Comme des images, de Clémentine Beauvais (2014)

Difficile pour qui fréquente la blogosphère de ne pas avoir entendu parler de Clémentine Beauvais, que ce soit pour ses hilarantes Petites Reines ou son surprenant Songe à la douceur. (En passant, je vous recommande également son blog dans lequel elle propose des articles de fond, complets et passionnants, sur la littérature jeunesse.)

Je me suis aperçue que je n’avais jamais chroniqué un seul de ses livres (*shame*), que ce soit à cause de la pression des critiques dithyrambiques sur les autres blogs (Songe à la douceur), que ma lecture ait eu lieu à une période d’abandon du blog (Les Petites Reines) ou parce que je ne l’avais pas encore lu (Comme des images). Je me rattrape donc aujourd’hui avec Comme des images et je reviendrai une autre fois vous parler des deux autres et peut-être de ses autres ouvrages qu’il me reste à découvrir.

Comme des images (couverture)Donc. Comme des images.

Le récit commence avec un corps étendu dans la cour de récré au lycée Henri-IV. Mais en réalité, tout a commencé quelques jours plus tôt, quand Léopoldine (Léo) a quitté Timothée pour Aurélien. L’ex-petit ami vexé envoie alors à tout le monde – élèves, mais aussi professeurs et parents – une vidéo privée de celle-ci. Cette journée va faire remonter bien des choses, concernant les deux jeunes filles, mais également la sœur jumelle de Léo, Iseult.

Je vous le dis tout de suite, autant les deux autres romans de Clémentine Beauvais ont été des coups de cœur, autant suis-je plus nuancée sur celui-ci. Je ne sais pas vraiment pas pourquoi car, en écrivant cette chronique, je lui trouve bon nombre de qualités. Mais peut-être est-ce dû à cette distance entre la narratrice, Léo et moi. Je leur ai mille fois préféré Iseult et aurait aimé passer davantage de temps avec elle. Autre petit point négatif sans doute : la brièveté de l’action et du livre. En concentrant son histoire sur une journée à H-IV (et quelques flash-back), Clémentine Beauvais essaie de dire beaucoup de choses et d’aborder un peu trop de sujets dont certains finissent par passer à la trappe ou être simplement survolés.

A mes yeux, le revenge porn, cette pratique abjecte et tristement actuelle (et incompréhensible à mes yeux), et le harcèlement scolaire, mis en avant sur la quatrième de couverture, ne sont pas tellement les sujets principaux du roman puisque Léo gère ce problème comme une (petite) reine.
Presque plus que le harcèlement, ce roman dénonce la pression mise sur les épaules des élèves d’H-IV. Venant d’un petit lycée sans prétention, j’en ai été choquée. La politique menée est vraiment celle de l’excellence et la pression scolaire est immense. Les élèves sont conditionnés et en perpétuelle compétition pour être le ou la meilleure. Léo et les autres sont actuellement en seconde, mais ce raisonnement leur a été imposé dès le collège, voire la primaire. Certaines filières, certaines professions sont mises sur un piédestal tandis que d’autres sont totalement méprisées (vouloir aller en L, présenter les Beaux-Arts ou autres projets sont synonymes de vie ratée).

« Tout le monde ne passe pas en première S, il y en a qui se font expulser, et sans passer en S tu ne peux pas passer en prépa scientifique, et sans prépa scientifique tu peux faire une croix sur le reste de ta vie. »

L’amitié est au cœur des questions que se pose la narratrice, mais c’est aussi un roman sur les premières amours et les premières fois. Sur la jeunesse, la passion et la fougue qui embrasent les êtres, sur ces moments qui semblent être tout vus de près et qui sont si peu avec un peu de recul. (En fait, j’ai eu la chanson « Vingt ans » de Léo Ferré dans la tête pendant les trois quarts du roman : « Quand on aime c’est pour toute la vie/Cette vie qui dure l’espace d’un cri/D’une permanente ou d’un blue jean/Et pour le reste on imagine… ».)

C’est un roman sur les difficultés de l’adolescence. Trouver sa place, gérer les relations avec les autres, satisfaire les exigences des parents, des profs, de soi-même.
C’est un roman sur la vie. Réaliste, aussi joyeux, aussi triste et aussi bête qu’est parfois l’existence.

Une écriture poétique et imagée, quoique crue parfois, des jeunes pas si sages que les adultes aimeraient le croire, des sujets qui parleront à bon nombre d’adolescentes, Comme des images est un roman dur et terriblement d’actualité qui n’a cependant pas réussi à me toucher comme je l’espérais.

« Et là, il lève les yeux, aperçoit Léo, et je le vois vaciller.
Il ne dure pas longtemps, ce vacillement ; juste une fraction de seconde. C’est cet instant où le regard devrait s’accrocher aux yeux de l’autre et lui rendre immédiatement son sourire, même poli, même surfait, même blasé – la base de toute rencontre. Mais là, soudain, quelque chose se brise. L’œil balbutie. Un décalage s’installe, un retard, presque imperceptible ; le sourire ne grimpe pas tout de suite, et le temps d’un souffle le regard se grippe.
Tout de suite après, René Richard se reprend bien sûr, il ancre son regard dans le nôtre comme il faut, il sourit, mais c’est trop tard, il a vacillé.
Une fraction de seconde, et c’est le monde qui se fendille.
(Enfin, le monde… disons, ce qu’on en voit.) »

« Et là, je me dis :
Que c’était bien la peine de se mettre en scène comme ça, Léo, Iseult, moi et tout le monde, à faire des tragédies et des drames dans un théâtre où les pierres sont trop traîtres.
Qu’il n’y a rien de poétique à une tache de sang poudreux sur des graviers de la cour d’un lycée.
Qu’on est trop les uns sur les autres à se chercher des poux, à se chercher des amis, à se chercher des raisons de chercher des amis.
Qu’on ne comprend jamais pourquoi on aime certaines personnes, et pourquoi on en déteste d’autres, et c’est infernal cette incompréhension. »

Comme des images, Clémentine Beauvais. Sarbacane, coll. Exprim’, 2014. 204 pages.