cœurs servent aussi à les guérir. Les mots détiennent un pouvoir formidable, tu le sais mieux que quiconque, Maître des Tempêtes. »

« Jamais elle n’avait ressenti un tel mélange de force et de faiblesse, de certitudes et de doutes. Elle était perdue.

Son cœur était un chaos d’émotions contradictoires à travers lequel sa raison cherchait en vain à se frayer un chemin. Un chaos provoqué par les paroles d’Anton et le geste qui les avait suivies. Un chaos dont elle devait s’extraire pour avancer, sortir enfin de l’obscurité. Pour vivre. »

« Je suis vous et vous êtes moi. Je suis la part de noirceur qui vit dans les replis cachés de vos cœurs, je suis vos envies de meurtre, vos jalousies et vos perfidies. Je suis l’élan sombre qui vous pousse à trahir, mentir, tromper. Je suis vous et vous êtes moi. »

 

L’Autre, tome 1 : Le souffle de la hyène, Pierre Bottero. Rageot, 2006. 307 pages.

 

L’Autre, tome 2 : Le maître des tempêtes, Pierre Bottero. Rageot, 2007. 379 pages.

 

L’Autre, tome 3 : La huitième porte, Pierre Bottero. Rageot, 2007. 403 pages.

 
Les livres de Pierre Bottero :

  • L’Autre (Le souffle de la hyène, Le maître des tempêtes, La huitième porte) ;
  • Les âmes croisées.