Le roman tire son titre du prénom de la jeune héroïne que l’on découvre dans le premier chapitre lorsque, toute jeune, elle arrive sur le domaine de Mahavel. Sur son visage, ses aînés décèlent l’ombre de Sylvie de Kerouët, son aïeule. Elle grandit avec François Mussard, son compagnon de jeux et d’aventure avec qui elle explore le domaine. Plus tard, celui-ci part pour la France et Eudora est promise à Gérard de Nadal. Les années passent très vite dans ce début de roman. Le jour de ses fiançailles, Eudora découvre un manuscrit caché dans un secrétaire pendant plus de cent ans par Sylvie. Il commence par ces mots : « Ceci est ma confession. »
A partir de là, les histoires des deux jeunes filles se mêlent, se confondent tant elles se ressemblent. Le passé pèse sur le présent et les actions des générations passées semblent conditionner le bonheur des générations suivantes. Avec Eudora, nous découvrons l’amour de Sylvie pour un autre François, l’histoire de son mariage, son amitié avec une jeune esclave : Kalla.
Grand-mère Kalle est une légende, une sorte de sorcière qui vivrait sous le Piton de la Fournaise ; les histoires sur son compte sont nombreuses, les versions également. Qui est-elle ? Dans ce roman, Kalla est une jeune esclave dévouée à sa maîtresse, Sylvie de Kerouët. L’histoire de Kalla est l’un des points-clés du roman, je ne peux donc pas en dire davantage.
A quoi pensez-vous si je vous dis « île de la Réunion » ? A l’esclavage ? Aux fruits ? Aux plantations ? Aux cyclones ? Tout est dans le roman. La tempête est là, au temps d’Eudora comme celui de Sylvie, pesant sur les personnages, les plongeant dans le noir, les assourdissant avec le tonnerre, détruisant les plantations. Les esclaves – puis les affranchis – sont là, qu’ils soient nénaines, marrons ou commandeurs ; on redécouvre la chasse faite aux marrons et le terrible Code noir. Les fruits sont là ainsi que les rougails morue et les caris camarons, faisant saliver le lecteur (qui, du coup, déprime devant son assiette de pâtes).
Je me suis sentie enchantée par les beautés de la Réunion, la flore, le calme du domaine, mais Mahavel peut devenir beaucoup plus oppressant. Entouré de gouffres (dont l’exploration évoque une descente aux Enfers), sa solitude peut devenir angoissante pour des personnages en attente de nouvelles, livrés aux éléments ou menacés par les marrons. Il y a une sorte de dualité tout au long du roman. Entre la sécurité et le danger, entre le passé et le présent, entre la vie et la mort, entre le rêve et la réalité.
Un roman aux ambiances ambiguës dans lequel on retrouve tous les parfums de l’île de la Réunion.
« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. »
(Gérard de Nerval, épigraphe d’Eudora)
« Ainsi, se disait-il, le mort avait saisi le vif ! La légende rejoignait la réalité. LE passé enchaînait le présent. »
Eudora ou l’île enchantée, Marguerite-Hélène Mahé. Orphie, coll. Trésors de l’Océan Indien, 2012 (1952 pour la première édition). 312 pages.