La gueule du loup, de Marion Brunet (2014)

La gueule du loup (couverture)Le bac en poche, Mathilde et Lou sont parties à Madagascar. Rien que toutes les deux, avec leur amitié et leurs caractères si différents. Mathilde a autant de certitudes et de fougue que Lou a de doutes et de peurs. Pourtant, elles se complètent et se soutiennent depuis des années. Mais leur amitié va être éprouvée sur la grande île rouge lorsqu’elles décident de tirer une jeune prostituée, Fanja, des griffes d’un homme violent et sadique.

Après mon coup de cœur avec Dans le désordre, j’ai décidé de lire les précédents romans de Marion Brunet : Frangine et celui-ci. Je ne m’y attendais pas (à cause de Dans le désordre et à cause de la couverture très girly qui est plutôt trompeuse), mais La gueule du loup s’est révélé être un thriller efficace.

Le séjour des deux filles débute par la crique de Foulpointe, mais c’est dès leur arrivée à Tananarive qu’elles découvrent l’envers du paradis (quoi que, pour Lou, les insectes, l’isolement de la civilisation et « la bouffe qui arrache la langue », ce n’est pas vraiment son idée de l’Eden…). Extrême pauvreté, désespoir des mères incapables de nourrir leurs enfants (ce qui donnera lieu à une scène qui fait froid dans le dos), prostitution… Voilà qui heurte leur regard de « Vazahas », de Blanches, de touristes.
Et quand elles s’interposent entre Fanja et son bourreau, celui-ci les prend en chasse à travers la jungle malgache. Marion Brunet plonge ses trois héroïnes et ses lecteurs avec elle dans une angoisse profonde. On ne respire plus, on tremble avec les filles, en se retenant de tourner les pages toujours plus vite pour savoir où se cache ce démon blanc. C’est un fait : ce roman est totalement immersif.
On s’identifie sans trop de peine aux jeunes filles. Plus des enfants, pas encore des adultes. Elles voient la vie tranquille qu’elles connaissaient basculer dans un abîme de désillusion et de violence. J’ai retrouvé en Mathilde les personnages de Dans le désordre : fougueuse, idéaliste, elle veut tout tenter pour vivre pleinement sa vie. Cependant, elle était parfois si insouciante qu’elle m’a agacée. J’ai retrouvé en Lou mes doutes et mes réserves.

J’ai également retrouvé avec délices la plume de Marion Brunet. Vive, parfois familière, rythmée, elle m’a cueillie avec ses mots et ne m’a relâchée qu’une fois la dernière page tournée.

Ce n’est pas un coup de cœur, mais La gueule du loup m’aura malgré tout totalement convaincue par la tension toujours présente, le décor à la fois magnifique et terrible, l’écriture envoûtante…

« Les certitudes de Mathilde sont souvent rassurantes, même quand elles sont naïves. Il lui faudra encore des abcès à crever et des joies bouleversantes pour toucher ses émotions comme on caresse du sable. Avant d’aimer correctement et de saisir les nuances… Pour l’instant, elle pense qu’elle sait et que rien ne bouge. »

La gueule du loup, Marion Brunet. Sarbacane, coll. Exprim’, 2014. 229 pages.

Les larmes d’Ietsé, de Johary Ravaloson (2012)

Les larmes d'IetséSur le blog des éditions Dodo Vole (maison d’édition réunionnaise), voilà ce qu’il est dit à propos de ce roman : « Nénuphars, navigations, nourritures et malentendus : le nouveau roman de Johary Ravaloson ne se laisse pas facilement résumer. » Nous voilà bien avancés. Une seule chose à faire : se plonger dans le livre.

Et j’ai découvert une écriture toujours très fluide, parfois très poétique.

Elle nous promène entre deux histoires, entre deux époques. Celle d’Ietsé, le premier homme à fouler la terre de « l’île rouge » selon la légende. Celle d’Ietsé Razak, son descendant, qui souffre d’insomnies. De nombreux retours en arrière nous font également revivre le passé d’Ietsé Razak : sa naissance dans une famille très riche, ses études de droit en France, sa mésaventure amoureuse avec Ninon, son retour au pays, son mariage avec Léa-Nour… Toutes ces histoires et légendes étroitement entrelacées sont parfois déroutantes pour le lecteur : tout est prétexte à un voyage dans le temps.

On aperçoit évidemment Madagascar et sa capitale, Antananarivo, « la Ville aux mille ambiguïtés » pour l’auteur, où la richesse extrême de quelques-uns côtoie la pauvreté et la misère de tous les autres. Sont également évoquées les difficultés liées à la situation d’immigré en France.

 Pris au hasard dans une librairie, ce livre est une très plaisante découverte que je conseille à tous ceux qui souhaite un petit voyage à Madagascar.

« Néanmoins, le faste de l’endroit embarrassa les membres du cercle, artistes et intellectuels du dessus du panier pourtant, dès la première réunion. (…) L’accueil guindé de la vieille gouvernante, qui, malgré les consignes de simplicité de sa maîtresse, ne savait ou ne voulait pas faire moins, les domestiques qu’on ne pouvait cacher, les couverts et les meubles qu’on ne pouvait changer contre des plus modestes, le plafond haut où brillaient les lustres, les saisirent. Ils savaient les Razak riches, ils ne pouvaient cependant imaginer cela, eux, logeant à l’étroit en ville dans des maisons, pour les plus chanceux héritées et louées en partie, mais pour tous en état de délabrement, qu’aucun n’avait les moyens de restaurer, grignotant les moindres économies pour assurer l’éducation des enfants, leur habillement, oui, même pour leur nourriture, certains avec une part des mets de la table dressée « à la bonne franquette » d’Anosisoa auraient bien aimé égayé le riz blanc familial chez eux pour le restant de la semaine, ils vivaient l’endettement du pays dans leur propre vie, c’est-à-dire travaillant dur mais récoltant à peine assez pour survivre, ils ne pouvaient tout simplement pas concevoir cette magnificence. »

« Et, comme on dit, Angano angano, Arira arira, une légende est une légende, la vérité en est une autre, ce n’est pas moi qui mens mais ceux qui me les ont transmises. »

Les larmes d’Ietsé, Johary Ravaloson. Dodo Vole, 2012. 136 pages.