Mini-critiques : Fille noire, fille blanche, La Vallée des Fleurs et Couleur de peau : miel, tome 4

Ce petit florilège a quelque chose en commun : il s’agit de trois ouvrages qui se sont révélés imparfaits, mais intéressants malgré tout. Pas de coups de cœur dans cet article donc, mais aucun regret quant au temps consacré à les lire.
Je vais donc vous parler rapidement de Fille noire, fille blanche de Joyce Carol Oates, de La Vallée des Fleurs de Niviaq Korneliussen et du quatrième tome de la BD Couleur de peau : miel de Jung.

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Fille noire, fille blanche, de Joyce Carol Oates (2006)

Fille noire, fille blanche (couverture)Dans les années 1970, Genna et Minette partagent une chambre sur le campus de Schuyler College. L’une est blanche, réservée, amicale, issue d’une famille riche aux membres dispersés ; l’autre est noire, solitaire, sans concession, issue d’une famille respectable sous la tutelle de son pasteur de père. La première souhaite devenir l’amie de la seconde et la protéger des actes racistes qui se succèdent.

Cette relique de ma PAL m’était tombée des mains il y a fort longtemps, mais j’en suis cette fois arrivée à bout pour un résultat assez perplexe.

C’est un roman plein ambiguïté, à commencer par ce personnage de Minette qui est particulièrement troublant. Si, ici ou là, elle se révèle touchante et potentiellement attachante, elle reste la plupart du temps difficile, voire impossible à cerner. Personnage énigmatique que sa compagne de chambre – et nous avec – essaie désespérément de comprendre. Il faut avouer que Minette se montre aussi fortement antipathique par moment, repoussant toute tentative d’amitié ou de sympathie, rejetant les critiques en blâmant les autres, restant irrémédiablement fermée.
Les personnages sont finalement assez peu sympathiques, tant la hautaine Minette que Genna avec son désir absolu d’être l’amie de Minette, son abandon d’elle-même malgré la manière dont elle est mille fois repoussée. Genna semble placer Minette sur un véritable piédestal : sa couleur de peau l’oblige à être forte, sa famille est stable et présente et, pour une fois, elle pourra peut-être aider quelqu’un, être utile.
Toutes deux partagent un attachement démesuré au père : craint et respecté pour Minette, adoré et parfois incompris pour Genna. Cette influence de la famille – qu’elle soit libertaire ou stricte – offre des instants poignants avec les deux filles qui peinent à trouver leur place. Genna se révélera même une enfant traumatisée aux souvenirs qui referont surface au fil de l’année scolaire.

La culpabilité, avérée ou fantasmée, est omniprésente dans ce roman qui questionne la responsabilité de chacun, les choix effectués – choix influencés par le passé, les espoirs, les attentes, le bagage émotionnel… Culpabilité d’être blanche également étroitement liée avec la peur d’être raciste « sans le vouloir » : telle ou telle pensée est-elle raciste ? critiquer Minette est-il du racisme ? Enfin, culpabilité du père (dont la lutte pour un monde qu’il espère meilleur finit par entraîner la mort) et culpabilité de la narratrice liée à ce père.

Les tensions raciales sont également palpables au cours du récit. Actes racistes, étudiantes noires dénotant parmi les Blanches malgré cette université ouverte et égalitaire. Cependant, alors que l’intrigue se déroule, on s’apercevra que tout ne tourne pas autour de Minette : si Genna est la narratrice, c’est sans doute parce qu’elle aura un long parcours quasi initiatique pour se révéler et comprendre son passé. En dépit d’un manque d’amitié pour elle, j’ai ressenti de l’empathie tandis que son histoire se dévoilait, que les enjeux amplifiaient et que le drame se nouait.

Fille noire, fille blanche est un texte à la hauteur de Minette : difficile à cerner. (D’où une chronique confuse que vous me pardonnerez, j’espère.) S’il m’a parfois semblé chaotique et décousu dans sa narration, il reste atypique et troublant dans les questionnements qu’il soulève, intéressant dans sa forme et parfois surprenant. Néanmoins, j’ignore totalement s’il me laissera un souvenir impérissable.

« Comment se fait-il que nous nous rappelions plus vivement la honte que la fierté ? Notre propre honte plus que celle des autres. »

« Les souvenirs que j’avais de mes parents se confondaient avec mes rêves. Les rêves que je faisais de mes parents se confondaient avec mes souvenirs. »

Fille noire, fille blanche, Joyce Carol Oates. Points, 2011 (2006 pour l’édition originale, 2009 pour la traduction française). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban. 375 pages.

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La Vallée des Fleurs, de Niviaq Korneliussen (2022)

La vallée des fleurs (couverture)Ayant beaucoup aimé le premier livre de Niviaq Korneliussen, Homo Sapienne, je n’ai pas hésité quand une Masse Critique Babelio m’a permis de découvrir son deuxième bébé. À travers la narratrice, jeune Groenlandaise tentant de gérer son existence entre sa copine, ses études sur le continent, sa famille et les morts qui, malgré son jeune âge, parsèment déjà sa vie, l’autrice évoque le mal-être et les suicides qui se multiplient dans son pays.

J’ai retrouvé la plume de Niviaq Korneliussen, à la fois poétique et crue, sans fard. Une écriture pleine de sensualité dans l’appréhension de la vie. Comme dans Homo Sapienne, elle raconte des thématiques très actuelles – l’identité, la recherche de qui l’on est et où l’on va, l’amour, le sexe, la solitude – et surtout un sujet qui touche particulièrement le Groenland : les trop nombreux suicides, devenus banals dans sa population. Mélange de volonté de vie et de désespoir, le livre avance par vagues, fluctuations de l’humeur du personnage principal.

 Malgré tout, le mal-être est prégnant et suinte entre ces pages. Les titres des chapitres sont des chocs : liste implacable de personnes suicidées, récit d’un suicide, réflexions sur la mort. La tentation du suicide, le souvenir de celles et ceux qui ont franchi le pas, cette lassitude insidieuse… Cette sensation de piège qui se referme et contre lequel il est inutile de lutter sera peut-être ce qu’il me restera le plus de ce roman. Une fracture en soi, une sensation de noyade, un gouffre intérieur dans lequel on trébuche. Fatalité ?
Celui-ci dénonce aussi la société des apparences dans lequel nous vivons et l’hypocrisie des likes, des enterrements et des faux-semblants. Ignorés dans la vie, encensés dans la mort à grand renfort de pleurs, de compliments, de « on ne t’oubliera jamais ».

Cependant, malgré toutes les qualités de ce roman intimiste et mélancolique, il ne m’a pas totalement convaincue, contrairement à son grand frère. La faute à des longueurs qui m’ont parfois ennuyée ? Cela reste une bonne lecture, mais qui, le temps passant, me laissera rapidement davantage une impression – de malaise et de mort – que de réels souvenirs.

« Un corbeau est posé sur la grande croix à l’entrée du cimetière. Aucun de ceux que j’aime ne repose dans ce cimetière. Aanaa n’y repose pas. Pourtant, je sens que j’ai perdu quelqu’un ici. Cela réveille de durs souvenirs. Cela réveille des souvenirs des nuits de printemps, où j’étais assise là, dans l’angoisse du soleil de minuit à venir. Cela réveille des souvenirs de la nuit d’été rose, il y a un an, où, assise sur une hauteur surplombant Sermitsiaq et toutes les croix des morts, je pensais à la vie. »

« Je dis seulement que certaines personnes ne sont pas aussi douées pour la vie que d’autres, et peut-être que ce n’était que ça, qu’elle n’appartenait pas à cette terre, qu’elle n’avait pas envie de vivre, je murmure, paniquée. »

« On ne trouve pas d’explication incontestable au fait que les gens se tuent quand arrive le soleil de minuit, mais une des hypothèses serait qu’ils deviennent dépressifs quand ils dorment trop peu, une autre que, après un hiver sombre et froid, ils gagnent des forces à mesure que les journées se font plus claires et plus chaudes, mais que, lorsqu’enfin elles sont là, ils réalisent que la vie ne s’améliorera pas pour autant. Jamais. »

La Vallée des Fleurs, Niviaq Korneliussen. Editions La Peuplade, 2022 (2020 pour l’édition originale). Traduit du danois par Inès Jorgensen. 371 pages.

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Couleur de peau : miel, tome 4, de Jung (2016)

Couleur de peau miel T4 (couverture)Après une relecture des trois premiers tomes – que j’ai autant appréciés qu’à la première lecture il y a huit ans –, j’ai enfin découvert le quatrième tome (avec un tout petit peu de retard).

Ce quatrième tome poursuit la quête des origines, les questions sans réponses, les questionnements sur l’identité et la famille, la place à trouver entre le pays natal et adoptif, le chemin parcouru et à venir. Comme le dit Jung, un voyage qui durera probablement toute une vie, bien que notre petit héros ait, de puis le premier tome, trouvé un certain apaisement.

Le propos reste touchant, mais je l’ai trouvé en-deçà de ses prédécesseurs. Je trouve que le discours tourne un peu en rond, n’ajoutant pas grand-chose à ce qui a été dit auparavant. Pourtant, de nouvelles étapes de sa quête identitaire sont abordées, mais elles sont traitées de manière brève et confuse. L’interview avec sa mère adoptive ou ses voyages en Corée auraient peut-être mérités de s’y attarder un peu plus. Sans parler de cette fameuse piste vers, peut-être, sa famille biologique et ses tests ADN dont les résultats nous restent inconnus. (Il faut croire que je suis difficile à satisfaire car je trouve que, à l’inverse, il aurait pu s’éterniser un peu moins sur son film, aussi bien soit-il).
De plus, le dessin m’a semblé légèrement différent et m’a moins séduite. Le trait est plus fin et moins rond. Moins agréable finalement.

 Même si ce tome souffre à mes yeux d’une certaine redondance, il reste la poursuite d’une histoire personnelle racontée avec beaucoup de sincérité. Couleur de peau : miel reste un témoignage passionnant et sensible sur l’adoption et ses traumatismes.

(Petit détail : que son frère soit appelé Cédric après avoir été Erik dans les trois premiers m’a interrogée et déstabilisée…)

Couleur de peau : miel, tome 4, Jung. Soleil, coll. Quadrants, 2016. 141 pages.

Journal 1927-1928 : « Héroïne, cocaïne ! La nuit s’avance… », de Mireille Havet (2010)

(Me revoilà, après quelques semaines d’absence. J’ai, cette année encore, manqué le rendez-vous mensuel du « C’est le 1er), mais je me rattraperais fin août avec un 2 en 1. Je vous laisse avec un livre lu en juin pendant que je me penche sur les rares de juillet…)

Journal 1927-1928 (couverture)Il m’aura fallu six ans et demi avant de retrouver le chemin du Journal de Mireille Havet avec ce volume qui trônait pourtant sur ma table de nuit depuis son acquisition. Si mes listes n’étaient pas formelles, je n’aurais jamais cru que j’avais laissé tant de temps tant le souvenir de mes lectures reste vivace. Je ne comprends même pas comment il a pu en être ainsi tant l’émotion de la retrouver était forte.
Je parcours mes anciennes chroniques – parues à une époque où ce blog tournait un peu au ralenti, me semble-t-il – et je m’aperçois que je n’arrive pas à parler de ces journaux correctement, c’en est assez désespérant.

Elle est loin, la jeune femme si prometteuse de 1918. On retrouve la diariste rongée par les drogues qu’elle consomme sans mesure aucune, dans des proportions sans cesse grandissantes. Avec le constat de sa « déchéance » tant financière que physique et intellectuelle, son envie de mourir se fait omniprésente. Rien d’autre ne paraît réellement pérenne dans ce qu’est devenu le quotidien de Mireille Havet.
Elle continue ses tentatives de désintoxication, voit chaque nouvel essai comme celui qui signera son retour à la vie, fait pénitence, dénigre les années et attitudes passées, promet de renouer avec une vie saine, avec l’écriture, remercie Dieu d’avoir été sauvée. Elle vibre alors d’un optimisme joyeux, violent, enfantin, qui lui fait voir le monde beau, bon et gentil et fait naître en elle une foi apparemment indéfectible. Contraste terrible avec ce que l’on pressent, ce que l’on sait de la suite, à savoir la rechute que l’on appréhende tout en sachant inéluctable. (Cruellement, c’est grâce à cette suite funeste qui s’annonce que son discours d’illuminée par sa religion n’est pas trop insupportable à lire…) Et effectivement, elle replonge, toujours plus sévèrement. Regrettant son passé prometteur, elle se dit esclave, morte encore vivante. Souffre et perd le compte des doses.
Malgré tout, elle continue d’aimer. Elle aime follement Robbie. Puis Alice. Puis Renée et Norma. Elle les aime toutes, ces femmes qui traversent sa vie, le temps d’une année, d’un mois ou d’une nuit. Ses sentiments sont sans cesse exacerbés à l’extrême, tant dans la passion que dans le mépris qui suit la rupture. Ses mots d’amour et de désir se font, avec la même véhémence, insultes assassines.

« Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent.
Beaux rêves de sucre rose d’une petite fille sotte et crédule, plus crédule et sincère, même, que vraiment vaniteuse et outrecuidante. »

Comme dans le volume précédent, son journal côtoie son agenda. Différence tranchante entre le premier – littéraire, passionné, faisant l’impasse sur de nombreux sujets (jugés sans doute trop terre-à-terre) de sa vie – et le second – factuel, à l’écriture sèche, allant à l’essentiel, énumérant noms, lieux et activités quotidiennes. La lecture en parallèle des deux supports permet de croiser ce qu’elle vit et ce qu’elle raconte.
Dans son journal, Mireille Havet n’est pas sans faire preuve d’une certaine grandiloquence. Ses mots subliment, exaltent le vécu, même quand celui-ci est maussade ou maladif. Elle exagère, elle dramatise, elle exacerbe ses sentiments et son vécu, donnant à tout cela une puissance renversante et magnifique. Avec ces longues phrases, son discours se fait hypnotique. Une hypnose qui fait vibrer dans une course digne d’un manège de fête foraine, de l’exaltation la plus joyeuse aux bas-fonds de la déchéance.
Lorsqu’elle est trahie par Robbie, partie dans son dos pour son Écosse natale, son journal fait le récit d’une rupture, de celles qui laminent, déchiquettent et laissent pour morte, mais dont, finalement, on se remet envers et contre tout. Elle écrit le désespoir, l’incompréhension, la haine rancunière et les remords qui retirent les mots cruels écrits juste avant. C’est beau, douloureux et triste. Paradoxalement, c’est cet événement qui la tue (ses mots) qui fait revivre son journal et la rend volubile à nouveau alors qu’elle y écrivait assez peu pendant les mois heureux avec Robbie.

« Ma vie est devenue ce fumier où, nuit et jour, je me roule, oublieuse, par instants, de ses réalités, asphyxiée littéralement tant l’odeur est forte et me monte à la tête, oublieuse de tout, à moitié idiote, figée moi-même en statue de fumier, en statue d’ordure et d’horreur recouverte, recouverte… sans nom, sans pensée, sans mémoire, à demi aveugle et dans un noir cent fois plus épais, plus vaste que celui de la cécité, n’attendant qu’une chose au monde, n’espérant qu’elle, celle-ci, d’être éveillée enfin de mon cauchemar par la vraie mort humaine. »

Evidemment, elle n’est pas parfaite. Elle se montre même parfois insupportable. Quand elle se montre mesquine envers une personne autrefois aimée. Quand elle répète inlassablement qu’elle n’a « pas d’amis » alors qu’il se trouve toujours quelqu’un pour sonner à sa porte ou pour lui prêter de l’argent. Quand elle se plaint d’être mal aimée. Mais peu importe. Elle écrivait pour elle-même, elle pouvait bien se raconter comme elle en avait envie. Et puis, ces exagérations résonnent d’un accent de vérité et de passion absolument irrésistible, donc comment lui en vouloir ?

« Ô Morphine, qui donc s’occuperait de moi, qui donc s’immiscerait dans ma vie de supplices et d’injures misérables, sinon toi, puisque tout et tous m’ont depuis longtemps abandonnée ?
Ô Morphine, tu es mon secret, mon amie la plus folle, mon ennemie la plus sûre et ma sauvegarde, puisqu’il paraît qu’il faut vivre malgré ses blessures et ses amputations. Mais qui donc peut le comprendre ou le comprendrait loyalement et férocement comme je l’avoue cette nuit où, dans l’excès de ma solitude et de mon impuissance, l’amertume de vivre et la rancœur des souvenirs font éclater ma poitrine et rongent mes paupières comme des vers. »

Mireille Havet, comme toujours à vif, comme toujours poignante. Désespérée, suicidaire, droguée, et pourtant animée d’une envie de vivre qui resurgit sans cesse, d’un espoir assez incroyable finalement de retrouver le cours de sa vraie vie et d’oublier ces années de déchéance et d’impuissance.

« Je n’écrirai plus d’histoires, Mary ! j’aimais trop les histoires, j’ai voulu, avant de les écrire, en avoir, et la réalité s’est substituée à la création, ma vie à l’ouvrage que je devais faire sur la vie, ma mort à la mort imaginaire de nos fins de chapitres, et pour finir sur un mauvais jeu de mots, l’héroïne à nos héros ! »

Journal 1927-1928 : « Héroïne, cocaïne ! La nuit s’avance… », Mireille Havet. Editions Claire Paulhan, coll. Pour mémoire, 2010. 350 pages.

Les autres chroniques sur Mireille Havet

Mommy, de Xavier Dolan, avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval et Suzanne Clément (Canada, 2014)

Mommy (affiche)Évidemment, j’arrive après la bataille, j’ai pourtant vu Mommy, cinquième film de Xavier Dolan et deuxième film de l’année 2014, en avant-première. Bref, sans importance. Ce qui importe n’est pas quand, où j’ai découvert le film, mais bien ce bijou que j’ai déjà vu deux fois (la seconde fois, des détails sautent aux yeux, on attend des passages qui nous giflent à nouveau…)

Mommy (Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon)Steve est un adolescent souffrant d’un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (T.D.A.H.) et de l’attachement, agressif et violent en période de crise, ultra-possessif (et ainsi prêt à tuer sa mère pour qu’elle ne l’abandonne pas) et potentiellement dangereux. Renvoyé de l’institution où il avait été placé, sa mère, Die, se voit dans l’obligation de le reprendre avec elle. Une troisième personne va intervenir dans leur face-à-face explosif, Kyla, la voisine bègue.

Les acteurs sont tous incroyables et le trio fonctionne à merveille.

Mommy (Antoine-Olivier Pilon)Antoine-Olivier Pilon – que j’ai découvert dans le clip d’Indochine, College Boy, réalisé par Xavier Dolan, car sa brève apparition dans Laurence Anyways ne suffisait pas à parler d’une quelconque découverte – semble être un jeune homme parfaitement équilibré dans la vie et pourtant, il incarne un Steve avec une justesse déroutante. Tantôt insupportable gueule d’ange, tantôt insultant et violent, il a tout compris à ce personnage psychologiquement malade et très sensible. Encore une fois, comme avec Pierre-Yves Cardinal pour Francis (Tom à la ferme) ou Melvil Poupaud pour Laurence (Laurence Anyways), Xavier Dolan a su trouver l’acteur parfait pour le rôle.

Mommy (Anne Doval alias Die)Anne Dorval reprend le rôle de la mère. Un peu vulgaire, un peu adolescente attardée (les costumes en disent beaucoup) et souvent dépassée, mais combative et aimante, Diana « Die » Desprès est un nouvel aspect de cette figure qui traverse l’œuvre de Dolan. Ce n’est plus la Chantal Lemming de J’ai tué ma mère, kitsch, encore plus vulgaire et surtout manipulatrice et culpabilisante. Die est vraiment attachante malgré ses défauts et Anne Dorval est une nouvelle fois totalement géniale. Elle ne baisse jamais les bras, elle affronte l’adversité. La mort de son mari, son fils difficile, les problèmes d’argent, le chômage, elle affronte tout, juchée sur ses chaussures plateformes, le menton relevé. J’ai beaucoup d’admiration pour ce personnage et pour l’actrice.

 Mommy (Suzanne Clément alias Kyla)Après avoir interprété la flamboyante Fred de Laurence Anyways, Suzanne Clément avait le personnage le moins défini du trio. Kyla est habillée sans originalité, Kyla est silencieuse, Kyla ne révèle rien de sa vie. Et pourtant, grâce à Suzanne Clément, Kyla prend de l’épaisseur et de l’importance. Ses sourires timides, ses regards vers cet excentrique duo, ses bégaiements, ses changements dans la manière de se coiffer, son secret que l’on devine peu à peu bien qu’elle détourne sans cesse la conversation d’elle-même… autant d’éléments qui en font un personnage touchant et essentiel. Elle apporte un peu de calme au milieu des cris de Steve et Die (elle est même parfois frustrante par sa lenteur d’expression) et surtout, elle leur apporte un équilibre et une sérénité qui leur étaient impossible en tête-à-tête.

Mommy, malgré sa fin et son sujet, est un film lumineux. Poignant, dur parfois, mais également drôle. Le trio ne se laisse jamais abattre en dépit des épreuves et espère toujours. Ils ne se pleurent pas dessus, ce n’est pas « La vie est trop injuste… ».

Mommy (Anne Dorval et Suzanne Clément)Le format carré nous amène au plus proche des personnages, de leur souffle, de leur peau, de leurs yeux. Un geste ou un regard en dit parfois plus long que les mots. Sur une musique du « trésor national », la scène de la première soirée que Steve, Die et Kyla passent ensemble l’illustre bien : les mots ne veulent rien dire, tout passe dans les regards. Toutes les attentes, tous les espoirs des personnages… Cette scène est tout simplement incroyable, une des plus fortes du scénario.

Et cet incroyable moment sur la chanson Wonderwall d’Oasis justifiait à lui seul le format 1:1. Je ne veux pas trop en dire, mais Dolan introduit à cet instant une respiration qui libère aussi bien le personnage et le spectateur. Et c’est un véritable coup de génie.

Esthétiquement parlant, Mommy est vraiment un beau film, autant que Tom à la ferme était – volontairement – laid. Les lumières et les couleurs sont chaudes, la musique est magique comme toujours. Il y a vraiment une dynamique qui est également marquée par les dialogues aussi savoureux que d’habitude. Les mots, le rythme, la poésie au bon moment, l’écriture est magnifique.

 Mommy (Antoine-Olivier Pilon alias Steve)

Mommy, comment dire… c’est une véritable perle. Un film qui dit : la vie est dure, soit, alors battons-nous pour la rendre la plus belle possible. On passe du rire à la gorge nouée, Xavier Dolan sait trouver le bon dosage.

« Ça arrive pas dans la vie d’une mère qu’elle aime moins son fils. La seule chose qui va arriver, c’est que je vais t’aimer de plus en plus fort, et c’est toi qui vas m’aimer de moins en moins. »

 Mommy (Die, Steve et Kyla)

Les autres films de Xavier Dolan :

Le blues des petites villes, de Fanny Chiarello (2014)

Le blues des petites villes (couverture)A 14 ans (et demi !), Sidonie est différente de ceux qu’elle refuse de nommer ses camarades et elle l’affirme haut et fort. Elle trouve futiles les « décalcomanies », ces filles qui « efforcent de ressembler à leur star préférée, et elles ont toutes la même » et les « morses », ces garçons qui « sont pour la plupart en pleine mue, les pauvres, mais continuent de parler trop fort ». Ses meilleures amies ne le restent jamais très longtemps et elle se sent très seule. Pour elle, « le seul espoir, c’est de partir. » Partir à la grande ville, là où les monuments et les établissements culturels pullulent dans les rues, là où l’on tutoie Rimbaud, là où l’on joue de la musique et écrit des poèmes, là où la conformité n’existe plus.

Tout change lorsqu’elle où elle rencontre Rébecca, une fille différente des autres, mais différente d’elle aussi. La vie prend alors une autre saveur, un petit goût plus épicé, mais plus doux aussi. Dans cette dingue de blues aux chaussures en alligator, Sidonie trouve bien plus qu’une meilleure amie.

 

Ce roman pour jeunes adolescents de Fanny Chiarello, à paraître à la rentrée littéraire 2014, est vraiment sympathique. L’héroïne est attachante sans être véritablement une héroïne. Certes, elle est très intelligente et différente du « commun des mortels » (du moins, en nous offrant sa version de l’histoire, elle nous donne l’impression que le monde qui l’entoure est une masse uniforme), mais c’est sa fragilité sous la carapace qui m’a touchée. (De plus, elle m’a semblé très familière, il y a comme une impression de déjà-vu.) Pour se protéger, elle fuit le monde, elle est désagréable, mais tente désespérément de se trouver une meilleure amie, quelqu’un qui serait, comme elle, « une irrégularité sur la morne frise que forment les décalcomanies et les morses ».

N’étant pas une grande lectrice de littérature jeunesse/ado, je ne sais pas si l’homosexualité, et notamment l’homosexualité féminine, est fréquemment abordée. En tout cas, j’ai trouvé ça très agréable de sortir des amourettes (ou grandes histoires) hétérosexuelles. J’ai d’autant plus apprécié la manière dont la relation est présentée. On ne parle pas qu’en terme d’ « amour », on parle avant tout de connivence, de rencontre intellectuelle fusionnelle, de la sensation d’avoir trouvé la personne qui correspond parfaitement. Leur amour n’en est pas minimisé et, au contraire, n’en apparaît que plus fort.

Je déteste parler de roman sur l’homosexualité car personne ne dit d’un roman où une femme et un homme tombent amoureux qu’il s’agit d’un roman sur l’hétérosexualité. Malgré tout, ce terme peut s’y appliquer. En étant deux filles, on retrouvera l’incompréhension, les moqueries, l’homophobie, le rejet des parents, etc. Décidément, homosexualité = tragédie. C’est désespérant !

Un roman à écouter avec du classique, du blues et du jazz en fond sonore, des personnages auxquels on s’attache très vite. Un très bon moment qui a ravivé pas mal de souvenirs personnels.

 

« Depuis toujours, je bute sur un jeu d’enfant, et d’enfant en bas âge. Le réel n’entre pas dans les contours de mon imagination, de même qu’une pièce triangulaire n’entre pas dans un trou rond. Un rêve m’invite à chercher dans cette résidence universitaire quelque chose qui serait fait pour moi, or j’y trouve un poster de football et une odeur de chaussettes avariées. Je passe pour renfrognée, mais je suis seulement blessée par le manque de magie en ce monde. La vie est une longue déception, et pour ne pas passer la mienne à pleurnicher, je raille, je joue les caustiques, je maugrée. Chacun ses défenses. D’autres préfèrent le vernis à ongles de toutes les couleurs pour se divertir de la triste réalité, mais moi, je regarde en face son affreuse grimace et je lui en renvoie une de ma composition. »

 « Est-ce que chacun n’a pas un détail qui le rend un peu différent ? Ne serait-ce qu’un tout petit peu ? Quel individu ne porte pas en germe une particularité qui lui vaudra d’être incompris ? Qui pourrait jurer qu’il ne sera jamais rejeté ? Imagine qu’il existe un M. Normalité. Un jour, il se cogne la tête contre le coin d’un placard de cuisine après s’être lavé les mains, le choc est si fort qu’il tombe dans les pommes et se réveille paraplégique. Maintenant, imagine M. Normalité parader sur son fauteuil roulant électrique sous le regard apitoyé des passants, et dis-moi : est-ce qu’il se sent encore M. Normalité ? Est-ce qu’il a encore envie de jeter tous ceux qui ne lui ressemblent pas dans une grande machine à laver ? »

Le blues des petites villes, Fanny Chiarello. L’école des loisirs, coll. Médium, 2014. 204 pages.

The Perks of Being a Wallflower, de Stephen Chbosky, avec Logan Lerman, Emma Watson et Ezra Miller (Etats-Unis, 2013)

The perks of being a wallflowerThe Perks of Being a Wallflower, qui peut être traduit par « les avantages d’être laissé pour compte », est sorti en France sous le titre Le monde de Charlie (non, mais je n’arrive pas à m’y faire. Un si beau film pour un titre si naze). Il s’agit de l’adaptation du livre Pas raccord écrit par Stephen Chbosky lui-même (livre depuis réédité sous le titre Le monde de Charlie).

Il est sans doute difficile d’adapter au cinéma un roman épistolaire où l’on a connaissance de toutes les pensées, de toutes les joies, de tous les doutes du personnage principal. A moins d’utiliser une voix off qui exprime ces pensées, on ne peut pas avoir la même intimité avec le personnage principal. Il faut montrer les choses, plus d’éléments sont laissés à l’appréciation, à la compréhension du spectateur. Stephen Chbosky fait toutefois parler Charlie et le montre en train d’écrire ses fameuses lettres.

Les personnages du roman expérimentent et vivent plusieurs situations que je ne veux pas révéler afin de ne pas gâcher le film à quelqu’un qui ne l’aurait pas vu. Or il est impossible de tout mettre dans un film d’1h40. J’avais vu le film avant de lire le livre et j’ai été surprise de voir tous les passages qui avaient été mis de côté. C’est parfois un peu dommage, certains auraient été intéressants à voir dans le film, d’autres ont été bien remplacé ou abrégés. Mais le film reste tout de même une bonne adaptation.

Comme je l’ai dit, j’ai vu le film avant de lire le livre. En temps normal, je n’aime pas trop faire ça, les livres étant généralement mieux que les films. Mais pour cette fois, c’est sans doute mieux, je ne sais pas si j’aurai lu le livre si je n’avais pas vu le film.

J’ai adoré le film. Il m’a touché ; comme en lisant le livre, je me suis sentie proche des personnages.

Comme le livre, il est parfois drôle, parfois émouvant.

Il est aussi incroyablement beau et juste.

Les acteurs incarnent fidèlement les personnages du roman et leur donnent corps avec justesse. On les comprend. On a l’impression qu’ils peuvent nous comprendre.

Emma Watson était plutôt attendue avec ce film après avoir joué plus de dix ans Hermione Granger dans les films Harry Potter. Peut-être ne suis-je pas impartiale, mais je l’ai trouvé excellente dans le rôle de Sam, parfois sûre d’elle, parfois fragile. On ne peut pas ne pas l’aimer.

De même qu’Ezra Miller (Patrick) qui a les capacités – me semble-t-il – de devenir un grand acteur. Je l’avais déjà admiré dans We need to talk about Kevin et The Perks of Being a Wallflower confirme l’admiration que j’ai pour lui. Il est drôle mais il peut également être poignant. Il semble tellement naturel dans ce rôle, on dirait qu’il joue son propre rôle, qu’il est lui-même. Il est exceptionnel. Chacune de ses apparitions rendent une scène incroyable. On y croit vraiment. C’est le genre de films dont j’ai du mal à me détacher tellement j’ai l’impression que c’est vrai. Et il n’est pas mal non plus dans la peau de Frank N Furter (The Rocky Horror Picture Show). En tout cas, j’attends avec impatience son prochain film, comme j’attendais chacune de ses apparitions.

Quant à Logan Lerman, c’était pour moi une véritable révélation. En regardant sa filmographie, je constate que je l’ai déjà vu dans The Patriot et Le nombre 23. Aucun souvenir de lui. Dans The Patriot, il avait huit ans, il devait jouer l’un de mômes, mais dans Le nombre 23, je n’arrive absolument pas à me rappeler son personnage. Je ne savais même pas que c’était lui qui jouait Percy Jackson, ces films ne m’intéressant absolument pas. Bref. Une révélation. Une très bonne révélation. Il est aussi attachant, aussi décalé vis-à-vis de ses condisciples que l’est le Charlie du roman.

Un film drôle, touchant, beau avec, pour ne rien gâcher, une excellente BO ! David Bowie (pour la scène dans le tunnel en remplacement de Fleetwood Mac dans le livre), The Smiths et plusieurs groupes de l’époque accompagnent Charlie, Sam et Patrick.

Quand je le vois, la seule chose dont j’ai envie, c’est le revoir.

« Welcome to the Island of Misfit Toys. »

Sam.