Pussy Riot Grrrls, émeutières, de Manon Labry (2017)

Pussy Riot Grrls (couverture)Des Riot Grrrls américaines du début des années 1990 aux Pussy Riot russes des années 2010, ce livre retrace l’histoire féministe et révoltée d’un mouvement punk et DIY qui aura connu, au fil des décennies, de multiples mutations et réappropriations par des femmes du monde entier.

« Revolution, Grrl Style, Now ! »

Début des années 1990, des groupes comme L7, Bikini Kill, Lunachicks et bien d’autres lancent un mouvement basé sur une idéologie punk, radicale, DIY et féministe. Ces chanteuses et musiciennes se révoltent contre le capitalisme et la société de consommation, contre le patriarcat qui règne aussi dans le milieu punk et la violence près des scènes de concert et contre les formes « classiques » de féminisme jugées trop austères et théoriques. Leur but : « rendre le punk plus féministe et le féminisme plus punk ».
Par le biais de la musique et des fanzines, elles découvrent d’autres femmes comme elles, elles promeuvent l’entraide et le soutien, elles crient le mal-être et les injustices et inciter les autres femmes à agir, à créer, à s’exprimer.

Les relations avec la presse mainstream sont conflictuelles : les Riot Grrrls protestent contre la récupération commerciale du mouvement et les définitions et limitations données par les médias d’une révolution qui se veut évolutive, mouvante et créative. De plus, le courant Riot Grrrls essuie des critiques internes et externes, notamment par rapport au manque de femmes de couleur et au terme « girl » jugé restrictif.

« Non seulement il est majoritairement blanc, non seulement la revendication valorisante du mot « fille » empêche de nombreuses personnes de le rejoindre et de le soutenir (pour des raisons d’identité sexuelle/de genre, d’âge, etc.), mais beaucoup trouvent qu’il recrute surtout parmi une population relativement aisée, favorisée par sa couleur de peau, son appartenance de classe et son niveau d’instruction. Aux yeux d’une partie des contemporain.es, le phénomène est élitiste, voire arrogant. »

Dans les années 2000, si les pionnières des années 1990 se sont éloignées, les Riot Grrrls sont toujours là et Internet et les blogs jouent un rôle important dans la diffusion du mouvement. Les Ladyfests (dont le premier est organisé en 2000) et les Girl Rock Camps visent à amplifier le phénomène, flouter les limites, le faire voyager, permettre aux femmes de se l’approprier de diverses manières et renouveler les pratiques, tout en promouvant les productions culturelles de femmes et en favorisant les échanges de savoir et les discussions.
Ce chemin nous conduit peu à peu aux Pussy Riot, opposées à la présidence de Poutine et à la censure imposée par le gouvernement.

« En février de cette année-là [2012], le « concert action » qu’elles performent dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou a en effet un énorme retentissement international. Inattendue, insoupçonnable, cette spectaculaire résurgence de la culture punk féministe frappe d’autant plus les esprits qu’elle signale une reterritorialisation non moins étonnante : nul n’avait prévu qu’elle se manifesterait avec autant de fracas dans un contexte aux antipodes de celui dans lequel le mouvement Riot Grrrl avait surgi vingt ans plus tôt. »

Voilà pour les grandes lignes, mais à part ça, qu’est-ce que j’en ai pensé ?

Je souligne d’ordinaire toujours l’accessibilité des essais des éditions iXe… mais pas cette fois. Dire qu’il n’est pas très facile à lire est une manière édulcorée de dire que j’ai un peu galéré. Contrairement à Women’s Lands ou Femmes et esclaves que j’avais dévorés, cet essai m’a résisté.
Non pas qu’il n’est pas intéressant, il l’est totalement, mais il y a beaucoup de noms, de références à des groupes, de dates et je m’y suis parfois un peu perdue. Surtout, je me suis sentie pénalisée par un manque de connaissance en musique et histoire musicale. Certains passages se sont révélés un peu laborieux pour moi qui n’y connais rien en musique et ne m’y intéresse pas plus que ça. (Par exemple, quand un titre me dit « Le virage électroclash/électropunk », je reste interdite car c’est à peu près du chinois pour moi.)
Je plaide donc coupable et je pense que ce livre sera beaucoup plus agréable à lire pour quelqu’un intéressé à la fois par le féminisme et par la musique.

Il y a toutefois des chapitres plus lisibles que d’autres : les premiers présentant les idées des Riot Grrrls et ceux sur les Layfests ou les Pussy Riot, par exemple, sont à la fois passionnants et fluides. J’ai trouvé parfaitement fascinante la capacité du mouvement de se réinventer, de se régénérer et, finalement, de n’avoir jamais disparu même lorsque certain.es le pensaient éteint.

Pussy Riot Grrrls est un livre riche, foisonnant, un peu ardu certes, mais qui m’a fait découvrir une nouvelle forme de féminisme. En racontant cette histoire toujours forte et vivace, Manon Labry nous incite, nous lectrices, à agir comme les premières Riot Grrrls et toutes celles qui leur ont succédées, à déconstruire les idées patriarcales insidieusement intégrées, à repousser la consommation bête et méchante, à s’exprimer et à créer afin de construire sa propre identité.

« Ulcérées par un hétérosexisme et un capitaliste omniprésents, elles choisissent la créativité comme mode d’action et font de la culture populaire un terrain privilégié de la lutte pour le politique. »

« La parole se libère, les ripostes s’inventent. Les figures charismatiques qui ont inventé la scène Riot Grrrl, les Hanna, les Vail, les Wolfe, les Dresch, les Tucker et toutes les autres, ont produit l’étincelle grâce à laquelle une myriade de jeunes femmes comprennent, enfin, que leur mal-être n’est pas l’effet d’un trouble mental et qu’elles peuvent suivre leurs désirs et passer à l’action. »

« Elles « prennent la balle au bond et courent plus loin avec », selon la formule imagée d’Allison Wolfe et de Molly Neuman, elles écrivent une nouvelle page de l’histoire de ce courant multiforme, qui entend le rester et refuse d’être catalogué sous un nom unique. Elles prouvent aussi que la jeune génération ne s’en laisse pas conter par les apôtres de l’inutilité et de la ringardise de l’engagement féministe. Enfin, par leur « réinvention » du courant Riot Grrrl, les Pussy Riot prouvent que de nouvelles formes de mobilisation peuvent surgir, qu’il est encore possible et toujours nécessaire de découvrir des connexions entre art, féminisme et politique. »

Pussy Riot Grrrls, émeutières, Manon Labry. Editions iXe, coll. Racine de iXe, 2017. 216 pages.